Les Misérables (1908)/Tome 2/Notes de l’éditeur

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Œuvres complètes de Victor Hugo. [volume XI] [Section A.] Roman, tome IV. Les Misérables (édition 1908). Deuxième partie  : Cosette. Troisième partie : Marius.
Texte établi par Gustave SimonImprimerie Nationale ; Ollendorff (p. 593-620).

NOTES DE L’ÉDITEUR.




HISTORIQUE DES MISÉRABLES.


La période de 1829 à 1834 est une des plus orageuses et des plus fécondes de la vie de Victor Hugo.

Pour le théâtre c’est Marion de Lorme, Hernani, le Roi s’amuse, Lucrèce Borgia, Marie Tudor ; pour la poésie ce sont Les Orientales et Les Feuilles d’automne ; pour le roman c’est Notre-Dame de Paris.

À cette même époque, Victor Hugo conçut les Misères qu’il devait appeler plus tard les Misérables.

Tout jeune encore, il avait traversé de douloureuses épreuves, il avait dû lutter ; et, en dépit de son éducation première qui l’avait entraîné vers la royauté d’abord, vers le bonapartisme ensuite, le spectacle des injustices, l’application de lois rigoureuses avaient éveillé en lui des instincts démocratiques. Il songeait volontiers que la société n’avait pas rempli tous ses devoirs vis-à-vis des déshérités en les laissant dans l’ignorance, cette grande semeuse de mauvaises passions, qu’elle devait introduire plus de mansuétude dans ses lois et montrer plus de respect pour la vie humaine ; et, à vingt-six ans à peine, il publiait, en 1828, Le Dernier Jour d’un Condamné ; puis, en 1832, Claude Gueux ; il avait déjà, et depuis trois ou quatre ans, des notes et un plan vague de livre sur les malheureux : il était ainsi conduit, à cette même époque, à préparer un grand roman sur la misère et à se pencher vers ceux dont l’âme n’est pas pervertie, mais dont la fatalité du sort a fait des coupables d’un jour. Il a rêvé tout d’abord de donner le roman des vagabonds, des bohèmes, des abandonnés, des meurt-de-faim ; et l’échelle des pénalités autrefois si impitoyables lui semble avoir été établie par des législateurs sans indulgence pour une humanité nécessairement faillible.

Cette idée maîtresse de son roman, il la possède tout entière, mais il veut la mieux préciser, la rendre plus accessible et plus saisissante en choisissant un fait particulier, un de ces cas fréquents qu’on lit dans les journaux, l’histoire de quelque coupable qui encourt toutes les sévérités de la loi, et peut invoquer des excuses pour la faute commise ; et c’est vers 1828 ou 1829 que Victor Hugo prend des notes destinées à son roman de la misère ; le papier et l’écriture ne laissent guère de doute sur la date, car ils sont semblables au papier et à l’écriture des notes de Marion de Lorme.

Sa première intention a été de faire un livre religieux, comme il le dit dans sa préface jusqu’alors inédite, religieux « à un certain point de vue idéal, mais absolu ; indéfini, mais inébranlable ». Il a cherché : il a trouvé son héros ; il ne veut pas dire si cette histoire est « arrivée » ; comme on l’a lu dans une ébauche de préface écrite vers 1830[1], « l’important n’est pas qu’une histoire soit véritable, mais qu’elle soit vraie ». Elle était vraie en effet.

LES ORIGINES DES MISÉRABLES.

Victor Hugo avait découvert que, vers 1806, un évêque avait joué un rôle admirable dans un de ces drames de la misère. Cet évêque était Mgr Miollis, celui-là même qui devait être le Bienvenu Myriel des Misérables.

Il prit donc vers 1828 ou 1829 une note consacrée tout entière à la famille Miollis et à Mgr Miollis, évêque de Digne. Nous la reproduisons ici parce qu’on y retrouvera des détails biographiques qui figurent en partie dans le livre premier : Un Juste, et parce qu’elle fixe la date de l’origine réelle des Misérables :

Le comte Sextus-François-Alex. Miollis né 1759 à Aix. Ss-lieut. Régt Soissonnais, guerre d’Amérique, Gal Rochanteau. Siège d’York-Town. — 93 — Lieut.-colonel du bataillon des Bouches-du-Rhône. — 95 — Gal de br. armée d’Italie. — Bat le Gal Provera, fait construire à Mantoue (gouverneur) la place Virgilio. — À Gênes sous Masséna. — Gouverneur de Belle-île-en-Mer. — Monument de l’Arioste à Ferrare. — Restaure le cirque de Vérone. — Gouverneur de Rome. — Au 20 mars dirige un corps de 1200 hommes.
— Gouverneur de Metz. Retraite 1815.

Fils d’un conseiller au parlement d’Aix. Blessé à l’épaule en Italie. — Seconde Brune en Hollande. — Refuse d’adhérer au consulat à vie. — Proposé pour le Sénat. Non accepté, passe à Rome, encourage les moines de la Tolta et de Monteleone, dote l’Académie de St-Luc et réorganise celle des Arcades. — Son frère curé à Brignoles en 1804. — L’autre ancien préfet du Finistère.
Blessé d’un éclat de bombe au siège d’York-Town.

Le baron Charles-François-Bienvenu de Miollis, évêque de Digne en 1806. — Refuse de se rendre au concile de Paris convoqué par l’Empereur, et de le voir revenir de l’île d’Elbe, et n’a pas ordonné de prière publique pour N. pendant les 100 jours. — Mort évêque en 1818.

Digne. — tours carrées — vieilles murailles — Commerce de cuivre — eaux thermales bonnes pour les ankyloses et les blessures d’arme à feu.

Gaux Miollis et Radet[2]. — Nuit du 5 au 6 juillet 1809. Investissent le Quirinal. Pie VII écrivait — il résiste — Serre et donne la main au cardinal Pacca. — Est conduit à Savone. — Synode des évêques de France et d’Italie — 95 — à ND — convoqué par N. s’assemble le 17 juin 1811. — présidé par le cardinal Fesch. — À Fontainebleau. — Mort le 20 août 1823.

On remarquera que le Bienvenu Myriel des Misérables était bien en effet fils d’un conseiller au parlement d’Aix, qu’il avait été curé de Brignoles et qu’il était évêque de Digne depuis 1806, qu’il avait un frère général et un autre frère préfet. On ne pouvait donc pas s’y tromper. Mgr Miollis était si nettement désigné qu’au moment de la publication, des réclamations s’élevèrent de la part de ses descendants, qui protestèrent contre l’entretien imaginé par l’auteur entre l’évêque et le conventionnel.

Les détails biographiques étaient insuffisants, ils devaient être complétés par un exposé des idées, des doctrines, des travaux de l’évêque.

Victor Hugo, en dehors de ses recherches, utilisait les documents qui lui étaient envoyés. Nous en avons découvert un fort curieux avec ces mots en tête écrits à la main : à Mr Victor Hugo, hommage de l’auteur. C’était bien, en effet, une découverte, car il était déchiré en deux morceaux et avait été employé pour envelopper des dossiers ; sur la page blanche du verso, des notes en tous sens et de diverses écritures rappelaient des passages des Misérables.

Qu’était-ce que ce document qui portait au bas la date imprimée : décembre 1832 ?

Imaginez une grande feuille de papier très fort, ayant l’aspect d’un diplôme agrandi de bachelier, et bordée d’un cadre entourant le texte.

On lit en tête comme titre :

Sommaire de l’Exposition de la doctrine renfermée dans les saintes Écritures, définie par les conciles, expliquée par les Saints-Pères.

La doctrine catholique est en effet divisée, d’après les saintes Écritures, en livres et en chapitres avec des titres et des sous-titres.

C’est dans ce Sommaire que Victor Hugo a pris, après les avoir marqués d’une croix à l’encre, les titres : devoirs envers Dieu, envers soi-même, envers le prochain, envers les créatures, etc., avec les indications des sources ; or l’énumération de tous ces devoirs figure dans le grand travail attribué à Mgr Bienvenu, chapitre ii, la Prudence conseillée a la sagesse, du livre deuxième : La Chute.

Ce document a un grand intérêt à cause de sa date.

Vers 1830, Victor Hugo avait arrêté, mais encore confusément, le plan de son roman. Ses éditeurs étaient Charles Gosselin et Eugène Renduel. Gosselin ne pouvait que se féliciter du grand succès remporté par Notre-Dame de Paris en 1831, et désirait profiter d’une nouvelle aubaine. Un acte sous seing privé fut donc signé le 31 mars 1832. Victor Hugo vendait à ses éditeurs un roman qui devait former deux volumes in-8o. Il ne donnait ni le sujet, ni le titre ; il vendait simplement un roman. C’était évidemment celui de la misère, puisqu’à cette époque c’était le seul projeté. Mais si les grandes lignes en étaient tracées dans son esprit, il ne pouvait fixer encore le nombre des volumes. Il en prévoyait au moins deux ; plus tard l’idée devait mûrir et l’amener, comme nous le verrons plus loin, à passer de nouvelles conventions.

Pour l’instant son attention était sollicitée d’un autre côté. Après les chaudes batailles d’Hernani et de Marion de Lorme, Victor Hugo, de plus en plus attiré vers le théâtre, abandonna son roman projeté, écrivit le Roi s’amuse et Lucrèce Borgia, et les malheureux classiques effarés virent apparaître cette magnifique gerbe dont Hernani avait été la première fleur, et qui, achevée bien plus tard par les Burgraves, devait à tout jamais consacrer le théâtre romantique.

Les représentations du Roi s’amuse interdites après la première, le 10 décembre 1832, il soutint son procès contre le Théâtre-Français, continua la bataille avec Lucrèce Borgia et Marie Tudor, puis plus tard avec Angelo. Dans le cours de cette période, il donna de 1835 à 1840 les Chants du Crépuscule, Les Voix intérieures, Les Rayons et les Ombres. Puis vint la mort tragique de sa fille Léopoldine, en 1843, qui le détourna de son travail, et le roman ne fut commencé qu’en novembre 1845 ; en deux ans (1846 et 1847), l’œuvre se déroula si vite qu’il songea alors à préciser l’acte sous seing privé du 31 mars 1832, signé avec ses éditeurs Gosselin et Renduel, et il lui substitua la convention du 30 décembre 1847 visant la vente du roman en deux volumes in-8o spécifiée le 31 mars 1832.

En voici les clauses principales :

Art. Ier. Le roman que M. Victor Hugo a le projet de remettre à MM. Gosselin et Renduel, par suite et en exécution des conventions sus-rappelées, forme la première partie d’un grand ouvrage intitulé : Les Misères, qu’il compte composer. Cette première partie contiendrait sous le titre : Manuscrit de l’Évêque, un chapitre considérable et très étendu formant un traité complet de dogme et discipline ecclésiastique et censé trouvé dans les papiers d’un évêque. M. Victor Hugo ayant fait part de ce fait à MM. Gosselin et Renduel, ces messieurs ont témoigné le désir que ce chapitre, qui n’a pas moins d’un demi-volume et qui réduirait de beaucoup la partie romanesque des deux volumes qu’ils ont le droit de publier, ne fût pas joint à ces deux volumes et fût au contraire réservé pour être mis en tête de la publication complète de l’ouvrage.

M. Victor Hugo ayant partagé leur avis renonce à joindre ce chapitre aux deux volumes destinés à MM. Gosselin et Renduel et s’engage à ne le publier que plus tard, après leur droit expiré.

Ainsi donc, à l’origine, la première partie du roman devait s’appeler le Manuscrit de l’Évêque. Et cet évêque était Mgr Miollis. Mais si Victor Hugo dut abandonner ce premier projet, c’est qu’ayant vendu deux volumes seulement de son « grand ouvrage », l’opération commerciale paraissait aux éditeurs peu avantageuse si un « demi-volume » était consacré préalablement à des discussions de dogme et de discipline ecclésiastique. Un petit problème se pose ici. Il est assez malaisé de le résoudre.

