Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

connu, il les agrandit, il les peupla, il y construisit des mondes. Son imagination venait de se révéler avec l’instinct de la variété, du mouvement, de l’espace. Il rêva le sort agité de Pinto, le désert muet de Robinson, les vicissitudes de la vie réelle, les chimères de la vie fantastique. En lui s’éleva un invincible besoin d’activité, de transformation, d’expansion universelle, une inquiétude curieuse, impatiente, obstinée, qui n’était pas sans douceur, et dont il ignorait le nom. C’était l’accomplissement d’un grand phénomène, son génie qui se faisait homme !

Le jeune Olivier se fit remarquer alors par ces bizarreries de costume, d’habitudes, de caractère, qui révèlent la puberté de l’âme dans les organisations distinguées ; car l’enfance et l’adolescence des grands hommes ne ressemblent point à celles des autres. Son humeur vive et passionnée, presque toujours prête à s’épancher en saillies capricieuses, avait cependant de singulières alternatives. On le voyait tomber de temps en temps dans un recueillement austère, et se perdre tout à coup dans des rêveries mélancoliques, dont la folle ivresse de ses camarades avait peine à le tirer. C’était l’entretien secret de la muse qui absorbait toutes ses pensées, en lui découvrant des mystères sérieux, que personne autour de lui n’était capable de comprendre. Tout ce qu’on savait de lui, c’est qu’il semblait parler et répondre à une voix intérieure qui l’appelait dans les bois. Si on le suivait de loin pour le surprendre, on le voyait arrêté, les yeux fixés sur un point du ciel, comme si son imagination y avait réalisé une forme vivante, et recueillant sur ses tablettes les paroles qui en descendaient, mais