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Voyage en France 9/VI

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VI

DE GRENOBLE À LA MURE

La Porte de France et ses carrières. — Découverte du ciment artificiel — Les travaux de Vicat. — Les câbles porteurs. — Les fours et les moulins. — Les anthracites de la Mure. — Un chemin de fer de montagne. — Les gorges du Drac. — Les eaux de la Motte. — Mines de Notre-Dame-de-Vaux, de la Motte et de Peychagnard.


La Mure, mai.



La haute montagne, dont les puissantes assises commandent si majestueusement Grenoble, avec ses escarpements, ses forts, sa tête de rochers, et qui résiste depuis tant de centaines d’années aux efforts des carriers qui l’ont entaillée sur tous les points, sans que son épiderme même semble atteint, est cependant perforée dans toute sa partie supérieure, comme si de gigantesques termites l’avaient envahie. Cette énorme masse calcaire possède des filons de roches qui donnent un des meilleurs ciments du monde. Pour les exploiter, on a créé tout un réseau de galeries, dont les produits sont envoyés à Grenoble au moyen de fils d’acier tendus du sommet à la base de la montagne ; c’est un des sites industriels les plus curieux que l’on puisse rencontrer.

La fabrication des ciments est d’origine récente. L’Anglais James Parquer avait inventé le ciment à prise rapide en 1796 ; le ciment Portland, ainsi nommé de sa couleur rappelant la pierre de Portland employée à Londres, fut découvert, en 1824, par un briquetier nommé Joseph Apsdin. Mais la fabrication resta empirique ; il fallut le génie d’un jeune ingénieur français, Vicat, appartenant au corps des ponts et chaussées, pour donner la formule chimique du ciment. Sa découverte était en telle contradiction avec ce que l’on avait admis jusqu’alors, que l’incrédulité des savants officiels, tels Thénard et Gay-Lussac, fut complète.

Vicat avait dit à peu prés : « Le ciment Portland est le produit de la cuisson d’un mélange aussi intime que possible de calcaire et d’argile. » De Grenoble, où il était ingénieur, on le fit venir à Paris, on lui remit de la chaux grasse et de l’argile et on lui fit préparer et cuire le mélange. Il délaya une pâte ; on la plaça dans des flacons pleins d’eau qui furent scellés et on lui donna narquoisement rendez-vous à un an, supposant qu’on retrouverait une bouillie. Au bout d’un an, on déboucha les bouteilles. O surprise ! Tout ce que Vicat avait dit était vrai, il y avait, au fond de l’eau, une pierre artificielle[1]. Désormais, on pouvait scientifiquement fabriquer le ciment partout où l’on trouvait du calcaire et de l’argile. Le succès de la découverte fut merveilleux. Arago disait, vingt ans plus tard, vers 1845, que Vicat avait déjà fait gagner 200 millions à la construction par sa belle découverte.

Voilà pour les ciments artificiels. Une florissante industrie est née qui, par des mélanges précis, au moyen de lavages, de cuisson de la pâte, etc., prépare le ciment. Elle s’est longtemps confinés dans le Boulonnais, qu’avait accaparé le marché de Paris. De nos jours on a songé à utiliser les craies et les argiles du bassin parisien. Celui qui eut cette idée est le baryton Lassalle, un Lyonnais devenu une des étoiles de l’Académie nationale de musique. Lassalle avait acquis une propriété à Haute-Isle près de Mantes, il songea à exploiter la falaise de calcaire et l’argile des berges. Les analyses qu’il fit exécuter lui ayant démontré qu’il pouvait fabriquer du ciment, il a fait construire une vaste usine et, désormais, a abandonné l’art pour l’industrie. Grâce à lui la vallée de la Seine est dotée d’une source nouvelle de richesse.

Mais on rencontre, dans la nature, des roches de ciment naturel, dosées au degré voulu, il n’y a qu’à les cuire, les passer au moulin et au blutoir.

