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Waverley/Chapitre XXXI

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Waverley ou Il y a soixante ans
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 5p. 263-272).


CHAPITRE XXXI.

UN INTERROGATOIRE.


Le major Melville de Cairnvreckan, gentilhomme déjà sur l’âge, qui avait passé sa jeunesse au service, reçut M. Morton avec beaucoup d’amitié, et notre héros avec une politesse que les circonstances où se trouvaient Édouard rendaient roide et contrainte.

Le major s’informa de la blessure qu’avait reçue le forgeron ; comme elle était fort légère, et qu’Édouard n’avait agi que dans un cas de légitime défense, le major jugea qu’il devait borner le châtiment de Waverley à une petite somme, déposée entre ses mains, pour soulager le blessé.

« Je souhaiterais, monsieur, continua-t-il, qu’ici se bornât mon devoir ; mais je suis forcé de vous adresser quelques questions sur les motifs de votre voyage, à cette époque de troubles et d’agitation. »

M. Ebenezer Cruickshanks s’avança en ce moment, et communiqua au magistrat tout ce qu’il savait ou conjecturait, d’après la réserve de Waverley et les réponses évasives de Callum Beg. Il connaissait, disait-il, le cheval que montait Édouard pour appartenir à Vich-Jan-Vohr ; il n’osait pas en affirmer autant de l’homme qui accompagnait auparavant Édouard, dans la crainte que quelque nuit sa maison et ses étables ne fussent incendiées par cette race maudite des Mac-Ivor. Il termina en appuyant beaucoup sur les services qu’il croyait rendre à l’Église et à l’État, ayant été l’instrument, avec l’aide de Dieu, comme il le disait modestement, au moyen duquel avait été arrêté le redoutable et dangereux délinquant. Il insinua qu’il espérait être récompensé, et en attendant être dédommagé immédiatement de la perte de son temps, et même du tort qu’il avait fait à sa réputation en voyageant pour le service du public un jour de fête.

Le major Melville répondit avec un grand sang-froid que, loin de se prévaloir de sa conduite en cette circonstance, M. Cruickshanks devait se trouver bien heureux s’il échappait à une forte amende, pour n’avoir pas, conformément à la proclamation récemment publiée, rendu compte au magistrat le plus voisin de tous les étrangers qu’il avait reçus dans son auberge ; que M. Cruickshanks, faisant sonner bien haut son attachement à la religion et au roi, il n’attribuait pas sa conduite à la désaffection, mais qu’il ne pouvait s’empêcher de croire que le zèle de M. Cruickshanks pour l’Église et pour l’État avait cédé à la tentation de faire payer à un étranger le loyer de son cheval deux fois plus qu’il ne valait ; qu’en définitive, se trouvant incompétent pour prononcer tout seul sur la conduite d’une personne aussi importante, il laisserait le soin de la juger à la prochaine session des juges de paix du comté. L’aubergiste du Chandelier d’or se retira confus et mécontent : notre histoire ne fait plus mention de lui.

Le major Melville ordonna aux villageois de s’en retourner chez eux, il n’en retint que deux qui faisaient l’office de constables, et auxquels il commanda d’attendre en bas. Tout le monde retiré, il ne resta donc dans la chambre que M. Morton, qui demeura sur l’invitation du major, une espèce d’homme d’affaires qui servait de greffier, et Waverley lui-même. Un silence pénible et embarrassé dura pendant quelques instants ; enfin le major, après avoir regardé Waverley avec compassion, et consulté à diverses reprises son papier ou memorandum qu’il tenait à la main, lui demanda son nom. — « Édouard Waverley. » — « C’est ce que je pensais ; dernièrement dans le… régiment de dragons, neveu de sir Waverley de Waverley ? » — « Oui, monsieur. » — « Jeune homme, je suis bien affligé d’avoir à remplir un si pénible devoir. » — « Si c’est un devoir, major Melville, vous n’avez pas besoin d’excuses. » — « Vous avez raison, monsieur. Permettez-moi donc de vous demander de quelle manière vous avez employé votre temps depuis que vous avez obtenu l’autorisation de quitter votre régiment, il y a quelques mois, jusqu’à ce moment. »

