Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/133

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forts sur la terre durable et bien arrondie », et il n’aurait plus rien à redouter[1]. »

Nietzsche a voulu être cet homme qu’un sentiment prodigieux de sa valeur et l’orgueil des conquêtes qu’il doit faire sur le destin, campe en face de l’univers plus fort.

Toutefois, ce consentement orgueilleux à la vie ne peut surgir dans la volonté collective et brutalement aveugle qui anime l’univers. Il est l’acte d’une volonté réfléchie et individuelle. Cette volonté, Nietzsche la mettra à l’abri du remous prodigieux des forces mauvaises. Il l’isolera métaphysiquement. Il lui ménagera des ressources dans l’avenir. Voilà pourquoi Nietzsche sera à la fois pluraliste et évolutionniste. Il accepte le secours que lui offre Fichte. L’univers est justifiable, s’il se peut que des foyers multiples d’émotion joyeuse et intelligente s’y allument, qui tireront de lui l’énergie par où ils différent de lui. De telles formes de sensibilité n’existent pas dans une vie organique primitive. Il y faut une longue préparation. L’idée d’évolution permet d’attendre de l’avenir des aspects nouveaux de la vie qui justifieront toute vie. Au regard de ces possibilités de joie éparses en foule, dès maintenant, mais dont beaucoup sont réservées pour le futur, peut-être la considération de la quantité de douleur paraîtra négligeable. Mieux encore, une psychologie nouvelle de la joie la fera peut-être apparaître comme un triomphe sur les forces adverses, et comme la preuve d’une volonté immanente aux choses, qui n’est pas seulement volonté de vivre, mais volonté de dominer. Schopenhauer avait l’effroi de l’éternité, et son espoir


  1. Schopenhauer, Die Welt als Wille und Vorstellung, § 54, Ed. Grisebacb, I, 370. Le rapprochement a été fait par Crusius, Erwin Rohde, p. 187.