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Marquise de La Kochejaquelein -

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NiéK A Parïs au/çhXteÀu du Xouvhk lk a 5 octobre 177a fcécé&iB K Orléans m 15 février’t. B5£, .

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BOURLOTON, ÉDITEUR

30, bottlmrd Montmârtre

PARIS

1889

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PRÉFACE


H 1

\àix amjtprès la mort de ma grand’mère, nous avions la surprÜb lettre dans les Mémoires posthumes de M. de Barante : « Mitant lté d’une amitié sincère avec Ai" 8 de La Rochejaquelein, fêtais sans cesse au château de Clisson, oit fêtais reçu avec une bienveillance empressée. Ce fut là que je conçus lepro jet d’écrire les Mémoires de M n * de La Rochejaquelein, Dès mon arrivée dans le pops, je m’étais promis de m’occuper d’une histoire de cette guerre * Elle avait commencé ses Mémoires, et les premiers chapitres étaient même rédigés ; elle me les remit ainsi que les notes qu’elle avait réunies, elle me guida dans mes recherches, elle me fit faire connaissance avec des officiers de cette guerre. Je leur faisais raconter ce qu’ils avaient fait ou vu ; elle-même, avec un charme de vérité qu’elle n’aurait pas su reproduire en écrivant, ne me laissait rien ignorer de tout ce qui s’était passé sous ses jrettx, de ce qu’elle avait souffert, du caractère et des actions des chefs auxquels elle tettait par les plue chères affections et qu’elle avait perdus, »

Combien ceci différait de ce qu’avait dit M. de Barante dans

t

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la préface de ses Mélanges historiques et littéraires : « M vt de La Rochejaquelein m’avait permis de rédiger ses Mémoires »/ La portée de ces assertions dépasse-t-elle la pensée de l’écrivain, ou ses souvenirs étaient-ils devenus cotfus par suite de l’éloignement des faits ? Jamais du vivant de ma grand’mère, que nous avons conservée jusqu’à P âge de 84 ans, on ne lui avait contesté sérieusement la qualité d’auteur de ses Mémoires ; mais, par les termes mêmes du passage que je viens de reproduire, les panégyristes de M. de Barante se trouvèrent autorisés à « ranger purement et simplement cet ouvrage dans le catalogue des œuvres complètes de l’illustre académicien »,

Mgr Pie avait prononcé un magnifique éloge funèbre de ma gratuPmère ; il venait chaque année faire un court séjour dans notre habitation de Clisson, située dans la portion du Bocage Vendéen qui appartient au diocèse de Poitiers, Il témoigna le désir d’étudier et de confronter ensemble les diverses rédactions des Mémoires ; je tui confiai le manuscrit original, écrit en entier de la main de cette qui, alors, était veuve du marquis de Lescure ; la copie faite par un nommé Beauvais et qui, remise à M, de Barante, avait été la base de son travail ; un volume manuscrit, la rédaction même de M, de Barante ; enfin deux cahiers de notes.

Mgr Pie voulut bien lire à la Société des Antiquaires de POuest l’historique complet de ces Mémoires, puis il présenta un grand nombre de passages de Pun et de l’autre texte mis en regard. M. Audinet, inspecteur d’académie, fit un rapport contenant un travail comparatif et détaillé du manuscrit de ma granePmèt* et de celui de M de Barante, L’évêque et le bibliophile s’attachèrent à établir quelle est dans cette œuvre la pari de chacun,

«, ,.Non pas seulement pour les premiers chapitres, .1 non pas seulement pour la première partie du travail qui s’arrêtait au passage de la Loire, mais pour l’ouvrage tout entier, Ai ** 0 de

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- 3 -

La Rochejaquelein, malgré des améliorations dont je redirai après elle tout le mérite et V étendue, n’en demeure pas moins, proprement et incontestablement, l’auteur des Mémoires, Soit qu’il s’agisse de la conception de l’ensemble et de la distribution des matières par chapitres ; soit qu’il s’agisse de la trame suivie de l’histoire ou du récit des combats, de la peinture des caractères et des détails anecdotiques, d’un bout à l’autre l’oeuvre est de M m de La Rochejaquelein. »

«… Sous ce nouvel habillement, non seulement toute la marche et la suite de la narration, mais presque toujours te coup de pinceau heureux, le mot vif et saillant, le trait piquant ou ingénu, appartiennent à la composition primitive. »

«… On a pu croire que M. de Barante avait eu à réunir des matériaux épars pour en faire un corps, des morceaux détachés pour m former un récit suivi : la vérité est qu’il y avait déjà un récit suivi, méthodiquement divisé, et qu’il ne s’agissait que de remplacer une rédaction déjà faite par une rédaction meilleure (i). »

Cette étude est ainsi jugée par M. Beaussire : « Le travail auquel s est livré M. Audinet, en collationnant minutieusement et d’un bout à l’autre les deux textes, est de nature à lever tous les doutes. Le manuscrit de M** de La Rochejaquelein est assurément une œuvre authentique… l’auteur écrit au courant de ses souvenirs… L’ensemble se suit satts effort, et tous les détails sont aussi clairs que vivants… Ses deux manuscrits ne se bornent pas à quelques chapitres, comme le disait M. de Barante ; Us sont aussi étendus et aussi complets que l’œuvre publiée. J’ajoute que la jeune femme qui, au sortir de cette « guerre de géants », dont elle avait partagé toutes les vicissitudes, prenait la plume à vingt-six ans, t’emporte souvent, pour la justesse comme

J O Mémoire de Mgr Pie et Rapport de M. Audi net, présentés À la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1868-1869, t. XXX 1 IÎ.

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pour te naturel et pour ta vivacité du style, sur le futur académicien dont elle a accepté la révision et la correction (i). »

ÏJ examen des écritures et des textes ptouve donc d’utte ma nière incontestable que M wt de La Rochejaquelein est réellement V auteur de ses Mémoires ; on ne trouvera pas déplacé, de ta part d’un petit-fils, de rappeler ici le jugement qu’ont porté sur cet ouvrage d’éminents ai tiques.