« Ma réponse à une question si générale, dit Waverley, dépendra de la nature des charges qui vous portent à m’interroger. Je demande à connaître quelles sont ces charges, et quelle autorité m’impose le devoir de vous répondre ? » — « Ces charges, monsieur Waverley, je le dis avec peine, sont bien graves ; elles vous attaquent et comme soldat et comme sujet : en la première qualité, vous êtes accusé d’avoir répandu l’indiscipline et l’esprit de rébellion parmi les hommes que vous commandiez ; de leur avoir donné l’exemple de la désertion, en prolongeant votre absence du régiment, au mépris des ordres formels de votre colonel ; comme sujet, vous êtes accusé de haute trahison et d’avoir pris les armes contre le roi, le plus grand crime dont un homme puisse se rendre coupable contre son souverain. — « Et quelle autorité m’impose le devoir de répondre à de si odieuses calomnies ? » — « Une autorité à laquelle vous devez respect et obéissance. »

Il remit dans les mains de Waverley un mandat de la cour criminelle d’Écosse, en bonne forme, pour arrêter et détenir la personne d’Édouard Waverley, esquire, suspect de menées contre le gouvernement, et autres crimes d’état et actes de trahison.

L’étonnement que Waverley laissa paraître à cette lecture fut attribué, par le major Melville, au trouble d’une conscience coupable, mais M. Morton était plus enclin à ne le considérer que comme la surprise de l’innocence injustement accusée. Il y avait quelque chose de vrai dans les conjectures de l’un et de l’autre : quoique Édouard au fond du cœur se sentît innocent du crime qu’on lui imputait, cependant, en jetant un rapide coup d’œil sur sa conduite passée, il reconnut qu’il ne pourrait, sans grande difficulté, se justifier aux yeux des autres.

« C’est une circonstance déplorable, dans cette affaire toute pénible pour moi, dit le major Melville après un moment de silence, que je sois obligé, vu la gravité des soupçons qui pèsent sur vous, d’exiger communication de tous les papiers dont vous êtes porteur.

« Volontiers, monsieur, sans réserve, dit Édouard en mettant sur la table son portefeuille et son agenda ; cependant il y a un papier que je vous prierai de ne point examiner. » — « Je suis désolé, monsieur Waverley, de ne pouvoir vous accorder cette demande. « — « Vous verrez donc cette pièce, monsieur ; mais comme elle ne peut être d’aucune utilité, je vous prierai de me la remettre. »

Il tira de son sein les vers qu’il avait reçus le matin, et les présenta avec leur enveloppe. Le major les lut en silence, et les passa à son clerc pour qu’il en tirât copie. Il plaça cette copie dans l’enveloppe, mit le tout devant lui sur la table, et repassa l’original à Waverley avec un air grave et triste.

Après avoir donné au prisonnier (car nous pouvons maintenant regarder notre héros comme prisonnier) le temps nécessaire pour qu’il pût recueillir ses idées, le major Melville reprit son interrogatoire. Il commença par dire que M. Waverley se plaignant des questions générales, il lui en adresserait d’aussi spéciales qu’il serait possible, d’après les renseignements qu’il possédait sur l’affaire. Il continua donc son interrogatoire, ayant soin de répéter et ses demandes et les réponses de l’accusé au greffier, qui consignait les unes et les autres par écrit. — « Connaissez-vous, monsieur Waverley, un nommé Humphry Houghton, sous-officier dans les dragons de Gardiner ? » — « Certainement ; il était brigadier de ma compagnie, et fils d’un des fermiers de mon oncle. » — « C’est cela. Et il avait une grande part dans votre confiance, et beaucoup d’influence sur ses camarades. »

« Je n’ai jamais accordé ma confiance à un homme de cette condition, répondit Waverley. J’aimais le brigadier Houghton comme un garçon plein d’intelligence et d’activité, et je crois que ses camarades l’estimaient à cause des mêmes qualités. » — « Mais c’est l’intermédiaire dont vous vous serviez pour communiquer avec les soldats de votre compagnie qui avaient été recrutés à Waverley ? » — « Oui, sans doute. Ces pauvres gens se trouvant dans un régiment presque entièrement composé d’Irlandais et d’Écossais, s’adressaient à moi dans tous leurs petits malheurs, et naturellement ils choisissaient un compatriote et un brigadier pour orateur en de pareilles occasions. »

