Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/150

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2o l’amour des sexes. Facile classement, qui a pour lui le consentement universel, et qui n’est pas sans profondeur métaphysique. Si l’éternel en nous est l’idée platonicienne, c’est-à-dire l’espèce que nous représentons, comment n’y aurait-il pas en nous, outre l’instinct qui défend notre individualité passagère, un instinct au service de l’espèce, et qui est l’amour ?

La psychologie morale de Schopenhauer sera donc d’abord anatomie précise de cet « égoïsme colossal », grossi encore de toute la haine, de toute la venimeuse jalousie et de tout le ressentiment accumulé en lui par ses déconvenues ; cruel à plaisir, parce qu’il se soulage de sa propre souffrance en faisant souffrir autrui ; et tenu en bride seulement par sa lâcheté aussi grande que son irritabilité criminelle. Nietzsche retiendra les caractéristiques de cet agressif vouloir, dont Schopenhauer avait déjà dit : « Il veut jouir de tout, posséder tout.., et à tout le moins dominer sur toutes choses[1]. » Le nom seul chez Nietzsche sera nouveau, et l’on verra se prolonger dans le même esprit chez lui ces fines analyses, sardoniques et tristes, mais éclairées, dont l’exemple avait, été donné par Schopenhauer. De Schopenhauer il tient en second lieu le secret de sa psychologie des sexes ; son admiration médiocre du sexe féminin, « le plus laid des deux », étroit d’épaules, large de hanches, bas sur jambes ; et sa jovialité rabelaisienne dans l’art très averti de démasquer les sortilèges de l’amour.

Il faut attacher beaucoup d’importance à ces passages où Schopenhauer décrit cette voracité conquérante des instincts égoïstes, qui tout naturellement tendent à l’infini, à la domination totale. Ils contiennent en germe toute la psychologie du Nietzsche des dernières années. L’inter-


  1. Ueber die Grundlage der Moral, § 14 (III, 578).