Ce Manuscrit de l’Évêque a-t-il existé ? A-t-il été seulement projeté ?

En faveur de la première hypothèse nous avons les termes du traité. Ils semblent assez formels : il est question d’un « chapitre considérable et très étendu… qui n’a pas moins d’un demi-volume » ; on ajoute que Victor Hugo « renonce à joindre ce chapitre aux deux volumes… et s’engage à ne le publier que plus tard ». Il y a là une précision qui paraît bien s’appliquer à une œuvre achevée.

En faveur de la seconde hypothèse nous avons un argument des plus solides : on ne trouve aucune trace du Manuscrit de l’Évêque dans les papiers du poète. Or manuscrits et notes ont toujours été soigneusement conservés par Victor Hugo. Divers projets d’ouvrages avec leurs titres ont été souvent indiqués sans qu’une seule ligne en ait été écrite. C’est que Victor Hugo concevait entièrement une œuvre avant même de commencer à l’écrire. Il avait donc pu en prévoir l’étendue, avertir ses éditeurs que cette première partie formerait un demi-volume, et néanmoins l’avoir vraisemblablement abandonnée.

Que Victor Hugo ait ou n’ait pas écrit le Manuscrit de l’Évêque, il est bien clair que son intention première était de nous présenter Mgr Myriel au seuil même du roman. Le désir de ses éditeurs modifiait le plan qu’il avait adopté primitivement.

Nous avons expliqué, dans la description du manuscrit, que le roman débutait par le Soir d’un jour de marche et se poursuivait avec les chapitres sur Mgr Myriel. Le Manuscrit de l’Évêque ayant été écarté, Victor Hugo se décida à intervertir et à placer en tête le livre : Un Juste, jugeant nécessaire, pour que le lecteur puisse bien suivre et vivre la « transformation », puis la « transfiguration » de Jean Valjean, de nous montrer d’abord, dans tout son rayonnement et dans toute sa douceur, cette immortelle figure de monseigneur Bienvenu.

Qu’était-ce que Jean Valjean, qui fut d’abord Jean Tréjean, puis Jean Vlajean ? Le personnage avait-il existé ? Son histoire était-elle vraie ? Y avait-il une part de vérité et une part d’invention ? Jean Valjean était bien un être réel. Il n’était autre que Pierre Maurin, condamné en 1801 à cinq ans de galères pour avoir volé un pain dans la boutique d’un boulanger après effraction d’une grille. Il avait perdu la tête en voyant les sept enfants de sa sœur menacés de mourir de faim ; il s’était, il est vrai, livré à des voies de fait sur le boulanger ; aussi la peine eût été bien plus rigoureuse si le coupable n’avait pu invoquer d’excellents antécédents. Ainsi donc Victor Hugo avait puisé dans un récit vrai les principaux éléments de son drame ; il avait changé le nom du condamné et placé la scène à Faverolles au lieu de Forcalquier. Pierre Maurin fit ses cinq ans et Mgr Miollis fut l’évêque qui accueillit chez lui le forçat libéré.

Il pouvait être intéressant de connaître en détail toute cette histoire, mais lorsque les Misérables parurent en 1862, plus de soixante ans s’étaient écoulés depuis cette condamnation, et les témoins de cette époque, s’il en restait, devaient être plus qu’octogénaires.

Armand de Pontmartin, qui donnait alors des feuilletons littéraires à la Gazette de France, et avait de nombreuses relations dans le monde ecclésiastique, fut avisé qu’il existait encore un témoin de cette époque, le chanoine Angelin. Ce chanoine avait été, dans sa jeunesse, secrétaire de Mgr Miollis à Digne. Il était âgé de quatre-vingt-six ans et se trouvait à Grasse dans une maison de refuge de vieux prêtres retraités.

Pontmartin était alors à Cannes, il se rendit à Grasse avec d’autant plus de confiance qu’on lui avait représenté le chanoine comme ayant conservé toute la lucidité de son esprit et toute la fidélité de sa mémoire. Il se trouva en effet en face d’un vénérable prêtre, à l’intelligence très ouverte, qui avait sur la table de sa chambre le volume des Misérables. On suppose bien que le chanoine Angelin avait lu d’autant plus soigneusement, mais aussi d’autant plus avidement, le roman, qu’il y retrouvait sous les traits de Bienvenu Myriel son évêque, et sous le nom de Jean Valjean le Pierre Maurin de 1801. Oh ! sans doute la physionomie de l’évêque Miollis était quelque peu dénaturée, les aventures de Pierre Maurin étaient multipliées ; en somme Victor Hugo avait bien puisé dans les documents du temps une histoire vraie qu’il lui était loisible de développer à sa guise. Au surplus ce brave chanoine n’est pas un témoin qui a l’imagination d’un romancier, il rapporte tout simplement ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu, il communique ses impressions avec une parfaite sincérité et même une entière ingénuité. Il faut que ses impressions aient été bien vives (il avait, il est vrai, trente ans) pour qu’au bout de cinquante-six ans elles soient restées si profondément gravées dans son esprit. Or voici le récit qu’il fit à Pontmartin :

Ce fut, dit-il, en octobre 1806 que Pierre Maurin, forçat libéré, entra vers cinq heures du soir, après un jour de marche, dans la ville de Digne. Il avait vingt-six ans. Repoussé par tous les hôteliers, brisé de fatigue et de faim, cédant au conseil d’une bonne vieille dame qui sortait de l’église, il vint frapper à la porte de l’évêché. J’étais en ce moment auprès de mon évêque, en attendant le souper, nous causions de son frère, le général Miollis, dont le nom, à la suite d’une action d’éclat, venait de reparaître dans le Moniteur

Rosalie, la vieille servante faisant fonction de majordome et de maître d’hôtel, trottinait dans l’escalier après avoir mis le couvert. C’est alors qu’un coup violent retentit à la porte. L’évêque resta calme. J’eus un de ces mouvements nerveux dont on n’est pas maître.

Rosalie descendit l’escalier toute pâle et s’écria les mains jointes : « Sainte Vierge, qui frappe ainsi ? On dit qu’il y a ce soir du mauvais monde dans les rues ! »

Médor, un vieux caniche habituellement pacifique et hospitalier, se mit à aboyer dans cette gamme plaintive et lugubre que la superstition villageoise regarde comme un présage de mort. — « Paix, Médor ! … Rosalie, allez ouvrir ! » dit Monseigneur. Pierre Maurin entra. Son aspect n’avait rien de bien rassurant, et j’aurais été médiocrement flatté de le rencontrer au coin du bois de l’Estérel. Néanmoins il paraissait effaré, intimidé et affamé plutôt que féroce. Son attitude et sa physionomie craintive contrastaient avec la carrure de ses épaules et le hâle de son visage robuste…

Pierre Maurin, dont le front ruisselait de sueur, commença par perdre contenance devant la douce et majestueuse figure de l’évêque et par bredouiller quelques phrases inintelligibles. Évidemment il avait peur de nos soutanes et il craignait d’être chassé par les curés comme il l’avait été par les aubergistes.

— Remettez-vous, mon ami, lui dit Mgr Miollis.

Oh ! monsieur, je crois encore, après cinquante-six ans, entendre cette parole suave, faite de charité, de simplicité et de bonhomie, cette voix d’or qui allait à l’âme, apaisait la conscience, attendrissait avant de convaincre, et rendait, pour ainsi dire, visibles les vérités de l’espérance et de la foi.

Mon ami ! mon ami ! répéta Pierre Maurin comme se parlant à lui-même. Il me sembla que son mâle et sombre visage s’éclairait, qu’une larme à demi contenue glissait au bord de ses paupières. Alors il se nomma, nous dit ce qu’il était, comment il avait mérité le bagne et comment les hôteliers de la ville avaient refusé de le recevoir et de le loger. — « J’aurais pourtant payé, ajouta-t-il, et j’ai bien faim. » — Asseyez-vous là, mon ami ! dit l’évêque en lui montrant la table couverte d’une nappe bien blanche. — Rosalie, un couvert de plus !

Rien ne saurait vous donner une idée de l’expression d’étonnement, de reconnaissance, de confusion, d’ahurissement qui se peignit sur les traits énergiques du galérien libéré. Il s’y mêla d’abord un reste de méfiance, comme s’il eût redouté une mystification ou se fût attendu à se réveiller brusquement d’un songe. Mais quand il vit Rosalie approcher de la table une troisième chaise, mettre un troisième couvert, quand il vit arriver une soupière fumante, flanquée d’un plat de poisson et d’une pyramide de pommes de terre, lorsque sur un signe de Monseigneur, je débouchai une bouteille de vin de Lamalgue, tapissée de toiles d’araignée, la surprise de Pierre devint de l’extase. Il joignit les mains et s’écria :

— Oh ! monsieur le curé ! vous êtes donc un ange du Paradis ?

— Non, mon ami, je ne suis qu’un pauvre pécheur ; mais, si je vous réconcilie avec le Paradis et avec ses anges, ma journée ne sera pas perdue.

Pierre Maurin mourait de faim et de soif ; il mangea et but avec une avidité quasi bestiale qu’il ne cherchait pas à dissimuler. Mais, attentif à tous les mouvements de cet étrange convive, à toutes les variations de sa pantomime et de sa figure, je fis une remarque dont je me suis souvenu plus tard. À mesure que s’assouvissaient les appétits de la table, un mystérieux travail s’opérait au fond de cette âme voilée de ténèbres. Inconsciente encore, dominée par les sens, engloutie dans un océan d’opprobre, d’horreur et de souffrance, on devinait qu’elle commencerait à réfléchir au moment où le corps n’aurait plus faim. Une heure après, comme Pierre rassasié tombait de fatigue et de sommeil, Mgr Miollis lui annonça qu’il avait sa chambre et son lit tout prêts au bout du corridor — « la chambre d’ami ! » ajouta-t-il avec son bon sourire, ayant reconnu déjà l’effet magique de ce mot sur cette intelligence noircie, dévastée et meurtrie.

Rosalie, toujours fidèle à l’obéissance passive, conduisit Pierre Maurin dans la chambre…

La nuit se passa très paisiblement, et le lendemain, Rosalie retrouva ses couverts là où elle les avait mis. Au point du jour je me promenais dans le jardin avec Monseigneur… Notre promenade nous avait ramenés sous la fenêtre de la chambre d’ami où le galérien venait de dormir sous le même toit que l’évêque. Monseigneur, levant les yeux dans la direction de cette fenêtre, me dit avec une expression d’affectueuse inquiétude :

— L’abbé ! qu’allons-nous faire de ce pauvre garçon ?…

Pierre Maurin parut un instant à la fenêtre. Sa large poitrine se souleva comme pour aspirer, à elle seule, tout cet air vivifiant qui lui rappelait les belles matinées de son innocente jeunesse et les scènes de sa vie rustique, il nous aperçut, nous salua, les yeux fixés sur l’évêque avec une ineffable expression de gratitude, d’admiration, de respect, d’amour et d’humilité. Mais son humilité n’était déjà plus de la bassesse ; son étonnement n’était plus de la stupeur. Une bonne nuit dans des draps bien blancs, quelques heures d’un sommeil paisible, l’indéfinissable influence d’une maison habitée par un saint, ces sensations si nouvelles pour lui d’un accueil cordial après tant de rebuffades, d’un sourire d’évêque après le bâton du garde-chiourme, tout contribuait à opérer chez ce jeune homme, plus enténébré que perverti, un commencement de régénération morale dont il n’avait pas conscience, mais qui se traduisait déjà dans son regard, dans son attitude et sur sa figure.

— Vraiment on croirait que ce n’est plus le même homme ! dis-je à Monseigneur.

Mgr Miollis fit un signe à Pierre qui descendit à la hâte et vint nous rejoindre.

