Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/521

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du conseil. C’était à lui qu’appartenait le droit de faire les exorcismes ; il pouvait les différer sous un prétexte très-plausible. Le Dieu Apis venait de mourir à Memphis. Un dieu bœuf meurt comme un autre. Il n’était permis d’exorciser personne en Égypte jusqu’à ce qu’on eût trouvé un autre bœuf qui pût remplacer le défunt.

Il fut donc arrêté dans le conseil qu’on attendrait la nomination qu’on devait faire du nouveau dieu à Memphis.

Le bon vieillard Mambrès sentait à quel péril sa chère princesse était exposée : il voyait quel était son amant. Les syllabes Nabu, qui lui étaient échappées, avaient décelé tout le mystère aux yeux de ce sage.

La dynastie[1] de Memphis appartenait alors aux Babyloniens : ils conservaient ce reste de leurs conquêtes passées, qu’ils avaient faites sous le plus grand roi du monde, dont Amasis était l’ennemi mortel. Mambrès avait besoin de toute sa sagesse pour se bien conduire parmi tant de difficultés. Si le roi Amasis découvrait l’amant de sa fille, elle était morte : il l’avait juré. Le grand, le jeune, le beau roi dont elle était éprise avait détrôné son père, qui n’avait repris son royaume de Tanis que depuis près de sept ans qu’on ne savait ce qu’était devenu l’adorable monarque, le vainqueur et l’idole des nations, le tendre et généreux amant de la charmante Amaside. Mais aussi, en sacrifiant le taureau, on faisait mourir infailliblement la belle Amaside de douleur.

Que pouvait faire Mambrès dans des circonstances si épineuses ? Il va trouver sa chère nourrissonne au sortir du conseil, et lui dit : « Ma belle enfant, je vous servirai ; mais je vous le répète, on vous coupera le cou si vous prononcez jamais le nom de votre amant.

— Ah ! que m’importe mon cou, dit la belle Amaside, si je ne puis embrasser celui de Nabucho…! Mon père est un bien méchant homme ! non-seulement il refusa de me donner un beau prince que j’idolâtre, mais il lui déclara la guerre ; et, quand il a été vaincu par mon amant, il a trouvé le secret de le changer en bœuf. A-t-on jamais vu une malice plus effroyable ? Si mon père n’était pas mon père, je ne sais pas ce que je lui ferais.

  1. Dynastie signifie proprement puissance. Ainsi on peut se servir de ce mot, malgré les cavillations de Larcher. Dynastie vient du phénicien dunast ; et Larcher est un ignorant qui ne sait ni le phénicien, ni le syriaque, ni le cophte. (Note de Voltaire.) — Dans le chapitre vii de la Défense de mon oncle (voyez les Mélanges, année 1767), Voltaire avait parlé des dames de la dynastie de Mendès. Sur quoi Larcher, dans sa Réponse à la Défense de mon oncle, avait dit, page 37 : « On n’a jamais pris en grec le terme de dynastie pour les États du dynaste, et encore moins en français. En cette dernière langue, c’est une suite de rois de la même famille. »