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Voyage dans les provinces du Caucase/01

La bibliothèque libre.
Première livraison
Traduction par Mme et M. Le Barbier.
Le Tour du mondeVolume 17 (p. 161-176).
Première livraison

VOYAGE DANS LES PROVINCES DU CAUCASE. — Course de Cosaques (Djighitoffka).


VOYAGE DANS LES PROVINCES DU CAUCASE,


PAR BASILE VERESCHAGUINE,


TRADUIT DU RUSSE PAR Mme ET M. LE BARBIER (ERNEST).


1864-1865. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS[1].


Séparateur



La Transcaucasie était le but de l’excursion que j’ai entreprise. Cette région embrasse tout le territoire qui s’étend de la mer Noire à la mer Caspienne, le long du versant sud de la principale chaîne des montagnes du Caucase jusqu’aux frontières de la Perse et de la Turquie.

Le Caucase proprement dit comprend les montagnes elles-mêmes et les immenses plateaux qui, s’allongeant vers le nord en steppes, se déroulent à perte de vue jusqu’au pays des Cosaques du Don. À l’est, ces plateaux s’étendent aux bords de la mer Caspienne et viennent aboutir au gouvernement d’Astrakhan. À l’ouest, ils sont baignés par la mer Noire et la mer d’Azoff.


Kalmouks jouant sous une tente.

Avant d’aborder le sujet principal de mon voyage dans la Transcaucasie, il ne me paraît pas inutile de résumer ce que j’ai eu l’occasion de recueillir d’observations sur la région du Caucase, en la traversant du nord au sud.

Ai-je besoin de déclarer que je ne prétends pas donner dans ces quelques pages une idée complète du pays ? J’espère seulement que mes esquisses, si rapides qu’elles soient, ne seront point dénuées de tout intérêt : elles aideront à faire connaître des peuplades peu étudiées, bien différentes de tout ce que l’on est habitué à voir, et dont les types, les coutumes, les usages, la manière de vivre ont quelque chose de si original, de si particulier, que l’on est à chaque pas frappé d’étonnement.


Les Kalmouks nomades. — Oulousses, Khotounes et Kibitkas. — Vêtements. — Le lit des enfants. — Le Kalmouk voleur, joueur et buveur. — Le Guellungh, prêtre et médecin. — Une consultation.

Après avoir franchi les frontières du gouvernement de Stavropol, je rencontrai d’abord les Kalmouks, sur la ligne qui sépare le Caucase et le pays des Cosaques



du Don. Aux détails qui vont suivre et que je trouve

dans mes notes, je mêlerai quelques communications dues à l’obligeance de M. Merès, qui connaît parfaitement cette contrée et ses habitants. Tout ce qui s’étend à gauche de la grande’route forme le pays des Kalmouks nomades[2]. On entre dans les steppes. La première impression est bien loin d’être agréable. L’œil se fatigue en vain à chercher quelques vestiges d’une habitation fixe, les signes extérieurs d’une civilisation quelconque : il s’égare dans l’immensité. Pas un arbuste, pas une haie ; rien pour interrompre la monotonie de cette solitude sans bornes. La chaleur brûlante du soleil d’été, l’absence de toute verdure, portent à douter que cette terre puisse produire aucune plante. Cependant le sol y est presque partout fertile, le plus affreux de et le Russe, établi dans le voisinage, sait tirer de la culture ce qui lui est indispensable pour vivre. Il est vrai que ce n’est qu’au prix de beaucoup de travail et de persévérance.


Kalmouk.

Les nomades sont divisés en oulousses. Chaque oulousse se compose de plusieurs khotounes ou villages ambulants, changeant de place à volonté, et comptant plus ou moins de kibitkas, tendues l’une à côté de l’autre. Ce sont, pour ainsi dire, des camps volants. Je conseille aux amateurs de la vie primitive et des mœurs patriarcales de rendre visite aux Kalmouks : ils y trouveront, j’en suis certain, de nouvelles émotions.

Au premier aspect, la vie active ne se révèle par aucun indice. En général, les hommes s’absentent de leur demeure pendant la plus grande partie du jour et de la nuit. Ils vont au travail, c’est-à-dire au pillage chez les peuplades voisines qui ne sont pas de leur race. Les femmes et les enfants cherchent, pendant ce temps, un abri contre les ardeurs du soleil ; ils se cachent de leur mieux, sous leurs kibitkas trouées de toutes parts. Le mouvement extérieur ne commence que vers la tombée de la nuit, quand on rentre les bestiaux. Un tapage assourdissant s’élève alors de tous côtés : on entend des cris, des jurons mêlés aux mugissements des bêtes à cornes, aux aboiements des chiens et aux vagissements des marmots.


Kalmouk.

La kibitka, ou tente d’un Kalmouk, est un réceptacle d’immondices : c’est le tableau le plus affreux de la misère. Elle est toute déchirée et le vent y a beau jeu. On y voit pèle-mêle, dans un désordre indescriptible, des malles, des valises, des coffres, des lazzos, des selles, des haillons entassés les uns sur les autres. L’âtre seul atteste qu’il y a là un foyer de famille ; il sert de cuisine et de lieu de repos pour la nuit ; les enfants s’y enterrent dans la cendre toute chaude, leur unique couverture pendant les froids.

