Le jeu de la loterie est une véritable fureur en Italie et surtout à Naples, car les passions italiennes sont au superlatif dans l’âme du Napolitain. Sur quatre boutiques il y a au moins un bureau de lotto ; c’est comme les cabarets en France. Une population sans pain et sans chemise qui vit jusqu’au lendemain avec un sou, apporte par an quatre ou cinq millions de francs dans le tonneau des Danaïdes. La veille du tirage, six personnes établies à chaque comptoir suffisent à peine à la distribution des billets. On présente aux joueurs toutes sortes d’appâts. Le bureau est orné de festons magnifiques. Des guirlandes de toutes les couleurs fascinent le passant et lui offrent des ternes bigarrés comme des arlequins. Aimez-vous le rouge ? Mettez votre argent sur les numéros rouges. Préférez-vous le jaune ? Votre fortune est faite ; voilà un terne jaune comme de l’or. Souvent on aperçoit, au fond du bureau, dans un transparent, trois numéros bien meilleurs que les autres, couronnés de fleurs, avec inscription : Ecco la vera sorte ! C’est l’administration elle-même qui, par désintéressement, vous annonce d’avance le résultat du tirage : comment pourriezvous douter du succès ? Il faudrait n’avoir pas d’argent dans sa poche et, à la vérité, on n’a pas toujours deux carlins pour faire sa fortune, autrement on serait riche samedi prochain.
Au moyen du livre de la Smorfia, tout peut se convertir en mise à la loterie. C’est un vocabulaire des substantifs avec un numéro en regard de chaque mot. Que la chose dont vous êtes frappé vous vienne par rencontre fortuite, ou en rêve, ou par la conversation, vous pouvez jouer à coup sûr le chiffre qui lui correspond dans le livre. Les plus heureux et les plus recherchés de ces numéros sont ceux des accidents, meurtres et sinistres. S’il y a un incendie quelque part, la loterie est assiégée ; tout le monde veut jouer le même jeu. On est obligé de limiter les mises et, quand ce numéro si demandé a fait, comme on dit, sa dot on ne délivre plus de billets. Tant pis pour celui qui arrive trop tard. Dans ces moments de crise, l’administration n’est pas sans inquiétude. Un caprice du hasard lui enlèverait une somme énorme. Même dans les Etats romains, les bureaux de loterie sont ouverts le dimanche, quand toutes les boutiques sont fermées. Le dormeur qui se lève à midi ne trouve plus un café où il puisse manger ; mais il a le droit de mettre le prix de son déjeuner sur un terne. Ce n’est pas seulement la Smorfia qui vous excite à jouer ; des mises vous sont fournies par une foule de gens. Si vous achetez une boîte d’allumettes, vous y trouverez des vers italiens qui vous recommandent la loterie : strada sicura ad arrichire è il lotto. C’est le chemin sûr de la richesse. Suivent trois numéros garantis excellents par le marchand.
Moitié par badinage et moitié sérieusement, les gens du monde cultivent aussi la loterie. On a chez soi le livre magique et on ne fait pas un rêve sans le consulter. J’ai vu une dame élégante et spirituelle s’amuser à feuilleter la Smorfia, se monter peu à peu la tête et envoyer un domestique au bureau de loterie avec une piastre et trois numéros inscrits sur un papier. Dans les jours néfastes marqués par un accident ou un crime, on commence par déplorer le malheur et puis on s’en console, en essayant si la vera sorte ne serait pas cachée dessous.
Le samedi, à cinq heures du soir, le tirage de la loterie se fait avec une solennité imposante. La magistrature et le clergé y sont représentés par des personnages respectables. Un prêtre bénit l’urne où sont les numéros et un enfant procède au tirage. C’est un moment d’émotion, non seulement dans l’assemblée, mais par toute la ville. La foule est haletante. Ceux qui se croyaient assurés de gagner poussent des cris lamentables. Les cris de joie sont infiniment plus rares. Des facchini attendent l’apparition du dernier numéro pour porter la nouvelle dans les rues. Ils courent de toutes leurs forces, remettent la liste à n autre facchino posté à un certain relais et qui part à son tour aussi vite qu’il peut aller. En un instant, le tirage est connu dans tous les quartiers de Naples. Afin de mesurer la promptitude de ces télégraphes vivants, un de mes amis prit une voiture au sortir de la séance et se fit mener au galop jusqu’à la place du Vieux-Marché ; il y trouva les numéros affichés devant un bureau de loterie.
