Visions gaspésiennes/21

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Imprimerie du Devoir (p. 63-64).


PUISQUE TU M’AIMES


« Voyez-vous, sur la colline, cette maisonnette blanche ? »
A. Gérin-Lajoie : (Jean Rivard).


Quand Jean Rivard mena, pour la première fois,
Au canton de Bristol, sa femme, sa Louise,
Seul avec elle, au bord de sa terre et des bois.
Il lui dit, le cœur lourd et le front dans la brise :

— « Femme, voici les lieux que nous habiterons.
« Voici les coteaux neufs et la neuve campagne ;
« Voici le sol abrupt que nous labourerons,
« Et voici la forêt, notre unique compagne.


« Les arbres sont épais ; tous les chemins sont noirs.
« La nature se dresse, autour de nous, hagarde
« Comme un monstre surpris, et, dans la paix des soirs,
« Il semble que l’espace étonné nous regarde…

« Ici la terre dort de l’antique sommeil,
« Et ne tressaille point des récoltes futures.
« Ce n’est pas cet été que le lierre vermeil,
« Femme, pourra grimper le long de nos clôtures !

« Comme il faudra peiner pour que notre jardin
« Ressemble, chaque automne, au jardin de ton père !
« Et comme il te viendra, parfois, un lourd dédain
« D’être si loin, si loin de votre champ prospère !

« Ah ! tu ne verras pas naître en cet horizon
« Tes rêves d’autrefois, et souvent, les ours mêmes
« Viendront rôder autour de notre humble maison…
— « Qu’importe ! dit Louise à Jean, puisque tu m’aimes !… »