Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/14

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qui ne se faisaient entendre qu’à lui. Quelques observateurs plus patients et plus adroits avaient profité de ses distractions pour s’assurer que les lignes qu’il traçait ainsi n’aboutissaient pas également à la marge de son papier, et ils en avaient conclu avec raison que son démon familier lui dictait des vers. Rien d’ailleurs ne l’avait prouvé ; car chaque feuille disparaissait, abandonnée aux vents comme celles de la Sibylle, aussitôt qu’elle était couverte ; et ce dédain de la pensée écrite n’est pas une chose indigne d’attention dans les essais d’un talent précoce. C’est lui qui marque essentiellement ce qu’il y a de différence entre le poëte et le versificateur ; le poëte n’est jamais satisfait de son ouvrage ; le versificateur l’est toujours. La nature, pour lui bienveillante, a voulu que ses jouissances fussent à bon marché comme sa réputation. Les gloires solides sont à plus haut prix.

Le bruit de la folie de Goldsmith parvint à sa famille ; et sa mère, ayant compris qu’on en ferait difficilement un homme d’affaires, prit le parti désespéré d’en faire un homme de lettres. On ne portait pas ce titre alors sans études préliminaires, et Olivier fut envoyé aux écoles classiques, où il se distingua rapidement. Ce n’était plus cependant ce maître ingénieux qui récitait de si belles histoires dans les intervalles de ses leçons, mais un pédant frotté de grec et de latin, qui avait l’esprit en horreur comme tous les pédants, et qui réprimait les élans de l’imagination par de mauvais traitements et par des supplices. Un jour, le farouche professeur surprit Olivier dans un banquet consacré aux Muses, mais où l’amour avait été probablement invité, et il frappa le jeune