M, Quiqot, dans une notice biographique sur M. de Barante, s’exprime ainsi : « C’est une narration à la fois riche et simple, personnelle sans prétention, éloquente sans rhétorique, pittoresque et colorée sans travail d’artiste, pleine de descriptions et de détails précis qui la vivifient au lieu de la ralentir. Evidemment H a pris à son œuvre le même intérêt qu’il inspire à ses lecteurs. C’est une petite épopée historique écrite par un copipa gnon de ses kéws (2). »

Comment applique r au sous-préfet, de passage à Bressuire en 1807, la qualification de compagnon des héros de la Vendée f

Aussi M. U. Mqynard répondait-il dans la Bibliographie catholique : « Nous avons de fortes raisons de croire que M. de garante a surfait la part qui lui revient dans les intéressants Mémoires de M m de La Rochejaquelein. D’un manuscrit encore existant de ces Mémoires, et de diverses informations, il résulte pour nous que leur rédaction appartient véritablement à la noble femme, et que te jeune sous-préfet de Bressuire tiy a contribué que par la description du Bocage, et, çà et là, par des retouches littéraires ; et, en effet, qui lit ces Mémoires y reconnaît un accent tellement personnel, que te plus habile écrivain, même composant sous la dictée de la marquise, n’aurait jamais pu leur imprimer ce caractère (3). »

Nous mettons aujourd’hui le public à même de juger si nous

(1) Revue des cours littéraires, y* année, n° si*

(a) Revue des Deux Mondes, i« juillet 1867.

(3) Bibliographie catholique, 4 septembre >868,

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avons le droit de retenir pour M™. de La Rochejaquelein ces éloges si flatteurs, dont plusieurs sortent de la plume d’adver* saires politiques et, avec juste raison, s’adressent en partie au travail de l’illustre académicien, qui « eut le rare talent, dit M, Édouard Fournier, de toucher sans les gâter, ces Mémoires, merveille des mémoires simples et terribles, incomparable modèle du drame vrai dans l’histoire sincère, qui resteront comme le plus fidèle témoin de cette guerre héroïque (i) ».

La première édition, publiée en 1814, eut pour titre Mé» moires de M m6 la marquise de La Rochejaquelein, écrits par elle-même, rédigés par M. le baron de Barante. Celui-ci voulut que son nomfùt retranché, L’un et l’autre avaient revu cette édition

  • , il est évident que bien des traits ajoutés alors doivent être

attribués à ma grand’mère, mais, dans l’impossibilité de distinguer les modifications faites par elle de celles dues à M, de Bar ante, je reprends le manuscrit original tel quelle l’avait écrit en entier, au courant de la plume ; elle n’avait la pensée de le montrer à aucune personne étrangère, ni de le faire imprimer ; elle seule l’a depuis augmenté. Aussi, pour qui aurait la curiosité de comparer les deux textes, faudrait-il suivre, avec la présente édition, une des quatre premières, 1814-1817.

Les deux premiers chapitres, d’abord supprimés, ont été rétablis dans la sixième édition. J’aurais donc pu, pour cette partielà du moins, conserver le texte imprimé tel qu’il est connu ; fai cru plus intéressant de donner une version nouvelle, d’ailleurs peu différente, celle du manuscrit autographe.

Des notes écrites en marge de la copte Beauvais « par MM. Pierre Jagault, Allard, de La Ville-Baugé, et très peu ou même point d’autres », sont mises en renvoi et indiquées comme notes du manuscrit.

J’ai introduit dans le texte des additions et changements

<0 Feuilleton de M Patrie, te octobre «868,

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— 6 —

faits par ma grand, ’mère à diverses époques, écrits ou dictés et signés par elle, et conservés en volumes. Quand ils ont une certaine étendue, ils sont mis entre crochets [ ]. // n’y a rien été ajouté (i).

M. de Bar ante avait accepté la mission de condenser le récit en lui donnant un style académique ; je me suis borné à retoucher des incorrections que l’auteur aurait fait disparaître, si le manque de confiance en soi-même ne l’avait arrêtée de revoir ces douloureux souvenirs avant la première publication. J’ai dû comme elle supprimer quelques jugements empreints de trop de franchise ou dus peut-être à la jeunesse de l’écrivain.

M’en tenant à son œuvre, je laisse entièrement ‘de côté la rédaction de M. de Bavante dont ma grand’mère écrivait : « La gloire littéraire de mon excellent ami a trop de titres pour que mes Mémoires puissent y contribuer. *

La Rochejaquelbin.

Clinton, le iS février 1887.

(i)J’ai recueilli de toutes par» de* notes biographiques, forcément restreintes, sur chacune des personnes nommées ; recherches laborieuses et difficiles, car la plupart des figurants ont péri dans cette guerre, les registres des paroisses ont été détruits dans le pays insurgé, et, depuis un siècle, bien des familles ont disparu. J’ai cru Inutile de reproduire les détails qui se trouvent dans de nombreux ouvrages, l’honneur des chefs et des divers officiers de la Vendée. Je serai infiniment reconnaissant qu’on veuille bien encore m’envoyer les renseignements qui m’auront manqué pour cette édition.

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À MES ENFANTS’

C’est à cause de vous, mes chers enfants, que j’ai eu le courage d’achever ces Mémoires, commencés longtemps avant votre naissance, et vingt fois abandonnés. Je me suis fût un triste plaisir de vous raconter les détails glorieux de la vie et de la mort de vos parents. D’autres livres auraient pu vous faire connaître les principales actions par lesquelles ils se sont distingués ; mais j’ai pensé qu’un récit simple, écrit par votre mère, vous inspirerait un sentiment plus tendre et plus filial pour leur honorable mémoire. J’ai regardé aussi comme un devoir de rendre hommage à leurs braves compagnons d’armes. Mais combien de traits m’ont échappé ! Je n’ai eu aucune note. L’impression vive que tant d’événements ont faite sur moi

(i) L’auteur « eu onze enfanta. Du premier lit, troi* fille*, morte» en bas âge pendant la guerre. Du second lit : le marquis Henri, qui a continué la famille ; Louis, nie en Portugal en i»33 ; la comtesse d’Alberlas ; la baronne Le Pays de La Riboiaière ; la comteaae de Foucault ; la marquise de Chauvelin ; la marquise de Malet ; la comteaae de Potitac.

