Voltaire (Lanson)/Chap 6

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Librairie Hachette (Les Grands Écrivains français) (p. 107-132).


CHAPITRE VI

VOLTAIRE HISTORIEN[1]

C’est de 1751 à 1756 que paraissent les grands résultats du travail historique commencé depuis vingt années par Voltaire : c’est donc ici qu’il faut nous arrêter pour l’étudier. À Ferney, Voltaire fera de la polémique ou de la critique historiques : il n’aura plus guère le temps d’être historien.

Le xviie siècle avait eu d’admirables érudits en histoire qui avaient fait des recueils de textes ou des dissertations critiques. Il n’avait pas eu de grand historien, Bossuet excepté, qui se souciât d’unir l’exactitude au talent littéraire. Tillemont, Cordemoy, Fleury, avaient fait de solides, d’honnêtes travaux sans éclat. Les beaux esprits donnaient de l’éloquence, des harangues pompeuses, des portraits élégants, des pensées fines ou graves : ils ne négligeaient que l’essentiel. L’histoire de France surtout était la proie des rhéteurs serviles. La peur de la Bastille, l’espoir des pensions étaient aux historiens le goût de la vérité. Un esprit indépendant, comme Mézeray se jetait, sans plus rigoureuse information, dans la malignité satirique : on appelait cela liberté. Vertot et Saint-Réal poussaient l’histoire au roman, et la frontière des deux genres était si mal tracée, que le P. Lelong inscrivait à côté des savants Duchesne et Labbe, parmi les historiens modernes de la France, l’inventeur des Mémoires de d’Artagnan, Courtilz de Sandras.

On savait que le public tenait par-dessus tout à l’agrément. Au dire de Mézeray, l’exactitude ne pouvait le servir qu’auprès de bien peu de gens, l’aurait desservi auprès des autres peut-être, et sans doute ne lui aurait pas mérité d’éloges proportionnés à ce surcroît de peine. Aussi s’en était-il dispensé.

On a vu un homme chargé du soin d’écrire l’histoire de France, qui, après avoir déjà composé tout ce qui regarde la première race, demandait ce que c’était que Duchesne ; il n’avait pas seulement ouï parler de cet auteur, ni de tous les écrivains dont Duchesne a ramassé les ouvrages. Imaginez-vous où il pouvait prendre son histoire, ne sachant pas que l’on dût lire les seuls auteurs qui la fournissent[2].

À la fin du xviie siècle, au début du xviiie, on commence à se faire des idées plus justes. On cesse de s’en tenir aux lieux communs pris de Cicéron et de Lucien sur le devoir de l’historien. Bayle[3], le P. Daniel, Fénelon, Lenglet-Dufresnoy[4] aperçoivent, et font entrevoir au public quelques-unes des conditions nécessaires du travail historique. Les mondes jusque-là sans communication des érudits et des littérateurs se rapprochent par l’Académie des Inscriptions, par la vie de salon, par les cafés.

Cependant la pratique reste bien en arrière de la théorie. Rapin de Thoyras écrit sur les sources, avec une critique éveillée, l’histoire d’Angleterre : on l’en estime. Mais le grand, l’éclatant succès va au candide Rollin, au compilateur sans critique de l’histoire ancienne. Ceux qui font la théorie sont les premiers à ne pas l’appliquer. Lenglet-Dufresnoy a des crédulités puériles et des certitudes extravagantes. Le P. Daniel, qui a fait une si belle Préface, quand on lui montre « onze ou douze cents volumes de pièces originales et manuscrites qui se trouvent à la Bibliothèque du Roi », passe « une heure à les parcourir, et dit qu’il était fort content. C’est tout l’usage qu’il a fait de cet immense recueil ». Ensuite il confie au P. Tournemine « que toutes ces pièces étaient des paperasses inutiles dont il n’avait pas besoin pour écrire son histoire[5] ».

Les bienséances mondaines emmaillottent l’histoire comme tous les genres. Le discret président Hénault objecte au libre jugement de Voltaire sur un prince : « Cela peut se dire au coin du feu, mais ne s’écrit pas[6]  ». Et toujours les pouvoirs spirituel et temporel guettent l’historien : même Hénault, pour n’être pas tracassé, est obligé de « supprimer plus des trois quarts » de son livre, « c’est-à-dire ce qu’il y a de plus curieux[7] ». Et pour accorder adroitement sa conscience avec son repos, il ne condamne la Saint-Barthélémy que par une citation de l’archevêque Péréfixe.

Voltaire venait donc au moment où l’on commençait à attacher du prix à la vérité, à la critique, à l’indépendance dans l’histoire, mais où ces qualités n’étaient pas encore communes. Il y avait de l’originalité à les rechercher, et l’on pouvait déjà espérer d’être payé de sa peine par le public.