Le hasard a fait découvrir cette roche à Grenoble,. En 1842, un chaufournier de cette ville trouva dans ses fours des éclats de pierre qui ne s’éteignaient pas après la cuisson, comme le fait la pierre à chaux. Il les soumit à un colonel du génie en retraite, M. Breton, qui reconnut, dans la roche d’où ces pierres étaient venues, un banc de ciment. On exploita aussitôt cette richesse nouvelle, mais l’industrie prit une extension considérable en 1861 seulement, quand les chemins de fer atteignirent Grenoble. Ce ciment reçut le nom de Porte de France, les carrières étant voisines de cette entrée de la ville. Plusieurs usines exploitaient le filon, elles se sont groupées en une société unique qui a créé, en France, l’industrie des pierres factices, des moulures, des tuyaux de conduite en ciment. Autour de Grenoble, dans le massif de la Grande-Chartreuse, à Vif, à Valbonnais, d’autres filons sont exploités.

De tous ces gisements, le plus important est celui du mont Rachai, la puissante montagne qui termine, au sud, le massif de la Grande-Chartreuse et, dominant le grand coude de l’Isère, sépare le haut Graisivaudan de la basse vallée. L’extrémité du mont Rachais porte le nom particulier de mont Jalla et commande, à 430 mètres, la ville de Grenoble. Le filon principal a 4m 50 d’épaisseur, deux autres ont 1m 50, ils sont disposés presque verticalement de la base au sommet de la montagne — l’inclinaison est de 15 degrés seulement. Pour l’exploiter, on a donc été obligé de créer des galeries superposées.

La principale exploitation est au sommet même du Jalla ; il y a là vingt étages de galeries hautes de 3m, 50, séparées par des plafonds de même épaisseur. La montagne est presque à pic, sur ce point ; on peut dire qu’il y a un abîme de 300 mètres entre la grande galerie et l’usine. Il était impossible de créer un chemin de fer et même une route ; les wagonnets, amenés des galeries et des puits qui les relient par une voie ferrée longue de 800 mètres, n’auraient pu descendre qu’au prix de travaux énormes, disproportionnés au résultat à obtenir. On a songé à tendre un câble aérien portant des caisses. Jusqu’alors, l’industrie avait bien employé les câbles de ce genre, mais leur portée ne dépassait pas 300 à 400 mètres pour un travail représentant 400 kilogr. à chaque voyage. Si l’on avait de plus grandes distances à franchir, on disposait des piliers intermédiaires. Au mont Jalla, cette dernière disposition était impossible et la portée devait atteindre 600 mètres en même temps que le poids de la charge devait représenter 1,000 Kilogr., si l’on voulait faire face à l’extraction. Je n’ai pas à entrer ici dans l’explication du système, voici le résultat : un voyage nécessite 3 minutes, chargement et déchargement compris, et la journée de 12 heures permet de descendra aux fours 150,000 kilogr. par jour.

De la gare d’arrivée aux fours, un petit chemin de fer conduit la roche. Ces fours, au nombre de 46 à la Porte de France, peuvent contenir chacun 60 mètres cubes. Le combustible est produit par les mines du pays, c’est L’anthracite de la Mure. 250 kilogr. de ce charbon sont nécessaires pour 1,000 kilogr. de pierre crue. Ces longues rangées de fours, les câbles porteurs, la teinte grise des bâtiments, les hautes roches voisines, donnent à ce site industriel un caractère bien particulier, contrastant avec la végétation opulente qui borde les deux rives de l’Isère.

La roche une fois cuite, ou n’a pas encore de ciment propre à employer. Il faut le moudre et le tamiser. La force motrice naturelle manque à la Porte de France, on a donc été amené à s’installer sur les cours d’eau. Dans la banlieue immédiate, un moulin sert à cet emploi. Une autre usine plus considérable, reliée à Grenoble par un petit chemin de fer, a été créée à Saint-Robert. 24 paires de meules y broient la pierre, déjà réduite en menus morceaux par des concasseurs, la farine de ciment entre alors dans une série de blutoirs dont le dernier a 324 mailles au centimètre carré. Tout ce qui ne peut passer par ces mailles est broyé à nouveau. Le ciment est ensuite enfermé dans des magasins ou silos, au nombre de 54, contenant plus de 20,000 mètres cubes. C’est dans ces silos, incessamment remplis, que l’on puise, pour envoyer sur tous les points de la France et jusque dans l’extrême Orient, les 50 wagons expédiés chaque jour par les garas, de Grenoble et de Saint-Robert.