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a été ma seule ressource, Loin donc d’avoir pu écrire l’histoire complète de la Vendée, je n’ai pas même raconté tout ce qui s’est passé pendant le temps où j’ai vu la guerre civile. Mille oublis me donnent des regrets. Je n’ai pu et n’ai voulu écrire que ce dont je me rappelais parfaitement, et c’est seulement par ignorance que je passe souvent sous silence ou ne fais qu’indiquer des faits, des actions ou des personnes qui mériteraient à tous égards des éloges. Mon cosur ne sera satisfait que si d’autres, mieux instruits, leur rendent la justice qui leur est due. Je n’ai pu bien savoir que ce qui regardait mes parents et mes amis i je me suis donc bornée à rappeler, avec une exacte vérité, tout ce dont je conserve le souvenir, et suivant les impressions que j’en ai reçues dans te temps.

DONNlSSAN DE LA RoCHKIAQUKLEIN.

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AVANT-PROPOS'

a

f, ifai Rp/nt voulu faire un livre et n’ai jamais songé &

^tre un auteur ; aussi j’ai besoin de dire comment j’ai été con imprimer

mes Mémoires.

pendant les tristes loisirs de mon second exil en Espagne que je commençai à écrire les souvenirs de l’époque, encore récente, où j’avais vu et éprouvé tant de malheurs. Je m’animais en les racontent ; ma plume courait rapidement, puis je restais fatiguée et oppressée sous une douleur que j’avais ainsi ravivée. Je passais quelquefois des semaines entières sans avoir le courage de reprendre cette tâche. Je ne pouvais même me décider à relire ce que j’avais écrit. J’ai été ainsi quatre ou cinq ans à les écrire de ma main.

J’avais conduit mon récit jusqu’au passage de la Loire ; plusieurs années après, je le repris, sur les instances de M. de la Rochejaquelein. Je fis copier le premier jet par des amis, je relus l’ouvrage, le corrigeai, le rectifiai, puis M. Beauvais, concierge actuel du château royal & Bordeaux (a), en fit une seconde copie.

(i) Cet avant-propos g été écrit pour la sixième édition. 11148. Une partie avait etc supprimée à l’impression.

(a) L’ancien palais archiépiscopal, construit en 1771*1778 par le prince de RoMn*auémenée t devenu résidence impériale, puis château roval. C’est depuis i 83 5 « hôtel de ville.

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— 10

Je la fis relire très secrètement à plusieurs Vendéens, ils y ajoutèrent des notes, j’en écrivis aussi plusieurs»

Vers ce moment-là, M, de la Rochejaquelein fit connaissance avec M. de Barante, qui venait d’être nommé sous-préfet de Bressuire. Il succédait à un nommé Du Colombier, devenu préfet ; celui-ci, pour se faire valoir, avait cherché tous les moyens de susciter des troubles et en avait inventé. Il avait fait mettre en prison plus de quatre cents personnes des environs de Bressuire et fait exiler une foule d’autres, au nombre desquelles notre respectable tante, mademoiselle de la Rochejaquelein.

M. de Barante était auditeur au Conseil d’État ; sa nomination à Bressuire était une espèce de disgrâce. Il fit ouvrir les prisons, revenir les exilés, força le préfet Dupin à consentir à ces actes de justice, tant i) prit d’influence sur lui par sa supériorité et par son caractère. J’ai raconté, dans le supplément à mes Mémoires, quelle fut son administration, quels bons souvenirs il a laissés dans la Vendée, et comment il nous inspira urte amitié et une confiance qui depuis n’ont jamais été altérées par les temps ni par les circonstances.

À cette époque, malgré un despotisme absolu, il y avait assez de grandeur dans les idées générales, pour que les rapports des hommes’estimables entre eux ne pussent pas les compromettre. On pouvait rester chacun dans ses opinions et ses devoirs et s’entendre parfaitement sur les sentiments qui unissent les âmes élevées, quoique jetées par le torrent des révolutions sur des rives opposées.

M. de Barante s’était sincèrement intéressé au récit de nos malheurs, au dévouement et au courage des parents et amis que nous pleurions ; il aimait le caractère doux, indépendant et ferme des habitants de notre Bocage. Il témoignait tant de désir de connaître la vérité sur les terribles événements qui avaient fait de ces paysans un peuple de héros et couvert la contrée de ruines, que mon mari lui promit de lui montrer mes Mémoires. Il désirait faire corriger les imperfections de ma rédaction ; M. de Barante me supplia avec tant de bonne grâce de le choisir, que je lui confiai la copie Beauvais ; j’insistai pour que personne ne la vît.

Cependant, M. de la Rochejaquelein attachait plus de prix

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que moi à ce témoignage précieux pour nos familles, nos compagnons et nos sentiments ; il me pria de ne pas exiger une discrétion absolue et de laisser M. de Barante lire mon récit à quelques* uns de ses amis et des nôtres* Il le porta d’abord & Genève chez son père : madame de Staël et un très petit nombre de personnes assistaient & cette lecture ; puis à Paris ils furent, avec l’autorisation de M. de la Rochejaquelein, montrés au duc de Montmorency et au prince de Laval. Bientôt on commença à en parler ; je l’appris par mon cousin germain, le comte, depuis duc de Lorgc. Quoique je l’eusse toujours traité en frère, il ignorait, comme tous nos parents, que j’eusse jamais rien écrit ; aussi me manda-t-il qu’on avait pris mon nom, et U disait & tout le monde que ces Mémoires étaient apocryphes.

