Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mon premier malheur, vous le connaissez tous, fut bien grave ; il m’affligea, mais il ne put m’abattre. Nul ne fut jamais plus prompt que moi à espérer. Moins la fortune m’avait été d’abord propice, plus j’en attendais dans l’avenir ; tombé au bas de sa roue, je devais remonter à chaque nouveau tour, puisque je ne pouvais plus descendre.

« Me voilà donc cheminant pour Londres, sans souci du lendemain, joyeux comme les oiseaux qui chantaient le long de la route, et consolé par l’idée que, à Londres, toute espèce de talent était sûr de trouver honneur et profit.

« Arrivé à la ville, mon premier soin, monsieur, fut de remettre votre lettre de recommandation à notre cousin dont la position ne valait guère mieux que la mienne.

« Mon projet, vous le savez, avait été d’entrer, comme sous-maître, dans une maison d’éducation ; je lui demandai son avis. Le cousin accueillit ma question avec un sourire sardonique. — Belle carrière, par ma foi, qu’on vous a indiquée là ! J’ai été moi-même sous-maître dans une pension, et qu’une bonne cravate de chanvre me serre le cou, si je n’eusse mieux aimé être sous-porte-clefs à Newgate. Tous les jours, le premier et le dernier sur pied, j’étais, dans la maison, traité du haut en bas par le maître, détesté de la maîtresse, parce que j’étais laid, torturé par les enfants, sans avoir jamais la permission de faire un pas au dehors pour aller chercher quelques égards. Mais êtes-vous sûr de convenir pour une pension ? Allons, que je vous examine un peu ! Avez-vous fait l’apprentissage du métier ? — Non — Alors vous ne convenez pas pour une pension ! Savez-vous coiffer des enfants ? — Non. — Alors vous ne convenez point pour une pension. Avez-vous eu la petite vérole ? — Non. — Alors vous ne convenez pas pour une pension. Savez-vous coucher trois dans un lit ? — Non. — Alors vous ne conviendrez jamais pour une pension. Avez-vous bon appétit ? — Oui. — Jamais vous ne pourrez convenir pour une pen-