Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
343
ARISTIDE.

possent, ut par est, et nullo modo infensus, sed accuratus, non arrogans velut hic (Apollonius Pergæus) quantum ostendi potuit de loco per ejus conica memoriæ prodidit [1].

  1. Pappus, in Proœm. lib. VII, Mathem. Collection.

ARISTIDE, surnommé le juste, florissait à Athènes, en même temps que Thémistocle. Ils furent fort brouillés ensemble ; et il parut alors que, pour être supérieur à un autre en vertu, on ne l’est pas en crédit (A). L’éloquence impétueuse de Thémistocle le fit triompher de la justice de son rival. Il est remarquable qu’un de ceux qui opinèrent au bannissement d’Aristide se fonda sur la grande réputation de probité dont il le voyait jouir (B) ; mais voici une particularité qui est encore plus remarquable. Ce grand homme qui observait si exactement les règles de l’équité chez lui, et envers ses compatriotes, ne faisait point de scrupule de préférer l’utile à l’honnête, quand il s’agissait d’une affaire de politique (C). Il vécut dans une grande pauvreté, et il en tirait un sujet de gloire (D). Il ne laissa, ni de quoi marier ses filles, ni de quoi faire ses funérailles. La république se chargea de tous ces frais [a]. Il fut assez généreux pour ne pas se joindre aux ennemis de Thémistocle, dans un temps où il y avait lieu de croire qu’ils l’accableraient [b] ; car, sans qu’Aristide s’en mêlât, Thémistocle fut condamné au bannissement. Les auteurs varient sur les dernières heures d’Aristide [c], mais il ne faut point douter que Sénèque n’y ait fait une lourde faute (E). Nous dirons, dans l’article d’Artémidore, qu’un petit-fils d’Aristide gagnait sa vie à dire la bonne aventure par les songes.

  1. Plut. in Aristide, pag. 335.
  2. Idem, ibid., pag. 334.
  3. Il mourut l’an 2 de la 78e. olympiade, qui était le 4e. après le bannissement de Thémistocle. Cornel. Nepos, in ejus Vitâ.

(A) Pour être supérieur à un autre en vertu, on ne l’est pas en crédit. ] Cette pensée est de Cornélius Nepos : In his cognitum est quantò antistaret eloquentia innocentiæ ; quamquàm enim adeò excellebat Aristides abstinentiâ, ut unus post hominum memoriam, quod quidem nos audierimus, cognomine Justus sit appellatus, tamen à Themistocle collabefactus testulâ illâ exilio decem annorum multatus est [1]. Soyez le plus honnête du monde, et n’ayez pas l’art de criailler, de clabauder, et de tempêter par des harangues, comptez que vous succomberez, ayant à faire au plus malhonnête homme de la ville.

(B) Un de ceux qui opinèrent à son bannissement se fonda sur la grande réputation de probité dont il le voyait jouir. ] Un bourgeois d’Athènes, qui mettait sur sa marque qu’Aristide fût banni, répondit naïvement à Aristide, qui lui demandait la raison de ce suffrage : Je ne le connais point, mais il me déplaît, à cause qu’il a travaillé ardemment à être surnommé juste. Cedensque animadverteret quemdam scribentem ut patriâ pelleretur, quæsîsse ab eo dicitur, Quarè id faceret, aut quid Aristides commisisset, cur tantâ pœnâ dignus duceretur ? Cui ille respondit se ignorare Aristidem, sed sibi non placere, quòd cupidè elaborâsset ut præter cæteros justus appellaretur [2]. Une infinité de gens pensent comme celui-là, mais ils n’ont pas sa bonne foi. Tout ce qui excelle leur déplaît ; ils regardent plus équitablement une vertu très-

  1. Cornel. Nepos, in Vitâ Aristidis.
  2. Idem, ibidem.