— Pardon ! pardon ! murmura-t-il. Rosalie m’a dit que vous étiez l’évêque… je ne savais pas, moi !… que de bontés pour un…

— Il n’y a pas de mal, mon ami ! Aux yeux de Dieu, un évêque ne vaut pas mieux qu’un curé… L’essentiel est maintenant de savoir ce que vous allez faire… Avez-vous un état ? Savez-vous un métier ?

— Hélas ! oui… j’en saurais même plusieurs… avant… mon malheur, j’étais ruscolier[3] dans les bois de Servoules, du Luc, de Saint-Tropez et de l’Estérel… Là-bas… à Toulon… j’ai appris le métier de tourneur, un peu d’ébénisterie… ; j’ai vingt-six ans, je suis fort, je ne boude pas le travail et je veux… oui je veux être honnête… mais qui me croira ? Qui voudra de moi avec ce passeport jaune qui me fait galérien à perpétuité ? Ce sera partout comme hier soir, chez ces hôteliers qui m’ont refusé le gîte et n’ont pas voulu de mon argent !… Partout, oui partout, la honte, la défiance, le mépris, une voix rude pour me dire « va-t’en ! » des coups de fusil peut-être, comme à un loup affamé, comme à un chien enragé… Oh ! excusez-moi, monsieur… monseigneur ! j’oublie que j’ai été reçu comme un honnête homme par celui qui aurait eu le plus de droit de me chasser comme un scélérat !…

Nous arrêtons là le récit de l’abbé Angelin, certifié par Pontmartin. Si nous en avons reproduit un aussi long passage, c’est pour bien établir l’identité de Jean Valjean. Ce récit a d’autant plus de saveur que Victor Hugo avait imaginé pour son Jean Valjean ce que l’abbé Angelin avait vu dans les traits, l’attitude et la nature de Pierre Maurin. Ce Jean Valjean, si invraisemblable d’après les critiques du temps, qui n’a pas pu être condamné si sévèrement pour le vol d’un pain, qui n’a pas pu être chassé de partout, qui était incapable de devenir M. Madeleine, nous le trouvons tout entier sous les traits de Pierre Maurin.

Suivons la fin de l’histoire.

Mgr Miollis écrivit à son frère le général pour lui recommander Pierre. L’ancien forçat, muni de cette lettre, quitta à regret son évêque et se rendit aussitôt auprès du général, qui le plaça tout d’abord comme infirmier dans une ambulance. À quelque temps de là, après avoir éprouvé à plusieurs reprises sa nouvelle recrue, le général adressa à son frère, Mgr Miollis, la lettre suivante :

Mon cher évêque.

C’est un vrai cadeau que tu m’as fait. Ton Pierre Maurin est un brave ; s’il n’a pas déjà une jambe de bois et un menton d’argent, ce n’est pas sa faute. J’ai commencé par prendre avec lui quelques précautions qui m’ont paru nécessaires. J’en ai fait un infirmier dans une de nos ambulances. Sa conduite a été parfaite, et il a achevé de me gagner le cœur par un trait de probité assez rare parmi nos épaulettes de laine. Le soir de la bataille de X…, il était allé bien loin, au risque d’attraper quelque balle retardataire, chercher et recueillir nos blessés. Édouard de Mauléon, un de nos plus jeunes sous-lieutenants, respirait encore. Pierre, qui est un hercule, le prit dans ses bras ; mais, au même instant, Édouard, qui avait la poitrine traversée de part en part, rendit le dernier soupir. C’était un riche fils de famille. Il avait sur lui une montre de prix, une trentaine de louis, une chaîne et un médaillon en or. Pierre me rapporta exactement tout cela et ne voulut pas entendre parler de récompense.

« Ma récompense, me dit-il, ah ! la plus belle de toutes… ce serait si mon général voulait être assez bon pour en écrire un mot à mon évêque ! » Il prononça ces mots : « mon général » et « mon évêque » d’une certaine manière, avec une expression qui m’a ému. L’épreuve me semblait décisive, et, comme mes trois brosseurs avaient été tués l’un après l’autre, j’ai attaché Pierre à mon service. C’était un premier pas, le second ne s’est pas fait attendre.

Nous avons eu, l’autre jour, une bataille sanglante, une victoire chèrement disputée. Pierre Maurin s’est battu non seulement en vaillant soldat qui fait son devoir, non seulement en repris de justice qui veut se réhabiliter, mais en désespéré qui cherche la mort…

Naturellement il ne l’a pas trouvée, et il en a été quitte pour une légère blessure, qu’il n’a même pas voulu faire panser. Il y a là un symptôme qui m’alarme pour lui quand je l’observe. À mesure que son esprit se déblaie, sa mémoire lui revient plus lucide et plus cruelle. Le jour qui se fait peu à peu dans son intelligence sert tout à la fois à le rendre meilleur et plus inexorable dans sa propre cause. Plus il se relève, moins il se pardonne, et ses énergiques efforts pour se racheter ont pour résultat immédiat d’exagérer à ses yeux le prix de la rançon. Tel qu’il est, il m’inspire le plus vif intérêt ; je ne le perdrai pas de vue, et j’espère qu’il ne me quittera plus.

Un soir, en mars 1814, Pierre Maurin arrive à l’évêché de Digne, mouillé jusqu’aux os, avec un uniforme en lambeaux. L’empereur était vaincu, la France envahie ; il reste au service de l’évêque, il retrouve Apollonie, la nièce de la vieille servante Rosalie qui avait aidé autrefois sa tante dans les soins du ménage, et qui est devenue une jeune fille. Une idylle s’ébauche, sans que l’un et l’autre osent se confier leurs sentiments ; Pierre ne veut même pas s’avouer son amour par honte de son passé cependant si glorieusement racheté, et, triste, sombre, croyant sa vie à jamais perdue moins par cette unique faute peut-être que par le souvenir du bagne, il disparaît un beau jour et va se faire tuer à Waterloo. Apollonie, âgée de 70 ans en 1862, était devenue la servante de l’abbé Angelin.

Voilà cette histoire vraie dans toute sa simplicité. Elle est la justification éclatante du récit de Victor Hugo, considéré comme invraisemblable. Un Pierre Maurin peut devenir un honnête homme et être la victime d’une peine en disproportion avec la faute commise.

L’histoire de Jean Valjean tire donc son origine de l’histoire de Pierre Maurin. Évidemment Victor Hugo a imaginé beaucoup d’événements et d’épisodes. Mais cette figure d’un malheureux condamné au bagne pour le vol d’un pain, rachetant sa faute par une vie de droiture et condamné quand même à l’expier par le fait de la rigueur des lois, cette figure est vraie.

On peut dire par conséquent que, dès 1829 ou 1830, lorsque Victor Hugo avait songé à mettre en scène Mgr Miollis, il avait connu l’histoire de Pierre Maurin. Plus tard, Victor Hugo écrivit et développa son récit, car s’il avait pendant bien des années médité son sujet, ce n’est qu’en 1845, comme nous l’avons dit, qu’il commença à écrire son roman des Misères. Jusque-là il forma tout un dossier de documents ; ainsi on y trouve un plan complet de la ville de Digne, dessiné à la main, avec les indications des monuments, des places, des boulevards et des rues ; puis le papier autographié suivant :

rations de chiourmes
déterminées par le règlement du Roi du 5 février 1823.

(Suivent les indications.)

Puis le Code pénal des chiourmes.

Sera puni de mort :

Qui frappera l’un des agents de surveillance ou tuera l’un de ses camarades ;

Qui se révoltera ou occasionnera une révolte.

Sera puni d’une prolongation de peine :

À vie, qui s’évadera (3 ans de double chaîne) ;

À tems, qui s’évadera (3 ans) ;

Qui volera pour une valeur au-dessus de cinq francs.

Sera puni de la bastonnade :

Qui aura limé ses fers ou employé un moyen pour s’évader ;

Sur lequel il sera trouvé des objets de travestissement ;

Qui s’enivrera ;

Qui jouera à des jeux de hasard ;

Qui fumera dans le port ou dans sa localité ;

Qui vendra ou dégradera ses robes ; Qui écrira sans permission ;

Sur lequel il sera trouvé une somme au-dessus de 10 francs ;

Qui refusera de travailler ;

Insubordonné.

C’est à l’aide de ce dernier document que Victor Hugo a établi les fameuses dix-neuf années de bagne qui se décomposent ainsi : cinq années pour le vol (comme pour Pierre Maurin) ; quatorze années pour les évasions ou les tentatives d’évasion. Le tarif porte trois ans par évasion ; il y en eut quatre, ce qui porterait les prolongations de peine à douze années ; mais il y eut un supplément de deux ans à cause d’une rébellion.

Victor Hugo avait mis de côté un numéro du Moniteur universel du 1er novembre 1846 et avait écrit en haut : À consulter pour le roman des Vagabonds. C’était son roman des Misères, et il avait noté un article : Du vagabondage et des mesures adoptées pour sa répression antérieurement à 1789. Il avait donc voulu se documenter scrupuleusement sur les peines et châtiments.

Quant à Jean Valjean, son Pierre Maurin à lui, il devenait M. Madeleine, grand industriel et maire de Montreuil-sur-mer. Il s’était enrichi dans une industrie spéciale, l’imitation des jais et des verroteries noires d’Allemagne, par une transformation opérée dans cette production des « articles noirs » : il substituait la gomme laque à la résine, et pour les bracelets en particulier, les coulants en tôle simplement rapprochée aux coulants en tôle soudée ; ce changement, réduisant considérablement le prix de la matière première, avait triplé les bénéfices.

On lira ces détails dans la première partie, Fantine, chapitre i du livre cinquième, Histoire d’un progrès dans les verroteries noires, et dans la cinquième partie, Jean Valjean, chapitre v du livre neuvième.

Or nous avons retrouvé une note bien ancienne par le papier et l’écriture qu’on peut dater de 1829 ou 1830, c’est-à-dire de la même époque que la note sur Mgr Miollis, et qui mentionne ce progrès dans l’industrie des verroteries noires. Des phrases de la note sont reproduites textuellement dans le livre. C’est encore une preuve que, dès 1830, Victor Hugo avait arrêté déjà dans son esprit le plan des Misérables, puisque nous possédons, à cette date, les origines de Mgr Myriel, de Jean Valjean et même de M. Madeleine.

Si nous suivons le roman, nous arrivons à la deuxième partie, Cosette. Dans le livre deuxième, le Vaisseau l’Orion, chapitre iii, Victor Hugo raconte le sauvetage du gabier par Jean Valjean. Les détails techniques sont d’une remarquable précision. On suppose bien qu’ils ont été fournis par un homme du métier. Et en effet Victor Hugo s’adressa à La Roncière Le Noury et reproduisit fidèlement les renseignements qui lui furent envoyés dans une note en tête de laquelle on lit ces mots à l’encre rouge :

Note écrite pour moi dans les premiers jours de juin 1847 par M. le Bon La Roncière Le Noury, aujourd’hui capitaine de vaisseau, ami de Napoléon Jérôme — et prochainement contre-amiral[4].

(Mai 1860.)

La voici :

Un vaisseau est en armement dans l’arsenal de Toulon. L’équipage est occupé à enverguer les voiles. Le gabier qui prend l’empointure du grand hunier tribord perd l’équilibre et, tournant autour de la vergue, saisit à temps le faux marchepied sur lequel il se balance dans l’air par l’élan qu’a donné sa chute. Aucun des matelots, tous pêcheurs nouvellement levés pour le service, n’ose se risquer à aller secourir cet homme que ses forces ne peuvent soutenir longtemps. Il se fatigue d’autant plus que les efforts qu’il fait pour remonter ne font qu’augmenter les oscillations du faux marchepied.

