Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/32

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prairies ou désaltérer le voyageur. À celle d’un grand fleuve, c’est un homme dans la force de l’âge, c’est un demi-dieu couché tranquillement au milieu des roseaux, et contemplant d’un œil satisfait les campagnes qu’il féconde et qu’il enrichit. Mais si les beaux-arts ne plaisent que par les fictions, la philosophie ne plaît que par la vérité : elle doit s’interdire tout ce qui peut la voiler, je ne dis pas ce qui peut l’orner.

Ces ornements employés avec tant de mesure et placés avec tant de goût ne sont point le principal charme de son style. On y aime avant tout la facilité abondante et le naturel heureux. Les idées s’y suivent comme les eaux d’une rivière tranquille. La première conduit dans la seconde, la seconde dans la troisième, et l’on se trouve amené au milieu du courant sans y avoir songé. Elles vous portent et vous font avancer d’elles-mêmes ; on n’a pas besoin d’effort, on pense sans le vouloir,et l’on ne s’aperçoit de son progrès et de ses découvertes qu’au plaisir paisible dont insensiblement on se trouve pénétré. Le mouvement n’est pas rapide ; l’auteur n’entraîne point l’esprit par l’élan d’une logique impétueuse ; il le promène doucement autour d’une foule d’idées familières. Ces idées, qui paraissent claires, ont pourtant besoin d’être éclaircies ; son premier travail est de les éclaircir. Il les ramène à leur origine, et note les légères différences qui les séparent ; il marque soigneusement le sens des