Les vêtements des hommes et des femmes n’ont rien de remarquable : ce sont des amas de lambeaux de toute espèce. Beaucoup d’enfants, garçons et fillettes, jusqu’à l’âge de dix ans, vont à peu près tout nus pendant les chaleurs de l’été. En hiver, par des froids de trente degrés, et par les terribles chasse-neiges, si communs dans ces régions ouvertes à tous les vents, ils se réfugient dans leur tente, abri insuffisant, où ils restent des jours entiers blottis sous des monceaux de nippes.

L’habillement de fête se compose rarement, ou plutôt jamais, de vêtements neufs : il est moins déchiré que les autres, c’est la seule différence.

Voici ce que l’on peut distinguer dans le costume du Kalmouk : une chemise toujours sale, un bechmète, un large pantalon, des bottes en maroquin rouge ; pour coiffure un bonnet carré en drap, orné d’une large bordure fourrée en peau de mouton le plus souvent avec un immense gland au sommet. Le riche met en outre un khalate ou vaste robe de chambre très-large et très-longue. La femme ne porte point, comme l’homme, de ceinture sur sa chemise : ses cheveux s’échappent de dessous le bonnet en plusieurs tresses entrelacées de rubans de différentes couleurs.

Pour avoir une idée complète d’un Kalmouk, figurez-vous un être humain à la face déprimée, aux yeux excessivement étroits et relevés sur les côtés du visage, aux larges pommettes, aux oreilles pendantes : la tête est recouverte d’une longue chevelure ébouriffée et la barbe a l’air d’avoir été à moitié épilée. Petit de taille, cet enfant des steppes est doué d’un corps robustement bâti.


Kalmouks conduisant des chameaux au marché de Tiflis.

Le Kalmouk est adroit et pousse la ruse jusqu’à la friponnerie. Le vol est considéré comme une industrie lucrative et il est pratiqué avec un art qui dépasse tout ce que nous pourrions imaginer. Un bon Kalmouk, un homme comme il faut, excelle dans ce métier. Enlever une bête sous les yeux d’un simple et trop naïf paysan, l’emmener au loin, maquignonner et la troquer contre une autre qu’on ramène dans son khotoune, est la chose la plus commune. Cette profession de voleur se transmet religieusement de père en fils, et il est rare que ce dernier dégénère. Tout autre travail est inconnu à l’homme. La femme nourrit l’enfant, le soigne, l’élève sans que le père de famille s’en préoccupe jamais.

Les enfants du reste croissent et grandissent à l’abandon. C’est à peine si le riche envoie son fils apprendre à lire chez le ghellunghz (prêtre). Les écoles et toutes espèces d’institutions sociales manquent absolument, du moins à en juger par ce que j’ai eu l’occasion d’observer. L’ignorance est extrême, et l’on ne rencontre un commencement de culture intellectuelle que chez un petit nombre de ceux qui ont des demeures fixes.

Le nomade est misérable : la petite quantité de bestiaux qu’il élève suffit à peine à ses besoins. Il n’ensemence point la terre pour avoir des récoltes ; il ne prépare pas de fourrages, il ne fait aucune provision pour l’hiver, et, le plus souvent, lorsque cette saison est très-dure, il perd presque tout son bétail. Cependant, au milieu même de ce désastre, le Kalmouk reste impassible ; il songe que plusieurs vols bien réussis
Jeune Kalmouk.
compenseront sa perte, et même au delà. Ce qu’il y a de curieux, c’est que rarement il est pris sur le fait.

Bien souvent tout le voisinage sait de bonne source que tel ou tel est l’auteur d’un rapt accompli presque au grand jour ; mais le coupable trouve dans la loi russe les moyens de décliner toute responsabilité. Il ne suffit pas, en effet, pour soutenir une accusation de ce genre, de preuves non matérielles, et les témoignages, les indices, les demi-preuves, comme disent les juges, sont toujours rejetés comme non valables.


Femme nogaï.

Il est vrai que la piste joue un grand rôle dans ces sortes de procès, mais le voleur excelle dans l’art de faire disparaître toute trace de son passage.

La nourriture des Kalmouks est des plus simples. Une bouillie de farine délayée dans l’eau et cuite avec des morceaux de charognes de cheval ou d’un autre animal forme le fond de leur cuisine : la viande abattue est un luxe qu’ils ne se permettent guère.


Maison kalmouke.

En compensation, ils aiment et consomment beaucoup de thé ; mais les assaisonnements divers qu’ils y font entrer en pervertissent l’arome et le rendent désagréable au goût.

Ce sont des ivrognes fieffés, et sur ce point les femmes et les enfants ne le cèdent en rien aux hommes. À toute heure et en toute occasion, ils sont toujours prêts à boire jusqu’à perdre connaissance. C’est leur passe-temps le plus agréable et le plus ordinaire.

