Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/375

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Son idée fixe est de me convertir à une doctrine musicale que je ne connais pas encore, car il n’a jamais pu se décider à me la dévoiler. Toutes les fois que l’occasion s’est présentée pour nous de causer à fond, comme il disait, au moment de commencer son homélie, si je le regardais bien en face avec mon air le plus sérieux, il en concluait que j’allais me moquer de lui, et, retombant dans son silence, remettait ma conversion à des temps plus heureux. Si tous les prédicateurs avaient fait ainsi, nous croupirions encore dans les ténèbres du paganisme.

Je ne dois pas oublier de signaler ici la cordialité avec laquelle m’ont accueilli à Vienne la plupart des écrivains qui labourent, comme je l’ai fait jusqu’à ce jour, l’âpre et rocailleux terrain de la critique, pour y voir pousser trop souvent chardons et orties. Ils m’ont traité en confrère, et je les en remercie. L’un d’eux, M. Saphir, donne tous les ans une académie littéraire et musicale dans laquelle, en dépit des entraves de la censure, son étincelant esprit trouve le moyen de flageller les hommes et les choses à la grande joie de son auditoire, qui, semblable à tous les auditoires du monde, est toujours ravi si l’on éreinte quelqu’un.

Je ne vous parle pas du bâton de mesure[1] que m’offrirent si gracieusement dans un souper, mes amis de Vienne, après mon troisième concert, ni du beau présent que me fit l’Empereur, ni de beaucoup d’autres choses, dont les journaux du temps vous ont rebattu les oreilles. Vous n’ignorez rien de tout ce qui m’arriva d’heureux dans ce voyage, il serait donc au moins inutile d’y revenir.

  1. Ce bâton est en vermeil ; il porte le nom des nombreux souscripteurs qui me l’offrirent ; une branche de laurier l’entoure et sur ses feuilles sont inscrits les titres de mes partitions. L’Empereur, après avoir assisté à l’un de mes concerts que je donnais dans la salle des Redoutes, m’envoya cent ducats (1,100 francs). En revanche, il chargea quelqu’un de me transmettre ce singulier compliment :

    «Dites à Berlioz que je me suis bien amusé.»