« Le brigadier Houghton, continua le major, avait donc surtout de l’influence sur les jeunes gens des domaines de votre oncle qui vous avaient suivi au régiment ? » — « Sans doute. Mais qu’y a-t-il de commun entre cela et mon arrestation ? » — « C’est ce que je vais vous apprendre ; et je vous prie de me répondre avec la plus entière franchise. N’avez-vous, depuis que vous avez quitté le régiment, entretenu aucune correspondance, directe ou indirecte, avec le brigadier Houghton ? » — « Moi, entretenir une correspondance avec un homme de cette condition et de ce grade ! Comment et pourquoi ? » — « C’est à vous de l’expliquer. Mais ne lui avez-vous pas écrit pour lui demander quelques livres ? » — « Vous me faites souvenir d’une commission que je donnai au brigadier Houghton, parce que mon domestique ne savait pas lire. Je me rappelle lui avoir ordonné par une lettre de se procurer certains livres dont je lui envoyai la liste, et de me les expédier à Tully-Veolan. » — « Et de quelle nature étaient ces livres ? » — « C’étaient, pour la plupart, des ouvrages de littérature ; ils étaient destinés aux lectures d’une dame. » — « Ne se trouvait-il pas, dans le nombre, monsieur Waverley, des écrits contre le gouvernement et des pamphlets ? » — « Il y avait quelques traités sur des matières politiques, auxquels je donnai à peine un coup d’œil. Ils m’avaient été adressés par l’obligeance d’un excellent ami, plus estimable pour la droiture de son cœur que pour la prudence de ses lumières en politique ; c’étaient, à ce qu’il me parut, des compositions sans aucun mérite. »

« Cet ami, continua l’opiniâtre interrogateur, était M. Pembroke, un ecclésiastique non assermenté, auteur de deux traités contre le gouvernement, dont les manuscrits ont été trouvés dans votre bagage ? »

« Mais dont, je vous en donne ma parole de gentilhomme, je n’ai jamais lu l’exposé, » répliqua Waverley. » — « Je ne suis pas votre juge, monsieur Waverley : votre interrogatoire sera transmis à qui de droit. Continuons Connaissez-vous une personne qui se nomme Wily Will, ou Will Ruthven ? » — « Voilà la première fois que j’en entends parler. » — « N’avez-vous jamais, par son intermédiaire ou par celui de tout autre, excité le brigadier Houghton à déserter avec autant de ses camarades qu’il en pourrait entraîner avec lui, afin de se joindre aux Highlandais et aux autres rebelles maintenant en armes sous les ordres du jeune Prétendant ? » — « Je vous jure que non-seulement je suis parfaitement innocent des pratiques criminelles que vous m’imputez, mais que je les déteste du fond de mon âme, et quand je devrais y gagner un trône pour moi ou pour quelque homme que ce fût, je ne me rendrais pas coupable d’une telle trahison. » — «  Cependant quand je considère cette enveloppe, de la main d’un des gentilshommes égarés qui sont maintenant en armes contre leur pays, et les vers qu’elle renferme, je ne puis m’empêcher de trouver quelque analogie entre l’entreprise dont je vous ai parlé et les exploits de Wogan, que l’auteur de l’enveloppe semble espérer que vous prendrez pour modèle. »

« Waverley fut confondu de cette coïncidence, mais il nia qu’on pût considérer les désirs ou les espérances de l’auteur de la lettre comme les preuves d’une accusation qui n’avait aucun fondement. » — « Mais, si je suis bien informé, votre temps, durant votre absence du régiment, a été partagé entre la maison de ce chef de montagnards et celle de monsieur Bradwardine de Bradwardine, qui a aussi pris les armes pour cette malheureuse cause ? » — « Je n’en disconviens pas ; mais je nie de la manière la plus formelle avoir eu connaissance de leurs projets contre le gouvernement. » — « Cependant vous ne nierez pas, je le présume, avoir accompagné votre hôte Glennaquoich à un rendez-vous où, sous prétexte d’une partie de chasse générale, la plupart des complices de cette trahison se réunirent pour se concerter sur les moyens et l’époque de leur soulèvement. »

« Je reconnais, dit Waverley, que j’ai assisté à cette réunion ; mais je n’ai rien vu, rien entendu qui pût me faire supposer qu’elle avait le but que vous lui donnez. »