Ils ont une autre passion, presque rivale de l’ivrognerie, celle du jeu : il m’est arrivé de voir dans les tentes des groupes de joueurs sales et débraillés maniant, pendant des journées entières, des cartes crasseuses et dépareillées.

Le Kalmouk est excellent cavalier, et il aime à se donner le divertissement des courses. Son cheval est presque de la même race que celui des Nogaïs ; il en a du moins les formes et les allures ; fort et vigoureux, il supporte la fatigue d’une manière admirable : c’est un type tout exceptionnel. Je regrette de n’avoir pas eu le temps d’esquisser sur mon album une de ces bonnes bêtes si utiles et si intéressantes. Les autres animaux domestiques ont un sang appauvri, une misérable apparence et séduisent peu les acheteurs ; les chameaux cependant font exception, et l’on en rencontre de grands troupeaux tout le long de la route de Tiflis, où leurs maîtres trouvent à les vendre avec profit.

Les Kalmouks sont idolâtres-lamaïtes. Je citerai un fait qui caractérise bien la superstition et l’ignorance de ce peuple, et qui montre en même temps le charlatanisme éhonté des ghellunghz qui sont à la fois leurs prêtres et leurs médecins.


Enfants nogaïs.

Voici comment l’un d’eux traita un jour un riche Kalmouk :

Un malade exposa les phénomènes de sa maladie au médecin en lui demandant de mettre fin à ses souffrances. Le ghellungh, après avoir longtemps réfléchi, prit un ton de voix surnaturelle et donna à son malheureux client la consultation suivante :

Ton effrayante maladie n’a pas son siége dans ta personne, mais dans ton troupeau de chevaux ; le diable en a pris possession, sous la forme d’un étalon noir ; neuf de tes juments renferment en elles des diablotins. Ton âme, quoiqu’elle ne s’aperçoive pas de cet état de choses, et que tes yeux ne le voient pas, en éprouve cependant un malaise, et c’est à cause de cela que tes tourments sont si grands.

-Mais, dis-moi, comment puis-je me soustraire à cette torture ?

— Il y a un moyen, si, du moins, tu consens à d’énormes sacrifices.

— Je te donnerai, s’il le faut, tout ce que je possède.

— Bien. Écoute donc : j’ai un ami qui est magicien : lui seul, grâce à un don spécial, peut distinguer les juments grosses de diablotins, reconnaître le diable, et exorciser ces démons pour les chasser de ton troupeau de chevaux. Mais il ne renverra en enfer le diable et les diablotins que si tu nous donnes : à lui, cinquante brebis toutes noires, et à moi, qui le persuaderai et qui te traiterai ensuite, cinquante brebis blanches avec cinquante agneaux roux. »


Ustensiles de ménage kalmouks.

L’infortuné malade accepta toutes les conditions, et pendant que l’on pourchassait son plus bel étalon avec ses plus belles juments vers l’enfer, c’est-à-dire sur la terre des Cosaques du Don, où on les vendit, et que les cent brebis et les cinquante agneaux allaient au chouroul ou temple des ghellunghz, le malade rendit l’âme.

Tout invraisemblable que ce récit puisse paraître, il est cependant vrai, et les incroyables abus du même genre ne sont que trop ordinaires.


Les Nogaïs nomades. — Mieux vaut être Russe que Turc. — Le retour des émigrés. — Quelle misère !

En poursuivant ma route vers le sud, je rencontrai sur les chemins beaucoup de Nogaïs, qui des steppes kalmouks se dirigeaient vers Tiflis. Une agitation très-extraordinaire régnait parmi eux. C’était un fait surprenant, que je ne puis expliquer sans remonter de quelques années dans leur histoire, à l’époque de leur émigration dans la Turquie, qu’ils venaient de quitter pour reprendre possession de leurs foyers abandonnées.

Quels motifs les avaient poussés à émigrer ? On peut, parmi les causes probables, assigner le premier rang aux vexations des autorités locales. Mais, d’un autre côté, il ne faut pas perdre de vue qu’en renonçant à leur patrie, ils avaient cédé à cette attraction que la Turquie exerce sur tous les musulmans. Ajoutons l’amour de l’inconnu, et l’espoir irrésistible de se trouver mieux ailleurs que chez eux : il est de fait, et j’ai souvent eu l’occasion de le constater, qu’on rencontre une grande sympathie pour les Turcs chez les différentes races qui professent l’islamisme. Le nom de Stamboul (Constantinople) résonne avec un charme infini aux oreilles des pauvres musulmans, habitants de ces contrées. C’est là, pensent-ils, que doivent se trouver l’orthodoxie, la béatitude, toutes sortes de bonheur et de joies terrestres.