Je me plaignis à M. de Barante de ce qu’il étendait, plus que je ne le voulais, la permission de mon mari ; je lui exprimai la crainte que cela n’attirât sur nous des persécutions ; j’étais d’autant plus fâchée de cette espèce de publicité, qu’ayant relu sa rédaction, bien des choses ne me contentaient pas, et d’ailleurs l’ordre qu’il y avait mis me faisait apercevoir de plusieurs fautes à corriger. Il cessa aussitôt ses lectures, mais j’appris peu après qu’il avait été fait des copies. M. de Barante s’en défendit, fit des recherches et découvrit ce qui suit :

Il avait prêté le manuscrit à M. Mathieu de Montmorency pour deux jours, et celui-ci à sa mère pour vingt-quatre heures. Le prince de Talleyrand, qui avait l’habitude d’aller chez elle tous les soirs, la trouva lisant mes Mémoires. Il insista pour qu’elle les lui prêtât, mais elle répondit qu’elle ne pouvait y consentir, ayant pris l’engagement formel de les rendre le lendemain matin. M. de Talleyrand se mit à rire en disant : « Cela doit être effectivement fort curieux, mais vous n’avez pas besoin de tant vous dépêcher. » Il sonna et dit : « Qu’on porte ce manuscrit au ministère ; il y a vingt-quatre cahiers, que vingt-quatre commis les copient cette nuit et me les rendent demain matin, cousus comme ils le sont en ce moment. * — « Voilà, ajouta-t-il en se retournant vers madame de Laval, le moyen de lire un manuscrit tranquillement. » M. de Montmorency, sans se douter de rien, remit à M. de Barante le dépôt que celui-ci lui avait confié. Le prince de Bénévent porta la copie à Bonaparte, qui la

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garda quinze jours, puis » I prêta ù la duché* de Luylie», 4 Esclimortt. Elle y re»t# sur le billard, la Usai* qui voulait.

M. de Barante fut au désespoir, craignant que, par apccu< lation, on ne fit imprimer ce» Mémoires. Il se rend t chez M, de Pomraereul, directeur général de la librairie, pour I avertir que, comme rédacteur, il «opposait à toute impression de cet ouvrage va U, et, comme préfet, 4 la publication d’un livre pou* vant réveiller des sentiment» royaliste». Bonaparte était alors maître de l’Europe-, on ne pouvait imprimer, contre la défense sévère qui en fut fcite aussitôt par la police. M. de Pomtneraul dit à M. de Barante do lui nommer la personne qui avait volé le manuscrit, assurant qu’il le ferait saisir et le lui rendrait ; mais M. de Barante, craignant la puissance de M. de Talleyrana, qui d’ailleurs le protégeait, n’eut garde de le nommer, et il eut raison.

Au retour du Roi, en 1814, l’étais restée à Bordeaux, à cause de mes jeunes enfants ; les circonstances étaient entièrement différentes, toutefois elles me donnaient encore plus la crainte de voir mon manuscrit imprimé» L’administration n’avait plus le droit, comme auparavant, de s’y opposer ? ma mère, qui était à Pari», s’en inquiétait encore plus que moi. Elle me demanda de faire moi-même au plus tôt cette publication. J’avais revu mes Mémoires avec soin, j’abrégeai ou je retranchai plusieurs passages des premiers chapitres, qui contenaient des détails relattl* au temps de ma première jeunesse et sans aucun rapport a la Vendée, et des trois premiers chapitres je n’en fis qu un. Je corrigeai les épreuves, elles passèrent aussi soub le» yeux de M. de Barante. Depuis lors, le livre a eu cinq autres éditions (1) ; la cm* quiôme et la sixième sont les seule» auxquelles j’ai fait quelques changements.

J’ai tant de répugnance pour le titre de femme auteur, que j’avais fait mettre en tête de la première ! Écrits par elle-même et rédigés par M. le baron de Barante. J’avais mis cela sans le prévenir, aussi a-t-il fait retrancher son nom des éditions suivantes ; mais, en parlant de ses ouvrages, les journaux et les biographies ont souvent dit qu’il était l’auteur de mes Mémoires. Quelques personnes m’ont engagée à réclamer s je ne l’ai pas voulu, il cfit

(,) 11 y « u |u*qu’Acc jour. à H7, treize édition* numérotée* et plu*lcur* mitre*,

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« ï3

semblé que je cherchais ù diminuer la part qu’il a prise dans une rédaction dont il avait bien voulu se charger. M. Alphonse de Beauchamp avait lu, môme avant M. de Baratte, mon manuscrit ; il a prétendu que le supplément était de M. de Baratte. Au contraire, H n’y a pour ainsi dire pris aucune part ; je l’ai écrit à la hâte, à Bordeaux ; il l’a vu, mais il y a fait & peine quelques corrections. La gloire littéraire de mon excellent ami a trop de titres, pour que mes Mémoires puissent y contribuer.

Ce supplément a peu d’intérêt, il manque de détails ; c’est un résumé et non pas un récit (i). Les événements qui y sont indiqués étaient trop récents pour pouvoir être librement racontés et appréciés, par moi surtout, qui avais tant souffert et senti si cruellement les malheurs que l’anarchie et le despotisme avaient fait subir à ma famille. J’espérais alors qu’après tant d’infortunes, des jours heureux m’étaient réservés.

M. de la Rochejaquelein venait d’être nommé maréchal de camp, commandant de la compagnie des grenadiers & cheval de la maison du Roi. Il y avait appelé comme officiers des émigrés, des Vendéens et de braves officiers de l’armée impériale ; la plupart des grenadiers avaient servi dans la garde, presque tous étaient décorés. Je me plaisais à vivre entourée de cette familtc militaire, et j’étais fîèrc de les entendre appeler les Grenadiers de la Rochejaquelein. Mon mari exerçait sur eux une autorité toute paternelle. Leur fidélité, au 20 mars, répondit & sa confiance. J’avais avec moi mes huit enfants, dont l’aîné n’avait pas douze ans. Je les voyais avec joie entrer dans la vie sous la protection de leur nom, que l’on me disait aimé dans toutes les opinions et dans tous les partis.