L’Histoire de Charles XII fut le début de Voltaire (1731). Choisissant l’histoire moderne comme plus intéressante et plus utile pour les hommes de son temps, et dans les temps modernes un sujet rempli d’aventures et de caractères extraordinaires, ayant relu Quinte Curce[8], mais rejetant l’appareil classique des harangues et des portraits, citant ou analysant des propos réels, des lettres authentiques, peignant les événements et les hommes par de petits faits, par des circonstances exactes, contrôlant les anecdotes, les filtrant de tous les détails crus ou vulgaires, il fit un récit rapide, dégagé, vivant, d’une couleur élégante et fine, qui avait l’intérêt d’un roman. Tout le monde le sentit et les critiques de s’écrier que ce n’était qu’un roman[9]. Nous savons aujourd’hui que c’était mieux. Admirablement informé pour le temps, ayant consulté tous les documents et tous les témoins, Voltaire a cherché la vérité avec une impartiale liberté. S’il a tiré de la vie de Charles XII un enseignement philosophique, pour condamner dans un roi l’amour de la guerre, des conquêtes et de la gloire, c’était la leçon qui sortait naturellement des faits : il n’y avait pas besoin de les fausser pour l’y trouver. Les rectifications partielles de La Motraye, de Nordberg, ou de l’ex-grenadier Popinet[10] mettent en lumière, plutôt qu’elles ne l’infirment, la solidité générale de l’ouvrage. Seuls les historiens du xixe siècle à qui les archives de Suède ont été ouvertes, ont pu apporter au récit de Voltaire des corrections ou des compléments d’importance. Par la forme exquise et légère, ce bon travail d’histoire s’assortissait bien à la nuance des chefs-d’œuvre du moment, Zaïre et Manon Lescaut.

Le Siècle de Louis XIV a plus de portée. Médité dès 1732, et peut-être dès 1729, commencé en 1734, fort avancé en 1738, suspendu devant l’hostilité du gouvernement, repris en 1750, terminé et publié en 1751 à Berlin, retouché en 1756 et parvenu seulement en 1768 à un état définitif, le Siècle de Louis XIV est une grande œuvre historique qui garde une valeur même aujourd’hui, et dont les historiens prennent encore la peine de discuter les assertions.

Un protestant français, homme d’esprit, mais aventurier, peu scrupuleux, assoiffé de bruit et d’argent, Angliviel de La Beaumelle, s’empara de l’ouvrage en 1753 et le fit réimprimer avec des remarques parfois judicieuses et utiles, pour la plupart satiriques et injurieuses. Voltaire, outré d’être à la fois volé et diffamé, riposta par un Supplément au Siècle de Louis XIV. Ce fut le commencement de ses démêlés avec La Beaumelle, où, comme toujours, il passa la mesure, et donna lieu au public d’oublier que les premiers torts étaient du côté de son adversaire.

La Beaumelle, qui avait de l’esprit et du savoir, n’a fait que de menues retouches au Siècle de Louis XIV. Hénault n’a pas pu davantage. L’ouvrage était solide : personne au xviiie siècle n’était de force à l’entamer. Voltaire avait été très bien préparé à l’écrire. Il avait vécu sa jeunesse parmi les survivants du grand règne, au Temple, à Saint-Ange, à Sully, à Sceaux, à Vaux-Villars, à la Source. En Angleterre, il avait vu des acteurs de la guerre de la succession d’Espagne, lord Peterborough, lord Methuen, la veuve du duc de Marlborough, sans parler de Bolingbroke. Il eût pu, de toutes les confidences recueillies, faire de très intéressants Mémoires des autres sur Louis XIV. Il voulut faire une histoire.

Il reprit méthodiquement ses interrogations, suivant toutes les pistes, frappant à toutes les portes, allant de la duchesse de Saint-Pierre, sœur de Torcy, au cardinal Fleury. Il lut tout ce qui s’était publié d’histoires et de mémoires, 200 volumes, nous dit-il. Il fit la chasse à l’inédit, et il eut les mémoires de Torcy, de Dangeau, de Villars, les papiers de Louvois, Colbert et Desmarets. Il eut même accès aux archives, et dans le dépôt du Louvre trouva de curieux documents sur l’affaire de la succession d’Espagne.

Après sa première édition, il resta à l’affût de tout ce qui paraissait ; il obtint du duc de Noailles les manuscrits de Louis XIV. Il se corrigea ou se compléta, et même, si fort que pussent le blesser les critiques, il en profita quand elles lui semblaient justes.

Il a fait ainsi une œuvre de premier ordre, aussi solide et exacte qu’il était possible de la faire alors, d’une méthode qui, si elle ne satisfait pas à toutes les exigences de la science d’aujourd’hui, marquait un progrès véritable sur celle de ses devanciers. C’est à peu près la méthode du Port-Royal et des Lundis de Sainte-Beuve : une curiosité inlassable et fureteuse, et la finesse littéraire appliquée au discernement des vérités historiques.

Rien de plus faux dans l’ensemble que les critiques du président Hénault. Voltaire, dit-il, ne voit que la superficie des choses. Voltaire n’a pas le ton sérieux de l’histoire. Voltaire diffame sa patrie, il en veut aux grands hommes de la France[11].

