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CORRESPONDANCE.

siez intention de soulager, autant qu’il est en vous, des infortunes si longues et si cruelles : il se les est attirées, je l’avoue ; mais il en est bien puni.

Je ne savais qu’une petite partie de ses fautes et de ses disgrâces. J’ai tout appris ; vous m’en avez chargé ; je lui ai fait quelques reproches, et il s’en fait cent fois davantage. Je crois que l’âge et le malheur l’ont mûri ; mais il est d’une facilité étonnante. C’est cette malheureuse facilité qui l’a plongé dans l’abîme où il est.

Voilà pourquoi j’ai pensé qu’il est à propos de le tirer des mains de l’homme[1] qui semble le gouverner dans le pays de Neuchâtel, et qui lui mange le peu qui lui reste. J’ai cru que ce serait lui rendre un très-grand service, et ne pas vous désobliger. Cet homme a été autrefois connu de monsieur votre père[2], et ensuite receveur en Franche-Comté. Il a perdu tout son bien, et vit absolument aux dépens de M. de Morsan. Enfin monsieur votre frère me mande qu’il ne lui reste plus que dix-huit francs. C’est sans doute un grand et triste exemple qu’un homme, né pour avoir deux millions de bien, soit réduit à cette extrémité. Ses fautes ont creusé son précipice ; mais enfin vous êtes sa sœur, et votre cœur est bienfaisant.

Il m’a envoyé un exemplaire de l’arrêt du conseil, du 2 août 1760. Je vois que ses dettes se montaient alors, tant en principaux qu’en intérêts, à plus de onze cent vingt mille livres. Assurément il n’avait pas brillé pour sa dépense.

Je vois, par un mémoire intitulé Succession de monsieur et de madame d’Harnoncourt, que, tout payé, il lui reste encore quatre cent vingt-quatre mille et tant de livres substituées, indépendamment des effets restés en commun, qui ne sont pas spécifiés. Ainsi je ne vois pas comment on lui a fait entendre qu’il pouvait avoir quarante-deux mille livres de revenu.

Quel que soit son bien, je l’exhorte tous les jours à être sage et économe. Mais je crois, comme j’ai eu l’honneur de vous le mander[3], madame, qu’il est de son devoir d’assurer, autant qu’il le pourra, une petite pension à la nièce de l’abbé Nollet, qui s’est sacrifiée pendant quatorze ans pour lui. Je conçois bien que ce n’est pas à vous de ratifier cette pension, puisque vous n’êtes pas son héritière, et que c’est une affaire de pure con-

  1. Guérin : voyez lettre 7467.
  2. Pierre Durey d’Harnoncourt, mort le 27 juin 1765.
  3. Lettre 7441.