Un forçat employé à bord avec une corvée du bagne court à l’officier de quart, lui demande la permission de monter dans le gréement pour sauver le malheureux que ses forces ne soutiendront peut-être pas assez longtemps. Sur un signe affirmatif de l’officier, il est en un instant sur la vergue, il la parcourt en courant. Arrivé au bout, il y attache l’extrémité d’une corde qu’il a prise avant de monter ; au moyen de cette corde, il s’affale près du matelot, l’amarre fortement avec cette même corde à laquelle il se tient d’une main pendant qu’il travaille de l’autre, puis remonte sur la vergue où il hale le matelot épuisé. Il le soutient là un instant pour lui laisser reprendre quelques forces, puis le saisissant dans ses bras, il le porte, en marchant sur la vergue, jusqu’au chouquet, et de là dans la hune où il le laisse entre les mains de ses camarades. Il redescend immédiatement rejoindre sa corvée.

Ce haut fait attribué à Jean Valjean sert de préface à l’évasion du forçat.

Nous avons terminé ce qui concerne Jean Valjean.

Quant à Fantine, on connaît le récit intitulé : Origine de Fantine, daté de 1841 et publié dans Choses vues. Victor Hugo avait été le témoin d’une agression. Un soir, un jeune homme plantait dans le dos d’une fille une poignée de neige ; la fille s’étant défendue fut conduite au poste ; accusée par les agents, elle aurait été infailliblement incarcérée et condamnée si Victor Hugo n’avait obtenu pour elle la liberté en déposant comme témoin des faits qui s’étaient passés devant lui.

Marius, tout d’abord Thomas, était-il, comme on l’a dit généralement, Victor Hugo lui-même ?

Ce serait peut-être outrepasser les intentions de l’auteur. Ce qui est vrai, c’est que Victor Hugo a appliqué à Marius quelques-uns des souvenirs de sa jeunesse, et quand il nous présentait son héros habitant une pauvre petite chambre, vivant misérablement, supportant vaillamment les épreuves, puisant dans le malheur de nouvelles forces pour lutter contre la destinée, il se reportait à ces heures douloureuses qui suivirent la mort de sa mère, quand seul, désemparé, il était obligé de gagner sa vie, n’ayant plus le véritable ami qui fut le confident de sa détresse, et sur qui il pût reporter « sa faculté d’aimer ». Mais le cœur de Marius s’ouvre à l’amour, Cosette lui apparaît comme un ange déployant ses ailes blanches dans un rayon d’aurore ; et cette idylle fraîche, rêveuse, un peu mélancolique, sera comme un écho des Lettres à la fiancée. Il ne veut pas seulement aimer, il veut mériter cet amour par le travail ; Victor Hugo écrira à Adèle Foucher qu’il a été chargé d’un rapport académique, le rapport sur Gil Blas qui lui fut demandé par François de Neufchâteau ; plus tard Marius, en pensant à Cosette, dira : « Elle ne pourrait s’empêcher d’avoir de l’estime et de la considération pour moi si elle savait que c’est moi qui suis le véritable auteur de la dissertation sur Marcos Obregon de la Ronda que monsieur François de Neufchâteau a mise, comme étant de lui, en tête de son édition de Gil Blas ».

Si on voulait se livrer à un parallèle entre l’idylle du Luxembourg et de la rue Plumet et les Lettres à la fiancée, on trouverait de nombreux rapprochements.

On voit cet amour naître, grandir, sans oser ou sans pouvoir s’avouer, la jalousie s’éveiller brusquement pour une futilité. Se souvient-on de la colère de Victor Hugo reprochant à Adèle de relever sa robe pour ne pas la crotter ? il a éprouvé un supplice en voyant, rue des Saints-Pères, des passants détourner la tête pour jeter un coup d’œil impudent ; il s’est retenu pour ne pas les souffleter, mais il ne répond pas de lui une autre fois. Se souvient-on de Marius furieux, alors qu’un souffle de vent soulève la robe de Cosette presque jusqu’à la hauteur de la jarretière, dans le jardin du Luxembourg, et surprenant un invalide qui paraît satisfait du spectacle dont il vient d’être le témoin ? Marius a eu envie d’exterminer l’indiscret.

Dans ces pages exquises, toutes remplies de délicates et chastes tendresses, on retrouve la naïveté, la candeur, la fraîcheur de sentiments qui ont inspiré au fiancé les lettres à Adèle. Le Marius amoureux a une parenté assez étroite avec Victor Hugo amoureux à vingt ans.

Si nous passons aux opinions de Marius, nous rencontrons encore là des analogies. Victor Hugo avait conçu son Marius vers 1830 ; royaliste par sa mère, bonapartiste par son père, il avait donné à son héros un grand-père royaliste, Gillenormand, et un père bonapartiste, un soldat de Bonaparte. Il avait montré quelle puissance exerçait sur l’éducation première le milieu dans lequel un enfant avait vécu ; et il traçait en 1845-1848 le portrait de Marius encore enfant. Les événements, en imprimant à la politique une orientation nouvelle, devaient dans un jeune cerveau comme celui de Marius avoir un écho et provoquer de graves réflexions. À cette époque, Victor Hugo, qui, même dans sa jeunesse, avait, au fond, des sentiments démocratiques, qui était un libéral, était amené par une pente toute naturelle à s’affranchir progressivement des doctrines qui lui avaient été inculquées autrefois et à devenir républicain ; et, de même qu’on assiste par l’idylle du Luxembourg et de la rue Plumet et par les Lettres à la fiancée à l’évolution d’un cœur, on est le témoin de l’évolution d’un esprit subissant les empreintes successives de l’éducation première, de l’enseignement des événements et des leçons de l’expérience.

Voilà pourquoi on trouvera cette note qui date de 1860 :

Modifier absolument Marius et lui faire juger Napoléon vrai.

3 phases :
1° royaliste ;
2° bonapartiste ;
3° républicain.
Et ce sera l’occasion pour Victor Hugo de nous représenter la lutte entre le présent et le passé et de mettre dans la bouche de ses personnages d’éloquents plaidoyers en faveur de leurs idées, tout en exposant comment une jeune intelligence peut être amenée par la réflexion, l’étude, la maturité, à se ranger du côté de la cause de la liberté et du progrès.

Nous avons indiqué les origines des principaux acteurs du roman : Mgr Myriel, Jean Valjean, Fantine, Marius.

Il nous resterait, pour compléter ce chapitre, à expliquer comment Victor Hugo s’est documenté sur les faits historiques qui encadrent l’action, mais peut-être cet examen, qui ne s’appliquerait pas directement aux origines des Misérables, serait-il mieux placé plus loin quand nous suivrons la marche du travail.

Cependant un des livres historiques des Misérables : Le 5 juin 1832, figure dans le plan primitif du roman et se rattache à ses origines. Le 5 juin, Victor Hugo, en se promenant au jardin des Tuileries, avait trouvé la dernière scène du premier acte du Roi s’amuse, le discours de Saint-Vallier, et s’apercevant qu’on chassait le public du jardin, il apprit qu’une insurrection avait éclaté à l’occasion des funérailles du général Lamarque. Il se rendit au passage du Saumon, là où on dressait des barricades ; il raconte dans les Misérables les faits dont il fut témoin ; le lendemain, il dînait chez Émile Deschamps, et Jules de Rességuier raconta l’héroïque défense du cloître Saint-Merry, qui fournit à Victor Hugo l’occasion d’écrire quelques pages vibrantes sur ces événements.

Lors des journées de juin 1848, l’œuvre fut nécessairement interrompue. Victor Hugo a raconté dans Actes et Paroles la visite des insurgés dans son cabinet de la place Royale.

MARCHE DU TRAVAIL.


Ayant établi avec autant de précision que possible l’acte de naissance des Misérables, nous devons retracer la marche du travail.

Il y a la marche chronologique. Au point de vue de l’emploi du temps, le Journal, le Manuscrit et les Carnets nous fourniront des renseignements précieux ; ils nous apprendront quand Victor Hugo a entrepris ses Misérables, quand il les a interrompus et quand il les a repris, en un mot la durée du temps consacré à son œuvre.

Mais auparavant il nous semble qu’il convient de pénétrer plus profondément dans l’intimité de la pensée de l’auteur, d’en suivre les évolutions et les développements, de surprendre les transformations successives qui se sont opérées dans les scènes du roman, et de marquer les diverses étapes du travail intellectuel. Sur ce point, l’étude du manuscrit peut nous éclairer.

Pour les Misérables, nous établissons, d’après l’écriture, à la fin de chaque description du manuscrit, la statistique des chapitres écrits en 1845-1848 et celle des chapitres écrits de 1860 à 1862. Mais ces statistiques ainsi espacées, et avec de simples nomenclatures de chiffres, exigeraient de la part des lecteurs de nombreuses recherches. Nous avons cru, pour compléter cet historique, devoir présenter une sorte de tableau-commentaire contribuant à initier les lecteurs à la marche du travail.

L’opinion la plus accréditée est que Victor Hugo avait seulement amorcé son roman en 1848. Or nous avons essayé de démontrer qu’il l’avait conçu vers 1830, au moins dans ses parties principales, et qu’il avait commencé à l’écrire en 1845. Qu’on ne s’étonne pas de la longue durée de ce délai entre la conception et la mise à exécution. Plus tard, en 1868, quand Victor Hugo entreprendra l’Homme qui Rit, il utilisera les nombreuses notes prises entre 1825 et 1830 sur les vieilles lois anglaises et contenant en germe l’idée de son roman.

Il résulte en outre de l’examen du manuscrit que les quatre premières parties des Misérables, sauf plusieurs récits et des détails nouveaux qui seront signalés plus loin, appartiennent à la période de 1845-1848. Dans ces deux années et demie, non seulement Victor Hugo avait construit toute la charpente de son roman, mais il en avait écrit les quatre premières parties. Sans doute, de 1860 à 1862 il les remaniait, les complétait par de nouveaux chapitres, et donnait entièrement la cinquième et dernière partie, c’est-à-dire le dénouement. Mais le roman eût pu être publié dans sa version primitive ; il était solidement établi et les livres ajoutés postérieurement n’en altéraient pas le caractère.

On pourra s’en convaincre par l’étude rapide qui va suivre et permettra de se rendre compte du travail de Victor Hugo pendant ces deux périodes.

On se souvient que la première partie : Fantine, débutait par le Soir d’un jour de marche. Victor Hugo se servit en 1845 des notes prises en 1831 sur Mgr Miollis, cette figure à la fois invraisemblable et vraie qui lui inspira Mgr Bienvenu, et en fit le livre : Un Juste, qu’il plaça définitivement au commencement des Misérables. Plus tard, à la révision de 1860-1862, quatre chapitres furent ajoutés : Philosophie après boire, L’évêque en présence d’une lumière inconnue, Solitude de Mgr Bienvenu et Ce qu’il pensait.

Ici l’esprit est forcé de s’arrêter sur la visite au conventionnel. Ce chapitre, un des plus beaux des Misérables, est d’autant plus saisissant qu’on y sent la pensée de l’auteur à son apogée. Le Victor Hugo de 1845 n’eût pu écrire L’évêque en présence d’une lumière inconnue. La lumière ne l’avait pas encore aveuglé. En 1860, l’évolution s’est faite, irrésistible et naturelle. Le poète « a grandi ».

La Chute de Jean Valjean (livre deuxième) date de 1845-1848 ; Victor Hugo ajoute en 1860 un chapitre de considérations philosophiques fort élevées : l’Onde et l’Ombre.

Le livre troisième : En l’année 1817, sur la farce des quatre jeunes parisiens, a été intercalé en 1860-1862.

Mais pour les autres livres, en dehors de quelques détails sur la visite de Fantine à Montfermeil, sur les Thénardier dont le portrait est plus complètement tracé, toutes les péripéties du drame, les aventures de M. Madeleine, les souffrances de Fantine, l’affaire Champmathieu, l’emprisonnement de Jean Valjean, son évasion, le mensonge de la sœur Simplice, tous ces récits datent de la première époque ; on voit que, sauf la farce des quatre parisiens, le roman, dans sa première partie, n’a pas subi en 1860-1862 de transformations qui dussent en ébranler la charpente.

