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APULÉE.

comme un magicien [a] non pas devant des juges chrétiens, ainsi qu’un commentateur [b] prétend que saint Augustin l’assure ; mais devant Claudius Maximus, proconsul d’Afrique, et païen de religion. Il se défendit avec beaucoup de vigueur : nous avons l’Apologie qu’il prononça devant les juges. C’est une très-belle pièce [c] : on y voit des exemples des plus honteux artifices que la mauvaise foi d’un impudent calomniateur soit capable de mettre en jeu (K). On a observé qu’Apulée, avec tout son art magique, ne put jamais parvenir à aucune magistrature : quoiqu’il fût de bonne maison, qu’il eût été fort bien élevé, et que son éloquence fût fort estimée [d]. Ce n’est point par un mépris philosophique, poursuit-on, qu’il a vécu hors des emplois politiques ; car il se faisait honneur d’avoir une charge de prêtre, qui lui donnait l’intendance des à jeux publics ; et il disputa vivement contre ceux qui s’opposaient à l’érection d’une statue, dont les habitans d’Œea le voulurent honorer [e]. Rien ne montre plus sensiblement l’impertinente crédulité des païens, que d’avoir dit qu’Apulée avait fait un si grand nombre de miracles (L), qu’ils égalaient, ou même qu’ils surpassaient, ceux de Jésus-Christ. Il y eut sans doute bien des gens qui prirent pour une histoire véritable tout ce qu’il raconte dans son Âne d’or. Je m’étonne que saint Augustin ait été flottant sur cela [f], et qu’il n’ait pas certainement su qu’Apulée n’avait donné ce livre que comme un roman [g]. Il n’en était pas l’inventeur : la chose venait de plus loin, comme M. Moréri l’a entrevu (M) dans les paroles de Vossius qu’il n’a pas bien entendues. Quelques païens ont parlé de ce roman avec mépris (N). Apulée avait été extrêmement laborieux (O) : il avait composé plusieurs livres (P), les uns en vers, les autres en prose, dont il n’y a qu’une partie qui ait résisté aux injures du temps. Il se plaisait à déclamer, et il le faisait avec l’applaudissement de tout l’auditoire. Lorsqu’il se fit ouïr à Œea, les auditeurs s’écrièrent tout d’une voix, qu’il lui fallait conférer l’honneur de la bourgeoisie [h]. Ceux de Carthage l’écoutèrent favorablement, et lui érigèrent une statue [i] : plusieurs autres villes lui firent le même honneur [j]. On dit que sa femme lui tenait la chandelle pendant qu’il étudiait ; mais je

  1. L’accusateur s’appelait Sicinius Æmilianus. Il était frère du premier mari de Pudentilla. Apuleius, Apologiæ initio.
  2. Leon. Coqueus, in Augustin. de Civitate Dei, lib. VIII, cap. XIX, pag. 790 ; edit. Francof., an. 1661, in-4o. ; mais il se trompe : saint Augustin dit tout le contraire.
  3. Augustinus, de Civitate Die, lib. VIII, cap. XIX.
  4. Saint Augustin fait cette remarque, dans son Épître V. Voyez la remarque (L), à la fin.
  5. Prostatuâ sibi apud Œcenses locandâ, ex quâ civitate habebat uxorem, adversùs contradictionem quorundam civium litigaret, quòd posteros ne lateret ejusdem litis orationem scriptam memoriæ commendavit. August. Epist. V.
  6. Idem, de Civitate Dei, lib. XVIII, cap. XVIII.
  7. Sermone isto Milesio varias fabulas conseram. Apul. in Prologo Asini aurei.
  8. Apul in Apolog., pag. 320.
  9. Idem, Floridor., pag. 355 et seq.
  10. Ibidem, pag. 356.