Je ne me sens pas le courage de raconter la nouvelle série de malheurs qui tarda si peu à commencer pour moi. Les Cent-Jours arrivèrent : je devins veuve une seconde fois sur les champs de bataille de la Vendée, le 4 juin 181 5. Depuis ce moment fatal, j’ai vécu dans le deuil. J’ai perdu plusieurs de mes enfants ; ceux qui me restent ont éprouvé aussi des pertes cruelles. Mon second fils est tombé sous les murs de Lisbonne, en combattant pour la

(0 Ce supplément a formé, depuis la sixième édition, les trois derniers chapitres } nous ne tes avons pas reproduits, n’en ayant pu retrouver le manuscrit autographe.

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— *4 —

légitimité. J’ai fermé Ica yeux de mon incomparable mère. J’aurai passé ma vie dans Ica larmes ; je suis aveugle, je n’ai plus de force pour dicter le récit de mes dernières douleurs (i),

Mes Mémoires sont augmentés, outre le» deux chapitres rétablis d’après mon premier manuscrit, d’un choix d’anecdotes éparses que j’avais écrites comme souvenirs et qui m’avaient paru peu intéressantes ; quelques personnes en ayant jugé autrement, j’ai consenti à les intercaler dans cette nouvelle édition.

(i) La marquise de La RocMaquelcin est morte à OrM*n«> le 15 février jB$ 7.

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MÉMOIRES

DK

MARIE-LOUISE-VICTOIRE DE HONNISSANT

DRRNtiîRK OU NOM

VEÜVK DK LOUIS DK SALGUKS, MARQUIS DE LESCURE DERNJKR OU NOM (1)

ÉPOUSE DE LOUIS DU VERGIER, MARQUIS DE LA ROCH EJAQU KLEIN

ÉCRITS PAR ELLE-MÊME

T émoin et victime de l’immortelle guerre de la Vendée, ma vie a été un tissu d’événements si affreux et si extraordinaires, qu’il me sera difficile d’en rapporter la triste suite. Je regrette de n’avoir pas le talent de peindre les faits héroïques que j’ai vus. C’est- pour jeter des fleurs sur la tombe de tant de généreux guerriers, que je me décide à écrire ces Mémoires, qui ne verront jamais le jour, mais qui seront peut-être utiles à ceux qui voudront faire une histoire impartiale de la Vendée. Je préviens que j’ai le seul avantage d’avoir une grande mémoire. J’en profiterai pour n’oublier

(i) U famille de Saujuw de Locuste est entièrement éteinte. On n’a pu établir aucune communauté d’origine entre elle et d’autres familles portant soit le nom de Salgues, soit celui de Lc&curc, et n’ayant pas jadis les mêmes armoiries.

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aucune anecdote ; beaucoup peut-être ne seront intéressantes que pour moi ; mais que m’importe, puisque Cécris pour moi seule, et, si ces lignes peuvent servir h celui qui racontera les exploits des Vendéens, il retranchera les choses inutiles. D’ailleurs la plupart de mes anecdotes tiennent à mon histoire et je me plais à me les rappeler. Les vicissitudes de ma vie sont aussi cruelles qu’inouïes. Je n’ai que vingt-six ans, il me semble que j’ai vécu déjà plusieurs siècles, et la révolution n’est pas

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CHAPITRE PREMIER ;

JUSQU’AUX ÉTATS GÉNÉRAUX. ï. 1 /

J e suis née à Versailles (i), le 25 octobre 177a* Ma grand’mère, la duchesse de Civrac (2), était l’amie et la dame d’honneur de Madame Victoire, fille de Louis XV. Mon grand père, après plusieurs ambassades et notamment celle de Vienne

m ÆÏÎ2 ! VJ ** î ni * à P«w que ma famille y demeurait : on

SïïffiKÎ «“I J nourrie, élerfe ; IK jj » ?. ait ^ uc J et*** n ^o »u Louvre, et cela est vrai. Le duc de Never* nA m j„

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pour dpouser, au nom du, Dauphin, l’infortunée Marie* Antoinette, <talt chevalier d’honneur et Cordon bleu. Il» avaient quatre « nfants t le duc de Lorge (i), dont la femme était dame d’honneur de Madame la comtesse d’Artois ? la marquise de Donnlssan (a), ma mire, dame d’atour de Madame Victoire : j’ai l’honneur d’itre la filleule de cette princesse et celle du roi Louis XVIII. Mon père était attaché à Monsieur, comte de Provence, comme gentilhomme d’honneur. La marquise de Lescure (3), morte en couche de son fils unique, six ans avant ma naissance ; enfin la comtesse de Chastellux (4), dame de M adame Victoire, dont le mari avait la survivance de chevalier

d’honneur.

Je m’étends sur ces circonstances* parce qu’elles forment un contraste plus frappant avec les positions où je me suis trouvée» Qu’on sé représente donc mon enfance * j’étais fille unique*

«8 octobre 1786, mariée par contrat du et août 1744 A fimertoJoseph del^rfort, marquis de Cime, né 4 la Mothc-Montravcî, «n Périgord, le *8 mat» 1716 ; crée

dU (i^ji^-Laurent ^9 Durfort^CIvrac, duc de Qulnfin, né 4 la Mothc-Montravel, le 7 Juillet 1746, marié Jo » mal 17&* 4 Adélald^PhUIppine de Dur fbrMUrgc, née 7 le.6 septembre.744, morte à Fon.portuls, prk

t8ro, Le duché de Lorge fut transmis au duc de Qulnfin par lettre-patente» du a 5 mat* *772. Pair de France en 1814, lieutenant général, Cordon bleu et gouverneur de Rambouillet, II mourut le 4 octobre 1896. '.

