Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/226

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dans cette vie, nous sommes, sans aucun doute, les plus misérables des hommes. Quand je vois ces sombres murs faits pour nous glacer d’épouvante, autant que pour nous retrancher de ce monde ; cette lampe qui ne sert qu’à éclairer l’horreur de ce séjour ; ces fers que la tyrannie a inventés ou que le crime a rendus nécessaires ; quand je vois ces visages amaigris ; quand j’entends ces gémissements !… Pour tout cela, ô mes amis !… le ciel !… Quel glorieux échange ! S’élancer dans les espaces immenses de l’air, se réchauffer aux rayons de l’éternelle félicité, entonner l’hymne sans fin de la reconnaissance ; au lieu d’un maître qui nous menace ou nous insulte, avoir sans cesse devant les yeux l’image de la bonté même… Oh ! quand j’y songe, la mort n’est plus pour moi qu’un messager de joie, et sa flèche la plus acérée qu’un bâton pour ma vieillesse ; quand j’y songe, quel bien peut nous attacher à cette vie ! quand j’y songe, quel bien, dans cette vie, ne doit sembler méprisable ? Les rois, dans leurs palais, soupirent après ces inestimables avantages ; nous aussi, dans nos humiliations, c’est sur ces avantages que nous devons sans cesse avoir les yeux !

« Les obtiendrons-nous ? Oui, sans nul doute, si nous cherchons seulement à les obtenir ; et, ce qui doit nous donner du courage, nous sommes à l’abri d’une foule de tentations qui pourraient nous distraire de cette pensée. Cherchons seulement à les obtenir ; nous les obtiendrons sans nul doute, nous les obtiendrons bientôt ; car si nous jetons un regard sur notre vie passée, l’espace parcouru est évidemment bien court, et, quelque idée que nous nous fassions de l’espace à parcourir, nous le trouverons bien moins long encore. Plus nous vieillissons, plus les jours nous semblent courts, plus l’habitude de voir marcher le temps nous fait perdre le sentiment de la lenteur de sa marche. Consolons-nous donc ; nous serons bientôt au terme de notre voyage ; bientôt nous serons débarrassés du lourd fardeau que nous a imposé le ciel. La mort, l’unique amie du malheureux, a beau tromper l’œil