Voltaire a mis très intelligemment en lumière les grands problèmes de son sujet : la succession d’Espagne, la révocation de l’édit de Nantes, les caractères et les rôles des grands acteurs, Colbert, Mme de Maintenon, le roi. Il les a étudiés sérieusement. Les épigrammes du style ne doivent pas nous dérober la modération sérieuse des jugements. Si l’on excepte les affaires religieuses, c’est par optimisme plutôt que par satire que Voltaire, une fois en sa vie, a péché. S’il n’a pas cru au désintéressement de Turenne dans sa conversion, est-ce malignité, ou vérité ? Indulgent aux maîtresses et aux favoris du roi, il lui a fait, tout pesé, la part plutôt belle dans les splendeurs de son règne. Il a le premier vu Mme de Maintenon dans son vrai caractère, et marqué l’importance de Colbert qui n’était pas en faveur auprès de ses contemporains. Il a été modéré sur la Révocation jusqu’à mécontenter les protestants, indiquant l’injustice, la cruauté, les désastreuses conséquences de cette mesure intolérante, mais condamnant la révolte des Cévennes au nom de l’ordre public et par dégoût des illuminés.

Très librement pensé, tout son livre n’est pourtant qu’une glorification de l’esprit français, de la civilisation française du xviie siècle, et du roi qui en a été la splendide expression : le philosophe qui hait la guerre a bien de la peine à ne pas se laisser parfois éblouir par la grandeur militaire et les conquêtes de la France polie.

Depuis Gibbon, pas un critique n’a omis de blâmer le plan du livre, qui morcelle le sujet, et détruit la liaison des faits. On lit Malplaquet et les derniers jours sombres du vieux roi avant d’avoir assisté aux Plaisirs de l’île enchantée. On entre dans la guerre de Hollande avant d’avoir su les tarifs de Colbert, et l’on voit le pape ligué avec les puissances protestantes avant d’avoir entendu parler de la régale. Mais ce morcellement correspond à la forme analytique de l’esprit voltairien, et à l’enchaînement de ses idées.

Tandis que vers 1730 l’opinion n’était pas favorable à Louis XIV, contre lequel se réunissaient les rancunes des grands écartés du pouvoir et les antipathies des philosophes révoltés du despotisme, Voltaire, homme d’esprit et poète alors avant tout, voyait dans ce long règne le prodigieux développement de l’intelligence, les chefs-d’œuvre des arts et des lettres, la France manquant, il est vrai, la monarchie universelle, mais établissant sur toute l’Europe la domination de sa langue, de sa politesse, de sa culture, de ses grands écrivains. De là, l’enthousiasme dont sortit le premier dessein, tout français et classique, du Siècle de Louis XIV. Il s’y joignit une arrière-pensée : quel contraste entre la cour où l’on voyait à la fois Condé, Colbert et Racine[12], et celle où il n’y a plus de Condé, ni de Colbert, et où Voltaire n’est pas ! Une leçon au gouvernement de Louis XV devait sortir de l’histoire de Louis XIV.

Elle s’étagea en plans successifs : après le portique grandiose des victoires et des conquêtes, la personne du roi, les mœurs et la vie de cour, la politesse noble, puis le gouvernement intérieur et les institutions utiles, puis les affaires ecclésiastiques, enfin au fond de la scène le merveilleux décor des arts, des lettres et des sciences, caractéristique supérieure de la civilisation française du xviie siècle, et la vraie gloire du grand roi. Le Siècle se disposait ainsi en apothéose de l’esprit.

Entre 1738 et 1742 l’ordonnance fut modifiée. Les affaires ecclésiastiques interrompaient la progression. Elles furent rejetées à la fin : elles formèrent l’envers du beau règne. Les disputes et les persécutions religieuses, superstition et fanatisme, c’est « l’histoire des fous ». Le xviie siècle, qu’on ne peut surpasser dans la poésie et les arts, a laissé un progrès à faire dans la philosophie au siècle de Louis XV et de Frédéric II. Ainsi s’expliquent le ton sarcastique du récit des affaires religieuses, et ce chapitre final des cérémonies chinoises, qui ne surprend plus quand on y voit le symbole de la raison chassant le fanatisme.

Glorification donc de l’intelligence humaine, dérision de la sottise humaine, voilà les deux idées sous lesquelles se rangent tous les faits du xviie siècle. Elles supposent une idée plus large, moins partiale, plus historique : celle de faire l’histoire du siècle, et non celle du roi[13]. Idée à peine entrevue en théorie par Fénelon, totalement négligée en pratique par tous les historiens, par Bossuet comme par Daniel. Voltaire est le premier historien de la civilisation. Ce n’est pas chez lui un point de vue fortuit et secondaire, il se lie aux plus profonds sentiments de sa nature, à sa philosophie du bonheur.

… Il ne reste pins rien que le nom de ceux qui ont conduit des bataillons et des escadrons, il ne revient rien au genre humain de cent batailles données ; mais les grands hommes dont je vous parle ont préparé des plaisirs purs et durables aux hommes qui ne sont point encore nés. Une écluse du canal qui joint les deux mers, un tableau du Poussin, une belle tragédie, une vérité découverte, sont des choses mille fois plus précieuses que toutes les annales de la cour, que toutes les relations de campagne. Vous savez que chez moi les grands hommes sont les premiers, et les héros les derniers.

J’appelle grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l’utile ou dans l’agréable. Les saccageurs de province ne sont que héros[14].

C’est donc le mouvement de la civilisation, la diffusion de la raison, mais de la raison appliquée au bien être, que Voltaire a voulu peindre. Et voilà par où il a cru faire œuvre à la fois de bon citoyen et de bon cosmopolite.