La deuxième partie : Cosette, était en 1845-1848 plus rudimentaire. Victor Hugo nous montrait Jean Valjean sauvant le gabier sur le vaisseau l’Orion, s’évadant, accomplissant « la promesse faite à la morte », se réfugiant dans la masure Gorbeau, et, poursuivi par Javert, pénétrant dans le jardin du couvent du Petit-Picpus.

Comme on le voit encore, la trame du drame est conservée, elle est plus serrée. Mais en 1860-1862 Victor Hugo songe au livre de Waterloo qu’il écrira sur le champ de bataille même, du 7 mai au 30 juin 1861. Il nous décrit Jean Valjean dans les bois de Montfermeil, sa rencontre avec le cantonnier Boulatruelle ; il complète encore le portrait des Thénardier et les renseignements sur le couvent du Petit-Picpus donnés d’après des notes fournies par une ancienne pensionnaire. Cette pensionnaire était Juliette Drouet, entrée au couvent des dames de Sainte-Madeleine logé provisoirement dans une petite maison bâtie au bout du jardin du couvent Saint-Michel, à l’angle de la rue d’Ulm et de la rue des Postes. L’entrée était la même que celle du couvent Saint-Michel et s’ouvrait sur la rue Saint-Jacques.

Juliette Drouet raconta à Victor Hugo la vie des pensionnaires. Elle se borna à faire un récit sans y mêler aucune acrimonie ni aucune amertume ; nous en avons la preuve dans les détails qu’elle a donnés elle-même de sa sortie du couvent, et qu’il peut être intéressant de reproduire ici :

Un jour M. de Quelen, qui n’était que coadjuteur, vint en grande visite au couvent. Il était dans le salon de l’abbesse assis dans un grand fauteuil. Il y avait un coussin de tapisserie à côté du fauteuil sur lequel tour à tour venaient se mettre à genoux pendant quelques minutes les professes, les novices, les postulantes et les plus grandes pensionnaires des deux couvents… ; lorsque vint mon tour j’étais fort tremblante. Le coadjuteur me rassura avec bonté, prit mes mains dans la sienne et releva de l’autre mon menton que je tenais baissé sous mon petit capuchon noir. Il me demanda ce que j’avais à lui dire, je ne savais que lui répondre, car j’étais fort troublée. Il me demanda si je me trouvais très heureuse au couvent et si j’attendais avec impatience le moment de mon noviciat. Pour toute réponse je me mis à pleurer à sanglots. Il insista pour connaître le sujet de mes larmes, et lorsque je lui eus dit que je n’avais aucune vocation et que le couvent me faisait horreur, il s’empressa de me consoler et il me promit que je ne serais point religieuse contre mon gré. En effet, quinze jours après je quittai le couvent.

Victor Hugo reçut de la même source des renseignements sur le couvent du Temple. Il avait cru tout d’abord devoir indiquer le nom du premier couvent et l’emplacement ; mais le régime de 1852 lui inspirant une médiocre confiance, et étant d’ailleurs fort susceptible d’exercer quelques tracasseries, Victor Hugo jugea nécessaire de dépayser le couvent, d’en changer le nom et de le transporter imaginairement au quartier Saint-Antoine.

Dans cette deuxième partie : Cosette, il ajoute encore en 1860-1862 le livre Parenthèse et tout le récit tragique sur Jean Valjean dans le cercueil.

Dans la troisième partie : Marius, Victor Hugo nous présente en 1845-1848 le petit Gavroche, le Grand Bourgeois, Marius dans la misère après sa brouille avec Gillenormand, Cosette au Luxembourg et la scène du guet-apens dans la masure Gorbeau.

Là encore le roman se poursuit dans ses développements principaux ; mais Victor Hugo complète cette partie en 1860-1862. Il nous donne d’abord les signes particuliers du gamin de Paris, puis un portrait plus étudié de Gillenormand ; il crée un nouveau personnage, le lancier Théodule, arrière-petit-neveu de Gillenormand, et ajoute le livre : les Amis de l’A B C, qui lui permettra d’expliquer la transformation politique de Marius au contact de ces jeunes révolutionnaires.

Enfin il donne un livre nouveau : Patron-Minette, où il nous montre ses principaux bandits : Babet, Gueulemer, Claquesous, Montparnasse et leurs affiliés, qui prenaient déjà une part active au roman, mais dont la physionomie n’était pas encore développée.

Ce livre était très étendu et contenait une étude sur le mal social souterrain ; Victor Hugo détacha de cette étude la plus grande partie, la réservant pour son livre l’Âme, livre qu’il n’a pas écrit. Nous l’avons donnée dans le Reliquat.

La quatrième partie : l’Idylle rue Plumet et l’Épopée rue Saint-Denis, était arrêtée en 1845-1848 ; l’amour de Marius, ses visites à Cosette, l’attaque des barricades, l’histoire de Gavroche, le cabaret de Corinthe, la mort de Mabeuf, l’arrivée de Marius à la barricade, toutes ces scènes et bien d’autres encore étaient racontées.

En 1860-1862 Victor Hugo a ajouté notamment plusieurs chapitres sur Louis-Philippe, la cadène, sujet d’étonnement et de frayeur pour Cosette, brusque évocation du passé pour l’ancien galérien, l’agression de Montparnasse contre Jean Valjean, les gaietés de Bossuet, Joly et Grantaire, et un livre sur les aventures de Gavroche et les angoisses de Jean Valjean devant le buvard de Cosette.

Dans cette partie encore, Victor Hugo n’a fait que compléter les chapitres de 1845-1848.

On voit, par cet examen rapide, que le roman avait bien été conçu tout entier et écrit dans ses quatre premières parties en 1845-1848. Il a été brusquement interrompu lors de la révolution, et si, en 1851, Victor Hugo a écrit quelques pages, en fait, pendant douze ans il avait abandonné son roman.

Il s’était donné tout entier à la politique d’abord, puis à la poésie, et lorsqu’il entreprit la cinquième partie : Jean Valjean, en 1860-1862, il n’avait que ses documents, documents précieux recueillis à Paris, notamment sur la bataille des rues et sur les égouts ; mais le travail restant était considérable, il fallait coordonner les souvenirs anciens, raconter cette guerre entre quatre murs, la prise de la barricade, la marche fantastique de Jean Valjean dans l’égout, sa rencontre avec Thénardier et avec Javert, la mort de Javert, le mariage de Cosette, et enfin la mort sublime de Jean Valjean.

MÉTHODE DE TRAVAIL.

Nous avons suivi la marche du roman, mais cette étude historique présenterait quelques lacunes si nous ne serrions de plus près la méthode de travail adoptée par Victor Hugo. On a vu qu’il se documentait tout d’abord sur les lois pénales, le régime des prisons, le bagne, le vagabondage, puis sur les personnages qu’il voulait mettre en scène, cherchant surtout à nous montrer des êtres réels, vrais, mais dénaturant un peu leur physionomie et leur caractère, pour qu’on ne pût les reconnaître. Il bâtissait ensuite tout son scénario dans son esprit, et quand il avait, comme dans les Misérables, à introduire des événements historiques, il recueillait ses souvenirs sur tous les faits et les incidents dont il avait été témoin.

Puis il commençait son œuvre, l’interrompait, la reprenait, soit qu’il voyageât, soit qu’il fût sollicité par un travail plus immédiat. Il relisait alors ce qu’il avait fait, et découvrait ici quelque obscurité, là quelque lacune, ailleurs une contradiction ; il ne corrigeait pas, prenait une feuille de papier, et alignait ses observations et ses critiques qui constituaient ainsi pour lui une sorte de mémento. Le plus souvent cette lecture lui suggérait quelque nouveau développement. Il ne l’intercalait pas, et le mentionnait sur une feuille séparée, se réservant plus tard d’en tirer parti : en somme toutes ses observations étaient surtout consignées en vue de la révision définitive ; il se ménageait ainsi une sorte de dossier qu’il reprenait ensuite, puis au fur et à mesure qu’il avait opéré sur le manuscrit les modifications proposées ou introduit les développements complémentaires, il biffait chaque note inscrite.

Quand il emporta son manuscrit des Misérables en exil et quand il le relut au bout de douze ans, il rencontra une difficulté qu’il n’avait pu prévoir. Il ne doutait pas en 1848 qu’il pourrait achever rapidement son œuvre ; la révolution le surprit en plein travail. Or il avait situé les péripéties de son roman dans le Paris de cette époque-là ; il connaissait alors les quartiers, les rues, les maisons et leurs numéros. Sa description était scrupuleusement exacte. Mais lorsqu’il reprit son manuscrit en 1860, le Paris ancien s’était transformé. Des quartiers avaient été démolis, des noms de rues avaient été changés. Aussi, sur une bande de papier jaune (bande de journal), on lit :

Me dire s’il y a dans les rues des maisons nouvelles et leur numéro. M’envoyer une description de la porte et de la maison n° 6 rue des 12 portes au marais et n° 7 rue de l’Homme-armé.

Puis Victor Hugo, songeant au travail considérable exigé par le rétablissement de la nouvelle topographie de Paris, prit le seul parti raisonnable. Dans la deuxième partie : Cosette, livre cinquième, chapitre I, les Zigzags de la stratégie, il publia en tête une sorte d’avis au lecteur, le prévenant qu’il ignore le Paris nouveau et qu’il écrit avec le Paris ancien devant les yeux.

Cette précaution le dispensa ainsi de faire connaissance avec le Paris bouleversé et reconstruit.

Pour mieux faire comprendre encore la méthode de travail de Victor Hugo, nous donnerons ici quelques spécimens de ses notes. On verra qu’une première révision lui inspirait des modifications nombreuses et profondes. Quelques critiques lui ont reproché parfois d’ébaucher ses personnages, de ne pas les faire vivre ; or son souci était au contraire de compléter leur portrait, de marquer plus profondément les traits de leur physionomie et leur individualité. C’est ce qu’il a fait pour l’évêque Myriel, pour Gillenormand, pour Marius, pour Gavroche, pour les Thénardier, pour les jeunes républicains ; la lecture d’un épisode lui en suggérait de nouveaux ; la similitude de certaines scènes les lui faisait remanier ou refaire. Dans ses notes, on le voit se critiquer lui-même ; il est attentif, exigeant, méticuleux.

Voici une première page de notes :

Compléter Gillenormand.

Approfondir Mabeuf

                    | commencer par là (19 oct.).

(Peut-être Waterloo — grand récit épique mêlé au roman.)

Peindre l’arrachement de Marius à son père en évitant les ressemblances avec l’arrachement et la douleur de Fantine perdant Cosette et de Jean Valjean perdant Cosette (J’ai commencé cette révision en juillet 1861).

Au lieu de mame Burgon : mame Burgon dite la mère Plutarque.

Approfondir les jeunes gens républicains.

Scène de la carrière.

Remanier tout le bonapartisme de Marius au point de vue démocratique et libéral.

(C’est fait et ce sera complété.)

Cosette ne peut entrer au couvent qu’en 1824 ; elle n’en doit guère sortir que sept ans après, vers 1831. Voir si cela s’accommode avec le reste. En ce cas-là tout se ferait en un an, la barricade étant de 1832[5]. Cosette aurait près de quinze ans quand elle serait vue pour la première fois au Luxembourg par Marius, et ce serait après la révolution de juillet 1830. Faire attention à ceci : ne vaudrait-il pas mieux que Cosette ne restât que cinq ans au couvent. Maintenir la sortie en 1829 et en ce cas changer en cinq les sept mille francs et dire éducation à peu près complète au lieu de complète. En ce cas-là Cosette sortirait du couvent à treize ans.

(C’est fait, vérifier encore.) [Juillet 1861.]

En travers de cette feuille, Victor Hugo écrit :

Il faudra relire avec soin la scène du bouge et en ôter Boulatruelle. Le remplacer par un vieux ivrogne voleur quelconque. Si on ne l’ôte pas, expliquer comment il se fait qu’il est libre à la fin dans le bois de Montfermeil.

