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SUR LE GONIDEC.

totalement incomplète : je n’ai pu tirer aucun parti de sa syntaxe, vu qu’elle se trouve en tout conforme a la syntaxe latine. Quant à la grammaire du P. Grégoire, quoiqu’elle soit loin d’offrir tous les principes nécessaires à la connaissance de la langue, je conviendrai qu’elle m’a été d’un grand secours. »

A cette liste de grammairiens, l’auteur eût pu joindre Le Brigant et Le Jeune (Ar-Iaouanq), tous deux de la fin du siècle dernier.

La Grammaire de Le Gonidec, bien supérieure à toutes les précédentes, ne laisse rien à désirer comme rudiment. La syntaxe en est bien établie. Nul n’avait indiqué la génération des verbes ; nul ce parfait tableau des lettres mobiles, dont les lois mystérieuses et multiples étaient si difficiles à découvrir. Quant à l’alphabet, il rend tous les sons des mots, laisse voir leur formation, et se prête logiquement aux mutations de lettres ; j’y regretterai une seule lettre correspondant au th kemrique ou gallois, son qui existe encore chez les Bretons, et que le z ne peut rendre. Les consonnes liquides soulignées, à peine sensibles pour quiconque ne parle pas la langue bretonne dès l’enfance, prouvent chez notre celtologue une finesse d’ouïe des plus rares. Jusqu’à cette dernière édition de la Grammaire, il n’avait pu, faute de caractères, indiquer ces consonnes ; sur quoi on lui dit que ce serait une difficulté pour bien lire sa Bible. « Oh ! répondit-il, je n’ai jamais employé ces sons liquides dans mes textes ! » Et pourtant, hors lui, puriste, qui s’en serait douté ? Savants, vous pouviez vous fier à la conscience de cet homme.

La hauteur de la pensée et celle du caractère s’unissaient chez M. Le Gonidec, vrai Breton. Tandis que par d’autres travaux philologiques, mais d’un intérêt moins proche pour la France, des savants ont vécu entourés de richesses et d’honneurs, lui n’eut, pour soutenir sa vie laborieuse, que l’estime de son pays, dont il semble emporter le génie dans la tombe. Si jamais homme a rempli sa tâche, ce fut M. Le Gonidec. Dans quelques années, lorsque les regards de la science se seront enfin tournés vers les idiomes celtiques, le nom de notre grammairien ne sera prononcé qu’avec une sorte de vénération. Tel fut le sentiment tardif de M. Raynouard, initié, mourant, aux œuvres d’un homme qu’il avait longtemps méconnu. La Grammaire celto-bretonne a exposé les règles originelles et conservées par la tradition, mais non écrites de notre langue ; les deux Dictionnaires, autres chefs-d’œuvre, eu ont donné le tableau complet, et la traduction de la Bible a paru ensuite comme un texte inimitable. Ainsi toute la langue bretonne est comme en dépôt dans ses livres. Les beaux et continuels efforts ! Onze années de veilles prises après les travaux journaliers et nécessaires à la famille (dès 1807 il s’était marié) furent données aux Dictionnaires, deux ans à la Grammaire, dix à l’admirable Bible ; et cependant nulle récompense ! Si prodigue pour tous les dialectes morts ou bien connus, l’État ne put trouver une obole pour cultiver le celtique, ce vivant rameau des langues primitives, qui de l’Asie s’étend encore sur la Gaule.

Qu’on le sache cependant, nous plaidons ici pour Le Gonidec plus haut qu’il ne fit jamais pour lui-même. Outre une grande fierté, il y avait eu lui comme une humeur allègre, qui le menait bien à travers les nécessités de la vie. Mais si ces dures nécessités le détournèrent de sa vocation, ne sont elles pas déplorables. Et ne doit-on pas regretter ce qu’avec plus de loisir il eût fait pour la science e^ pour le pays ?

Les travaux d’administration vont, pour un long temps le retenir tout entier. Son intelligence n’avait pas laissé que de le pousser rapidement dans cette carrière La mission qu’il reçut, en 1806, de reconnaître la situation forestière de la Prusse, prouve l’estime qu’on faisait de ses connaissances.

Lorsque Napoléon visitait Anvers et les ports de la Hollande, il fut donné à M. Le