Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tation de l’Idée ; on peut même dire qu’aucune matière n’est absolument dépourvue de volonté, et de même qu’un son a une hauteur déterminée, de même toute matière représente un degré défini de volonté. La note fondamentale est donc dans l’harmonie ce qu’est dans la nature la matière inorganique, la matière brute, sur laquelle tout repose, de laquelle tout sort et se développe.

Allons plus loin : dans l’ensemble des parties qui forment l’harmonie, depuis la basse jusqu’à la voix qui dirige l’ensemble et chante la mélodie, nous retrouvons l’analogue des Idées, disposées en série graduée, des Idées qui sont l’objectivation de la volonté. Les parties les plus graves répondent aux degrés inférieurs, c’est-à-dire aux corps inorganiques, mais doués déjà de certaines propriétés ; les notes supérieures nous représentent les végétaux et les animaux. — Les intervalles fixes de la gamme répondent aux degrés déterminés de la volonté objectivée, aux espèces déterminées de la nature. Les différences dans les proportions mathématiques des intervalles, venant du tempérament ou du mode, sont analogues aux variations de l’espèce dans l’individu ; et les dissonances radicales, qui n’obéissent à aucun intervalle régulier, doivent être rapprochées des monstres naturels qui tiennent de deux espèces, ou encore de l’homme et de l’animal. — Mais la basse et les parties intermédiaires d’une harmonie n’exécutent pas une mélodie continue comme la partie supérieure qui exécute le chant ; cette dernière seule peut courir librement et légèrement, en faisant des modulations et des gammes : les autres vont plus lentement et ne suivent pas une mélodie continue. C’est la basse qui marche le plus lourdement : elle représente la matière inanimée ; elle ne monte et ne descend que par intervalles considérables : tierces, quartes, ou quintes, mais jamais d’un seul ton, sauf dans le cas de transposition de la basse par double contrepoint. Cette lenteur de mouvements est même pour elle une nécessité matérielle : on ne peut imaginer une gamme rapide ou un trille sur des notes graves. Au dessus de la basse sont des parties de ripieno ou de remplissage ; elles répondent au monde organisé : leur mouvement est plus rapide, mais sans mélodie suivie, et leur marche est dépourvue de sens. Cette marche irrégulière et cette détermination absolue de toutes les parties intermédiaires figurent ce qui a lieu dans le monde des êtres sans raison ; depuis le cristal jusqu’à l’animal le plus élevé, il n’y a pas d’être dont la conscience soit complète et dont l’existence ait par là un sens et une unité ; il n’y en a pas qui parcoure une évolution intellectuelle, ou qui puisse être perfectionné par l’instruction : tous restent sans cesse identiques et invariables, dans la forme que leur imposent les lois fixes de l’espèce.

Vient enfin la mélodie, exécutée par la voix principale, par la