Boulatruelle était le cantonnier de Montfermeil, terrassier et voleur qui faisait partie de la bande arrêtée par Javert dans le bouge. Il fallait lui rendre sa liberté puisqu’on le voit plus tard dans le bois de Montfermeil. On se rappelle comment Victor Hugo a tranché la difficulté : Boulatruelle étant en état d’ivresse dans la soirée du guet-apens, ne pouvait être accusé d’avoir participé à l’agression et bénéficia d’une ordonnance de non-lieu.

On rencontre aussi parfois des plans ébauchés et non exécutés écrits, comme celui-ci, sur un fragment d’enveloppe de la chambre des pairs. C’est un plan du récit de la mort de Bossuet et d’Enjolras.

Allons nous coucher, etc.



Tu es un misérable, s’écrie Enjolras. Tu excelles à donner des raisons basses pour ne pas faire les choses nobles. Tu souffles l’enthousiasme avec une mauvaise haleine.

Extinguit candelam cum bombo, dit Courfeyrac.

Bossuet dégrisé dit en souriant :

— Enjolras, nous nous couperons la gorge demain matin.

Tous deux meurent. Bossuet gai et héroïque. — Enjolras cherche la main de Bossuet : Pardonne-moi.

Ce plan, légèrement modifié dans le roman, se rapporte actuellement à Grantaire.

Nous trouvons encore sur une autre feuille, d’abord des variantes de noms : « Éponine, Azelma, Palmyre, Malvina ».

Puis des indications :

Ne pas oublier que Toussaint est bègue, ce qui fait qu’elle parle peu. Nicolette se moque de son bégaiement.

Mettre à Thénardier beaucoup de cheveux et sur les yeux comme une perruque de cocher anglais du high life.

Insister sur les immoralités badines et cyniques du père Gillenormand.

Dans le couvent où est la règle du silence indiquer que les conversations et commérages n’ont lieu qu’entre les dames pensionnaires et les religieuses réfugiées non soumises à la règle de saint-Benoît.

Ajouter Prouvaire, revoir toute l’insurrection et la barricade au point de vue du groupe mieux expliqué.

Intercalation de S4. Relever les jeunes gens, les honorer

non bonapartistes
républicains
Ils ouvrent les yeux à Marius
s’il ne les a déjà ouverts
?[6]

Nous ne pouvons guère suivre l’ordre du roman dans la reproduction de ces documents, car Victor Hugo inscrit sur une même feuille de papier des détails se rapportant à plusieurs livres. Nous ne pouvons davantage adopter un ordre chronologique, car sur une même feuille il y a des notes de 1848 et des notes de 1861. Il prenait dans ses dossiers les papiers qui lui tombaient sous la main, et s’il y avait encore un coin blanc, il y inscrivait quelque observation ; de là une confusion, une mêlée d’indications. Bien plus, il se sert d’une double feuille de lettre portant le timbre de la poste du 11 avril 1861 et toute couverte d’écriture pour en faire la chemise d’un dossier, et il y trace en grosses lettres ce titre : « triage à faire ».

En tête de cette même feuille on lit : Résidu important, et au-dessous :

Note importante : rechercher si Marius sait le nom de Javert (affaire du galetas), s’il le reconnaît, Javert, à la barricade. Indiquer s’il juge inutile d’intercéder pour lui.

Oui, il sait le nom. Il peut reconnaître l’homme.

On voit par cette dernière note que Victor Hugo se pose la question : rechercher si Marius sait le nom de Javert, et qu’il donne aussitôt la réponse : oui, il sait le nom. C’est qu’il avait écrit vers 1845-1848 le chapitre xiv du livre VIII de la troisième partie (l’affaire du galetas) à laquelle il fait allusion. Il ne se rappelait plus, en 1861, que Marius s’était en effet rendu rue de Pontoise au commissariat pour dénoncer le guet-apens, qu’il avait rencontré Javert qui s’était nommé, et qu’il pouvait donc le reconnaître à la barricade. En écrivant sa note, il se souvient et il mentionne le fait. Ce papier figurait évidemment dans le dossier pour la révision et cette indication devait lui éviter une recherche.

Sur la même feuille, ces notes :

Faire attention que la révol. de 1830 coïncide avec le moment même où M. (Marius) devient amoureux.



L’inspecteur Javert fait prisonnier le 6 juin sur une barricade et sur le point d’être mis à mort par ordre des chefs de l’insurrection avait été sauvé par le             [7] de l’envoyé chargé de l’exécution.



Rappeler Éponine, Mabeuf, Gavroche, Courfeyrac, Enjolras, tous les amis morts, toutes les sombres scènes de la barricade et terminer ainsi : (après que le mariage est décidé) Cosette souriait, l’ombre s’en allait du front de Marius. Il ne fallait pas moins que tout ce bonheur pour effacer toute cette misère (catastrophe).

Sur le dos de la feuille double :

Marius. Cosette. — Ô misère même du plus angélique amour ! Chacun d’eux pourtant avait son embryon d’infidélité ; elle, les œillades au lancier Ernest, lui, le baiser à Éponine.

Il y a des rapprochements intéressants à faire. On retrouve dans l’épopée rue Saint-Denis le récit de faits qui se sont produits en 1851. Victor Hugo a pu s’en inspirer pour son roman au moins pour le chapitre iv du livre douzième lorsqu’il parle de Gavroche, car ce chapitre a été écrit en 1860-1862. Il dit en parlant de ce gamin :

Il (Gavroche) allait de l’un à l’autre, réclamant :

— Un fusil ! Je veux un fusil ! Pourquoi ne me donne-t-on pas un fusil ?

— Un fusil à toi ! dit Combeferre.

— Tiens ! répliqua Gavroche, pourquoi pas ? J’en ai bien eu un en 1830 quand on s’est disputé avec Charles X !

Enjolras haussa les épaules.

— Quand il y en aura pour les hommes, on en donnera aux enfants.

Gavroche se tourna fièrement et lui répondit :

— Si tu es tué avant moi, je te prends le tien.

— Gamin ! dit Enjolras.

— Blanc-bec ! dit Gavroche.

Or, dans les notes publiées dans le Cahier complémentaire (Histoire d’un Crime), la déposition de Barbier, ouvrier corroyeur, mentionne une histoire analogue :

Un jeune homme de 17 ans, intrépide (enfant haut comme cette chaise), qui avait une calotte rouge. (Mourons ! si vous êtes tous comme moi, qu’ils nous trouvent tous là.) Quand la barricade fut escaladée, reçut plus de 150 coups de fusil, cria, courut, tomba, se releva, et mourut. — On lui avait dit vingt fois : donne ton fusil à un homme.

Il répondait : Eh ! un homme qui connaîtra le danger en aura plus peur que moi.

Ne retrouve-t-on pas dans ce court résumé le récit, datant de 1860-1862, de la mort de Gavroche d’une superbe beauté tragique ?

Un autre rapprochement peut être signalé dans cette même quatrième partie (l’épopée rue Saint-Denis), livre douzième, chapitre vii, l’Homme recruté rue des Billettes. On se rappelle que Javert, à la barricade de la rue Saint-Denis, est lié au poteau de la salle du cabaret de Corinthe comme mouchard ; les républicains l’ayant fouillé trouvent sur lui une petite carte avec cette légende d’un côté : Surveillance et vigilance, et de l’autre côté cette mention : Javert, inspecteur de police ; à la page 336 du Cahier complémentaire (Histoire d’un Crime) dans cette édition, on lit l’incident suivant rapporté à Victor Hugo par Benoît, ouvrier cordonnier et membre du comité socialiste :

4 décembre.

On avertit Benoît qu’on veut fusiller quelqu’un, disant : c’est un mouchard. Les gens des fenêtres disaient les uns oui, les autres non. — Benoît le fouille, ne trouve rien sur lui, le fait lier à la barricade au coin des rues Saint-Denis et Rambuteau, et dit : Ajournons l’exécution…

L’homme qu’on voulait fusiller, 38 ans, barbe blonde, pardessus blanc, haute taille, décoré, disait être un ancien capitaine démissionnaire de la 4e légion de la garde de Paris. On finit par trouver sa carte d’agent de police dans le fond de sa culotte. Un enfant indigné lui tire un coup de pistolet qui rate.

Ce récit date de 1851. Or Victor Hugo avait écrit son histoire sur Javert en 1845-1848. À rapprocher le coup de pistolet de l’enfant du coup de pistolet de Thénardier contre Javert et qui rate également.

Nous terminerons cet examen des notes de Victor Hugo par l’étude d’une page écrite sur les deux côtés avec cette indication au coin : « Émeute 2 » sur un côté et « Émeute 3 » et à l’encre rouge : « Comment finit l’émeute » sur l’autre côté. Il y avait évidemment une page « Émeute 1 », mais nous ne l’avons pas. Ces notes sont pressées les unes contre les autres et dans un grand désordre. Elles ont été prises au courant des souvenirs, au fur et à mesure que les faits se présentaient à l’esprit, mais sans suite et sans lien. Nous avons déchiffré ce manuscrit, puis nous nous sommes reportés à la quatrième partie des ' Misérables : l’Idylle rue Plumet, l’Épopée rue Saint-Denis, et nous avons retrouvé dans le roman les faits mentionnés dans ce manuscrit, même des phrases textuelles ou légèrement modifiées, ou quelque incident simplement mentionné sur cette sorte de mémento et très développé dans des chapitres. Ainsi dans le livre dixième, le 5 juin 1832, chapitre iv, les Bouillonnements d’autrefois, chapitre v, Originalité de Paris, écrits en 1845-1848, puis, dans le livre douzième, Corinthe, chapitre iv, Essai de consolation sur la veuve Hucheloup, datant de 1860-1862, puis dans le livre quatorzième, les Grandeurs du désespoir, chapitre ii, le Drapeau, deuxième acte, écrit en 1845-1848, on retrouve toute la substance de ces notes. Ce qui mérite d’attirer l’attention, c’est qu’au milieu de ces notes mêmes qui ont surtout servi pour le livre le 5 juin 1832, on lit d’autres notes qui ont pris place dans la cinquième partie, Jean Valjean. Or cette partie date tout entière de 1860-1862; et dans le livre premier, la Guerre entre quatre murs : chapitre xiii, Lueurs qui passent, chapitre xviii, le Vautour devenu proie, chapitre xxiii, Oreste à jeun et Pylade ivre, en faisant la comparaison entre les indications jetées sur cette feuille et le texte même, on peut constater que les notes ont été utilisées pour la rédaction de ces chapitres. Donc, quoique la cinquième partie ait été faite tout entière en 1860-1862, elle avait été arrêtée dans l’esprit de Victor Hugo en 1845-1848, et par conséquent le roman était, on peut le dire, bâti dans ses quatre parties et conçu dans sa cinquième à cette époque. Mais en 1860-1862 Victor Hugo révise, complète et achève son œuvre.

JOURNAL ET CARNETS.


C’est ici que la marche chronologique du roman trouve sa place. On trouvera des renseignements sur la période de 1845-1848 dans la description du manuscrit, nous les compléterons par quelques lignes extraites du Journal ; quant à la période de 1860-1862, les carnets nous fourniront des indications précises et nombreuses.

Victor Hugo appelait autrefois son « journal » ce qu’il désignait plus tard sous le nom de Carnets. Le journal a été commencé sur des feuilles détachées en 1846 et interrompu en 1848. Il signale les événements, les conversations, les faits et gestes de la vie courante ; il ne mentionne pas, comme dans les carnets, les dépenses et les indications détaillées sur la marche du travail. En ce qui concerne les Misérables, les renseignements sont rares et très sommaires dans le journal.

On lit à la date de 1847 :

1er octobre : j’ai repris Jean Tréjean.
20 octobre : j’ai repris Jean Tréjean.

