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ARNAULD.

personnages, desquelles tant de gens sont si curieux. « Arnaud d’Andilli… servit vingt ans le roi et l’état. On lui donna pour récompense de ses services huit mille livres de pension, qui furent réduites à six : avec cela, il se retira à Pompone, village à 7 ou 8 lieues de Paris. Là, s’étant détrompé des vanités du monde, et menant une vie véritablement chrétienne, il composa plusieurs ouvrages. Ses lettres, le poëme sur la vie de Jésus-Christ [1]... Josephe, de l’Histoire des Juifs, les œuvres de sainte Thérèse, et celles de Davila, sont les fruits de sa solitude... La meilleure de ses traductions est celle de Josephe [2]. Un jour que Richelet l’alla voir à Pompone, qu’il n’y avait pas long-temps qu’elle était publiée, la conversation, en suite de quelques discours, tomba sur la manière dont les auteurs travaillaient. Comme il savait que Richelet connaissait particulièrement le célèbre d’Ablancourt, il lui demanda combien de fois cet excellent homme retouchait chaque ouvrage qu’il donnait au public : Six fois, répondit Richelet : Et moi, lui répliqua M. Arnauld, j’ai refait dix fois l’Histoire de Josephe ; j’en ai châtié le style avec soin, et l’ai beaucoup plus coupé que celui de mes autres œuvres. Arnauld d’Andilli... dans sa retraite, après 7 ou 8 heures d’étude chaque jour, se divertissait à prendre les plaisirs de la campagne, et surtout à cultiver ses arbres. Il lui venait de si beaux fruits, qu’il en envoyait tous les ans à la reine Anne d’Autriche ; et cette princesse les trouvait si à son goût, que dans le temps elle demandait qu’on lui en servît. » Cette application au jardinage, et à philosopher profondément sur la nature des arbres, est attestée par M. Perrault, dans ses Hommes illustres, à la page 143 de l’édition de Hollande.

(D) Il perdit sa femme en 1633. Voici la réflexion de Balzac sur cette perte. ] Ce qu’il écrivit là-dessus fait beaucoup d’honneur à notre Robert Arnauld, et à sa famille. « La nouvelle de la mort de madame d’Andilli m’a touché sensiblement. Je prends part à tous les bons et mauvais succès d’une famille qui doit être chère à la France, et qui est née pour la gloire du nom français. Mais je plains particulièrement notre ami qui, n’ayant jamais eu de passion défendue, perd en sa femme toutes ses maîtresses et tous ses plaisirs. Il est néanmoins si savant en la doctrine chrétienne, et a tant de savans de sa race à l’entour de lui, qu’il n’a pas besoin de la philosophie stoïque, ni d’aucun autre secours étranger, pour se défendre contre les attaques de la fortune. Tout raisonne, tout prêche, tout persuade, en cette maison, et un Arnauld vaut une douzaine d’Épictètes [3]. »

  1. Cela est contraire à ce qui a été dit ci-dessus dans la remarque (A), citation (3).
  2. Les critiques y trouvent beaucoup de fautes. Voyez les Sentimens de quelques théologiens de Hollande. J’ai ouï dire que M. le Moyne fut prié par les amis de M. d’Andilli de marquer les endroits il croyait que le traducteur se serait trompé, et qu’il s’en excusa, crainte d’en marquer trop.
  3. Balzac, lettre XIX du IIe. livre à Chapelain, datée du 14 d’août 1637, pag. 82.

ARNAULD (Antoine), docteur de Sorbonne, fils d’Antoine Arnauld l’avocat (A), naquit à Paris le 6 de février 1612, le vingtième enfant du mariage de son père avec Catherine Marion. Il fit ses humanités et son cours de philosophie dans le collége de Calvi [a], et puis il commença d’étudier la jurisprudence ; mais il fut bientôt retiré de cette étude, et déterminé à la théologie, par les soins de sa mère secondée par abbé de Saint-Cyran. Après cette détermination, il se mit à étudier dans le collége de Sorbonne [b], et prit le traité de la Grâce sous M. l’Escot. Comme il ne trouva point conformes à la doctrine de saint Paul les leçons

  1. Il ne subsiste plus, les nouveaux édifices de Sorbonne ayant été élevés sur ses ruines.
  2. L’an 1633.