Voyage en Orient (Nerval)/Introduction/II

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Calmann Lévy (Œuvres complètes de Gérard de Nerval, II. Voyage en Orient, Ip. 5-7).

ii — LA MESSE DE VÉNUS


L’Hypnérotomachie nous donne quelques détails curieux sur le culte de la Vénus Céleste dans l’île de Cythère, et, sans admettre comme une autorité ce livre où l’imagination a coloré bien des pages, on peut y rencontrer souvent le résultat d’études ou d’impressions fidèles.

Deux amants, Polyphile et Polia, se préparent au pèlerinage de Cythère.

Ils se rendent sur la rive de la mer, au temple somptueux de Vénus Physisoé ? Là, des prêtresses, dirigées par une prieuse mitrée, adressent d’abord pour eux des oraisons aux dieux Foricule, Limentin, et à la déesse Cardina. Les religieuses étaient vêtues d’écarlate, et portaient, en outre, des surplis de coton clair un peu plus courts ; leurs cheveux pendaient sur leurs épaules. La première tenait le livre des cérémonies ; la seconde, une aumusse de fine soie ; les autres, une châsse d’or, le cécespite ou couteau du sacrifice, et le préféricule, ou vase de libation ; la septième portait une mitre d’or avec ses pendants ; une plus petite tenait un cierge de cire vierge ; toutes étaient couronnées de fleurs. L’aumusse que portait la prieuse s’attachait devant le front à un fermoir d’or incrusté d’une ananchite, pierre talismanique par laquelle on évoquait les figures des dieux.

La prieuse fit approcher les amants d’une citerne située au milieu du temple, et en ouvrit le couvercle avec une clef d’or ; puis, en lisant dans le saint livre à la clarté du cierge, elle bénit l’huile sacrée, et la répandit dans la citerne ; ensuite elle prit le cierge, et en fit tourner le flambeau près de l’ouverture, disant à Polia : « Ma fille, que demandez-vous ? — Madame, dit-elle, je demande grâce pour celui qui est avec moi, et désire que nous puissions aller ensemble au royaume de la grande Mère divine pour boire en sa sainte fontaine. » Sur quoi, la prieuse, se tournant vers Polyphile, lui fit une demande pareille, et l’engagea à plonger tout à fait le flambeau dans la citerne. Ensuite elle attacha avec une cordelle le vase nommé lépaste, qu’elle fit descendre jusqu’à l’eau sainte, et en puisa pour la faire boire à Polia. Enfin, elle referma la citerne, et adjura la déesse d’être favorable aux deux amants.

Après ces cérémonies, les prêtresses se rendirent dans une sorte de sacristie ronde, où l’on apporta deux cygnes blancs et un vase plein d’eau marine, ensuite deux tourterelles attachées sur une corbeille garnie de coquilles et de roses, qu’on posa sur la table des sacrifices ; les jeunes filles s’agenouillèrent autour de l’autel, et invoquèrent les très-saintes Grâces, Aglaïa, Thalia et Euphrosine, ministres de Cythérée, les priant de quitter la fontaine Acidale, qui est à Orchomène, en Béotie, et où elles font résidence, et, comme Grâces divines, de venir accepter la profession religieuse faite à leur maîtresse en leur nom.

Après cette invocation, Polia s’approcha de l’autel couvert d’aromates et de parfums, y mit le feu elle-même, et alimenta la flamme de branches de myrte séché. Ensuite elle dut poser dessus les deux tourterelles, frappées du couteau cécespite, et plumées sur la table d’anclabre, le sang étant mis à part dans un vaisseau sacré. Alors commença le divin service, entonné par une chantresse, à laquelle les autres répondaient ; deux jeunes religieuses placées devant la prieuse accompagnaient l’office avec des flûtes lydiennes en ton lydien naturel.

Chacune des prêtresses portait un rameau de myrte, et, chantant d’accord avec les flûtes, elles dansaient autour de l’autel pendant que le sacrifice se consumait.

Je viens de résumer, à l’intention des artistes, les principaux détails de cette sorte de messe de Vénus.

Nous verrons quelles autres cérémonies se faisaient à Cythère même, dans ce royaume de la maîtresse du monde, — Κυποια Κυθηπειων ϰαὶ εανθου ϰοσμου — aujourd’hui possédé par cette autre dominatrice charmante, la reine Victoria.