« Blessé d’une plaie inhumaine »

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Texte établi par Alfred Michiels, Adolphe Delahays (p. 149-150).


CHANSON


Blessé d’une playe inhumaine,
Loin de tout espoir de secours,
Je m’avançe à ma mort prochaine,
Plus chargé d’ennuis que de jours.
Celle qui me brûle en sa glace,
Mon doux fiel, mon mal et mon bien,
Voyant ma mort peinte en ma face,
Feint, helas ! n’y connoistre rien.
Comme un roc à l’onde marine,
Elle est dure aux flots de mes pleurs :

Et clost, de peur d’estre benine,
L’oreille au son de mes douleurs.
D’autant qu’elle poursuit ma vie,
D’ennuis mon service payant,
Je la diroy mon ennemie,
Mais je l’adore en me hayant.
Las ! que ne me puis-je distraire,
Connoissant mon mal, de la voir ?
Ô ciel rigoureux et contraire !
C’est toy qui contrains mon vouloir.
Ainsi qu’au clair d’une chandelle
Le gay papillon voletant,
Va grillant le bout de son aile,
Et perd la vie en s’esbatant ;
Ainsi le desir qui m’affole,
Trompé d’un rayon gracieux,
Fait, helas ! qu’aveugle je volle
Au feu meurtrier de vos beaux yeux.