Les Nogaïs[3] ont appris à leurs dépens tout ce qu’il y a de vain dans ces espérances. Séduits par de belles promesses, ils s’étaient empressés de vendre tout ce qui avait pu rencontrer des acheteurs, et, laissant le reste à l’abandon, ils étaient partis par bandes nombreuses pour la Turquie. Là un grand nombre de familles succombèrent victimes de la famine, des fatigues et des privations de tous genres : une faible partie resta sur cette terre inhospitalière, où on les voit encore, réduits à la mendicité, tendre la main dans les grandes villes.


Nogaï.

Lorsque le gouvernement russe eut connaissance des maux qui accablaient ses anciens sujets, il fit offrir des secours à ceux qui voudraient rentrer dans leur patrie. Beaucoup acceptèrent. C’étaient eux que je voyais le long des chemins, se hâtant vers le sol natal. Combien mon âme était remplie de tristesse à l’aspect de ces malheureux en haillons, à demi mourants de faim, qui, au milieu des travaux de leur réinstallation, faisaient entendre de terribles malédictions contre Stamboul et contre leur propre légèreté !

Les terrains occupés par les Nogaïs longent les frontières du Caucase au nord-ouest, et s’étendent au midi jusqu’aux steppes des Kalmouks : cette immense région est connue sous le nom de steppes Nogaïs.

C’est une peuplade pacifique, assez laborieuse, et s’attachant au sol plus facilement que les Kalmouks, avec lesquels elle a cependant beaucoup de ressemblance pour la manière de vivre, les mœurs et les coutumes, ce qui me dispense d’entrer sous ces rapports dans de plus amples détails.

Il est vrai de dire que je n’avais pas d’ailleurs le loisir de visiter soit leurs colonies, soit leurs camps nomades. Si j’ai pu prendre des croquis qui me permettent de donner ici quelques types, c’est surtout grâce à la rencontre que j’ai faite d’une partie des émigrés revenant de Turquie, et qui étaient campés sur la route pendant une halte.

Les bêtes étaient déchargées ou dételées : aussi maigres que leurs maîtres, elles s’étaient dispersées de côté et d’autre, broutant quelques mauvaises herbes couvertes de poussière. Les hommes, comme passe-temps, creusaient dans des morceaux de bois, d’une façon grossière, des objets tels que cuillères, tasses et
Jeune garçon nogaï.
autres, qu’ils vendaient sur place à des paysans qui passaient par là. La plupart des femmes étaient occupées à raccommoder toutes sortes de haillons ; d’autres préparaient pour la bande une soupe peu appétissante. Les enfants, pareils à un essaim de mouches, tournaient autour des marmites, dans l’espoir d’attraper quelque morceau pour refaire leur estomac délabré par les fatigues de la marche du matin. La vue de ces malheureux voyageurs, dont une partie pouvait reprocher à l’autre la cause de ses malheurs, me fut d’autant plus pénible, que j’appris, en causant avec eux, qu’ils jouissaient auparavant d’un bien-être relatif.

Plusieurs de ces Nogaïs parlaient assez purement le russe, ce qui dénote chez eux un certain degré d’intelligence, lorsque surtout on les compare aux autres tribus indigènes, qui s’approprient avec beaucoup de difficulté les dialectes étrangers et la langue officielle (c’est-à-dire le russe).

Au départ, après avoir fumé amicalement la pipe qui m’avait été offerte et qui était bourrée de mauvais tabac, je distribuai quelques griveniks à ceux que j’avais fait poser. Je reçus en échange une provision de vivres pour la route et force bénédictions : « Tu es notre connaissance, me dit l’un d’eux, en me frappant familièrement sur l’épaule (c’était un petit vieillard, sans bonnet et aux oreilles pendantes) ; lorsque tu seras à Stavropol, demande le vieux Ale-Ale, tu seras reconnu. » (Voy. p. 172.)


Les Cosaques. — Une stanitza. — Autrefois et aujourd’hui. — Le Cosaque à cheval. — Costumes. — Mendiants grecs, bohémiens et moines.

Nous approchions de Stavropol. Déjà s’offraient à nos regards les bourgades et les villes cosaques : pendant un certain espace, elles bordent la grande route ; mais à mesure qu’on avance vers la grande chaîne du Caucase, elles s’en écartent, et on ne les aperçoit plus que dans le lointain, au levant et au couchant.

Les Cosaques occupent le territoire, dont on avait forme précédemment les grandes lignes militaires. Aussi ont-ils subi l’influence russe au point de perdre presque entièrement leur caractère primitif.

L’habitant actuel de ces contrées, par sa figure, ses mœurs et ses usages, offre une grande ressemblance avec le paysan des gouvernements de la Nouvelle-Russie, et surtout avec le Petit-Russien : il en diffère seulement un peu par suite de l’existence alerte et active qu’il a menée lors de la colonisation de ce pays.

Les stanitsi, ou bourgades des Cosaques de la Ligne, s’étendent tout le long des frontières qui bornent au midi les possessions russes. Il y a un siècle à peine, elles composaient l’unique défense de cette région contre les races sauvages voisines. La population qui s’y est formée a beaucoup perdu de son caractère belliqueux depuis que les frontières ont été reculées plus au sud, et les lignes elles-mêmes n’ont plus l’importance qu’elles avaient à l’époque de leur établissement.


