Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/28

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leur prenait la main, les conduisait sur tous les points de vue qui pouvaient les intéresser ou leur plaire. Il ne leur imposait point l’obligation d’admirer ou de croire ; il les laissait libres, et cependant les guidait avec une bonté si complaisante et par des sentiers si unis, qu’on ne pouvait s’empêcher de le suivre et de l’aimer. Il prenait pour lui toute la peine : il excusait d’avance la marche embarrassée des esprits lourds ; il leur demandait pardon de leur sottise, et se chargeait de leur faute avec toute la modestie de la science et de l’urbanité.

Je suis loin, disait-il, de partager l’opinion trop généralement répandue, que les questions de métaphysique se refusent à la clarté des questions de physique ou de mathématiques. J’aurais quelque intérêt sans doute à vous entretenir dans une pareille opinion ; elle me servirait d’excuse, et pour le passé et pour l’avenir ; mais tous les prétextes que je pourrais alléguer ne seraient que de vains prétextes, et je dois faire l’aveu que, s’il m’arrive de laisser paraître de l’hésitation ou de l’embarras, ce sera toujours ma faute, et non celle des matières que je traiterai. Tous les sujets peuvent être traités avec une clarté égale, tous sans aucune exception, car tous les raisonnements s’appuient sur des jugements, et tous les jugements sur des idées. Si donc nos idées sont bien claires, pourquoi leur clarté ne se communiquerait-elle pas à nos jugements, à nos raisonnements, à notre discours ? S’il en est ainsi, vous avez le droit de vous plaindre de moi, lorsque vous ne m’entendez pas ; et je n’aurais le droit de me plaindre de vous, que si vous ne me donniez pas une attention suffi-