« De là, continua le magistrat, vous allâtes avec Glennaquoich et une partie de son clan rejoindre l’armée du jeune Prétendant, et, après lui avoir présenté vos hommages, vous revîntes pour armer et enrégimenter le reste du clan, et le réunir à l’armée du prince lorsqu’elle se dirigeait vers le sud. — « Je n’ai jamais voyagé avec Glennaquoich dans une telle intention. Voici la première fois que j’entends dire que la personne que vous avez nommée est dans ce pays-ci. »

Il raconta alors en détail l’accident qui lui était arrivé à la partie de chasse ; il ajouta qu’à son retour il s’était trouvé tout à coup privé de sa commission ; il avoua qu’alors pour la première fois il avait remarqué parmi les Highlandais des symptômes qui indiquaient de leur part l’intention de prendre les armes ; il ajouta encore, que n’ayant aucune inclination pour s’associer à eux, et aucune raison de rester plus long-temps en Écosse, il retournait en ce moment dans son pays natal où il était rappelé par des personnes qui avaient le droit de diriger sa conduite, ainsi que le major Melville le reconnaîtrait par les lettres qui étaient sur la table.

Le major Melville, déférant à cette invitation, prit lecture des lettres de Richard Waverley, de sir Éverard, et de la tante Rachel ; mais les conséquences qu’il en tira n’étaient pas telles que l’espérait Waverley. Il y vit le langage de la haine contre le gouvernement, des projets de vengeance assez clairement exprimés ; et la lettre de miss Rachel, qui affirmait positivement la justice de la cause des Stuarts, parut au major une déclaration franche des sentiments que les autres n’exprimaient que d’une façon détournée.

« Permettez-moi encore une question, monsieur Waverley, dit le major Melville : n’avez-vous pas reçu plusieurs lettres de votre colonel, où il vous invitait et vous enjoignait de revenir à votre poste, et vous avertissait de l’usage qu’on avait fait de votre cachet pour semer l’esprit de mécontentement parmi les soldats ? » — « Non, major Melville. Je n’ai reçu de mon colonel qu’une lettre où il exprimait, avec beaucoup de civilité, le désir que je n’employasse pas tout le temps de mon congé à résider à Bradwardine ; ce qui, je l’avoue, me parut de sa part une recommandation un peu indiscrète ; enfin, le jour même où je lus dans la gazette que j’étais remplacé, je reçus du colonel Gardiner une seconde lettre où il m’ordonnait de rejoindre le régiment ; mais, à cause de l’absence dont je viens de vous parler, cette lettre m’arrivait quand il n’était plus temps d’y obéir. S’il y a eu quelques lettres à moi adressées par le colonel entre ces deux-là, et le noble caractère du colonel ne me permettrait pas d’en douter, elles ne me sont jamais parvenues. »

« J’ai oublié, monsieur Waverley, continua le major Melville, de vous demander des détails sur une circonstance moins importante, mais dont on a parlé dans le public à votre désavantage. On a dit qu’un toast contre le gouvernement établi ayant été proposé en votre présence, vous, officier dans les troupes de Sa Majesté, vous avez laissé à un gentilhomme de la compagnie le soin de demander raison de cet outrage. Ceci, monsieur, ne peut être le sujet d’une accusation contre vous devant une cour de justice ; mais si, comme j’en suis informé, les officiers de votre régiment vous ont demandé des explications sur un tel bruit, en votre qualité de gentilhomme et de militaire, je ne puis que m’étonner que vous ne les ayez point satisfaits. »

C’en était trop ; environné, pressé de tous côtés par des accusations dans lesquelles de grossiers mensonges se trouvaient mêlés avec des circonstances véritables, de telle sorte qu’elles ne pourraient manquer de les rendre vraisemblables ; seul, sans amis, loin de son pays, Waverley crut que c’en était fait de son honneur et de sa vie ; appuyant sa tête sur sa main, il refusa de répondre davantage aux questions du major, puisque les réponses franches et sincères qu’il avait faites jusqu’à présent avaient servi uniquement à fournir des armes contre lui.