À côté des chantiers d’expédition, de vastes hangars abritent les ouvriers qui fabriquent des tuyaux, des conduits pour fil électrique, des pilastres, des moulures, des carreaux dont l’emploi se généralise de plus en plus. À Grenoble surtout, où l’on a la matière première sous la main, l’emploi du ciment a pris une extension immense dans les quartiers neufs. Beaucoup de maisons, hautes de quatre ou cinq étages, sont ornées de moulures, d’écussons, d’ornements de ciment qu’une couche de peinture transforme en un édifice paraissant construit en matériaux de luxe.

J’ai visité une de ces maisons dont les plafonds étaient décorés de caissons en ciment. La belle caserne de l’artillerie alpine a toutes ses corniches et ses reliefs en ciment. Enfin, les rues mêmes de Grenoble sont dallées en ciment depuis une vingtaine d’années et, comme la ville est la mieux dotée d’eau de la France entière, puisque chaque habitant dispose de plus de 1,000 litres par jour, on peut faire d’abondants lavages et entretenir les chaussées ainsi obtenues dans le plus grand état de propreté. Une seule ville, en France, a imité Grenoble : c’est la Seyne, près Toulon. Toutes les rues y sont revêtues de ciment du Dauphiné. La politique ne perdant jamais ses droits, en cette heureuse Provence, on utilise la chaussée pour recommander les candidats. J’ai lu, en 1893, dans cette jolie cité de la Seyne, de chauds appels marqués avec une peinture indélébile sur le dallage continu des chaussées !

Ce système, par sa simplicité, sa propreté et son faible prix de revient, devrait être employé dans toutes les villes aux rues étroites et peu sillonnées de voitures, comme il y en a tant dans le Midi.

L’industrie des ciments joue donc un grand rôle économique et hygiénique dans le Dauphiné ; inconnue il y a cinquante ans, elle fait vivre aujourd’hui des milliers de familles. Si l’Isère était plus aisément navigable et permettait de conduire à bas prix les ciments dans le Midi et les porta de la Méditerranée, ce commerce prendrait rapidement un essor plus considérable encore.

Les progrès sont dus, il faut bien le dire, à la proximité d’un bassin houiller important, mais insuffisants encore — par la nature du charbon et l’extraction — pour les multiples industries de l’Isère. C’est l’anthracite de la Mure. Ce combustible, excellent pour la cuisson de la chaux et du ciment, arrive aujourd’hui facilement sur le grand réseau des voies ferrées, grâce au chemin de fer spécial qui va le chercher jusqu’aux puits de production.

Les gisements sont fort haut dans la montagne, en une région de difficile accès, ils ont nécessité des travaux d’art énormes et doté ainsi le Dauphiné d’une de ses grandes curiosités : le chemin de fer de la Mure, il mérite la visite des touristes ; c’est peut-être la plus étonnante de nos lignes de montagne.


Ce matin, au point du jour, je partais par le train de Gap pour aller prendre la ligne de la Mure à Saint-Georges-de-Commiers. Elle se détache de la grande voie dans la gare même et se dirige vers le nord pour pénétrer dans un tunnel dans lequel elle décrit une courbe de très étroit rayon. Grâce au faible écartement des rails — 1 mètre — les locomotives et les wagons peuvent ainsi faire des courbes très brusques. En sortant de cette sorte de tuyau coudé, la voie a déjà atteint une grande élévation au-dessus de la gare de Saint-Georges ; on aperçoit, profonde, la large coupure où le Drac mène ses eaux furibondes entre les graviers ; en face, très haut, au flanc d’une montagne escarpée, se tord le chemin de fer de Gap, qui vient de surplomber la vallée de la Gresse avant de dominer celle du Drac, il pénètre dans un tunnel et retourne dans la vallée de la Gresse.

