Voyage à la Guadeloupe/15

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Monnoyer (p. 102-112).

Animaux de la Guadeloupe.

Quoique je n’aie pas la prétention de faire ici l’énumération de tous les êtres organisés indigènes à la Guadeloupe, encore moins d’en écrire l’histoire naturelle, il n’est cependant pas tout à fait étranger à ces notes d’en signaler quelques espèces.

En parlant des grands bois, j’ai indiqué les oiseaux les plus remarquables qu’on y rencontre ; les autres espèces qui peuvent se trouver dans toute l’île, ne sont qu’en très-petit nombre ; le colibri, le sucrier, le mangeur d’herbe, le gros-bec se trouvent également sur tous les points de la colonie.

Les animaux les plus communs sont donc : le rat et la souris, parmi les rongeurs. Le rat se trouve partout, et fait de très-grands ravages dans les plantations de canne à sucre et de cafier ; ils sont surtout friands de la pulpe qui revêt la graine de ce dernier ; pour se la procurer, ils coupent les bouquets de cerise, et les graines sont pour la plupart perdues pour l’habitant, parce qu’il est bien difficile de les retirer du milieu des herbes. J’ai ouï dire à des planteurs dont les habitations avoisinent les grands bois, que les rats leur faisaient perdre quelquefois le sixième de leur récolte, ce qui m’a toujours semblé un peu exagéré.

La couleuvre. On la trouve partout, mais principalement dans les bois et dans le voisinage des rivières ; on en voit de diverses espèces.

On n’y trouve point de serpents ; on dit que des gens malintentionnés ont tenté d’y en introduire, et que, dans plusieurs lieux, on en a trouvé de morts ayant auprès d’eux divers aliments qui leur sont propres. Quoique ce fait m’ait été cité comme certain, je n’oserais le donner comme tel, il décèlerait dans ses auteurs une atrocité dont on ne doit supposer l’homme capable que sur des preuves éminemment convaincantes ; toujours est-il qu’il n’y en a point et qu’on n’y en a jamais vu de vivants.

L’anolis. Cet animal se trouve partout, et en grand nombre ; il se tient, pendant le jour, sur le toit des maisons, sur les décombres, sur les murailles, sur les arbres ; il est très-vif dans ses mouvements, saute légèrement de branche en branche comme un oiseau ; il se nourrit d’insectes ; il pond six ou huit petits œufs ronds d’un blanc sale, et les dépose dans des trous ou sur la terre ; il ne couve point ; ses œufs éclosent à la température de l’atmosphère, et il est très-difficile de les en empêcher. Pour en conserver, j’en mettais dans une fiole que je remplissais d’un sable ferrugineux très-fin, que l’on trouve sur quelques endroits du rivage, afin qu’ils ne se cassassent point, et j’enfouissais la fiole dans le terreau d’une cave aussi fraîche qu’on puisse le désirer pour ce pays.

Le mabouïa diffère de l’anolis par sa forme moins élégante et la plus grande diversité de ses couleurs ; il est aussi plus gros ; il a la singulière propriété, dit-on, de s’appliquer si parfaitement sur certains objets, qu’il y reste comme collé, et que ce n’est qu’à grand’peine qu’on l’en peut détacher ; la manière la plus prompte de l’en déloger, c’est de lui présenter un miroir, sur lequel il saute aussitôt. Je n’ai pas eu occasion de remarquer ces faits ; du reste, il a à peu près les mêmes mœurs que l’anolis.

Le ravet. Il est généralement répandu dans tous les lieux habités ; il fuit la lumière ; il se retire dans des trous, derrière les meubles, dans les endroits humides ; il se nourrit de tout, de pain, de viande, de fromage, de racines ; il semble être friand de sucre ; il pond des œufs de couleur marron ; ils sont aplatis et ont la forme d’un carré long dont un des grands côtés est garni de dentelures. Ces insectes subissent des métamorphoses ; quand le temps est pluvieux ou qu’il tend à le devenir, ils sortent de leurs demeures, courent, voltigent, et semblent se réjouir.

Le kakerlaque. Il diffère du ravet par sa forme et sa couleur ; il est gris, plus gros, moins élevé sur ses pattes ; il répand au loin une odeur puante et tout à fait repoussante, qui se conserve longtemps dans les lieux qu’il a habités. L’assiduité avec laquelle il va visiter ses œufs, ferait croire en quelque sorte qu’il les couve.

