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place de la vertu et de la sainteté chrétienne, un idéal antique de la grandeur de l’homme. Burckhardt se refuse à concéder qu’aucune autre société ait jamais pu être ni moralement préférable, ni plus finement cultivée.

Sans doute, la culture de cette société en reflète les vices autant que les perfections. Le talent de la raillerie insolente, du burlesque méchant, de la parodie blasphématoire y surabonde. Il y a des spadassins de la littérature comme de la rue, et leur jalousie basse demande des hécatombes. Comme la sociabilité, la littérature a deux faces, dont une redoutable. L’humanisme lui-même, qui est la gloire intellectuelle la plus incontestée de ce temps, n’est pas sans tache. Les humanistes traversent sans discipline serrée, et sans aucune solidité morale dans leur notion nouvelle de la vie païenne, cette grande crise de la Renaissance, où se décomposent toutes les croyances. Ils mènent une vie précaire, pleine de misère et de gloire, et leur dignité personnelle y est trop souvent compromise[1]. C’est par eux cependant, par leur activité auprès de la grande bourgeoisie, des dilettantes riches et des princes, que la culture antique devint un besoin profond et fut estimée comme un bien si précieux, que dans les familles nobles les femmes elles-mêmes y prirent part. Ils donnèrent dans tout le pays l’idée d’une universalité d’esprit qu’on n’a plus revue depuis. Un humaniste au xvie siècle est un érudit, mais il est un poète aussi. Il est historien, naturaliste et cosmographe, et encore peintre ou architecte parfois comme Léon-Battista Alberti ou comme Léonard de Vinci qui a réalisé cet idéal de l’uomo universale avec une absolue maîtrise[2]. Il se prépare de la sorte une culture des esprits ration-

  1. Burckhardt, Kultur der Renaissance, p. 128, 214 sq.
  2. Ibid., p. 113.