Lentement monte le train de la Mure. Les wagons chars à bancs, en usage l’été, permettent de découvrir en entier le paysage. La voie traverse des champs et des vignes et bientôt, à une grande hauteur, commande l’abîme profond où le Drac roule ses eaux grises, au pied du mamelon qui porte la chapelle de Chabottes.

La gorge du Drac est étrange. Les berges qui la forment sont d’une déclivité très grande, mais les arbres et les arbrisseaux les enveloppent d’un manteau vert qui fait mieux ressortir encore la teinte grise du torrent. Au-dessus, sous des ressauts couverts de belles cultures, la voie décrit un double lacet, dont les boucles creusent en tunnels les éperons de la montagne. Quand les détours permettent de regarder vers le nord, on découvre le merveilleux massif de la Chartreuse avec ses pics, ses falaises, ses murailles de calcaire chaudement colorées surgissant au-dessus des noires forêts de sapins. Ces montagnes, par curieux effet d’optique, semblent monter comme par une force souterraine ; l’effet est saisissant, surtout pour les pics aigus de Chamechaude et de la Pinéa, et le dôme énorme de la dent de Crolles dont les puissantes assises se précisent de plus en plus à mesure que nous nous élevons.

Vers Notre-Dame de Commiers, au sortir d’un tunnel, on aperçoit une grande partie de la ligne, dessinée au flanc de la montagne par ses tranchées et ses travaux d’art. De l’autre côté du Drac, les vertes campagnes de la Cluse et de Paquier contrastent avec la sévérité des pentes voisines sur lesquelles, entre des taillis, apparaissent, hideuses, des surfaces de schiste sans végétation. Très haut au-dessus du paysage, la grande Moucherolle dresse, à 2, 289 mètres, ses falaises grises qui semblent se plaquer sur le ciel bleu. Toujours haletante sur cette pente régulière de 275 millimètres par métre, la locomotive traîne son convoi, pénètre dans un tunnel d’un circuit presque complet, contournant le vallon des Ripeaux dans lequel se brise un petit torrent.

À la sortie du tunnel, le site a changé. On découvre en entier la partie de la voie que l’on vient de parcourir, la Grande-Chartreuse apparaît maintenant dans toute sa splendeur ; À ses pieds, les toits et les flèches d’église de Grenoble, comme blottis sous les hauts remparts de la Bastille. Mais ce n’est point ce lumineux et prestigieux paysage que l’on admire : le regard revient toujours au Drac, courant au fond de l’abîme vertigineux, entre des campagnes ravinées et grises, et dont le bruit monte jusqu’à nous. Le torrent roule ses eaux entre de larges bancs de gravier, dans un lit qui donnerait passage à un grand fleuve. Soudain, la gorge se rétrécit, les pentes déjà abruptes deviennent à pic, les eaux tout à l’heure divagantes sont réunies dans un chenal étroit. Malgré la beauté de la muraille calcaire de la Moucherolle et l’élégance de la pyramide du mont Aiguille apparaissant à l’horizon, l’œil est invinciblement attiré par cet abîme, profond de 800 mètres, sur les flancs duquel on monte par des corniches et des viaducs hardis. Le schiste noirâtre est, ici, complètement à nu ; cette roche délitée menaçant ruine, on a dû la faire ébouler à coups de canon pour trouver la roche saine. Au fond de l’effrayant précipice, on aperçoit un instant un pont suspendu auquel accède un chemin en zig-zag. Et, toujours plus superbe, se dresse le mont Aiguille dans son merveilleux isolement.