Bête à mille pattes. Elle est commune principalement dans les vieilles maisons ; elle est grisâtre ; sa longueur varie de deux à quatre pouces ou même plus ; sa piqûre, quand elle est pleine surtout, occasionne une vive douleur ; souvent elle détermine l’inflammation et le gonflement de la partie piquée, une fièvre assez intense, quelquefois même une sorte d’engourdissement dans les membres. Elle fait la guerre au ravet et au kakerlaque qu’elle met en pièces ; comme l’abeille, elle charge ses pattes du butin qu’elle a fait pour le porter dans ses magasins ; elle est vivipare, très-fécondes les petits, en naissant, sont verts.

Le scorpion. C’est encore dans les vieilles maisons qu’on le trouve principalement ; sa piqûre occasionne une douleur cuisante et quelquefois un accès de fièvre.

Fourmis. Il y en a de cinq espèces :

1° La fourmi noire à longues pattes, allant très-vite, en zigzag, affectionnant les corps sucrés ; c’est l’espèce qui semble être la moins nombreuse.

2° La fourmi ailée. C’est la plus grosse espèce ; ses ailes sont irisées ; on en voit beaucoup pendant l’hivernage. Les anolis en sont friands. Quand elle perd ses ailes, elle devient un petit ver blanc et s’enveloppe d’un léger coton. Je serais tenté de croire que les vers qui dévorent si promptement les livres qu’on n’a pas soin de secouer de temps en temps, ne sont autres que ceux dont les fourmis volantes prennent la forme ; car, sur l’espèce de coque dans laquelle ils s’enferment, j’ai souvent trouvé de ces ailes irisées.

3° La fourmi blonde, très-petite, allant vite et çà et là ; fort commune.

4° La grosse fourmi roussâtre.

5° La petite fourmi rouge. Ces deux dernières espèces sont très-voraces ; elles se repaissent avec délices de toutes sortes de cadavres ; elles attaquent en outre tout ce que l’homme peut manger, pain, viande, poisson, fromage, huile, beurre ; il y a des maisons où elles sont en si grande quantité qu’on est obligé de prendre les plus minutieuses précautions pour isoler les provisions de manière à ce qu’elles ne puissent les atteindre.

Quand j’arrivai à la Basse-Terre, je louai une chambre garnie au bas du Cours, précisément en face la salle de spectacle ; à peine fus-je couché que je me sentis piqué d’une manière insupportable sur toutes les parties du corps ; n’y pouvant plus tenir, je me levai pourvoir ce que ce pouvait être ; mon lit était tout rempli de fourmis rouges, et j’étais couvert de petites taches rouges, effet de leurs piqûres. J’imaginai, pour les écarter, après avoir bien secoué les draps, d’arroser mon lit de fort vinaigre ; ce moyen me réussit, et je me recouchai ; mais dès que mes draps furent secs, mon tourment recommença, et, trois fois pendant la nuit, je fus obligé de répéter cette cérémonie. Les jours suivants, j’isolai mon lit en entourant ses pieds de tabac en poudre, que j’avais soin de renouveler souvent, car je remarquai que, quand il était sec, son action était impuissante pour écarter ces terribles insectes. Je n’étais pas à l’abri de leurs atteintes pendant le jour ; à peine quittais-je mon habit, qu’aussitôt il se trouvait tout rouge de fourmis, en sorte que, quand je le voulais reprendre, j’étais obligé d’en retourner les manches et de le brosser pour les abattre. On me disait qu’elles ne me faisaient une guerre si opiniâtre que parce que j’avais le sang trop riche ; que quand l’influence du climat l’aurait appauvri, elles me laisseraient tranquille ; que tous les Européens se trouvaient dans le même cas ; en effet, quelque temps après, je n’eus plus à m’en plaindre sous ce rapport.

Guêpe végétale, végétante. Quand elle se sent près de mourir, elle va, dit-on, s’enterrer sous quelque petite pierre, et là elle expire. De son estomac, s’élève une petite tige au bout de laquelle s’épanouit une fleur jaune, c’est probablement un champignon que fait naître la fermentation putride. J’avais ramassé quelques-uns de ces insectes, je n’ai pu les conserver.

Bêtes à queue longue. Elle sont couvertes d’une poussière argentée qui s’attache aux doigts quand on les touche ; elles sont très-communes dans les lieux habités et font dans le linge des ravages incroyables.

