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LE BANQUET

que la force de leur affection leur donne le désir de former une seule nature et de ne plus faire qu’un seul être, au lieu de deux qu’ils étaient. » Dans cette fusion, conclut Aristote, un des deux êtres ou tous les deux s’anéantissent ; or, si dans l’État, avec la pensée d’y opérer une semblable fusion, on supprime les liens de la parenté, on va contre le but qu’on visait : on détruit l’affection en la délayant. L’allusion se rapporte évidemment à 192 e (voir l’apparat critique à e 1 et p. 35, n. 2). Si étrange que puisse paraître cet emploi, pour combattre Platon, d’une doctrine que celui-ci rejette (205 de), il n’y a aucun doute que les Discours sur l’amour auxquels est empruntée cette opinion d’Aristophane désignent notre dialogue ; si Aristote tirait d’ailleurs cette idée, et sans en indiquer la source, la relation qu’il établit entre elle et le communisme de Platon paraîtrait plus déconcertante encore[1].

Par contre, la question de priorité est, en ce qui concerne le Banquet, difficile et très débattue. Platon est-il le premier à avoir utilisé ce thème ? le premier à en avoir fait le sujet d’une « composition socratique », d’un de ces mimes dont Socrate était le protagoniste obligé (voir Phédon, Notice p. XXII et n. 1) ? Il est possible[2] que Platon, en mentionnant un certain Phénix comme l’auteur d’un récit du banquet d’Agathon (172 b, 173 b), ait voulu indiquer qu’avant le sien il existait déjà, sur le même sujet, un autre Symposion, si insuffisant toutefois qu’il a dû en écrire un nouveau. Mais il est possible aussi[3] qu’il ait voulu seulement attirer ainsi notre attention sur l’intérêt qu’avait suscité cette réunion, intérêt dont témoignent au reste la curiosité de Glaucon (172 a-c) et celle des amis d’Apollodore (cf. p. xx). Quoi qu’il en soit de cette première question, une autre, plus définie, se présente à propos d’un Banquet que nous avons, celui de Xénophon, et nombreux sont les critiques qui le jugent antérieur à celui

  1. Nous avons encore deux autres références anciennes au Banquet de Platon : dans un fragment d’une comédie d’Alexis intitulée Phèdre (cf. p. xxxviii et n. 1) ; dans le plaidoyer d’Eschine contre Timarque, où il est tant parlé de l’amour masculin : allusions possibles aux discours de Phèdre (132, 145) et de Pausanias (139).
  2. Comme le dit R. G. Bury dans l’Introduction à son édition du Banquet, p. xvii.
  3. Ce que soutient A. E. Taylor, Plato, the man and his work (1936), p. 211, 1.