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justes, mais parce qu’elles sont loix. C’est le fondement mystique de leur autorité »[1], et ce qui nous semble lois générales et naturelles ne sont que « communes imaginations infuses en notre âme par la semence de nos pères »[2]. La psychologie morale de Nietzsche, à l’époque où il rédigea les Choses humaines, trop humaines, et dans les aphorismes de l’Aurore connaîtra d’autres aboutissants, mais elle a le même point de départ.

Chez Montaigne et chez Nietzsche, cette psychologie enveloppe une appréciation, puisqu’à cet état de choses historiquement décrit elle trouve des inconvénients. Aucune législation, dit Montaigne, quand « elle y attacherait cent mille loix » ne saisit « l’infinie diversité des actions humaines »[3]. Dans toutes ces « justes sentences » que nous suivons, si chacun de nous « regardait par où elle lui appartient en son propre »[4], il la trouverait peu faite pour ses besoins. Elles sont propres à « nous destourner et distraire de nous »[5]. Elles nous font jouer un rôle, « comme rolle d’un personnage emprunté »[6]; et elles sont causes que « la plupart de nos vocations sont farcesques »[7]. Montaigne voudrait réveiller en nous la conscience de ce que nous sommes et stimuler en nous le courage de montrer notre nature vraie. C’est le privilège de l’homme libre et c’est le secret de la vie. Car, dans ce vieillissement constant qui rend caduques les lois et les croyances, le rajeunissement nécessaire et la détermination des maximes de vie nouvelles ne peut venir que d’un retour sincère à notre naturel intime.

Montaigne n’est pas le guide que Nietzsche choisit pour démasquer notre mensonge social sous les « cent mille visages » où il se cache. Il ne retient de lui qu’une

  1. Essais, III, 424.
  2. Ibid., I, 127.
  3. Ibid., III, 323.
  4. Ibid., III, 414.
  5. Ibid., I, 127.
  6. Ibid., III, 325.
  7. Ibid., III, 334.