En raison de ces interruptions, Victor Hugo sentait la nécessité de hâter son travail, c’était l’époque où il songeait à préciser le traité conclu antérieurement en 1832 avec ses éditeurs Gosselin et Renduel, et on lit dans son journal :

28 octobre : je ne dîne plus qu’à neuf heures afin d’allonger ma journée de travail. Je ferai ainsi pendant deux mois pour avancer Jean Tréjean.
9 février 1848 : je me suis décidé à changer Thomas en Marius.
14 février 1848 : Interrompu Jean Tréjean pour la loi des prisons.

Victor Hugo appartenait à la Chambre des pairs. Le système cellulaire venait d’être amendé, on se préoccupait d’élaborer un nouveau projet de loi sur les prisons.

En février 1848, son travail était définitivement suspendu pour cause de révolution. Et pendant plus de trois ans il laisse de côté son roman ; il se donne tout entier à la politique, il est élu à l’Assemblée constituante, il y prononce de nombreux discours ; après la dissolution de l’Assemblée constituante, il est élu à l’Assemblée législative en 1849, et il intervient encore dans les débats. Cependant, dans le courant de 1851, il revient à son roman, ainsi que l’atteste la mention suivante inscrite sur une chemise :

Cela contient le manuscrit des Misères jusqu’à ce jour 31 août 1851, je me prépare à le reprendre après 3 ans et 6 mois d’interruption pour cause de révolution.

Il paraît certain, à en juger par l’écriture du manuscrit, qu’à cette époque il écrivit plusieurs pages de son roman. Mais le coup d’État devait, dans cette même année, l’exiler.

On lira dans l’historique de Napoléon-le-Petit et de l’Histoire d’un Crime le récit de son départ pour Bruxelles et tous les détails sur son séjour en Belgique, Nous ne parlerons ici que de l’allusion qu’il fait à son roman dans une lettre du 14 décembre 1851 adressée à Mme Victor Hugo.

Après avoir indiqué à sa femme comment il avait pu quitter la France, il lui raconte la visite que le ministre belge, Charles Rogier, lui a rendue. Il n’a pas caché au ministre son intention de publier un livre sur le deux décembre à la condition toutefois que cette publication historique n’aggraverait pas le sort de ses fils qui étaient alors détenus à la Conciergerie pour délits de presse, et il interroge Mme Victor Hugo :

Dis-moi ce que tu en penses. Si un écrit de moi peut avoir quelque inconvénient pour eux, je me tairai. En ce cas-là, je me bornerai à finir ici mon livre des Misères. Qui sait ? C’était peut-être la seule chance de le finir.

Mais ceux qui connaissaient l’âme fortement trempée de Charles et de François-Victor Hugo, la vaillance et l’énergie de leur mère, savaient que leurs convenances personnelles s’inclineraient toujours devant le devoir que Victor Hugo avait à remplir envers son pays et envers son parti. Et désormais il n’est plus question de roman, de poésie, mais seulement de son Napoléon-le-Petit, de son Histoire du deux-décembre, de ses Châtiments.

Au moment où Victor Hugo publiait en brochure sa Lettre à lord Palmerston, secrétaire d’État de l’intérieur en Angleterre, le 11 février 1854, il faisait annoncer sur la couverture la quinzième édition de Napoléon-le-Petit et les Châtiments, et en même temps paraissait un avis des éditeurs énumérant les publications prochaines : le Crime du deux-décembre, les Contemplations en deux volumes, les Petites Épopées en un volume et le roman les Misérables, trois parties, six volumes. C’est à cette époque que le roman prenait son titre définitif.

Les éditeurs ajoutaient :

De ces divers ouvrages, un seul, l’Histoire du crime du 2 décembre, touche aux hommes et aux choses de la politique actuelle, les autres appartiennent à la littérature pure et à la philosophie sociale. Cette dernière observation s’applique en particulier au roman intitulé : les Misérables. Ce livre commencé en 1848, interrompu par la révolution de février pour être achevé dans l’exil, du reste absolument étranger aux faits politiques immédiats, est, dans la pensée de l’auteur, sous la forme drame et roman, une sorte d’épopée sociale de la misère.

Les éditeurs commettaient une erreur de date puisque Victor Hugo avait commencé son roman en 1845, comme le mentionne le manuscrit ; mais on découvre déjà la préoccupation de calmer à l’avance les susceptibilités du régime impérial en indiquant nettement que l’œuvre n’était pas politique, qu’elle était exclusivement sociale. C’était un moyen de détourner les foudres de la censure, et cette précaution s’imposait après la publication de Napoléon-le-Petit et des Châtiments.

Mais, malgré cette annonce, Victor Hugo ne reprenait pas son roman, c’était la poésie qui l’attirait, peut-être aussi craignait-il qu’on ne vît dans les Misérables un roman de combat, et jugeait-il plus sage de marquer un temps d’arrêt.

Vers la même époque il traçait volontiers des programmes de publications. Nous avons retrouvé cette note :

socialisme



(Progrès. — Raison.)
Les Misérables. — Roman. — 6 vol.



naturalisme



(Plus que progrès. — Raison.)
(Plus que raison. — Sagesse.)
(La vie universelle de cette vie.)
Dieu, poëme.
La Fin de Satan
Homo, drame.
Entièrement nouveau comme fond et forme dans la manière de l’auteur.


Plus : les Petites Épopées.

(Toutes les lueurs de l’Histoire sur le côté héroïque et merveilleux de l’homme.)

Plusieurs drames sous ce titre :
Le Théâtre en liberté.

Plusieurs autres sous ce titre :
Les Drames de l’invisible.

Un volume (poésie) sous ce titre :
Chansons des rues et des bois.

Du reste naturalisme et socialisme sont mêlés dans tous ces livres. — Seulement la dominante est tantôt socialisme, tantôt naturalisme. Il y a en outre un livre de philosophie, produit d’une méditation de vingt-cinq ans et intitulé : Essai d’explication.

Victor Hugo faisait paraître, conformément à l’annonce précédente, les Contemplations, et au moment où Hetzel lui parlait de son roman des Misérables, il lui répondait par les Petites Épopées qu’il devait publier en 1859 sous le titre de la Légende des Siècles.

Cependant Victor Hugo, ayant payé son large tribut à la poésie, songe au bout de douze années à son roman inachevé. Il ne s’en était pas inquiété outre mesure ; n’avait-il pas le temps ? N’avait-il pas devant lui les longues heures que la solitude accordait au travail ? Il vivait dans son île avec sa famille et quelques amis ; il ne risquait pas d’être trop importuné par les visiteurs.

En dépit de l’espoir que nourrissent toujours les exilés d’un changement inattendu dans la politique, on ne pouvait guère prévoir un ébranlement du régime impérial. Le 15 août 1859, Napoléon III, en décrétant l’amnistie générale, fortifiait la conviction de ceux qui avaient confiance dans la solidité de l’empire, et c’était pour Victor Hugo la certitude qu’il pourrait désormais achever son roman.

En effet, au printemps de 1860, le 25 avril, il tire les Misérables de sa malle aux manuscrits. On ne reprend pas du jour au lendemain une œuvre interrompue pendant douze ans et dont la conception remonte en réalité à 1830. Des transformations ont pu s’opérer dans les idées, surtout pour un livre qui soulève tant de problèmes et qui évoque la question sociale, la question politique, la question religieuse.

De nombreux événements se sont produits. Le temps, la réflexion, la maturité ont apporté des lumières nouvelles. Et le premier soin de Victor Hugo est de relire son manuscrit tout entier et ses notes. Et c’est alors que lui vient un scrupule. Sans doute l’action du drame est nettement établie, mais la leçon morale se dégage-t-elle avec une clarté suffisante ? Le caractère de l’œuvre ressort-il avec toute sa limpidité ? Il redoute les obscurités, et alors il entreprend cette grande préface philosophique dont nous avons raconté l’histoire dans le précédent volume. Ce n’est pas tout ; à l’époque où Victor Hugo écrivait son roman, il était, comme il le disait lui-même, libéral ; devenu républicain, il se trouve conduit à modifier la nature et les sentiments de quelques-uns de ses personnages, à envisager les événements politiques sous un autre angle, à agrandir son cadre ; nous avons donné déjà plus haut les étapes successives de ce travail, nous nous bornons ici à marquer simplement l’emploi de son temps. Or cette lecture de son manuscrit qui l’amenait à dégager plus nettement la partie philosophique et morale de son œuvre, lui révélait en même temps toutes les lacunes, toutes les imperfections, toutes les omissions de sa première improvisation. Il avait non seulement toute sa dernière partie à faire, mais les quatre premières parties à compléter, à élargir ; donc, du 26 avril au 12 mai il avait relu son manuscrit ; puis du 12 mai au 30 décembre il avait écrit d’abord sa préface philosophique, puis revécu son roman tout entier. Pendant ces huit mois il n’avait pas écrit une ligne des Misérables, comme le constatent ses carnets à la date du 30 décembre :

Aujourd’hui 30 décembre 1860, je me suis remis à écrire les Misérables. Du 26 avril au 12 mai j’ai relu le manuscrit. Du 12 mai au 30 décembre j’ai passé sept mois à pénétrer de méditation et de lumière l’œuvre entière présente à mon esprit, afin qu’il y ait unité absolue entre ce que j’ai écrit il y a douze ans et ce que je vais écrire aujourd’hui. Du reste tout était solidement construit. Provisa res. Aujourd’hui je reprends (pour ne plus la quitter, j’espère) l’œuvre interrompue le 21 février 1848.

Et en effet elle était interrompue à la fin de la quatrième partie, livre quinzième la Rue de l’Homme-Armé, chapitre i, Buvard, bavard ; Victor Hugo avait écrit le 21 février 1848 le chapitre qui commençait ainsi :

« Qu’est-ce que les émotions commotions d’une ville auprès des émeutes excitations de l’âme… »

Cette seule indication prouve encore que le roman était écrit dans ses quatre premières parties. Il se remettait donc à son travail en janvier 1861. Et sur une chemise on lit cette indication portant la date du 7 janvier 1861 : « Substituer partout Jean Valjean à Jean Vlajean » ; sur un dossier de la même date cette note :

24 mars 1861. Cette copie devra être collationnée mot à mot sur le manuscrit. Mettre partout Jean Valjean.

Or cette note de 1861 a été ajoutée sur la chemise d’un dossier de 1847 portant comme titre les Misères, copie, et dans un coin, ces mots de l’écriture de la même époque :

L’épître du 4° dimanche de l’avent, l’évangile du bon pasteur, monseigneur Bienvenu.

C’est donc de cette épître que Victor Hugo s’était inspiré pour tracer la physionomie de son évêque et marquer la portée morale de son roman :

Le Seigneur est mon juge. Ne me jugez donc point avant le temps jusqu’à l’avènement du Seigneur qui produira au grand jour ce qui est caché dans les ténèbres et qui découvrira les plus secrètes pensées des cœurs. Alors chacun recevra de Dieu la louange qu’il aura méritée.

Victor Hugo complète donc, puis achève son roman au début de 1861. Et dans cette période il s’applique à développer et à mieux éclairer les traits de ses divers personnages. C’est en effet en 1861 qu’il fixe par de nouveaux détails les portraits de Mgr Bienvenu, de Gillenormand, de Marius, de Thénardier et de ses jeunes républicains. Il pousse activement son travail jusqu’au 15 mars. Puis il le suspend, ainsi qu’en témoignent ses carnets :

17 mars. J’ai interrompu les Misérables pour les apprêts de voyage.

21 mars. Acheté un sac Waterproof pour le manuscrit des Misérables.

25 mars. Départ pour Weymouth par l’Aquila à neuf heures du matin.

Victor Hugo devait, après un mois de repos, aller ensuite à Waterloo pour écrire sur place son livre sur Waterloo qui ouvre la deuxième partie Cosette.

Avec quelle émotion lui, le fils de l’ancien soldat de l’empereur, devait-il entreprendre ce pèlerinage ?

