Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/15

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poëte devant des femmes. De cet instant commence l’émancipation littéraire de Goldsmith, et cette aigreur romanesque d’une âme sensible aux outrages, qui le rendit quelquefois suspect au pouvoir. S’il faut en croire des mémoires qui ne sont pas bien avérés, on le vit figurer à dix-neuf ans dans une sédition d’étudiants où le sang coula, et qui avait pour objet la délivrance des malfaiteurs de Newgate. Ces hallucinations déplorables sont malheureusement communes dans un génie encore libre du frein de la raison et de l’expérience, qui prend ses emportements pour des inspirations, ses illusions pour des vérités, ses caprices pour des règles, et il ne serait pas trop étonnant que notre jeune poëte eût deviné le rôle excentrique de Charles Moor, à l’âge où, quelques années après, Schiller devait le concevoir et le peindre.

Quoi qu’il en soit, le penchant inquiet qui l’entraînait vers l’indépendance ne lui fit pas négliger entièrement ses travaux commencés ; seulement il y porta cette irrésolution de poëte qui ne sait où se prendre parce qu’elle est propre à tout, et qui s’explique très-bien dans un esprit original, pénétré de la conscience de son avenir, mais qui ne sert que trop souvent de prétexte à la paresse et à la vanité. Ces alternatives d’études sévères et d’insouciant vagabondage composent toute l’histoire de sa jeunesse. Il entreprend une éducation, en épargne soigneusement les honoraires pour acheter un cheval, et crève son cheval en courant de port en port à la recherche d’un vaisseau pour quelque région très-lointaine, car les récits de son premier instituteur n’étaient pas sortis de sa mémoire. Arrivé à Cork, il paye, de l’argent qui lui reste, son passage en Améri-