Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/156

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le monde n’est qu’une apparence, et qu’il n’y a qu’un seul être, l’unité absolue, vous êtes panthéiste. — On aurait pu lui répondre : Pardon, il y a une troisième manière d’être panthéiste, celle de Schelling et d’Hégel ; car ils repoussent avec autant de mépris que vous celle que vous venez de citer. Voici l’abrégé de celle qu’ils enseignent, grossière esquisse, mais qui fera comprendre le cours de 1828, et mesurer les courbes décrites par la philosophie de M. Cousin.

Concevez une espèce vivante, par exemple, celle des bluets. Chaque bluet meurt dans l’année, non par accident, mais en vertu de sa constitution, et par une nécessité intérieure ; il en produit d’autres qui le remplacent, et ainsi de suite. Ce qui persiste et ce qui tend à persister, ce ne sont pas les individus, c’est l’espèce, c’est-à-dire la forme abstraite ou idéale commune à tous les individus, et les individus ne vivent, ne naissent et ne se remplacent que parce que cette forme tend à subsister. L’espèce est donc autre chose que la somme des individus ; elle est nécessaire, et ils sont accidentels ; elle est une cause, ils sont des effets. Mais d’autre part elle n’existe qu’en eux et par eux ; elle ne serait pas s’ils n’étaient pas ; il n’y aurait pas de forme idéale commune à tous les bluets, s’il n’y avait pas de bluets.

Selon les panthéistes d’Allemagne, la somme des