Petite fille nogaï.

Une stanitsa cosaque n’est autre chose qu’un grand village, tel qu’on en rencontre dans certaines parties de la Russie. La population varie de mille à deux mille âmes ; l’église s’élève au centre des habitations ; une palissade les entoure de toutes parts. Elle a deux entrées avec de grandes portes, au-dessus desquelles on a placé une inscription qui indique la date de la fondation et le nombre des habitants. À côté de chaque porte s’élève un donjon, qui a la forme d’une tourelle carrée. Un Cosaque s’y tient en observation. On retrouve des tourelles semblables sur quelques éminences qui avoisinent la grande route postale. Elles sont flanquées d’un corps de garde, où se tenait le piquet de surveillance. La plupart de ces constructions tombent en ruine, vestiges des temps passés et derniers témoins d’une activité fiévreuse, toute de rapine et de pillage.

La construction de ces tours est originale et tout à fait primitive : quatre longues poutres enfoncées dans la terre et inclinées l’une vers l’autre forment la base ; avant d’arriver au sommet, on voit une petite chambre entourée de balustrades en bois, et au-dessus, un peu plus élevé que la taille d’un homme, un toit quadrangulaire, incliné et recouvert de planches ou de paille, et surmonté parfois d’une pointe ou simplement d’un pieu. Un escalier étroit descend de la chambre pour aboutir à la cour où se trouvent quelques maisons rustiques, basses et couvertes de paille ; les unes étaient destinées aux factionnaires, les autres servaient d’écurie aux chevaux.

Toutes les constructions sont entourées d’une haie de branchages, qui n’offrirait aucune résistance aux attaques du dehors : mais aussi, jour et nuit, on tenait un cheval tout sellé, et, en cas de danger, on pouvait aller promptement donner l’alarme et chercher du secours. Toutes ces précautions et tous ces moyens de défense n’ont plus aujourd’hui de raison d’être, l’ennemi n’existant plus. Ce sont des souvenirs du passé.

Les habitations des Cosaques sont en bois enduit de terre glaise, et blanchies à la chaux. Les toits sont revêtus de chaume ; les planches ne le remplacent que sur les maisons des habitants aisés.

Leur intérieur se distingue de celui des populations aborigènes par la propreté et un certain confort. Elles sont, avec leurs dépendances, entourées de treillages cachés sous l’ombre d’arbres touffus. Leur aspect est charmant dans ce nid de verdure.

On retrouve encore dans toute leur vivacité les traditions de l’existence si belliqueuse que menaient les Cosaques il y a quelques années à peine. Ce n’était alors qu’un long combat sanglant, des alertes continuelles, réveillant toute la bourgade la nuit, la tenant sur pied le jour. Sans cesse sur le qui-vive, ils restaient constamment vêtus et armés jusqu’aux dents, toujours prêts à la défense, toujours menacés de se voir ravir femmes, enfants, troupeaux.

Le fleuve Térek opposait seul, par la rapidité de son courant, un obstacle aux incursions des montagnards : aussi, ses bords étaient-ils constamment sillonnés par des patrouilles et gardés par des piquets de Cosaques armés. Le danger d’une invasion se présentait-il ? Le Cosaque, de faction sur la tourelle, le signalait immédiatement. Si l’on avait besoin de renforts, on envoyait les demander aux bourgades les plus proches ; les Cosaques se rassemblaient en un clin d’œil et marchaient droit à l’ennemi. Tous les gués, les buissons, les bois étaient gardés nuit et jour. Les montagnards, sachant à quel ennemi ils avaient affaire, organisaient leurs courses dans le plus grand secret et usaient de précautions de toute espèce : le guerrier le plus alerte était chargé de faire une reconnaissance, il suivait à la nage le cours du fleuve, poussant devant lui une pièce de bois ou une forte racine d’arbre, derrière laquelle il pût se dissimuler aisément. Malheur aux Cosaques, s’il trouvait un passage mal gardé ou une sentinelle endormie, la bande passait tout entière, et toute la contrée était mise à sac et ravagée par l’incendie.

Mais, au contraire, lorsque le Cosaque de garde, habitué à toutes les ruses de l’ennemi, distinguait au passage la tête rasée du montagnard, c’en était fait de ce dernier : il le laissait arriver tout près de lui, et, à travers le buisson qui le cachait, lui envoyait une balle dans la tête.


Jeune Nogaï.

Aussi fallait-il aux Cosaques de la Ligne l’œil pénétrant et l’oreille tendue pour deviner l’approche de l’ennemi ; la force et le sang-froid au milieu de ces alertes et de ces luttes incessantes ; le courage en face de la mort et la finesse qui sait opposer la ruse à la ruse. Si la colonisation a modifié ce type curieux, elle n’a pu en effacer complétement les traits : le Cosaque d’aujourd’hui n’est pas sans ressemblance avec ses ancêtres. Dès l’âge le plus tendre, l’enfant est élevé dans le mépris de la vie et dans l’habitude d’affronter les dangers, quels qu’ils soient. Toujours en selle, il devient un cavalier agile, plein de vigueur et de fougue.

