Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/456

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La superbe Carthage n’était point encore un port de mer ; il n’y avait là que quelques Numides qui faisaient sécher des poissons au soleil. On côtoya la Byzacène et les Syrtes, les bords fertiles où furent depuis Cyrène et la grande Chersonèse.

Enfin on arriva vers la première embouchure du fleuve sacré du Nil. C’est à l’extrémité de cette terre fertile que le port de Canope recevait déjà les vaisseaux de toutes les nations commerçantes, sans qu’on sût si le dieu Canope avait fondé le port, ou si les habitants avaient fabriqué le dieu, ni si l’étoile Canope avait donné son nom à la ville, ou si la ville avait donné le sien à l’étoile. Tout ce qu’on en savait, c’est que la ville et l’étoile étaient fort anciennes, et c’est tout ce qu’on peut savoir de l’origine des choses, de quelque nature qu’elles puissent être.

Ce fut là que le roi d’Éthiopie, ayant ravagé toute l’Égypte, vit débarquer l’invincible Amazan et l’adorable Formosante. Il prit l’un pour le dieu des combats, et l’autre pour la déesse de la beauté. Amazan lui présenta la lettre de recommandation du roi de la Bétique. Le roi d’Éthiopie donna d’abord des fêtes admirables, suivant la coutume indispensable des temps héroïques ; ensuite on parla d’aller exterminer les trois cent mille hommes du roi d’Égypte, les trois cent mille de l’empereur des Indes, et les trois cent mille du grand kan des Scythes, qui assiégeaient l’immense, l’orgueilleuse, la voluptueuse ville de Babylone.

Les deux mille Bétiquois qu’Amazan avait amenés avec lui dirent qu’ils n’avaient que faire du roi d’Éthiopie pour secourir Babylone ; que c’était assez que leur roi leur eût ordonné d’aller la délivrer ; qu’il suffisait d’eux pour cette expédition.

Les Vascons dirent qu’ils en avaient bien fait d’autres ; qu’ils battraient tout seuls les Égyptiens, les Indiens et les Scythes, et qu’ils ne voulaient marcher avec les soldats de la Bétique qu’à condition que ceux-ci seraient à l’arrière-garde.

Les deux cents Gangarides se mirent à rire des prétentions de leurs alliés, et ils soutinrent qu’avec cent licornes seulement ils feraient fuir tous les rois de la terre. La belle Formosante les apaisa par sa prudence et par ses discours enchanteurs. Amazan présenta au monarque noir ses Gangarides, ses licornes, les Bétiquois, les Vascons, et son bel oiseau.

Tout fut prêt bientôt pour marcher par Memphis, par Héliopolis, par Arsinoé, par Pétra, par Artémite, par Sora, par Apamée, pour aller attaquer les trois rois, et pour faire cette guerre mémorable devant laquelle toutes les guerres que les hommes ont faites depuis n’ont été que des combats de coqs et de cailles.