Visions gaspésiennes/19

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Imprimerie du Devoir (p. 59-60).


MA SŒUR


Amante du silence et des choses rustiques,
Et belle des trésors infinis de son cœur,
Elle a le pur regard des Madones antiques,
Ma sœur !

Le soir, à son fuseau, tout comme notre mère,
Elle poursuit très tard son cher et dur labeur ;
Et pour se délasser elle nous lit Homère,
Ma sœur !

Elle nous apprenait à dire nos prières,
Et, près du vieux berceau, chantant, à la noirceur,
Souvent elle a veillé le sommeil de nos frères,
Ma sœur !


Et, depuis que du mal des vers je suis saisie,
Depuis que j’ai souffert de ce rythme berceur,
Par elle j’ai compris la pure poésie,
Ma sœur !

Lorsque je serai vieille et que je serai lasse
Du fardeau de la vie et du poids du malheur,
Je veux la voir encor, me parlant à voix basse.
Ma sœur !

Et quand je m’en irai vers la vie éternelle,
Le jour où je pourrai te contempler, Seigneur,
Ah ! fais qu’elle soit là pour clore ma prunelle.
Ma sœur !