(a) Mario-Françoise de Durfort-CIvrsc, née le a t «eptembre 1747, suivit toute la campagne de la grande armée vendéenne ; après (a révolution *' à Orléans, où elle mourut te 19 mai > 828. Elle avait épousé, le a6 Janvier 1760, Gu Joseph, marquis de Donnlssan et de Cîtran, né 4 Bordeaux le 7 «ÿj r ÿ net de# grenadiers de France, grand sénéchal de Guyenne, maréchal chevalier de Saint-Louis. Nommé gouverneur du pays conquis par les Vendéens, président du Conseil de guerre, 11 fut pris 4 Montrai» !», près Vanades, condamné

et exécuté 4 Anger», le 19 nivôse an U, 8 janvier > 794

(3) Jeanne-Marie de Durfort-CIvrac, nee le ta octobre 1748» morte 4 Versailles,

le a(i octobre 1766, mariée, le 17 Juin 1765, 4 Louis-Marie-Joseph de algues, marquis de Lescure, né à la Rochelle le «4 novembre 1746, colonel des dragons de Lescure, puis maréchal de camp, mort 4 Ermenonville, près Scnlle, le 8 décembre 1784. e

(4) Angélique-Victoire de Durfort-CIvrac, née 4 Versailles le a décembre 175»,

morte 4 Paris le 14 novembre 1816, marias le ai avril 1772 À Henri-Georges-César, comte de Chastellux, né 4 Paris le »5 octobre 174$, premier chanolne-ne héréditaire de l’église cathédrale d’Auxerre, msréchal de camp en «788, mort a Paris te 7 avril 18x4.

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-* 19

marnant qui m’aimait & la folie, m’avait toujours auprès d’elle ; elle vivait chez ma grand’mère ; notre famille, très riche, très-unie, très puissante à Versailles, n’avait pour ainsi dire d’enfants que moi. Mes deux cousins de Lorge étalent au collège, les enfants de ma tante de Ghaatellux en nourrice ; tous les soins étaient pour moi. Ma grand’mère, dont l’esprit et la grâce étalent inimitables, bien secondée par ses enfants et surtout par ma mère, attirait chez elle tout ce qu’il y avait de plus grand et de plus aimable à la Cour. Le dimanche et le mardi, jours où le Roi recevait, la maison de ma grand’mère était pleine ; le reste du temps, un petit nombre d’amis choisis embellissait sa vie ; Madame Victoire passait toutes les soirées chez elle ; ses bontés et son amitié faisaient qu’on oubliait son rang.

J’àî passé ainsi les quatorze premières années de ma vie ; j’ai connu chez ma grand’mère presque toutes les personnes célèbres,

  • e

ministres, ambassadeurs, princes, tant français qu’étrangers, même le roi de Suède (i) ; j’ai été témoin de toutes les fêtes et de toutes les magnificences de la Cour et des particuliers.

(Mais en général, toutes ces choses ne m’ont laissé qu’un souvenir confus. Elles ne me paraissaient ni remarquables ni extraordinaires, elles entraient dans les habitudes journalières du monde au milieu duquel je vivais.)

Je me rappelle cependant une chose qui me frappa. Je voyais sans cesse chez ma grand’mère le cardinal de Rohan (a) : j’avais alors neuf ans, j’allais partir avec ma gouvernante pour dîner ô la campagne chez mesdemoiselles de Sérent (3), quand on vint

(t) Gustave II ! d’Holsteln-Eutln, né. te 24 janvier 1746. succéda, 2 e la février <771, & son père Adolphe-Frédéric, et fut assassiné dans un bat masqué par un agent des sociétés secrétes, le 16 mars 1793 ; U mourut au bout de treize jours ;

(s) Le prince Louis de. Rolmn-Guomenée, né à Paris le a 5 septembre 1734, sacré évôquo do Canople, en Égypte, en 1760, cardinal en 1778, évêque de Stras» bourg en 1779, ambassadeur, grand aumônier, il fut, é la suite de l’affaire du coi» lier, exilé âr l’abbaye de la Cbaise<Dieu, en Auvergne. Ensuite député aux étaté généraux, il mourut en i 8 o 3.

(3) Anne»Félidté*$jmonne de Sérent, née en >780, mariëffen 1799 à Étienne* Charles, comte de Damas-Crux ; lieutenant générai, grand-croix de Saint-Louis,

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dire k maman qu’un garde du corps était en sentinelle à la porte de M. le cardinal, et qu’il venait de sortir de chez le Roi, suivi d’un exempt des gardes, se rendant dans son appartement : maman ne pouvait croire à la nouvelle de cette arrestation imprévue. Je pars et je rencontre, en sortant de la galerie de la chapelle, le cardinal, revenant de son appartement, précédé de deux domestiques, marchant entre un capitaine et un exempt des gardes du corps ; il traversait la galerie pour monter en voiture et se rendre à la Bastille ; il saluait, d’un air calme et noble, une foule curieuse qui était accourue pour le voir passer. Comme il me donnait souvent du bonbon, je m’enfuis en pleurant.

Autrefois, les tableaux nouveaux étaient exposés au Louvre tous les deux ans, dans le grand salon seulement. Un jour, ma grand’mère fit demander qu’on l’y laissât entrer k une heure où il n’y aurait personne : j’avais alors dix où onze ans ; elle me mena avec elle. À peine sommes-nous arrivées, que les deux battants s’ouvrent, et nous voyons entrer les trois petits princes d’Orléans et leur sœur, Mademoiselle (i), conduits par madame de Genlis (2), à la fois leur gouverneur et leur gouvernante ; puis venait tout le cortège princier. Magrand’mère dit aux personnes qu’elle avait amenées : « Oh 1 quel bonheur 1 il y a des siècles que je n’ai rencontré madame de Genlis. » — Elles s’avancèrent

pair de France, créé duc en 1816, chevalier de» ordre*. Bile mourut h Pari* le as janvier 1848, *

Anne*Ang6Hque* Marie-Émiiie de Séreat, mariée à Raimond-Jacques-Marie, comte deNarbonno-Pelct, pair de France en i 8 » 5, duc en 1817, #mba**adeur, mi» nistre d’État, chevalier des ordres. Elle mourut à Paris le 16 mars i 85 G.

(t) Louifr-Phüippe, te duc de Montpensier, te comte de Beaujolais et Madame Adélaïde.