Mais il était impossible de peindre la marche de l’humanité sans se prononcer sur la force qui donne l’impulsion : autre dessein qui croise les autres, autre série de rapports à dégager. Depuis 1 500 ans, la conception Providentielle de l’histoire dominait les esprits : elle avait trouvé son expression éclatante dans le Discours sur l’histoire universelle.

Voltaire élimine de l’histoire la prudence divine. Les événements sont le produit nécessaire des lois universelles. Des chocs et des coïncidences qu’on ne peut prévoir — on les appelle hasard — déterminent les destinées des peuples. Un verre d’eau sur une robe, et voilà Marlborough en disgrâce, la paix rétablie entre l’Angleterre et la France. Un curé et un conseiller dirigent un jour leur promenade vers Denain, et voilà la voie de la victoire découverte à Villars. D’heureuses réussites adaptent à certains pays, à certaines époques, des moteurs puissants qui accomplissent un énorme travail de civilisation : ce sont les grands hommes. Et quand le grand homme a la chance de détenir la souveraine autorité, son action, son rendement, si je puis dire, est immense. Cette chance suprême s’est rencontrée quatre fois en Occident, depuis les commencements de l’histoire : d’où les quatre grands siècles, de Philippe et Alexandre, de César et Auguste, des Médicis, de Louis XIV. Ainsi se combinent dans l’esprit de Voltaire les grands hommes et le hasard pour faire la fonction motrice que Bossuet confiait à la Providence.

La couleur du Siècle de Louis XIV tient à cette multiplicité de points de vue qui, par les jours variés dont elle éclairait les faits, mettait en joie l’intelligence alerte du xviiie siècle. Elle tient aussi à l’art qui en a réalisé l’exposition.

Voltaire a, comme toujours, voulu être clair, court, dégagé ; il a simplifié, débrouillé, allégé. Il a voulu que son récit eût l’intérêt d’une tragédie : il y a réussi dans l’histoire des traités et des guerres, où la chronologie enchaîne les événements. On suit l’ascension, puis la descente du soleil royal, depuis son lever éblouissant jusqu’aux lueurs sanglantes de son coucher. L’entrée en scène de Louis XIV est préparée par une introduction qui mesure strictement la justice à Louis XIII et Richelieu. Alors paraît le jeune roi qui, en quelques années, redresse la France et la porte au-dessus de tous les États européens. Puis on voit tout converger vers l’invasion de la Hollande. Un mouvement allègre porte Louis XIV jusqu’à Utrecht. Ici se place la péripétie. Quatre cavaliers sont entrés à Muyden où sont les écluses, et n’y sont pas restés : ils ont failli faire réussir, et ils ont ruiné, sans y penser, le dessein de domination universelle. Sur ce petit incident, tout le drame revire. À Nimègue, c’est l’arrêt, à Ryswick, c’est l’échec de la grandeur de Louis XIV, et la paix d’Utrecht n’est une délivrance pour le lecteur que parce qu’il attendait avec angoisse la subversion totale de la France.

Point de portraits : la vie est mobile et ne se fixe pas. La physionomie de Louis XIV est à toutes les pages du livre, diversement éclairée, changeante et multiple[15]. Point de harangues. Des réflexions, qui sont la marque du philosophe. L’esprit réagit contre sa matière par toute sorte de remarques, de critiques et d’épigrammes[16]. Il ne faut pas s’imaginer que ce pétillement perpétuel de réflexions ne consiste qu’à dauber les prêtres et médire des grands. Sans doute les grands partis pris de la philosophie voltairienne paraissent partout : irréligion, amour de la paix, tolérance, goût du luxe, orgueil bourgeois, idée du bien public, cosmopolitisme, passion des lettres ; mais, de plus, quelle variété d’idées ! discussions rapides des mobiles des individus et des foules, doutes sur les désintéressements parfaits comme sur les scélératesses extrêmes, analyses lucides des éléments de succès ou de faiblesse, remarques sur la baïonnette et sur le fusil des guerres de Louis XIV, etc. : c’est un exercice incessant de la raison qui a besoin de voir clair en tout. Tout fait s’accompagne de la note qui l’éclaire et le classe.

Augustin Thierry, historien romantique, condamne cette méthode[17]. Elle enchantait le lecteur européen du xviiie siècle qui avant tout voulait comprendre.

Ce n’est pas que Voltaire n’ait pas de couleur, ne fasse pas voir. Il aime le détail particulier, le chiffre précis, le petit fait qui peint. Créqui, à Trêves, devant sa garnison soulevée et qui veut capituler, s’enfuit « dans une église ». Marsin, au siège de Turin, dans le conseil de guerre, « tire de sa poche » la lettre du roi. La Vallière échange la cour — il ne dit pas pour le couvent — mais pour « le cilice, pieds nus, jeûner, la nuit au chœur, chanter en latin ». Voici le courtisan du grand roi :

On portait alors des casaques par-dessus un pourpoint orné de rubans, et sur cette casaque passait un baudrier auquel pendait l’épée. On avait une espèce de rabat à dentelles, et un chapeau orné de deux rangs de plumes[18].