Il y a deux sortes de gens qui se trompent également dans leurs jugements sur l’Italie : ceux qui croient aux traditions et ceux qui adoptent le contre-pied, par amour du paradoxe. Selon les premiers, l’Italie serait un coupe-gorge ; pas une grande route ne serait sûre ; des brigands partout ; des jaloux, le poignard à la main derrière toutes les tapisseries, des stylets dans toutes les manches d’habit, du poison dans les bouteilles, des trappes sous le plancher des chambres d’auberge, des in-pace dans tous les couvents, un assassin déguisé sous la figure débonnaire du vetturino ou du cameriere, des cavaliers servants et des sigisbées à côté de toutes les dames. Cette Italie de convention n’existe que dans les romans d’Anne Radcliffe qui l’inventa dans les brouillards de la Tamise.
Au contraire, selon les amis du paradoxe, il n’y aurait pas un brigand, ni un passage périlleux, ni un voleur de mouchoirs, ni un donneur de coltellate. Jamais une chaise de poste n’aurait été arrêtée dans les rochers de Terracine. Les Calabrais seraient des bergers de Florian. Pour peu que la discussion s’animât, on en viendrait à nier l’existence de la Calabre elle-même. Quant aux Abruzzes, on y pourrait circuler comme sur la route de Bourg-la-Reine. On n’y aurait jamais vu un ours ; les buffles viendraient manger dans la main du passant. La tarentule et le scorpion seraient des animaux fabuleux et les mots de sigisbée ou de patito des fables inconnues en Italie. La cause de ces différences d’opinion est facile à comprendre. Chacun décide que le pays est invariablement tel qu’il l’a vu et nie ce qu’il n’a pas rencontré. Celui-ci, à qui on a volé une malle, se croit au milieu d’un peuple d’assassins et de brigands ; mais le voisin, qui trouve le compte de ses bagages, refuse de croire aux voleurs. Après une bonne fortune de rencontre, on se regarde comme le vainqueur de toutes les belles ; un autre, qui n’a pas eu de succès, sauve son amour-propre en disant que les dames de ce pays-là sont invincibles. Victor Jacquemont, le plus aimable des voyageurs, se moqua des tempêtes jusqu’au jour où l’Océan, irrité, le fit repentir de son insolence. Il nia aussi les bêtes féroces, jusqu’au moment où un tigre vint enlever un de ses domestiques, à deux pas de lui.
J’aurais été volontiers pour les faiseurs de paradoxes et je pensais déjà de Naples comme Jacquemont de l’Océan et des Indes. Un beau jour, on me vola deux mouchoirs en moins d’une heure dans la rue de Tolède. Je ne mis plus rien dans mes poches de derrière et je pardonnai à mes deux larrons à cause de leur adresse. Le 18 mars, dans la rue de Chiaja, on fustigea publiquement trois brigands nocturnes qui avaient assommé un passant la nuit précédente. On leur distribuait à chacun cent coups de bâton, comme avance sur le résultat de leur procès. Mon incrédulité commençait à s’ébranler. Peu de temps après, un homme charitable ayant averti un étranger qu’on lui volait son mouchoir, reçut un coup de couteau d’un second voleur qui lui reprocha de se mêler des affaires des autres et qui fit une retraite honorable à travers la foule, saisie de respect. Ma confiance diminuait sensiblement. Avant de partir pour la Sicile, j’appris qu’un Français venait d’être arrêté près de Taormine et absolument dépouillé. Si quelqu’un de mes compatriotes, fraîchement arrivé par le bateau de Marseille, m’avait vu alors armé d’une canne à épée, il se serait probablement moqué de moi et, au bout d’un certain temps, je l’aurais retrouvé avec des pistolets dans ses poches. Pendant deux mois, le hasard ne me fit pas rencontrer la figure classique et surannée du cavalier servant. Il se présenta un matin, assis dans une barque à côté d’une grosse dame romaine et j’eus le loisir de lui voir jouer son rôle de femme de chambre aux petits soins. Mon ami, le Comte de M… partit un jour pour la chasse aux ours avec un guide, homme fort intéressant à écouter et qui, par suite de petits démêlés avec la justice, ne sortait pas volontiers des Abruzzes. Cet honnête chasseur avait trois homicides sur la conscience et les supportait patiemment. A Naples, il s’enveloppait de mystère ; mais une fois dans les montagnes, il parlait volontiers et se vantait de ses trois prouesses comme d’autant de coups de maître.