Brusquement, ce tragique paysage fait place à une vallée aimable, verte, fraîche, boisée, au milieu de laquelle surgit une motte, couronnée par un château féodal, défiguré il y a cinquante ans, pour être transformé en établissement thermal. On y conduit, par des machines, les eaux chaudes qui sourdent à 300 mètres plus bas, au bord même du Drac, près d’une belle cascade dont les eaux, se précipitant d’une hauteur de 130 mètres, font mouvoir les pompes. Ce paysage à la fois riant et grandiose n’a pas réussi, cependant, à amener à la Motte d’autres baigneurs que les malades sérieux venant soigner leurs rhumatismes, leurs scrofules, leurs canes et autres affections pour lesquelles ces eaux sont souveraines.

Les montagnes du Thabor, blanches de neige, forment un fond à cette belle vallée de Vaux, plus belle encore à mesure que le chemin de fer poursuit son savant et bizarre tracé. Voici, au loin, les deux viaducs de Loula, d’un grand et sobre effet, à l’entrée d’une gorge sévère. Avant de les atteindre, il faut traverser le haut viaduc courbe de Vaux, sous lequel passent des eaux jaunes. Cet ouvrage d’art est d’une élégance sévère, il s’harmonise à merveille avec le pays. Bientôt on aborde le premier viaduc de Loula, au-dessus duquel est jeté, plus sobre encore de lignes, le viaduc supérieur que l’on atteint bientôt ; il domine les bruyantes cascades du vallon de Vaux.

À la Motte-d’Aveillans, nous sommes au centre du bassin houiller, la gare est pleine de wagons prêts à former les trains qui iront à Saint-Georges-de-Commiers déverser leur contenu dans les wagons plus vastes de la Compagnie de Lyon. J’y reviendrai tout à l’heure, après avoir parcouru le petit tronçon, long de deux kilomètres, reliant à la Motte le village de Notre-Dame-de-Vaux et ses mines de charbon.

La vallée parcourue par l’embranchement est étroite et fraîche, c’est plutôt une combe entre des collines nues, mais où le gazon est semé d’intumescences noirâtres formées par les roches extraites du sol pendant les recherches d’anthracite.

Le village de Notre-Dame est à un millier de mètres de la gare, celle-ci ayant été créée pour desservir une mine voisine. C’est un grand, mais assez malpropre village, habité en majeure partie par des mineurs. L’anthracite forme, au-dessus du bourg, dans la montagne de Saint-Théoffrey, des couches nombreuses, mais de peu d’épaisseur et d’extraction assez difficile. Partout on a entrepris des recherches, creusé des galeries ou foré des puits. Ces petites exploitations, dont les produits sont répandus dans la région, à Vizille et dans les vallées voisines, entrent pour une faible part dans le produit total des mines. Beaucoup n’ont qu’un ou deux ouvriers.

De la haute croupe sur laquelle ces mines sont creusées, le mont Aiguille apparaît sous un de ses plus beaux aspects : on dirait un pilier colossal planté au sommet d’une montagne. Longtemps il arrête l’attention, mais les accidents du sol la détournent. Aux flancs de la montagne, des roches aux formes bizarres hérissent les pâturages. L’une d’elles, la Roche percée, est trouée d’une énorme et large fissure. Vue d’un certain angle, elle montre en perspective la masse du mont Obiou, un des géants des Alpes dauphinoises.

Au-dessous de la Roche percée, dans un ravin très profond, s’ouvre la principale galerie des mines de la Mure. Nous sommes fort loin encore de cette ville ; en réalité, les mines sont celles de la Motte, mais la Mure a donné son nom au bassin. Une petite voie ferrée part d’une galerie creusée dans des terres en pente, par là viennent les charbons que l’on conduira aux usines de triage, la partie la plus apparente de l’exploitation. La production du bassin houiller dauphinois est trop faible pour que l’on ait obtenu ici une transformation du paysage comparable à ce que l’on remarque dans le Nord ou la Loire. L’exploitation de la Motte et, sur l’autre versant de la montagne, près de la Mure, celle de Peychaguard, produisent 140,000 tonnes, le petit bassin de Notre-Dame-de-Vaux en fournit 30,000 ; enfin, à Pierre-Chatel, une autre mine donne 6,000 tonnes ; au total, 176,000 tonnes, 185,000 avec les petites exploitations désordonnées faites aux environs. C’est peu de chose auprès des millions de tonnes des grands bassins, on ne peut donc attendre ici ni vastes puits, ni cités ouvrières.

