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ARSÈNE DARMESTETER

ment pour les exemples au corps du dictionnaire. L’énorme travail est fort avancé, la préface est tirée ; le vocabulaire n’attend pour être achevé qu’une revision des premières lettres de l’alphabet, dont Darmesteter disait, avec sa modestie habituelle : « Quand j’ai commencé à travailler au dictionnaire, j’étais un enfant » ; si l’introduction n’est pas rédigée, tous les documents qui doivent la composer sont réunis et classés : il y a donc lieu d’espérer que, plus heureuse que l’ouvre qui avait tenté son ambition juvénile, celle qu’il avait destinée à illustrer son âge mûr pourra voir le jour, malgré la catastrophe qui l’a enlevé en laissant dorénavant reposer sur M. Hatzfeld tout le poids de la commune entreprise.

Au cours de ses recherches pour le Dictionnaire, qui faisaient passer sous ses yeux tout le matériel de la langue et lui assuraient la joie sans cesse renaissante de découvertes de tout genre, il insérait dans diverses revues une foule d’études originales sur toutes les branches de la philologie française ; condensait toute une philosophie du langage dans un petit livre plein de faits et d’idées, qu’il a intitulé Sur la vie des mots étudiés dans leurs significations (1887) ; et, dans des articles tout récents, proposait une simplification très hardie de l’orthographe française. Chacun de ces travaux révèle les qualités maîtresses du talent de Darmesteter, richesse des connaissances et rigueur de la méthode, pénétration et mesure, bon sens et distinction ; mais on y est sans cesse aussi frappé de l’audace singulière de certaines conclusions tirées des investigations à la fois les plus étendues et les plus minutieuses.

Tant de peines, tant d’efforts, l’œuvre colossale du Dictionnaire, les fatigues d’un double enseignement où il mettait tout son cœur, épuisaient peu à peu la constitution médiocrement robuste de notre ami. L’excès de travail devait finir par lui être fatal. Il le savait, mais refusait de s’arrêter. En vain ceux qui l’entouraient de leur amour, sa femme à laquelle il a dû onze ans de bonheur, son frère le confident fidèle de toutes ses aspirations, essayaient de modérer son ardeur. Il leur répondait que « dans le moment où nous sommes, où il y a tant à organiser, ceux qui se sentent doués pour cette tâche doivent tout donner de leur vie et de leur âme »… et il l’a fait comme il l’avait dit ! Honneur à cette noble passion de l’étude, inspirée par un dévouement absolu à la science et à la jeunesse !

DISCOURS DE M. GASTON PARIS

Messieurs,

Arsène Darmesteter a trop longtemps appartenu à l’École des hautes études, il en a trop bien représenté l’esprit, il l’a trop aimée, il lui a fait trop d’honneur, pour qu’elle puisse le laisser partir, si tôt et si soudainement, sans lui adresser un suprême adieu. Si je m’acquitte avec douleur de ce pieux devoir, que je ne pensais guère avoir à