Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/20

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dais, qu’il ne perdit jamais, car les bonnes gens ne perdent jamais leur accent, et son costume délabré, qui ne rappelait que trop, dans ce qui lui restait de sa forme primitive, la vie nomade du ménétrier, ne prévenaient point en sa faveur. Le docteur de Padoue n’obtint qu’à peine et tour à tour une place d’aide dans un laboratoire de chimie, et de sous-instituteur à Peckam. Comme les expéditions lointaines l’avaient toujours tenté, il se consolait de ses mécomptes en sollicitant la place de médecin d’une factorerie anglaise sur la côte de Coromandel, et il fut nommé cette fois sans difficulté, parce qu’il n’avait point de concurrent ; mais ce voyage ne s’accomplit pas plus que celui de Cork. Un ouvrage, qu’il s’était hâté de publier pour subvenir aux frais de la traversée, avait alléché les libraires, et le public demandait des livres de Goldsmith. Le poëte, bien convaincu qu’il venait de découvrir dans son écritoire un trésor plus inépuisable que les mines d’El-Dorado, ne pensa plus qu’à jouir de sa fortune imprévue. Il ne savait pas encore que la faveur de la multitude est plus inconstante que les mers ; il ne savait pas qu’elle a, comme les mers, ses écueils, ses tempêtes, et surtout ses pirates ; il devint écrivain de profession pour le bonheur de ses lecteurs à venir, et non pas pour le sien. Dieu sait combien de fois, à la merci des caprices d’une populace de peu d’esprit, ou de l’avarice d’un bibliopole spéculateur, il regretta sa flûte, ses fêtes pastorales, et sa liberté. Quant à moi, j’en suis encore à comprendre comment on peut se livrer à cette vie d’agitations insensées et de pénibles désabusements, de luttes sans honneur et de fatigues sans fruit, d’amertume, d’angoisses et d’affronts, qui