Poux de bois. Ce sont des espèces de petits vers blancs qui rongent le bois ; ils font en peu de temps un tort considérable aux bâtiments ; ils pratiquent, avec leurs excréments, des galeries où ils se tiennent. Ces galeries font mille détours sur les murailles, sur les charpentes, et communiquent toutes entre elles. On en voit dans les champs sur certains arbres ; ces galeries vont d’un arbre à l’autre en franchissant quelquefois de grandes distances et posent alors sur le sol. Ce qui fait croire que ces vers les façonnent avec leurs excréments, c’est que la matière qui les compose est granulée, et que les plus fortes et les plus longues pluies n’ont aucune action sur elle. Ces animaux fuient la lumière, on ne les trouve que dans leurs galeries, et ils y sont en très-grand nombre ; ils réparent avec une promptitude extrême les brèches qu’on y fait ; le moyen qu’on emploie avec le plus de succès pour les détruire, c’est le poison ; on rompt les galeries dans plusieurs endroits, on y écrase plus ou moins de ces vers qui accourent probablement pour les réparer, on les saupoudre d’arsenic, les autres vers qui viennent les manger s’empoisonnent, et vont porter la mort dans la république.

Bêtes rouges. Ces insectes sont presque imperceptibles à l’œil ; on les trouve plus communément dans les halliers, sur le bord des rivières ; ils sont rouges, ils s’introduisent dans les pores de la peau et occasionnent une démangeaison très-cuisante.

Chique. La chique est un insecte beaucoup plus petit que la puce, sautant comme elle, ayant à peu près la même couleur ; elle se trouve principalement dans le voisinage des habitations et est beaucoup plus commune dans les temps secs ; elle s’introduit sous l’épiderme, pénètre jusque dans la chair, y forme un petit sac membraneux dans lequel elle s’enferme, grossit et pond une grande quantité de petits œufs lenticulaires et gélatineux ; elle cause une très-vive démangeaison qui approche de la douleur. Quand la chique a mis bas ses œufs, elle meurt dans le sac même ; on enlève le sac tout entier en le dégageant avec une épingle, quand les œufs ne sont point encore éclos. L’endroit où la chique s’est logée ne se fait remarquer à l’extérieur que par une légère rougeur circulaire au centre de laquelle est un petit point noir. Les nègres malpropres qui négligent de les ôter, en ont quelquefois une si grande quantité qu’ils ont les jambes et les pieds remplis de plaies, enflés et pleins de gerçures ; on voit des enfants noirs qui, par suite de ces plaies, ont les jambes et les pieds tout contrefaits.

La mouche éléphant. Elle est assez rare, elle ne se trouve que dans les bois et sur les hauteurs ; elle se nourrit de jeunes tiges d’arbres, de feuilles, de bananes, d’insectes ; elle coupe promptement un assez gros rameau, et, pour cela, elle s’y attache et tourne circulairement en volant.

Mouche à fou. Elle est phosphorescente sous le ventre et par un point situé de chaque côté de la tête ; la lumière qu’elle répand est si vive qu’on l’aperçoit en plein jour ; elle l’éteint à volonté ; cette lumière bleuâtre prend une grande intensité quand on agite l’animal ; j’en avais toujours un certain nombre dans un flacon de verre, que je nourrissais avec diverses substances ; ces insectes m’éclairaient pendant la nuit, et bien souvent j’ai lu et écrit à leur lumière. On trouve cette mouche presque partout, mais principalement dans les bois et dans les halliers ; quand on la pose sur le dos, elle saute haut et avec vivacité pour se remettre sur ses pattes.

Mouche à cornes, à raie jaune. Elle ne se trouve guère que dans les endroits cultivés ; elle se nourrit de fruits, principalement d’acajou.

Mouche à cornes, grise. Elle est rare ; on la trouve dans les bois.

Abeilles. On en trouve dans les bois, sur le bord des rivières ; elles sont sauvages, on ne les cultive point ; le père Benoist, trapiste et curé, des Trois-Rivières, est, je crois, le seul qui jusque-là en ait ramassé ; il les cultive dans des ruches de bois ; il en vend le miel et en distribue l’argent aux indigents de la paroisse ; il y a une espèce d’abeille à Marie-Galante dont la cire est noire ; cette espèce ne se trouve point à la Guadeloupe.

On trouve encore à la Guadeloupe la sauterelle, le petit hanneton jaune, la demoiselle, le maringouin, des araignées argentées et dorées, des araignées phosphorescentes, de très-belles chenilles, des papillons magnifiques, et une foule d’insectes microscopiques.

Le cheval, le bœuf, le mulet, sont apportés des États-Unis, de Porto-Rico, ou du continent espagnol.