Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/151

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sion. Non, mon cher, si vous voulez une profession douce, facile, engagez-vous, pour sept ans, comme apprenti, chez un coutelier qui vous fera tourner sa meule ; mais, une pension !… Oh ! gardez-vous-en bien ! Toutefois, voyons ; vous êtes, je le devine, un garçon d’esprit et d’instruction. Faites-vous auteur comme moi ! qu’en dites-vous ? Vous avez lu, sans aucun doute, dans vos livres, que des hommes de génie meurent de faim à ce métier ; je vais, moi, vous montrer par la ville quarante imbéciles à qui il a fait faire fortune. Ce sont autant d’honnêtes lourdauds qui vont tout doucement et tout bêtement leur train, qui écrivent histoire et politique, et qu’on estime ; gens qui, si on en eût fait des savetiers, n’auraient pu, toute leur vie, que raccommoder des souliers, mais n’en auraient jamais fait une paire.

« Sentant que la profession de sous-maître convenait médiocrement à un homme comme il faut, je me décidai à accepter l’offre du cousin, et, tout pénétré d’une sainte vénération pour la littérature, je saluai respectueusement l’antiqua Mater de Grub-Street. Je me trouvais tout glorieux de marcher dans une voie où m’avaient devancé Dryden et Otway. La déesse de ce lieu m’apparaissait comme la source de toute supériorité. Le commerce du monde peut bien donner le bon sens ; mais elle !… la pauvreté qu’elle donnait me semblait la nourrice du génie.

« Tout plein de ces idées, je me mis à l’œuvre, et m’apercevant que, dans le faux, on avait encore les meilleures choses à dire, je résolus de faire un livre complètement neuf. J’habillai donc, avec quelque esprit, trois paradoxes bien faux assurément, mais bien neufs. Ces joyaux de la vérité !… oh ! tant d’autres les avaient étalés bien des fois ; je ne pouvais plus étaler, quant à moi, que quelques brillants oripeaux capables de produire de loin la même illusion ! Puissances d’en haut, vous m’êtes témoins ! Quelle haute importance mon imagination donnait à ma plume pendant que j’écrivais ! Le monde savant