Voltaire a senti la pompe théâtrale du règne, dans les fêtes, les carrousels, la maison du roi, le voyage en Flandre. Il l’a rendue selon le goût de son temps, comme Coypel, non pas comme van der Meulen. Cependant il est vrai qu’il se refuse de la couleur. Il sait que Colbert avait « les sourcils épais et joints, la physionomie rude et basse, l’abord glanant », mais il s’en soucie fort peu, comme de « la manière dont il mettait son rabat », et de « l’air bourgeois que le roi disait qu’il avait conservé à la cour ». La noblesse de l’histoire se refuse ces détails. Toutes les vulgarités sont écartées ou voilées par le ton de la bonne compagnie.

Surtout Voltaire ne veut pas du pittoresque auquel nulle idée ne s’attache. Peindre est pour lui une manière d’expliquer. Il ne parle à l’imagination que pour donner à penser. Les menus détails, les anecdotes piquantes, tout le concret n’est que symbole. Par la sensation il tend à l’idée, et il ne veut apporter au lecteur que des sensations choisies, dégrossies, qui conduisent sans peine le lecteur aux rapports instructifs. La claire et fine couleur du Siècle de Louis XIV est tout intellectuelle.

Hors les malveillants que rien ne désarmait, il n’y eut qu’une voix sur un ouvrage qui répondait en perfection à la structure mentale de l’époque. Mme de Graffigny, Frédéric, le marquis d’Argenson, admirèrent avec enthousiasme, et lord Chesterfield exprima le sentiment public quand il disait :

« C’est l’histoire de l’esprit humain écrite par un homme de génie pour l’usage des gens d’esprit[19]. »

Une impression pareille, et plus forte encore, fut produite par l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations.

En 1740, lorsqu’il renonça à achever en France son Siècle de Louis XIV, Voltaire se mit à faire un abrégé d’histoire générale pour Mme du Châtelet que la puérilité, la prolixité des auteurs, leur défaut d’esprit philosophique dégoûtaient de l’étude du passé[20].

Il ne manquait pas d’Annales mundi, d’Historiæ ab origine mundi ou ab oriu imperiorum, ni d’Histoires du monde ou Histoires universelles, en latin ou en français, étendues en in-folios ou resserrées en in-douze, sèchement érudites ou élégamment inexactes. Il n’y en avait pas une qui regardât au delà des faits politiques et militaires.

La seule dont la valeur littéraire fût supérieure était l’ouvrage de Bossuet. Mais l’histoire y était soumise au dogme catholique de telle façon qu’il perdait son autorité et son utilité pour les esprits indépendants. Voltaire ne voulut pas refaire Bossuet : l’histoire ancienne ne l’intéressait guère ; mais il se proposa de le continuer, moins médiocrement que n’avaient fait La Barre, l’anonyme, ou Massuet, et, en le continuant, de détruire et remplacer sa philosophie de l’histoire. Il partit de Charlemagne pour descendre jusqu’à Louis XIV.

Il se jeta dans le travail avec sa fougue coutumière. Le Mercure en 1745-1746, publia des fragments de la nouvelle « histoire de l’esprit humain », et en 1750-1751 l’« histoire des croisades ». En 1753 Jean Neaulme imprima à La Haye l’Abrégé de l’Histoire universelle depuis Charlemagne jusqu’à Charles-Quint : deux volumes contre lesquels protesta l’auteur dans ses lettres, dans les journaux, et pardevant deux notaires. Il publia lui-même le troisième volume pour établir authentiquement quels étaient le ton et l’esprit de son ouvrage. En 1756, il donna un texte complet chez les Cramer à Genève, sous le titre d’Essai sur l’histoire générale et sur les mœurs et l’esprit des nations depuis Charlemagne jusqu’à nos jours : il y soudait à l’histoire générale son Louis XIV et des chapitres sur Louis XV. Le texte définitif sera celui de 1769, où paraîtra le titre simplifié : Essai sur les mœurs et l’esprit des nations : l’histoire générale, abstraction faite de Louis XIV et Louis XV, y passera de 144 à 197 chapitres. En même temps l’ouvrage recevra le portique qui lui convient : la Philosophie de l’histoire par feu M. l’abbé Bazin, imprimée en 1765, en deviendra le discours préliminaire ; de cette façon, une vue rapide des origines de la civilisation et des grands peuples de l’antiquité introduira le lecteur à Charlemagne et au moyen âge. On embrassera ainsi tout le développement humain.

On peut bien croire qu’un pareil travail qui présente au lecteur huit siècles et demi et tous les peuples, n’a pas été fait sur les sources. C’est une compilation. On voudrait savoir de quels instruments Voltaire s’est servi. À défaut d’un travail complet qui nous renseignerait sûrement, j’ai fait quelques sondages. Il a tiré ses deux chapitres sur Mahomet presque exclusivement de Gagnier et de Sale : deux bonnes autorités. Pour la Chine, du Halde. Pour l’histoire ecclésiastique et pour l’histoire des croisades, son guide est l’excellent Fleury ; pour l’histoire d’Angleterre et pour Jeanne d’Arc, le solide Rapin de Thoyras. Ce sont là de bons garants. Il est vrai que, pour Henri IV, il ne va guère au delà de Mézeray. Quelquefois, pourtant, il semble qu’il soit remonté aux documents dont ses auteurs lui donnaient les références, pour y cueillir quelque détail caractéristique ; il a été amateur aussi de pièces curieuses et peu connues.