L’équitation est en grand honneur chez eux : à cheval ils font merveille. Lançant leurs coursiers à fond de train, ils tirent au but, et presque toujours ils l’atteignent ; sans changer l’allure de leur cheval, ils ramassent divers objets sur le sol, lancent en l’air leurs sabres et leurs fusils, et les rattrapent ; ils sautent à terre et remontent en selle avec une aisance et une agilité surprenantes.

J’ai eu l’heureuse chance d’assister à un spectacle réellement saisissant : c’était celui d’une troupe de cavaliers faisant une charge à fond de train debout sur leurs montures et le haut du corps en avant (v. p. 161). On nomme ce genre d’exercices djighitoffka : c’est chez eux un divertissement fort estimé et auquel ils donnent tout l’éclat possible. Ils l’exécutent en l’honneur de quelque voyageur illustre auquel ils veulent témoigner un profond respect. Plus le personnage est haut placé, plus ils mettent de solennité dans ce tournoi ; ils multiplient les exercices à l’infini, ils y ajoutent même l’attrait puissant d’un danger réel. Aussi la journée ne se termine-t-elle guère sans bras ou jambes cassés ; il n’est même pas rare que les accidents soient mortels.

Jadis l’administration locale jouissait de grands priviléges et de certaines franchises, dont quelques-unes, du reste, subsistent encore. Aussi les Cosaques se regardent-ils comme un peuple libre et supérieur aux autres Russes, qu’ils traitent assez lestement ; ils aiment à exercer sur eux leur verve, comme j’ai eu l’occasion de le constater, lorsqu’ils avaient affaire à nos soldats originaires du nord de la Russie.

Indépendamment du service militaire sur la ligne, dont la défense est confiée à leur garde, ils doivent satisfaire à la loi générale du recrutement. Une partie de la jeunesse va compléter les régiments cosaques qui sont disséminés dans tout l’Empire, mais principalement dans les régions du Caucase et du Transcaucase.

Le costume des Cosaques est presque le même que celui du montagnard caucasien : il en a adopté le vêtement depuis l’immense bonnet fourré jusqu’à la fine bottine. La température et l’hygiène sont les premiers tyrans de la mode.

Quoique ennemi juré et mortel du montagnard, le Cosaque s’est habitué à estimer en lui son impassible courage et sa brillante bravoure. Le jeune Cosaque cherche à ressembler au Caucasien, non-seulement par ses manières pleines d’audace, mais surtout par le costume. Tout homme qui connaît les deux races ne manquera pas d’observer ce trait exceptionnel.


Nogaï.

Du reste, le Cosaque, dans sa tenue de travail, lors qu’il est aux champs, diffère peu des simples cultivateurs de la Petite-Russie ; il porte le même bonnet et le même casaquin. Les femmes s’habillent presque toujours comme les Petites-Russiennes.

En général, les hommes et les femmes de cette race unissent l’élégance et la proportion des formes à une beauté remarquable : il est seulement à regretter que chez eux le développement de l’intelligence ne soit pas en rapport avec celui du corps et laisse beaucoup à désirer. La paresse d’esprit leur est commune avec le vrai Russe ; ils sont, en outre, imbus d’un préjugé qui les porte à voir d’un mauvais œil toute innovation ou toute amélioration dans la vie ordinaire. Ils tiennent à conserver strictement les-habitudes de leurs ancêtres, et sont ennemis, par cela même, de tout progrès et de toute civilisation.


Ale-Ale (Nogaï).

La majeure partie professe le Rasskol, ou religion des vieux croyants. L’orthodoxie officielle y est tolérée ; mais il n’en existe pas moins contre elle une lutte sourde et cachée.

J’ai rencontré, en chemin, des bandes de mendiants déguenillés et fortement hâlés : c’étaient des Grecs. J’ai fait le croquis de beaucoup d’entre eux, et je regrette infiniment de ne pouvoir donner ici toute une série de portraits, types à part qu’on ne rencontre qu’au sud. Ces pauvres gens (peut-être ai-je tort de dire pauvres, car qui peut connaître ce qu’ils possèdent ?) errent tout l’été sur les grandes routes jusqu’à Moscou. Il est fort présumable qu’à leur retour chez eux, après cette longue promenade, ils rentrent avec des bourses bien garnies et passablement lourdes ; tout le peuple russe est plein de miséricorde pour les frères mendiants, et il y a lieu de croire que les Grecs sont des gens fort habiles dans la pratique de cette industrie.