Dans tous les pays, les brigands sont encore assez rares et n’en rencontre pas qui veut ; aussi, je confesse que je n’aurais pas mis, à rechercher un archiprêtre, autant d’empressement qu’à me lier intimement avec notre ami le bandit des Abruzzes, dont je respecte trop les secrets pour vouloir les trahir. On m’a raconté que, sous le dernier roi de Naples, après quelques exécutions sévères, une amnistie avait été publiée, à la suite de laquelle des officiers convoquèrent les chefs de brigands à un banquet. Les invités se présentèrent et se mirent à table avec confiance. Au dessert, sur un signal donné, les troupes royales parurent et massacrèrent impitoyablement les convives. Ce fut un coup terrible pour le brigandage et dont il eut de la peine à se relever. Malgré tout le fruit que le royaume de Naples a pu tirer de cette purgation violente et le service incontestable rendu aux voyageurs à venir, malgré le grand nombre des crimes prévenus, c’est un beau sujet à discuter que cette question : la parole d’un prince doit-elle être sacrée, même lorsqu’elle est donnée à des brigands ? Louis XIV aurait dit oui. Louis XI, moins glorieux et plus utile à son peuple, n’aurait pas manqué de répondre non.
Si les exécutions du Général Manès et les festins insidieux ont exterminé le brigandage, ils n’ont pas nui du moins à la mendicité. Des bandes de malheureux vous ferment le passage en demandant l’aumône, les uns avec des cris plaintifs, les autres plus gaiement, avec des grimaces et des gambades. A Ischia, on n’entend, d’un bout à l’autre de l’île, que ce mot répété à l’infini : « Signor, baïocco ! » Le paysan portant ses légumes au marché arrête son âne pour vous tendre la main. Une jolie fille, montrant sa tête virginale par une fenêtre encadrée dans la vigne, vous sourit gracieusement et demande un baïoc. Les enfants, presque au maillot, balbutient déjà la formule, aidés par leurs parents. Dans les rues de Naples, la nuit, les sentinelles murmurent timidement pour demander un piccolo regaglio. Les pauvres ne sont pas honteux. Vous ne trouveriez pas facilement, comme en France, de ces malheureux fiers et désespérés qui dévorent leur infortune en silence et qui font lever matin les cœurs charitables. Le Napolitain accepte l’indigence avec moins de peine, l’étale dans la rue aux yeux du public et tire le plus de parti possible de son malheur. Parmi les pauvres de profession, quelques-uns ont une supériorité de talent dont nos mendiants n’approcheront jamais. Ce ne sont pas, comme chez nous, des litanies monotones qui endurcissent le passant au lieu de le toucher. Pour la variété des discours, la beauté des intonations, la puissance des gestes, le mendiant napolitain est un véritable artiste. Sur le quai de la Victoire, dans un angle où le soleil donne en toutes saisons, il y avait un homme qui aurait pu se faire professeur d’éloquence en matière de mendicité. Aussitôt que la faim le tirait de son demi-sommeil, il avisait d’un œil sagace le premier étranger envoyé par le hasard et ne le quittait point sans obtenir ce qu’il fallait pour déjeuner. La première fois qu’il me fit l’honneur de me distinguer, ne me connaissant pas encore, il essaya d’abord le terrain en homme habile.