(a) Félicité-Stéphanie Ducrest de Saint-Aubin, née au chéteau deCharapcéry, près Autun, le a 5 janvier 1746, comtesse de Bourbon-Lancy comme chanoinesse du chapitre noble d’Alix, prés Lyon ; dame d’honneur de la duchesse de Chartres, femme de Philippe-Égalité, puis gouvernante de leurs enfants ; morte à Paris le 3 t décembre xB 3 o. Elle avait épousé Charles-Alexis Brutart, comte de Genlis, marquis de Slilery, colonel des grenadiers de France, brigadier en 1780, député aux états généraux, puisé la Convention, condamné & mort le 3 o octobre 1793.

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tout de suite l’une vers l’autre. Elles s’étalent beaucoup connues, mais ma grand’mère avait depuis longtemps cessé de la voir* Pour mol, j’étais dans l’enchantement de considérer de près celle dont je lisais les ouvrages pour les enfants, dont je jouais les petites pièces ; j’avais entendu tant chuchoter en parlant d’elle, et vu sourire si souvent, que cela piquait ma curiosité ; aussi la scène que je vais raconter m’est présente, comme si elle s’était passée hier.

M w * de Geniis était mise très simplement, en couleur sombre ; je crois même être sûre que le capuchon de son man* telct noir était sur sa tête. Elle me parut maigre et brune ; sa physionomie était délicieuse, sa bouche, ses dents et ses yeux ravissants ; elle avait l’air si aimable, si doux, si séduisant et si spirituel 1 Les jeunes princes étaient bien singuliers pour ce temps-là, car ils étaient coiffés comme de petits Anglais, les cheveux tombant bouclés sur les épaules et sans poudre, chose fort étrange à’cette époque. Tandis que les sous-gouverneurs et les peintres leur expliquaient* les tableaux, ma grand’mère et M m * de Geniis se faisaient mille compliments aimables. Celle-ci lui présenta sa fille, depuis M me de Valence (i). EUE avait quatorze ans, était forte et belle*

Ma grand’mère vit à côté d’elle une charmante petite fille de sept ans. Elle lui dit : « Vous n’avez que deux filles (l’aînée, M me dè Lavœstine (2), était déjà mariée) : quelle est donc cette. ravissante créature ? — Oh ! répondit M m * de Geniis à demi-voix, mais je l’entendis, c’est une histoire bien touchante, bien intéressante, que celle de cette petite : je ne puis vous la raconter en ce moment. » EUE ajouta : « Vous ne voyez rien

(1) Edme-Nicole’Pulchériü Bruiart de Gentil, mariée, le t juin 1784. À Jean. Baptiste-Cyrut-Marie-Adélalde de Tirobrune-Thlcrabrone, d’une famille de l’Ar* toi», comte de Valence, colonel du régiment de Chartres-dragons en 1788.

(a) Caroline-Jeanne, née à Pari» le 4 décembre {765, mariée, le 18 avril 1780, àCharlas-Ghiriain-Antoine-François de Paute de Becelaer, marquis de Lawcestine, mestre de camp en second du régiment de Chartres-dragons en 1784. Elle mourut h Paris en 1788.

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encore, vous allez juger de cette figuro-Jâ 1 » Puis, élevant là voix : a Pamdla, faites Héloïse ! » Aussitôt Paméla (i) ôte son peigne ; ses beaux cheveux sans poudre tombent en longues boucles ; elle se précipite un genou en terre, lève les yeux au ciel, ainsi qu’un de ses bras, et sa figure exprime une extase passionnée* Paméla reste en attitude ! Pendant ce temps, M m * de Genlis paraît ravie, fait des signes, des remarques h ma grand’mère, qui lui adresse des compliments sur lu beauté et la.grâçc de sa jeune élève. Pour moi» je restai stupéfaite par instinct et sans rien comprendre,

Ma grand’mère s’en fut bien vite pour rire de cette rencontre. Huit jours durant, elle en faisait le récit à ceux qui venaient la voir ; c’étaient des plaisanteries continuelles sur la bonne éducation qu’on donnait & Paméla. Tous ces chuchotements «t l’expres* siompassionnée de la nouvelle Héloïse, dont je n’avais jamais eu l’idée, m’ont fait une impression qui dure encore. Je n’ai pas rencontré depuis M m# * de Genlis, de Valence, ni Paméla.)

À l’Âge de douze ans, j’allai aux èaux de Vichy et au château

de JLouvois avec Mesdames.

J’arrive à ma quatorzième année. Ma grand’mère était attaquée d’une maladie mortelle ; elle avait fait inutilement plusieurs voyages aux eaux. On arrêta mon mariage avec le fils de M. le comte de Montmorin (a), qui revenait de l’ambassade d’Espagne ;

H était alors commandant de Bretagne, avait le Cordon bleu, la promesse du titre (de duc), cinquante mille livres de rente, sans compter les bienfaits du Roi ; de plus, l’espoir de parvenir & tout*

(i) Jfancjr Seymour serait née, d’après M- de Sentis, à Fogo, dépendance de Terre-Neuve, et aurait été amenée d’Angleterre au PalsistRoyal. Au mois de décembre

  • 791, elle épousa, & Toumay, lord Edward Flti-Gératd, et plus tard l’Ame* '

ricain Pitcairn, consul à Hambourg. Ayant divorcé, dto se retira à l’Abbaye-aux-Bais, à Paris, puis en sortit pour suivre le duc de la Force ; elle mourut le S novembre 18$t,

(a) Armand-Marc, comte de Montmorin Saint-Hérem, né & Paris, le 13 octobre 1746, maréchal de camp, ambassadeur de France, chevalier du Saint-Esprit et de la Toison d’or, ministre de* Affaires étrangères, massacré & l’Abbaye le 3 septembre *793,

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Son fils avait un an de plus que moi ; U fut décidé que nous nous marierions au bout de dix-huit mois ; j’étais destinée à avoir quatre-vingt mille livres de rente.

