Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/149

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nous proposer des impératifs qu’il ne nous est pas loisible de suivre, s’ils ne coïncident pas avec l’élan naturel de notre tempérament ; et il est vain de nous demander un repentir au sujet d’actes que nous n’étions pas libres de ne pas accomplir. L’ « immoralisme » de Nietzsche aura ses racines dans cette conception phénoméniste de la vie morale. Nous aurons à dire plus tard comment Nietzsche, à l’opposé de Schopenhauer, prétend demeurer un éducateur ; et comment il est arrivé à prescrire le code moral le plus rigoureux dans sa généreuse exigence qu’on ait vu jamais.

Il a donc gardé de Schopenhauer le phénoménisme : et pour arriver à la libération il a renoncé à cette doctrine du caractère qui fonde notre être dans ce qui est métaphysiquement immobile. Ce qui reste de la morale schopenhauérienne, quand on en défalque cette incertaine métaphysique du caractère, c’est d’abord une psychologie des mobiles moraux. Cette casuistique morale, si ingénieuse à dépister les sophismes du cœur, et qui fait de Schopenhauer un si proche voisin des moralistes français, fournit à Nietzsche plus d’un subtil stratagème analytique. Nietzsche différera de lui par le résultat auquel cette analyse le conduit. En revanche, il sera vraiment cet « Asmodée de la moralité » que Schopenhauer réclamait et qui rendra transparents, comme dans Cazotte, « non seulement les toits et les murailles, mais le voile de simulation, de fausseté, d’hypocrisie, de grimace, de mensonge et de tromperie », qui recouvre les apparences du droit, du patriotisme, de la religion, de la philosophie, de la vertu[1].

Dans Schopenhauer, la moralité subalterne a deux mobiles fondamentaux : 1o un égoïsme sans limites ;


  1. Parerga, chap. VIII, § 114 (V, 215).