Il paraît en somme avoir bien fait son métier de vulgarisateur. Daunou, les auteurs de l’Art de vérifier les dates, Robertson louent son exactitude. Elle a été pourtant fort attaquée. Nonnotte a fait deux volumes des Erreurs de Voltaire : erreurs historiques, erreurs dogmatiques. Voltaire lui a mal répondu : il eût mieux fait de laisser son Essai répondre pour lui. Car Nonnotte ne l’a pas entamé. Sans doute il a fait des rectifications de détail : les erreurs, les inadvertances étaient inévitables, dans un si vaste travail, surtout avec la méthode rapide et un peu étourdie de Voltaire. Mais très souvent c’est Nonnotte qui se trompe, qui chicane, qui altère les textes. Voltaire a-t-il tort de trouver « très suspecte » la légende de Florinde et du roi Rodrigue ? Nonnotte dénonce comme mensonges des faits bien établis, qui font tort aux rois ou à l’Église ; il tient pour vérités historiques tout ce que la haine religieuse a imputé aux protestants et aux hérétiques. Il appelle sans cesse erreurs historiques ce qui contredit son dogme et les passions qu’il annexe à son dogme. Il a de l’érudition, mais aucune critique. Voltaire est infiniment plus près que lui de la vraie histoire.

La philosophie de l’Essai sur les mœurs consiste essentiellement dans trois idées, dont deux nous sont connues déjà par le Siècle de Louis XIV : c’est d’abord celle de faire l’histoire de l’esprit humain, de la civilisation, non pas seulement des rois ; ensuite, celle de raconter les révolutions du commerce, des mœurs et des arts, et non seulement les guerres et les traités. La troisième est de faire l’histoire du monde, et non de l’Europe seule. Chevreau et Puffendorf avaient déjà fait place à l’Afrique, à l’Amérique, à l’Inde, à la Chine dans leurs histoires universelles : mais ce n’était chez eux qu’une exactitude matérielle ; ils racontaient toutes les nations qu’ils rencontraient sur la mappemonde. Voltaire obéit à une idée philosophique. C’est mutiler l’histoire que de la réduire à la civilisation occidentale et à ses origines gréco-juives. Très loin, dans le brouillard de la préhistoire, on n’aperçoit encore ni Romains, ni Grecs, ni Juifs, ni Egyptiens même, mais déjà les Chaldéens, les Chinois, les Hindous. Le monde a une histoire, des histoires, avant l’Histoire Sainte : quelle joie de faire coup double, et d’atteindre une vérité en blessant la religion !

Depuis la Renaissance et les grandes découvertes maritimes, l’historien ni le politique ne peuvent borner leur vue à l’Europe. Toutes les nations sont solidaires, et liées par le commerce[21]. En buvant du café d’Arabie dans une tasse de Chine, Voltaire voit s’agrandir son horizon historique.

Ces trois idées construisent le cadre et commandent le développement de l’Essai. Voltaire commence par l’Orient et finit par l’Orient. De 197 chapitres, il en donne 90 aux tableaux des mœurs, des institutions, des arts, de l’esprit des peuples et des époques : dans ceux même où domine la narration des guerres et de l’histoire politique, il choisit encore les faits les plus significatifs d’états de civilisation.

Je voudrais découvrir, écrit-il quelque part, quelle était alors la société des hommes, comment on vivait dans l’intérieur des familles, quels arts étaient cultivés, plutôt que de répéter tant de malheurs et tant de combats, funestes objets de l’histoire, et lieux communs de la méchanceté humaine[22].

Il s’intéresse à la façon dont on s’habille au moyen âge, dont on s’éclaire, on se chauffe, on travaille, au prix de la viande et du pain : à quel moment on a inventé les besicles, les moulins à vent, la faïence, les cheminées : comment les maisons étaient couvertes[23]. Il voit la barque des pirates normands, les provisions de « bière, de biscuit de mer, de fromage et de viande fumée » avec lesquelles ils se mettaient en route[24].

Seuls les faits précis donnent une connaissance claire : il aligne les détails caractéristiques, les anecdotes singulières. Nous voici loin des historiens qui ne distinguaient pas les Francs de Clovis de la cour de Louis XIV : celui-ci saisit toutes les différences des civilisations passées ; il les saisit avec plus de vivacité que de sérénité. Il se moque ou s’indigne de tant de siècles qui n’ont pas ressemblé à son siècle.

L’idée cosmopolite, à l’arrière-plan dans le Louis XIV, passe ici au premier plan. Il n’y a pas de peuple élu, pas de race supérieure : chaque société à son tour collabore au développement humain. L’auteur se propose de « rendre justice à toutes les nations ».

Excluant le point de vue Providentiel, et tout finalisme, il offre une conception rationnelle de l’histoire. L’humanité s’est faite elle-même, à l’aventure, lentement, sous la pression des instincts, des besoins et des circonstances, qui pièce à pièce ont formé les lois, les mœurs, l’industrie, les sciences, et jeté çà et là un peu d’aise, de justice et de liberté, parmi beaucoup de misères et de brutalités. Dans cet ample mouvement, vu de haut, l’effort de l’individu disparaît. Le grand homme, partout en scène dans le Louis XIV, cède ici la place au hasard, et à l’insensible déplacement des masses qui seul réalise le progrès : on voit ici l’individu bien plus comme produit que comme cause[25].

