Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/134

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était d’anéantir peu à peu dans la vie supérieure le désir de durer. L’idée du retour éternel est pour lui une possibilité dont se joue son intelligence. Nietzsche essaiera d’en faire un postulat nécessaire à Nietzsche. Les lacunes du système de Schopenhauer imposent la nécessité d’affirmer un réel changeant, qui remplit la durée, c’est-à-dire une évolution, et d’affirmer un éternel retour. Entre les deux idées, un lien peut-il se concevoir ? La pensée de Nietzsche oscille puissamment entre ces deux contraires. Nous aurons à dire comment il n’a pas pu les concevoir comme exclusifs l’un de l’autre. Mais la seule obligation de les adopter, quand Schopenhauer les excluait tous les deux, ce sera pour Nietzsche le signe entre tous, qu’il avait renversé le schopenhauérisme.

III. La vision esthétique. — Où donc, cependant, pour Schopenhauer lui-même, y aurait-il une consolation, si ce n’est dans l’éternel ? Autant que Nietzsche, bien que selon une autre méthode, il veut nous faire vivre l’éternité ; et d’abord il nous propose de la contempler. Le salto mortale qui emportait Jacobi et Kant par delà les phénomènes et qui était chez eux un acte de foi, Schopenhauer l’accomplit par l’intuition générale. La science est connaissance des phénomènes particuliers, sériés dans le temps et dans l’espace selon la loi de cause. Connaissance toute pratique, et qui intéresse le vouloir seul. Les choses envisagées par la science ne nous apparaissent jamais dans leur réalité profonde et telles qu’elles sont : le savoir ne saisit que les rapports qui les joignent. Ces rapports seuls sont connaissables intellectuellement ; et ils suffisent à nous orienter. Un savoir de plus en plus spécialisé les étudie. À mesure que les relations se précisent entre les objets, le rapport aussi que nous soutenons avec eux nous est mieux connu ; et c’est là ce qui nous intéresse. Mais visible-