Sans laisser paraître ni surprise ni mécontentement de la résolution de Waverley, le major Melville continua, avec un sang-froid imperturbable, à lui adresser de nouvelles questions. « Que me sert de vous répondre ? dit tristement Édouard ; vous paraissez convaincu que je suis coupable, et dans chacune de mes répliques vous découvrez une nouvelle raison en faveur de l’opinion que vous avez conçue d’avance. Jouissez donc de votre triomphe supposé, et ne me tourmentez pas davantage. Si je suis coupable de la lâcheté et de la trahison que vos soupçons font peser sur moi, je ne mérite pas que vous ajoutiez foi à aucune de mes réponses. Si ces soupçons sont injustes, et Dieu et ma conscience sont témoins qu’ils le sont, je ne vois pas pourquoi je prêterais, par ma franchise, des armes contre moi à mes accusateurs. Je ne vois donc aucune raison pour répondre un mot de plus, et je suis déterminé à persister dans cette résolution. » Et il reprit l’attitude d’un homme décidé à un silence triste et opiniâtre.

« Permettez-moi, dit le magistrat, de vous faire envisager quels avantages vous pourriez espérer d’un aveu sincère et sans réserve. Les jeunes gens sans expérience, monsieur Waverley, sont souvent la dupe des artifices d’hommes adroits et perfides : un de vos amis au moins (je veux parler de Mac-Ivor de Glennaquoich) peut être rangé parmi ces derniers, et à une des premières places. Et à votre candeur apparente, à votre jeunesse, à votre ignorance des mœurs des Highlandais, on vous placerait volontiers parmi les premiers : dans une telle position, un faux pas, un moment d’erreur comme la vôtre, que je serais heureux de pouvoir considérer comme involontaire, pourraient vous être pardonnés, et je solliciterais volontiers en votre faveur. Mais vous devez nécessairement connaître les forces des seigneurs de ce pays qui ont pris les armes, leurs moyens d’attaque, leurs plans ; j’espère donc que vous mériterez cette intercession de ma part, par une déclaration franche et sincère de tout ce qui est venu à votre connaissance sur chacun de ces sujets. Dans ce cas, je crois pouvoir vous assurer que la part que vous avez prise à ces criminelles intrigues n’aura pour vous d’autres fâcheuses conséquences que quelques jours de prison. »

Waverley écouta avec un grand sang-froid cette exhortation jusqu’à la fin ; mais se levant tout à coup avec une énergie qu’il n’avait pas fait paraître jusque-là : « Major Melville, puisque c’est là votre nom, dit-il, jusqu’à présent j’ai répondu à vos questions avec franchise, ou j’ai, avec calme, refusé d’y répondre, parce qu’elles ne concernaient que moi seul : mais, puisque vous me croyez l’âme assez basse pour me faire le délateur de ceux qui, quels que soient leurs torts politiques, m’ont reçu chez eux comme un hôte et comme un ami, je vous déclare que je regarde vos questions comme plus injurieuses mille fois que vos soupçons calomnieux ; et, puisque ma mauvaise fortune ne me laisse d’autre moyen de vous témoigner, pour le moment, de mon ressentiment qu’une défiance de vos insinuations, vous m’arracherez plutôt le cœur qu’une parole sur des choses que je ne puis connaître que grâce à l’aveugle confiance de mes généreux hôtes. »

M. Morton et le major se regardèrent : le premier, qui, dans le cours de l’interrogatoire, avait été à plusieurs fois pris d’accès de toux, fut contraint d’avoir recours à sa tabatière et à son mouchoir.

« Monsieur Waverley, dit le major, ma situation présente me défend également de faire ou de souffrir une insulte ; je ne prolongerai pas davantage une discussion qui pourrait bientôt se terminer par l’une et par l’autre. Je crains d’être obligé de signer un mandat de détention contre vous ; mais, provisoirement, ma maison vous servira de prison. Ne puis-je espérer que vous accepterez à souper avec nous ? » — Édouard secoua la tête en signe de refus. « Je ferai porter des rafraîchissements dans votre appartement. »

Notre héros salua et se retira. Deux constables le conduisirent à une chambre petite mais propre. Il ne toucha ni au vin ni aux mets qu’on lui offrit ; il se jeta sur son lit, harassé par les aventures fatigantes et par les agitations violentes de cette journée d’infortunes, et tomba dans un profond sommeil. C’était plus qu’il n’espérait lui-même ; mais on dit que les Indiens de l’Amérique du Nord, attachés au poteau ou lit de torture, dans les intervalles de leur agonie, s’endorment si profondément, qu’on ne peut les éveiller qu’en appliquant sur leurs corps des charbons ardents.