Cependant l’histoire voltairienne est profondément idéaliste. Sachant que la connaissance et le sentiment sont les moteurs du déterminisme moral, il s’efforce de donner à ses lecteurs l’image du passé qui peut en faire les ouvriers de son idéal. Cet idéal se définirait bien une conception rationnelle des rapports humains. L’expérience a révélé qu’il y a pour les hommes des conditions générales de bonheur ou de malheur Les conditions les plus certaines de malheur, parmi celles qui ne viennent pas de la nature, mais de l’homme, sont la guerre et le fanatisme. Des millions d’hommes ont péri, depuis l’aube de l’histoire, par l’ambition des rois et pour l’absurdité des dogmes. Le remède est de désabuser les peuples : moins éblouis et moins crédules, c’est-à-dire plus raisonnables, ils consentiront moins aisément à leur misère.

Mais que le progrès de la raison est lent ! Le sang de l’historien bout quand il voit le tissu d’horreurs et de sottises qu’est l’histoire. L’impatience le saisit. Il en veut aux dupes, aux victimes de chérir ou d’adorer leurs tyrans. Sa colère s’exaspère quand il regarde ses devanciers : depuis le chroniqueur grossier des rois carlovingiens jusqu’au jésuite discret, à l’académicien poli, les voilà tous, ou presque tous, puérils, menteurs, serviles, à plat ventre devant la force, glorifiant la fraude, le brigandage, l’injustice, incapables de poser un regard d’homme sur les rois et sur les prêtres : tous ou presque tous appliqués à faire durer les erreurs qui tiennent l’humanité sous le joug. Les yeux sur leur récit, il le refait avec une ironie emportée, étalant tous les faits qui éclairent « l’excès de l’absurde insolence de ceux qui gouvernaient les peuples, et l’excès de l’imbécillité des gouvernés. » À force de souligner de sarcasmes tous les « crimes » des rois et des prêtres, le public finira peut-être par comprendre et vouloir.

L’Essai est donc une œuvre d’ardent prosélytisme humanitaire. Ce n’est pas qu’il ne songe à être juste, même envers les rois et les papes[26]. Tout n’a pas été sauvage dans les plus sombres époques. « Il faut être bien maladroit pour calomnier l’inquisition. » Les moines ont défriché, étudié, et les cloîtres ont été dans des siècles barbares « une retraite assurée, contre la tyrannie ». Voltaire sait être pour les Templiers contre Philippe le Bel ; et, prenant la lutte du sacerdoce et de l’empire comme fil conducteur dans la confuse histoire du moyen âge, il sait voir dans la papauté une force morale qui tient en échec la brutalité militaire.

Cependant on ne saurait nier que son impatience généreuse, son tempérament explosif ne lui aient fait très souvent fausser l’histoire. De son propre point de vue même, il devait être moins sévère à cette pauvre humanité destituée de secours divin, et qui, si péniblement, si douloureusement s’est élevée de l’animalité à la raison. Chaque parcelle de moralité, de justice et de liberté a été une conquête de l’esprit. Le moindre progrès devait prendre de là pour lui un prix infini ; et si désireux qu’il fût d’exciter les vivants à secouer les servitudes séculaires, il ne devait pas prodiguer le sarcasme aux morts qui ont eu plus de mérite à mettre dans leur barbarie quelques principes de raison, que nous n’en avons actuellement à les développer.

Il a trop constamment projeté dans le passé les idées du présent ; il n’a pas vu que l’Église, maintenant force de réaction et d’oppression, a été pour un temps une force de progrès et de libération. Il a « réhabilité » les empereurs persécuteurs, comme défenseurs de la société laïque ; il a déguisé le mystique Julien en philosophe rationaliste. Il s’est fait une image flattée des musulmans, des Chinois, des Hindous, de toutes les civilisations qui n’étaient pas chrétiennes.

Encore ne faut-il pas pousser cette critique trop loin. Les historiens romantiques ou religieux du xixe siècle nous ont donné du moyen âge une image idéale, qui est fausse. Il y avait dans la réalité de quoi justifier Voltaire : l’impartial et saisissant tableau de M. Luchaire le prouve. Mais il faut surtout bien comprendre que si Voltaire a été trop sévère au moyen âge, ce n’est pas tant par irréligion que par rationalisme. Son irréligion s’est réjouie des idées que son rationalisme lui imposait. C’étaient les lumières du siècle, et non l’esprit antichrétien, qui condamnaient le fanatisme, la brutalité, l’ignorance, l’enthousiasme. Ni l’abbé de Saint-Pierre[27] ni le président Hénault[28] n’osent excuser les croisades : on pensera que l’esprit philosophique les a gâtés. Mais le dira-t-on de l’abbé Fleury ? Personne n’a plus nettement condamné les croisades[29]. Le jugement de ce chrétien raisonnable sur le moyen âge ne diffère guère de celui de Voltaire. Les esprits éclairés de formation classique, pieux ou impies, ne pouvaient être indulgents à ces siècles « grossiers ».