— Signor, me dit-il, venez à mon secours, au nom de votre patron qui doit être un des saints les plus estimés du paradis et qui aura soin de répéter vos bonnes actions aux oreilles du Seigneur ! Au nom de sainte Marie-Nouvelle ! C’est un grand titre, dans le ciel, que faire l’aumône en son nom !
La dévotion à sainte Marie-Nouvelle n’étant pas mon endroit le plus vulnérable, l’orateur changea aussitôt ses batteries :
— Signor, reprit-il, votre excellence est étrangère, bien éloignée de son pays. Au nom de la patrie où elle est née !
C’eût été dommage d’interrompre le discours en mettant la main à la poche ; je feignis de rester insensible.
— Votre seigneurie a une famille, poursuivit le mendiant, une mère qui soupire de son absence et des amis qui souhaitent son retour.
Par un grand effort sur moi-même, je demeurai inébranlable.
— Eh quoi ! s’écria mon homme, votre seigneurie m’abandonne quand elle pourrait me rendre heureux avec si peu de chose ! Hélas ! elle ne sait pas ce que c’est que de souffrir et d’avoir besoin des autres.
Le mouvement oratoire promettait d’être brillant, mais je pensais qu’il y aurait de la cruauté à faire attendre plus longtemps la récompense due au génie. Vers le soir, en passant au quai de la Victoire, j’aperçus mon mendiant étalé sur la dalle comme un serpent qui digère ; il jouissait des derniers rayons du soleil couchant et ne se serait pas dérangé pour un empire.
Dans l’Italie entière, excepté dans le royaume lombardo-vénitien, qui n’abuse pas des taxes, les polices des passeports poussent jusqu’à l’enthousiasme le goût des contributions. Vous croiriez qu’on vous soupçonne d’apporter la peste au lieu d’argent, si vous preniez pour des difficultés sérieuses les pas et démarches qu’on exige. Heureusement, ce n’est pas à vous-même qu’on en veut, c’est seulement à vos piastres. Il faut payer pour entrer dans une ville, pour la traverser, pour y séjourner plus de trois jours, pour des visa, pour une carte de sûreté pour des reçus, des permissions de retirer le passeport d’un bureau et le présenter à un autre bureau où on paye encore. Lorsque vous voulez partir, c’est une cérémonie à recommencer et le facchino que vous chargez de toutes ces commissions exagère ses fatigues afin de mériter une plus grosse récompense. De jeunes artistes, avec leur modeste budget, ont assurément dépensé, à la fin d’un voyage en Italie, plus d’un mois de leur pension en frais de passeport, sans compter les bonnes-mains à donner aux facchini. Vous ne traversez pas une ville, un village, une bourgade, sans exhiber vos papiers et régaler le soldat qui vous les rapporte. J’ai compté ainsi jusqu’à onze timbres et visa dans un seul jour. Mon passeport était devenu un volume relié, plus illustré que le non picol’libro, où Leporello inscrit les bonnes fortunes de Don Juan. Quand il s’agit d’argent, on ne se pique point de discrétion.
Naples a toujours joué un rôle important dans le mouvement intellectuel du monde. Elle occupera un rang plus honorable encore aussitôt qu’on essayera de donner une direction utile à la somme d’intelligence qui se gaspille sans but et sans résultat. On voit, par la revue mensuelle et volumineuse appelée le Progresso, que les sciences, la littérature et la critique ne demandent qu’à prendre leur essor. Il leur manque une condition indispensable, la liberté de parler sans crainte et sans préoccupation. Il faudrait que le profond M. Galuppi ne fut pas obligé de peser ses mots et de renfermer in petto une partie de ses idées philosophiques. Le savant M. Melloni devrait avoir la chaire de physique qui est occupée par un médecin. Il faudrait garder une foule de gens distingués qui s’en vont chercher fortune hors de leur pays. Le grand-duc de Toscane, dans un voyage à Naples, a enlevé plusieurs jeunes savants qui sont fixés aujourd’hui à Pise et à Florence. Il y avait autrefois quatre bibliothèques publiques ; elles sont à présent réduites à trois ; l’un des conservateurs a vendu tranquillement une partie des livres confiés à sa garde. Les catalogues ne vont pas au-delà de l’année 1808, en sorte qu’on ne sait pas au juste ce que ces bibliothèques renferment. On y trouverait des matériaux très précieux.