Le 7 mai, il partait pour Waterloo, et on lit dans ses carnets :

Arrivés à Mont-Saint-Jean à 11 heures, descendus à l’hôtel des Colonnes.

La fenêtre de ma chambre a vue sur le lion de Waterloo. J’ai retrouvé le tabac Esmeralda à Mont-Saint-Jean. Acheté 12 vues de Waterloo.

À une heure nous sommes allés visiter le champ de bataille par la route de Nivelles. Vu Hougomont. Acheté un morceau d’arbre du verger où est incrusté un biscayen : 2 fr.

À 5 heures moins un quart je suis monté au lion. Vent et soleil. Promenade à Braine-l’Alleud.
8 mai. Quitté Mont-St-Jean à 2 heures.

Retour à Bruxelles.

Victor Hugo reste huit jours à Bruxelles et revient le 15 mai à Mont-Saint-Jean, revoit les positions le 16, va à Braine-l’Alleud le 17, à Plancenoit le 18, à Ohain le 19, à la Hulpe le 23, à Nivelles le 24 ; il revient le 27 à Bruxelles pour assister à la première représentation d’une pièce de Charles Hugo : Je vous aime, et retourne le 28 au soir à Mont-Saint-Jean à l’hôtel des Colonnes.

Il reprend son travail le 29 mai. Lorsque son fils Charles vient le retrouver il lui montre le champ de bataille et relate cette promenade dans ses carnets :

9 juin, à 10 h. 1/2 Charles est arrivé avec M. Émile Allix. Il restera jusqu’à demain matin. M. Allix repartira ce soir.

Nous sommes allés à la ferme Mont-St-Jean, a la Haie-Sainte, à la Belle-Alliance, à Rossomme, à la maison Decoster et à Plancenoit. Vu l’église de Plancenoit. Trouvé un morceau de fer rouillé en remuant le sable du tertre où Napoléon s’est tenu, en avant de la maison Decoster, pendant la bataille.

10 juin. Charles est reparti.

11 juin. Visiteurs évités. Ordres donnés à cet effet.

12 juin. Promenade à Braine-le-Château en cabriolet. Arrivé à 7 h. 1/4. Dessiné le pilori. Vu la façade du château. Retour à Mont-St-Jean à 9 heures du soir.

17 juin. Je suis parti à trois heures pour Bruxelles. Ma femme et ma fille sont arrivées le 11.

Le 18 juin, Victor Hugo revient à Mont-Saint-Jean à 7 heures du soir et visite le soir même le champ de bataille de Waterloo.

Le 19 juin, il se remet au travail jusqu’au 30, et, dans un petit cahier rempli de notes, on trouve cette phrase : « J’ai passé deux mois à Waterloo. C’est là que j’ai fait l’autopsie de la catastrophe. J’ai été deux mois couché sur ce cadavre. »

Et on lit dans ses carnets :

30 juin. J’ai fini les Misérables sur le champ de bataille de Waterloo et dans le mois de Waterloo.

1er juillet. J’ai trouvé dans le champ de bataille de Waterloo une pierre ayant la forme d’une tête d’aigle.

4 juillet. Charles est arrivé à Mont-St-Jean avec Charles-Edmond à 9 h. 1/2 du matin. Ils ont déjeuné et dîné avec moi. Nous sommes allés ensemble à Braine-le-Château voir le pilori et le château.

Le 9 juillet, Victor Hugo part pour Bruxelles, fait une excursion à Malines et revient le 10 juillet à Mont-Saint-Jean ; le 14 juillet, il se décide à partir, les journaux publiant de longs articles sur son séjour à Waterloo lui avaient attiré de nombreux visiteurs, et il ne pouvait plus travailler.

Mais auparavant, le 13 juillet, il avait écrit une note que nous avons retrouvée. Elle est curieuse parce qu’elle donne quelques renseignements sur son travail de révision, la voici :

La première chose que j’aurai à faire en me remettant au travail sera de relire le cahier réservé. Le travail est fait jusqu’au départ de Marius de chez son grand-père (feuillet S4). Faire le chapitre des jeunes gens. Le dossier principal (n° 1) est là, mais il faudra feuilleter le dossier n° 2. Il y aura là plusieurs questions à examiner. Peindre l’intérieur de la salle réservée aux républicains (les Amis de l’A B C), dans le café des écoles. La triple causerie : littéraire, politique, les dominos. — La grande scène entre Marius et Enjolras rend Marius pensif, mais l’effet n’en est complet que plus tard. Ne pas oublier que Marius passe à un état politique vague, plutôt selon l’humanité que selon le peuple.

Tout ce passage a été rayé quand Victor Hugo a utilisé les observations qu’il avait consignées.

Cette note est suivie de cette autre :

Ensuite il me restera à faire :

— La scène de la carrière — la situation politique après 1830 — Louis-PhilippeWaterloo — et la Prière (et les modifications au couvent).

Waterloo — Thénardier chacal — ôte Pontmercy de dessous les cadavres du ravin de la route d’Ohain à Braine l’Alleud pour le dépouiller et le voler — clair de lune — (pleine) lui vole sa bourse et sa montre. Le colonel se réveille et le prend pour un sauveur. Thénardier l’emporte sur son dos dans une cabane, et après lui avoir volé sa montre et sa bourse lui vole sa reconnaissance. (Plus tard il sera dit, c’est indiqué déjà, que Pontmercy se traîne d’ambulance en ambulance, guérit et gagne la Loire où étaient les débris de l’armée.) Pour ce qui est relatif à Thénardier revoir tout ce qui le concerne.

Revoir toute la barricade au point de vue des caractères des jeunes gens mieux indiqués.

Compléter l’évêque — faire un homme à la mer.

Compléter l’égout — compléter l’écrit laissé par Javert.

Compléter l’argot (forban, philosophe. Détails sur la carte d’espion de Javert. Pigritia est un mot terrible, etc.).

Enfin terminer par la division définitive et par les titres définitifs.

En travers de cette sorte de mémento on lit ces lignes :

J’écris cette note le 13 juillet 1861 au moment de quitter Mont-Saint-Jean et d’interrompre de nouveau mon travail pour ne le reprendre qu’à Guernesey.

Ces notes exigent quelques explications, et tout d’abord il n’y a pas la moindre contradiction entre ces notes du 13 juillet et la mention des carnets portant que, le 13 juin, les Misérables étaient terminés. Il s’agissait là d’un programme de révision, et puis il fallait rattacher Waterloo au roman et mieux fixer le rôle de Thénardier sur le champ de bataille. Ce programme de révision établit assez nettement, et en grande partie, la liste des chapitres qu’il a écrits en 1861 pour compléter son roman : et là encore nous avons une preuve que ses Misérables datent bien dans leur ensemble de 1845-1848.

On remarquera qu’à la fin de sa note Victor Hugo s’enquiert de la « division définitive » et des « titres définitifs » de son œuvre. C’est en effet une question qu’il avait agitée déjà dès le début. Sur une enveloppe au nom de Victor Hugo, pair de France, 6, place Royale, il avait donné cette division :

Histoire d’un saint.

Histoire d’un homme.

Histoire d’une femme.

Histoire d’une poupée.

On reconnaît là Mgr Myriel, Jean Valjean, Fantine, Cosette.

On trouvera encore cette autre indication :

Il faudra examiner la question des divisions.

Ainsi, bonne solution peut-être, diviser l’ouvrage en parties, les parties en livres, les livres en sections.

Chaque partie aurait un titre. Chaque livre aurait un titre. Les sections n’auraient que des chiffres.

Ainsi on ferait de l’évêque un livre — avec sections chiffrées — cela est déjà indiqué.

Ainsi de la noce de Marius et de Cosette un livre. Avec sections chiffrées à partir de la nuit du 16 au 17 février. Jean Valjean serait la clôture de cette noce.

Peut-être serait-il bon d’ajouter aux chiffres des sections un sous-titre en petit romain gras. Examiner cela.

Donc, le 13 juillet 1861, Victor Hugo quittait Mont-Saint-Jean, et du 14 juillet au 3 septembre il voyageait en Belgique et en Hollande. Il rentrait à Guernesey le 3 septembre par un gros temps. À ce moment, il devait, ainsi qu’on a pu s’en convaincre par la note du 13 juillet, réviser son roman, écrire de nouveaux chapitres, et, à peine arrivé, on lui faisait des offres d’achat. Cependant il ne se remettait au travail que le 16 septembre, et il répondait par lettre aux propositions qui lui venaient de Belgique ; il signait un traité le 4 octobre. Nous en parlerons dans le volume suivant. Cet engagement ne troublait en rien la marche du travail, telle qu’il l’avait fixée. Il avait repris tout son manuscrit et l’avait relu d’abord tout entier jusqu’au 26 octobre. Il se consacra à sa première partie, Fantine, qu’il livrait à ses éditeurs le 5 décembre et, pendant l’impression, il poursuivait le travail de révision qu’il achevait le 26 mai 1862.

Nous terminons ici cette première partie de l’historique. Nous avons indiqué les origines et les sources des Misérables ; montré que les personnages n’étaient pas simplement des créations fictives, mais bien des êtres vivants, réels, avec la part de fantaisie et d’invention qu’on doit attendre d’une imagination aussi fertile et aussi prodigieuse que celle de Victor Hugo ; nous avons parcouru les diverses étapes du travail pendant les deux périodes de 1845-1848 et de 1860-1862.

Dans le volume suivant nous parlerons des négociations et des traités avec les éditeurs, de la fabrication matérielle de l’œuvre, et de la mise en vente. On verra par quelle succession d’émotions passaient l’auteur et les éditeurs, lorsque, dans le cours de la publication, ils redoutaient les représailles du gouvernement français. Ce ne sera pas un des chapitres les moins intéressants de l’histoire d’un roman épié, surveillé, guetté par la censure impériale.

En résumé, le roman des Misérables publié en dix volumes avait imposé à Victor Hugo d’abord deux ans et trois mois de travail, du 17 novembre 1845 au 21 février 1848, puis six mois de travail, de janvier au 30 juin 1861, soit en tout deux ans et neuf mois, une période de méditation vers 1830 que nous ne pouvons évaluer, et une autre période de huit mois du 25 avril au 30 décembre 1860, enfin un travail de révision d’environ neuf mois et demi du 3 septembre 1861 au 24 mai 1862. Il avait vingt-huit ans quand il concevait son œuvre, quarante-trois ans quand il commençait à l’écrire, cinquante-neuf ans quand il l’achevait. Et à ceux qui le représentaient comme ayant déjà acquis une grosse fortune il pouvait répondre ce qu’il a répondu à Octave Lacroix dans sa lettre du 30 juin 1862 :

Ma fortune, fort ébranlée et presque détruite par le coup d’État, a été un peu réparée par le livre Les Misérables.

Il avait soixante ans. C’est une des œuvres assurément auxquelles il a consacré le plus de temps durant toute sa carrière. C’est elle qui, avec Notre-Dame de Paris, en pénétrant dans tous les publics, répandit partout son nom et universalisa sa gloire.

ILLUSTRATION DES ŒUVRES

REPRODUCTIONS ET DOCUMENTS

  1. Reliquat, tome I.
  2. Sur l’ordre du général Miollis, alors gouverneur de Rome, et en exécution des décisions prises par Napoléon Ier, le général Radet investit le Quirinal où s’était réfugié le pape Pie VII, s’empara du pape et le fit conduire hors de Rome dans une voiture escortée par des gendarmes.
  3. Déshabilleur de tronc et de branches maîtresses de chênes-liège ; du mot provençal rusque — écorce.
  4. M. La Roncière Le Noury fut nommé contre-amiral le 4 mars 1861.
  5. Note de Victor Hugo : « Impossible, il y a un été, puis un hiver, puis un été. »
  6. Nous donnons cette page de notes en fac-similé.
  7. Le mot laissé en blanc est illisible dans le manuscrit.