Dans l’état des sciences psychologiques, on ne pouvait parler des phénomènes religieux, des miracles, de Jeanne d’Arc et de saint François d’Assise, comme l’historien même incroyant en parle aujourd’hui. Il n’y avait pas de milieu entre la crédulité absolue et la négation absolue. Il fallait choisir entre le surnaturel ou la fraude. Montesquieu, qui médit de l’histoire de Voltaire, ne comprend pas Jeanne d’Arc autrement que Voltaire[30]. L’hypothèse de la fourberie pieuse est, au xviiie siècle, le point de vue réellement le plus raisonnable.

Voltaire est en complet accord avec la raison de son temps : de là le succès de son Essai qui, de 1753 à l’édition de Kehl, fut réimprimé au moins seize fois. L’abbé Audra en lit pour les collèges un abrégé expurgé, où il garda « les principes de raison et d’humanité ». Jusqu’à la réaction catholique et romantique du xixe siècle, c’est Voltaire qui fournit aux esprits cultivés leur représentation de la marche de la civilisation.

Il est superflu de dire que la méthode de Voltaire ne suffit plus aujourd’hui. Mais elle marque une étape dans le passage de l’histoire traditionnaliste à l’histoire scientifique. Voltaire ne cherche pas hors de l’histoire le sens de l’histoire. La certitude historique ne se mesure pas pour lui sur l’accord des faits avec certaines idées dogmatiques : elle dépend uniquement de la qualité des matériaux que l’historien emploie. Son principe nous affranchit du respect de ses erreurs, et nous ne sommes liés à ses solutions qu’autant que nous voyons les documents leur donner crédit. On ne discute plus le Discours sur l’histoire Universelle : on discute Voltaire, on le réfute. C’est que son histoire admet les mêmes critériums que la nôtre. Herder et Michelet, Thierry et Guizot ne l’ont remplacé qu’en le continuant.

Si Thierry avait pu être juste, il aurait remarqué que la plupart des reproches qu’il faisait aux histoires de France ne tombaient pas sur Voltaire : qu’on ne trouvait dans l’Essai ni ces légendes niaises, ni cette fausse couleur uniforme, ni ce « type abstrait de dignité et d’héroïsme », dont il se plaignait tant, et que si l’on n’y recevait pas la sensation, on y prenait au moins l’idée de la différence des époques, des variétés de races et d’institutions.

Après Bossuet, l’histoire était à créer : il ne reste après Voltaire qu’à la perfectionner. C’est ce qui a permis à Hettner d’écrire que « toute la conception moderne de l’histoire sort de l’Essai de Voltaire »

  1. Histoire de Charles XII, 1731. — Siècle de Louis XIV, 1751. — Annales de l’Empire, 1753. — Essai sur l histoire générale et sur les mœurs et l’esprit des nations (divers chapitres, Mercure, 1745-46, 1750-51 ; Abrégé de l’histoire Universelle, éd. désavouée, 2 vol., 1753 ; t. III, authentique, 1754), éd. complète authentique, 1756. — Histoire de Russie, 1759, 63. — Précis du siècle de Louis XV, 1768 (incomplet 1755 et 1763). — Histoire du Parlement de Paris, 1769. — A. Geffroy, le Charles XII de Voltaire et le Charles XII de l’histoire (Revue des Deux Mondes, 15 nov. 1869). — E. Bourgeois, Introduction de l’éd. Hachette in-16 du Siècle de Louis XIV. — R. Mahrenholtz, Voltaire als Historiker (Archiv de Herrig", t. LXII). — Minslow, Pierre le Grand dans la littérature étrangère, 1872 (cf. Bengesco, I, 398-403). — Langlois, Manuel de Bibliographie historique, p. 317-318.
  2. P. de Villiers, Entretiens sur les contes de fées, 1699, p. 60.
  3. Bayle, Dict. crit., articles Concini, Abimélech, Élisabeth, etc
  4. Méthode pour étudier l’histoire, 1713 et 1729.
  5. Lenglet-Dufresnoy, Méthode, IV, 47, Supplément, 2e part., p. 159.
  6. Lion, le Président Hénault, p. 68.
  7. Ibid., 269.
  8. XXXIII, 193.
  9. Voltairomanie, p. 6. — Poème en prose, disait l’abbé de Parthenay (Histoire de la Pologne sous Auguste II, préface).
  10. Mercure, janvier 1746.
  11. Lion, le Président Hénault, p. 67 et suiv.
  12. XXXII, 493.
  13. XIV, 155. XV, 105. XXXIII, 483, 492, 506. XXXV, 414, etc.
  14. XXXIII, 506.
  15. XV, 123.
  16. Voyez dans ce qu’on a appelé le Sottisier (t. XXXII) comment Voltaire est excité par les documents.
  17. Lettre V sur l’Hist. de France.
  18. Chap. xxv.
  19. Desnoiresterres, IV, 211.
  20. XXIV, 41, 543.
  21. XI, 158 ; XXIV, 28.
  22. XII, 53. Cf. XXXIX, 207.
  23. XI, 275 ; XII, 55.
  24. XI, 305.
  25. XII, 66.
  26. XI, 309, 343 ; XII, 66, 353.
  27. Goumy, l’abbé de Saint-Pierre, 200.
  28. Hénault, éd. de 1768, p. 976-979.
  29. Disc. sur l’hist. ecclés., 269, et tout le 6e Discours. — Cf. aussi, sur le moyen âge le 3e Disc.
  30. Pensées, II, 59 et 258.