Pour accoster les voyageurs, ils se servent d’un baraguoin parfaitement étudié :

« Moi, disent-ils, moi, Grec ; moi, frère de Russe ; moi, orthodoxe ; moi, pauvre, très-pauvre orthodoxe. »

Et, pour prouver leur orthodoxie, ils font le signe de la croix comme les Russes (en portant la main du front à la poitrine, puis de l’épaule droite à l’épaule gauche). Pour qu’on ne doute point de leur pauvreté, ils disposent avec art leurs haillons de manière à en augmenter l’horreur, et même, au besoin, ils exhibent des plaies ou des infirmités de circonstance. La plupart d’entre eux cependant sont doués d’une robuste constitution et capables de lutter de force avec des bœufs dans les plus rudes travaux.

Le plus curieux, c’est que beaucoup de vagabonds d’autre race, surtout des Bohémiens, se disent tous Grecs, se signent de la croix et se prétendent orthodoxes et frères de Russes.


Cosaque.

À côté de cette vile multitude apparaissent d’autres mendiants, pas plus Grecs, mais aussi fourbes que ceux que je viens de décrire. Ce sont des moines, ou, du moins, ils portent le costume de l’ordre ; ils ne vont pas à pied ; ils se donnent la jouissance de parcourir en voiture la sainte Russie. Dans leurs récits extraordinaires, ils ne tarissent jamais sur la vie ascétique des leurs, sur les martyres qu’ils souffrent pour l’orthodoxie. Ils exploitent de préférence la générosité des gros négociants, et surtout celle des femmes, et s’en retournent chez eux les sacoches pleines.

Je m’arrête ; il serait possible qu’en lisant ces lignes, ces Grecs fussent offensés d’être compris parmi les mendiants.


Route de Stavropol. — Une station postale. — Les inspecteurs mélomanes. — Un postillon trop confiant. — Les chevaux indociles.

Certes, pour me décider à subir les difficultés et les fatigues innombrables de ce voyage, il a fallu l’attrait puissant des tableaux variés et curieux que chaque étape offrait à mes regards. Puissé-je faire participer mon lecteur à l’intérêt qu’ils m’ont inspiré !

La route, aussitôt que survenait la pluie, ressemblait à une rivière bourbeuse. Devais-je m’en étonner ? N’en est-il pas de même partout ailleurs dans notre empire ?

À ce propos je me permettrai une digression sur ce sujet important. Non-seulement au Caucase, mais encore dans toute la Russie, les voies de communication sont en très mauvais état. Dieu sait quand elles furent frayées ! Elles ne sont jamais réparées, à moins qu’un très-haut personnage ne doive y passer. Les paysans des alentours se réunissent alors pour combler les trous et les endroits fangeux avec des broussailles, et enlever les monceaux d’ordures qu’on laisse fouler d’ordinaire aux simples mortels. Dans la sainte Russie on a établi, est vrai, quelques chaussées : par exemple sur les routes vers le Caucase, entre Moscou et Voronej ; mais ces chaussées, fort mal entretenues, deviennent quelquefois plus mauvaises et plus impraticables que les routes ordinaires.

Ajoutez, et j’en parle en témoin oculaire, que des trains de lourdes voitures qui transportent les vivres de l’armée, les sillonnent continuellement et y creusent de profondes ornières.


Grec mendiant.

Il est souvent impossible et même dangereux d’aller autrement qu’au pas, à moins de courir le risque de verser à chaque instant. Je me souviens que cet inconvénient fut cause que nous mîmes deux et trois fois plus de temps qu’il n’en faut d’habitude pour atteindre les diverses stations. Lorsque je m’étonnais de toutes les précautions qu’on prenait, et que je me plaignais de tant de lenteur, les isvoschticks, conservant leur sang-froid, me répondaient avec calme : « C’est bon, tu arriveras aussi bien au pas ; plus lentement tu vas, plus loin tu atteindras ! »

Les maisons des stations sont pauvrement entretenues.

On assigne aux voyageurs une, deux ou trois chambres de moyenne grandeur, garnies de lits en mauvais état et fort durs. Ces inconvénients ont pour toute compensation les règlements des postes accrochés aux murailles.

La route militaire de la Géorgie fait seule exception ; j’aurai l’occasion d’en parler plus tard, non pas que les règlements imprimés y fassent défaut, mais parce que la route et les relais de poste n’y laissent rien à désirer.

Pour donner une idée complète des ennuis inséparables d’un voyage à travers la sainte Russie, il ne faut point omettre les relations avec les inspecteurs des stations postales. Ils sont pour la plupart très-grossiers, mais peut-être ce défaut a-t-il son excuse dans leur passé. Il n’y a pas encore longtemps en effet qu’ils avaient à supporter de la part des voyageurs des invectives et des menaces, souvent accompagnées de coups de bâton.


Grec mendiant.

Je me rappelle que dans une de ces stations j’eus beaucoup de peine à m’endormir. L’inspecteur était ivre : et, dans sa hutte, qui n’était séparée de ma chambre que par le mur peu épais, il psalmodia, fort avant dans la nuit, des chants religieux sur tous les tons imaginables.

Un second, vieillard d’un aspect fort respectable, m’invita, comme il le fait, paraît-il, avec tous les voyageurs, à l’entendre jouer une foule d’airs sur la flûte.