Le journal littéraire le Salvator Rosa, rédigé par des hommes d’esprit, se borne la plupart du temps à parler de bagatelles. La censure effraye et décourage les écrivains de talent, les poètes et les auteurs dramatiques. Le public napolitain est si impressionnable et si passionné qu’une révision est peut-être nécessaire ; il la faudrait seulement tolérante et éclairée. L’histoire de Guillaume Tell, par exemple, me paraît un fait trop rebattu pour mériter la colère des ciseaux ; cependant, lorsqu’on voulut jouer le chef d’œuvre de Rossini, le poème fut obligé de se soumettre à des changements peu conformes à la vérité des chroniques. Au lieu de tuer Gessler au dénouement, l’insubordonné Guillaume était arrêté par les gendarmes et conduit en prison. Pour présenter le Gustave de M. Auber, on devait faire pulvériser Ankastrom par le roi de Suède ; mais la pièce fut abandonnée. Le duel est puni avec une rigueur extrême à Naples. Dans la traduction de Gabrielle de Vergy, on ne voulut pas admettre le combat entre Fayel et Coucy. Le traducteur proposa de remplacer le duel par un assassinat. On trouva que la chose serait d’un meilleur exemple et Fayel poignarda traîtreusement son rival avec guet-apens. Les danseuses de l’Opéra sont forcées de porter, sous leurs robes, une espèce de culotte courte en satin vert d’un effet affreux. La sylphide Taglioni ne consentirait pas à paraître avec ce costume qui choque les yeux comme la queue de poisson des sirènes. Je gagerais bien qu’on ne la verra point à San Carlo tant que cet article du règlement ne sera pas réformé. L’ordonnance célèbre qui, sous la restauration, fit allonger les robes des danseuses a prouvé que par ces belles mesures on améliore fort peu les mœurs. Dans ce temps-là, les directeurs des beaux arts n’en savaient pas long, puisqu’ils ignoraient que la décence est dans la personne et le jeu de l’artiste et non pas dans la coupe de ses jupons.
Depuis quelques années, les théâtres de Naples ont eu un surcroît d’embarras. Le mot Dieu, le mot enfer et plusieurs autres, considérés comme essentiellement chrétiens, sont bannis de leur vocabulaire. On ne peut plus les prononcer sur la scène ; le théâtre, étant païen, ne doit user que du dictionnaire antique. Que vont devenir les Ô dio ! ces pierres fondamentales du récitatif ? Que deviendront les phrases toutes faites ? On ne pourra donc plus avoir l’enfer dans le cœur ? Il faudra donc que les auteurs de libretti cherchent des paroles nouvelles, qu’ils aient des idées, se creusent d’autres ornières ou se servent de mots divers pour exprimer des sentiments différents ? C’est exposer l’art à une mort subite. Certes, il est nécessaire que la religion soit respectée ; mais avec cette susceptibilité extrême et cette manière matérielle d’envisager les choses, les spectacles sont perdus. Ce n’est pas que la religion soit sombre ni violente en Italie. Nulle part au monde elle ne paraît plus aimable. Elle ne prend jamais cette physionomie colérique ou affligée que le malheur lui a laissée en France. Les séminaires ne sont pas comme chez nous des gymnases où on se prépare à la bataille. On voit une multitude de jeunes abbés, chaussés de grandes bottes à l’écuyère, le visage épanoui par la bonne humeur et l’air tout à fait cavalier, qui ne craignent point de se promener dans la compagnie des dames, de fréquenter les cafés, de rire ou de se divertir en public. Personne ne songe à leur en faire un crime. L’Eglise a cette douceur et cette bienveillance que donnent la santé, la puissance et la richesse et, quand les cloches de la paroisse appellent les fidèles au salut, le jeudi soir, c’est par un carillon à cinq notes, sur un air agréable et gai. Espérons donc que cette colère passera et que les pauvres théâtres en réchapperont.