Par contre, pour livrer l’anthracite à la consommation, il faut lui faire subir un triage minutieux. Depuis l’invention des nouveaux procédés de chauffage : poêles mobiles, poêles roulants, etc., l’anthracite étant devenu un chauffage de luxe peut supporter une manutention coûteuse. De nombreuses femmes sont employées au triage des charbons, descendant sur une trémie ; elles l’effectuent rapidement. Les débris trop petits et les poussières, amalgamés avec du goudron de bouille et passant entre de puissantes machines, servent à fabriquer ces petits boulets ovoïdes dont l’usage se répand chaque jour. Tout cela donne au petit village de la Motte-d’Aveillans une activité réelle.

Les mines de la Motte, l’usine de préparation des anthracites et des boulets et les mines de Peychagnard occupent 900 ouvriers, celles de Notre-Dame-de-Vaux en ont 100 ; il y en a autant à Pierre-Châtel et dans les autres mines, soit, en tout, 1, 200 ouvriers pour cet intéressant bassin.

Il ne serait pas impossible d’accroître la production sans les frais de transport fort élevés qui rendent difficile aux charbons de la Mure l’accès de Lyon et de la vallée du Rhône. La différence de largeur de voie ne permettant pas aux wagons du réseau de Lyon de monter-aux mines, il y a des opérations de chargement et de déchargement fort onéreuses ; à Saint-Georges-de-Commiers, le droit de transit s’élève à 60 centimes par tonne. Les charbons, soumis à un transbordement, s’effritent. Si l’on ajoute qu’il n’y a pas de tarifs spéciaux, on comprendra que la Mure ne puisse lutter contre le puissant bassin de Saint-Étienne et doive se borner à un étroit rayon. Il est vrai que l’importance de la ville de Grenoble, les nombreuses carrières de ciments, les fours à chaux et le chauffage hivernal dans ces hautes régions sont un débouché qui ne saurait être enlevé.

La mine de la Motte, présentant à la grande Draye un filon de cinq mètres d’épaisseur, est la plus belle mine de toutes les Alpes françaises ». Elle n’occupe guère que des ouvriers du pays, possesseurs d’une maison et de champs, à qui le travail de la mine assure l’aisance.

Le chemin de fer a bien modifié les conditions d’existence de la mine. Jadis, on entassait le charbon à la sortie des galeries et il était vendu sur place aux charretiers qui le conduisaient à Grenoble, à Vizille et dans les autres villes du pays où de véritables marchés au combustible s’installaient. Le commerce a bien perdu de ces mœurs primitives.

Au delà des usines de la Motte, la voie ferrée traverse, par un tunnel de plus de 1, 000 mètres, le col de la Festinière et atteint, à 925 mètres, le haut plateau de la Mateysine. On découvre alors cette belle plaine, encadrée de montagnes neigeuses sur lesquelles trône le majestueux Obiou. La voie ferrée court au pied du mont Sagnereau, dans les flancs duquel s’ouvrent les mines de Peychagnard. Des plans inclinés barrent la montagne et relient les galeries au chemin de fer qui transportera les charbons à l’usine de la Motte. Le paysage, grâce à ces nombreux tronçons de voie ferrée, a pris ici un caractère industriel marqué. De hauts tas de déblais annoncent l’entrée des galeries.

Une station dessert Peychagnard et joue le rôle de gare de transit entre les usines et la voie ferrée. C’est la dernière ; quelques minutes après, nous nous arrêtons à la gare de la Mure, point terminus de ce curieux chemin de fer.

  1. Notice sur les ciments par M. F. Cambessedès, professeur à l’école des maîtres mineurs de Douai.