Un autre incident me revient à la mémoire. À une station, une des chambres, transformée en cachot, était occupée par un postillon qui s’était laissé piller maladroitement. Les postes russes se composent généralement de plusieurs télégas, chargées de grandes valises de cuir fermées avec des cadenas et dans lesquelles se trouvent les envois. Sur les ballots ou les valises de la dernière téléga est assis le postillon préposé à leur garde. Le pauvre homme emprisonné était un jour à ce poste, lorsque plusieurs coquins, voyageant dans un attelage à trois chevaux, lièrent conversation avec lui et l’invitèrent à entrer avec eux dans le premier cabaret qu’ils trouveraient sur leur chemin. Le postillon accepta cordialement l’invitation et, la tête un peu troublée quand il remonta sur les valises, ne s’aperçut point que ses aimables compagnons les fendaient avec leurs couteaux tout en lui contant des sornettes, et jetaient ce qu’elles contenaient sur la route, où se trouvaient bien entendu des complices pour en faire immédiatement leur profit. Il arriva à une nouvelle station, toujours assis sur une valise presque vide, sans avoir conçu le moindre soupçon.


Grec mendiant.

En automne, après les pluies d’été, les routes deviennent presque impraticables. Il m’est souvent arrivé de m’embourber dans les chemins après une journée d’orage.

Les roues s’enfoncent jusqu’aux moyeux dans les ornières remplies d’une bouillie grasse et pâteuse ; les chevaux ont grand’peine à tirer et n’avancent qu’avec une lenteur désespérante. Il n’est point rare qu’entre deux stations l’essieu se rompe tout à coup, et vous demeurez là, sans qu’il vous soit possible de faire bouger l’attelage.

Un jour je fus victime d’un semblable accident : l’essieu de ma téléga s’était brisé avec une telle violence que par une brusque secousse j’avais été lancé le visage dans la boue. Je restai là plusieurs heures, sous une pluie battante, attendant le retour du postillon, qui était allé chercher tout ce qu’il fallait. pour remettre en meilleur état son vieux véhicule.

Une autre fois, par un temps magnifique, M. V…, officier de l’état-major du Caucase, et moi, nous fûmes exposés à un plus grand péril.

Nous avions changé de chevaux au relais de poste d’Ordonskoy, le dernier avant d’arriver à Vladikavkaze. On avait attelé à la télega trois chevaux qui n’avaient jamais été dressés : à peine sortis de la stanitza, ils s’animent, s’échauffent et prennent le mors aux dents. Dire leur course effrénée pendant plusieurs kilomètres serait impossible.

Tout à coup M. V… se rappelle que nous avons à traverser plusieurs ravins au fond desquels coulent des ruisseaux sous de mauvais petits ponts très-étroits :

« Si nous les passons de ce train-là, me dit-il, nous sommes sûrs d’être tués.

— Que faire donc ?

— Notre seule chance est de sauter à terre.

— Eh bien ! sautons, vous d’un côté, moi de l’autre. »


Ancien prêtre grec quêtant pour les églises et monastères.

Mon malheureux compagnon tomba sur le dos et sur la nuque, et se fit un mal atroce ; j’avais le visage en sang.

Nos bêtes endiablées franchirent tous les ponts, en vrais furibonds, enfilèrent heureusement la porte de la stanitza, et entrèrent sans accident sous l’auvent du relais. Il n’en eût pas été de même de nous et du postillon.

B. Vereschaguine.

(La suite à la prochaine livraison.)


  1. Ce qui va suivre ressemblera plutôt à un album qu’à une relation. C’est que M. Vereschaguine est artiste : sa manière de traduire ses impressions de voyage est de les dessiner ; il a reproduit les traits et la physionomie des peuplades diverses qu’il a visitées avec autant de fidélité que de vigueur. Pour donner une juste idée de ce que sont ces tribus, Kalmouks, Nogaïs, Cosaques, Cabardiens, Lesghiens et autres, un crayon de ce maître vaut mieux qu’une plume.

    Quant au texte, il n’était pas besoin qu’il fût plus étendu : nos lecteurs ont déjà fait à peu près le même voyage, une fois, avec M. Moynet (Tour du Monde, t. I, page 321), une autre fois avec M. Blanchard (Tour du Monde, tome IV, page 113).

  2. Les Kalmouks, qu’on appelle aussi Eleuths ou Derbets, sont de race mongole : leur religion est une altération du Bouddhisme.

    On ne croit pas que le nombre actuel de leurs tentes soit de plus de 15 000. Avant 1771, on comptait entre le Caucase et le fleuve Oural plus de 2 500 000 âmes, qui, ne pouvant plus supporter les vexations de l’administration russe, retournèrent à l’extrémité de l’Asie.

  3. Les Nogaïs sont de race turque. « Plus de 300 000 Nogaïs, de la province du Caucase, ont émigré, de 1856 à 1860, dans la Turquie, où ils sont presque tous morts du typhus. Il ne reste plus en Russie qu’environ 400 000 Nogaïs. » Dussieux, Géographie générale.