Aller au contenu

Voyage en Amérique (Chateaubriand)/Année et calendrier

La bibliothèque libre.
Garnier frères (Œuvres complètes, tome 6p. 133-135).

ANNÉE, DIVISION ET RÈGLEMENT DU TEMPS, CALENDRIER NATUREL.

ANNÉE.

Les sauvages divisent l’année en douze lunes, division qui frappe tous les hommes ; car la lune, disparoissant et reparoissant douze fois, coupe visiblement l’année en douze parties, tandis que l’année solaire, véritable année, n’est point indiquée par des variations dans le disque du soleil.

DIVISION DU TEMPS.

Les douze lunes tirent leurs noms des labeurs, des biens et des maux des sauvages, des dons et des accidents de la nature : conséquemment ces noms varient selon le pays et les usages des diverses peuplades. Charlevoix en cite un grand nombre. Un voyageur moderne[1] donne ainsi les mois des Sioux et les mois des Cipawois :

mois des sioux
titre invisible
langue siouse
Mars, 
la lune du mal des yeux 
 Wisthociasia-oni
Avril, 
la lune du gibier 
 Mograhoandi-oni
Mai, 
la lune des nids 
 Mograhochandà-oni
Juin, 
la lune des fraises 
 Wojusticiascià-oni
Juillet, 
la lune des cerises 
 Champascià-oni
Août, 
la lune des buffalos 
 Tantankakiocu-oni
Septembre, 
la lune de la folle-avoine 
 Wasipi-oni
Octobre, 
la lune de la fin de la folle-avoine 
 Sciwostapi-oni
Novembre, 
la lune du chevreuil 
 Takiouka-oni
Décembre, 
la lune du chevreuil qui jette ses cornes 
 Ahesciakiouska-oni
Janvier, 
la lune de valeur 
 Ouwikari-oni
Février, 
la lune des chats sauvages 
 Owiciata-oni
mois des cipawois
titre invisible
langue algonquine
Juin, 
la lune des fraises 
 Hode ï min-quisis
Juillet, 
la lune des fruits brûlés 
 Mikin-quisis
Août, 
la lune des feuilles jaunes 
 Wathebaqui-quisis
Septembre, 
la lune des feuilles tombantes 
 Inaqui-quisis
Octobre, 
la lune du gibier qui passe 
 Bina-hamo-quisis
Novembre, 
la lune de la neige 
 Kaskadino-quisis
Décembre, 
la lune du Petit-Esprit 
 Manito-quisis
Janvier, 
la lune du Grand-Esprit 
 Kitci-manito-quisis
Février, 
la lune des aigles qui arrivent 
 Wamebinni-quisis
Mars, 
la lune de la neige durcie 
 Ouabanni-quisis
Avril, 
la lune des raquettes aux pieds 
 Pokaodaquimi-quisis
Mai, 
la lune des fleurs 
 Wabigon-quisis


Les années se comptent par neiges ou par fleurs : le vieillard et la jeune fille trouvent ainsi le symbole de leurs âges dans le nom de leurs années.

CALENDRIER NATUREL.

En astronomie, les Indiens ne connoissent guère que l’étoile polaire ; ils l’appellent l’étoile immobile ; elle leur sert pour se guider pendant la nuit. Les Osages ont observé et nommé quelques constellations. Le jour, les sauvages n’ont pas besoin de boussole ; dans les savanes, la pointe de l’herbe qui penche du côté du sud, dans les forêts, la mousse qui s’attache au tronc des arbres du côté du nord, leur indiquent le septentrion et le midi. Ils savent dessiner sur des écorces des cartes géographiques où les distances sont désignées par les nuits de marche.

Les diverses limites de leur territoire sont des fleuves, des montagnes, un rocher où l’on aura conclu un traité, un tombeau au bord d’une forêt, une grotte du Grand-Esprit dans une vallée.

Les oiseaux, les quadrupèdes, les poissons, servent de baromètre, de thermomètre, de calendrier aux sauvages : ils disent que le castor leur a appris à bâtir et à se gouverner, le carcajou à chasser avec des chiens, parce qu’il chasse avec des loups, l’épervier d’eau à pêcher avec une huile qui attire le poisson.

Les pigeons, dont les volées sont innombrables, les bécasses américaînes, dont le bec est d’ivoire, annoncent l’automne aux Indiens ; les perroquets et les piverts leur prédisent la plaie par des sifflements tremblotants.

Quand le maukawis, espèce de caille, fait entendre son chant au mois d’avril depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, le Siminole se tient assuré que les froids sont passés : les femmes sèment les grains d’été ; mais quand le maukawis se perche la nuit sur une cabane, l’habitant de cette cabane se prépare à mourir.

Si l’oiseau blanc se joue au haut des airs, il annonce un orage ; s’il vole le soir au-devant du voyageur, en se jetant d’une aile sur l’autre, comme effrayé, il prédit des dangers.

Dans les grands événements de la patrie, les jongleurs affirment que Kit-chi-manitou se montre au-dessus des nuages porté par son oiseau favori, le wakon, espèce d’oiseau de paradis aux ailes brunes, et dont la queue est ornée de quatre longues plumes vertes et rouges.

Les moissons, les jeux, les chasses, les danses, les assemblées des sachems, les cérémonies du mariage, de la naissance et de la mort, tout se règle par quelques observations tirées de l’histoire de la nature. On sent combien ces usages doivent répandre de grâce et de poésie dans le langage ordinaire de ces peuples. Les nôtres se réjouissent à la Grenouillère, grimpent au mât de cocagne, moissonnent à la mi-août, plantent des oignons à la Saint-Fiacre, et se marient à la Saint-Nicolas.


  1. Beltrami.