Voyage en Amérique (Chateaubriand)/Année et calendrier
ANNÉE, DIVISION ET RÈGLEMENT DU TEMPS, CALENDRIER NATUREL.
ANNÉE.
Les sauvages divisent l’année en douze lunes, division qui frappe tous les hommes ; car la lune, disparoissant et reparoissant douze fois, coupe visiblement l’année en douze parties, tandis que l’année solaire, véritable année, n’est point indiquée par des variations dans le disque du soleil.
DIVISION DU TEMPS.
Les douze lunes tirent leurs noms des labeurs, des biens et des maux des sauvages, des dons et des accidents de la nature : conséquemment ces noms varient selon le pays et les usages des diverses peuplades. Charlevoix en cite un grand nombre. Un voyageur moderne[1] donne ainsi les mois des Sioux et les mois des Cipawois :
Les années se comptent par neiges ou par fleurs : le vieillard et la jeune fille trouvent ainsi le symbole de leurs âges dans le nom de leurs années.
CALENDRIER NATUREL.
En astronomie, les Indiens ne connoissent guère que l’étoile polaire ; ils l’appellent l’étoile immobile ; elle leur sert pour se guider pendant la nuit. Les Osages ont observé et nommé quelques constellations. Le jour, les sauvages n’ont pas besoin de boussole ; dans les savanes, la pointe de l’herbe qui penche du côté du sud, dans les forêts, la mousse qui s’attache au tronc des arbres du côté du nord, leur indiquent le septentrion et le midi. Ils savent dessiner sur des écorces des cartes géographiques où les distances sont désignées par les nuits de marche.
Les diverses limites de leur territoire sont des fleuves, des montagnes, un rocher où l’on aura conclu un traité, un tombeau au bord d’une forêt, une grotte du Grand-Esprit dans une vallée.
Les oiseaux, les quadrupèdes, les poissons, servent de baromètre, de thermomètre, de calendrier aux sauvages : ils disent que le castor leur a appris à bâtir et à se gouverner, le carcajou à chasser avec des chiens, parce qu’il chasse avec des loups, l’épervier d’eau à pêcher avec une huile qui attire le poisson.
Les pigeons, dont les volées sont innombrables, les bécasses américaînes, dont le bec est d’ivoire, annoncent l’automne aux Indiens ; les perroquets et les piverts leur prédisent la plaie par des sifflements tremblotants.
Quand le maukawis, espèce de caille, fait entendre son chant au mois d’avril depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, le Siminole se tient assuré que les froids sont passés : les femmes sèment les grains d’été ; mais quand le maukawis se perche la nuit sur une cabane, l’habitant de cette cabane se prépare à mourir.
Si l’oiseau blanc se joue au haut des airs, il annonce un orage ; s’il vole le soir au-devant du voyageur, en se jetant d’une aile sur l’autre, comme effrayé, il prédit des dangers.
Dans les grands événements de la patrie, les jongleurs affirment que Kit-chi-manitou se montre au-dessus des nuages porté par son oiseau favori, le wakon, espèce d’oiseau de paradis aux ailes brunes, et dont la queue est ornée de quatre longues plumes vertes et rouges.
Les moissons, les jeux, les chasses, les danses, les assemblées des sachems, les cérémonies du mariage, de la naissance et de la mort, tout se règle par quelques observations tirées de l’histoire de la nature. On sent combien ces usages doivent répandre de grâce et de poésie dans le langage ordinaire de ces peuples. Les nôtres se réjouissent à la Grenouillère, grimpent au mât de cocagne, moissonnent à la mi-août, plantent des oignons à la Saint-Fiacre, et se marient à la Saint-Nicolas.
- ↑ Beltrami.