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on lui la force de franchir l’obstacle, s’il était une créature tremblante ou s’il avait le droit au crime ».

Dans les Frères Karamazov, Dostoïevsky fait aboutir la loi héréditaire à l’irresponsabilité et devance ainsi Lombroso ; dans Crime et Châtiment, il fait ressortir l’irresponsabilité individuelle devant la responsabilité sociale évidente.

Raskolnikov considère son crime comme un acte de révolte et un acte de foi. Il est un de ces hommes qui se laisseraient arracher les entrailles en souriant à leurs bourreaux pourvu seulement qu’ils aient trouvé une foi ou un Dieu. Quelques années avant son crime, il avait publié, dans une revue, une étude où les hommes étaient classés en « ordinaires » et « extraordinaires ». Les premiers doivent vivre dans l’obéissance et n’ont pas le droit de violer la loi, attendu qu’ils sont des hommes ordinaires ; les seconds ont le droit, non pas officiellement mais vis-à-vis d’eux-mêmes, d’autoriser leur conscience à franchir certains obstacles, dans le cas où l’exige la réalisation d’une idée, laquelle peut être parfois utile à toute l’humanité.

Selon Raskolnikov, si les inventions de Kepler et de Newton, par suite de certaines circonstances, n’avaient pu se faire connaître que moyennant le sacrifice d’une, de dix, de cent et même d’un nombre plus grand de vies qui eussent été des obstacles à ces découvertes, Newton aurait eu le droit, bien plus, il aurait été obligé de supprimer ces dix, ces cent hommes afin que ses découvertes fussent connues du monde entier. Cela d’ailleurs ne veut pas dire que Newton avait le droit d’assassiner à son gré n’importe qui ou de commettre chaque jour des vols au marché.

Tous les législateurs et les guides de l’humanité, tous sans exception, ont été des criminels, car en donnant de nouvelles lois, ils ont par cela même violé les anciennes,