Je dirai ici un mot sur mon éducation : ma mère me prodiguait ses soins ; quoique je fusse très gâtée, en ce qu’on cherchait toujours à me faire plaisir et qu’on me laissait me livrer à ma gaieté et à ma vivacité naturelles, jamais on n’a été aussi surveillée que moi. J’avais une gouvernante de beaucoup d’esprit et de sagesse ; elle ne me quittait que si j’étais avec ma mère, et je puis le dire avec vérité, jusqu’à mon mariage, à l’âge de dix-neuf ans, je n’ai jamais dit une parole qui n’ait été entendue, écouté un mot qui ne m’ait été dit tout haut, lu une ligne qui n’ait été vue. Ajoutez à cela que je suis naturellement franche jusqu’à l’excès ; ma mère ne me menait que par la tendresse et faisait de moi ce qu’elle

voulait.

Dans mon enfance, j’avais envie de tout ce que je voyais ; on

me laissait acheter tous les joujoux que je voulais, indistinctement, et je suis sûre, d’y avoir employé quelquefois vingt-cinq louis dans un mois ; l’instant d’après, par un caprice naturel ‘à l’enfance, je me dégoûtais de ce que j’avais acheté ; alors on faisait paraître devant moi dés pauvres vieillards, des enfants tout estropiés ; je voulais leur donner, on me disait que je n’avais plus d’argent, que cette poupée avait coûté deux louis, etc… ; je pleurais, j’assurais que la poupée ne m’avait pas amusée un quart d’heure ; de là on me faisait voir sans effort combien il était absurde de dépenser pour des bagatelles. Cette manière a bien réussi, car je puis dire avec vérité que personne n’a eu, depuis son enfance, moins de fantaisies que moi, et au milieu du Palais-Royal je n’aurais envie de rien acheter., .

J’étais fort vive, on fit tourner tout ce feu sur l’étude, j’avais beaucoup de facilité ; j’appris la musique, la danse, le dessin, l’italien, l’anglais, l’algèbre, l’astronomie. J’étais liée avec plusieurs jeunes personnes de mon âge, surtout avec mesdemoiselles de

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Sérent, mes amies intimes ! et le» personne le plus, parfaite».. Elles étalent fille» du duc de Sérent (i), gouverneur de enfant» de M, le comte d’Artois. Je voyais sans cesse ces petits princes, . Messcigneur» les ducs d’ÀngoulOme et de Berry.

Dès l’âge le plus tendre on m’avait destinée à épouser M. de Lescure (a), mon cousin ; je l’aimai» dès le berceau, comme si j’avais eu quinze an». Lui, très timide et très sauvage, était & l’École militaire ; il en sortit à l’âge de seize ans, le plu» instruit de tous les jeunes gens, le plus parfait sur tous les points, le plus vertueux, mais en même temps le plus gauche. Son père, excellent homme, plein d’honneur, mais livré au libertinageetau jeu, venait de foire pour huit cent mille livres de dettes. Il avait, pour compagnon de ses débauches, M. Thomassin, le gouverneur de son fils ; telle était la vertu de ce dernier, que c’était à lui qu’ils venaient avouer leurs foutes et demander des consolations ; il aimait et respectait son père, malgré ses faiblesses ; dix ans après sa mort, il le pleurait encore.

M. de Lescure avait eu pour gouverneur, depuis l’âge de cinq ans jusqu’à neuf ans et demi, le père Dutcil (3), ex-jésuite ; c’est lui qui lui a inspiré cet amour si vif pour Dieu et ce goût pour l’étude, qu’il possédait à un si haut degré. La première fois que ce saint prêtre vint chez nous & Paris, en 179a, M. de Lescure ne l’avait pas vu depuis longtemps ; rien n’égala leur joie mutuelle de se retrouver. Mon cousin se plut à aller chercher des livres de latin et d’italien, pour prouver à son cher

(0 A round-Louis, comte de Sérent, marquis de Kerfily, né & Nantes te 3 o décembre

  • 736, maréchal de camp en 1780, gouverneur des princes en 1788, grand

d’Espagne ; duc de Sérent et pair de France en 1614. lieutenant général, chevalier des ordres, décédé le 3 o octobre 18aa.

(a) Louis-Marie de Salgues, comte, puis marquis de Lescure, né À Paris le

  • 5 octobre 1766, capitaine À la suite du régiment Royal-PJémont cavalerie, fut

général dans la grande armée vendéenne, et mourut de ses blessures le 4 no* vembre 1793,

(3) L’abbé Vareüle-Dutell était réfugié en 179s dana ta maison Saint-François de Sales, À Issjr, prés Paris. Amené devant le Comité de la section du Luxembourg, il fut enfermé déns l’église des Carmes et massacré le 9 septembre.

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maître qu’il n’avait pas’oublié ses leçons. Il lui répétait qu’il conservait tous ses préceptes de. religion et de travail. Nous représentions vainement à l’abbé qu’il avait tort de garder son habit ecclésiastique ; il nous dit qu’il aimait mieux mourir que de le quitter. Il a péri aux Carmes, dans le massacre. Le père Duteil avait été remplacé par M. Thomassin, qui resta avec M, de, Lesepre jusqu’à son entrée à l’École militaire, à l’âge de treize ans. M, Thomassin’avait eu plusieurs états, il avait été aussi militaire. C’était un homme de beaucoup d’esprit et de science, mais très vicieux ; il avait eu l’art de cacher si bien sa mauvaise conduite, qu’il s’était fait recommander par des gens fort respectables, et M. de Lescure lui a toujours rendu la justice de dire qu’il ne lui avait donné que de bons exemples.]

Je peindrai franchement M. de Lescure ; j’ai trop de bien & en dire, pour dissimuler ses défauts. Je répète que personne peut-être n’a été aussi instruit ; il était en même temps si modeste, qu’il s’étudiait & cacher ses connaissances ; toujours taciturne, il fuyait ses avantages, il en semblait honteux. Beau et bien fait, il paraissait mal au premier abord, par ses vêtements et sa coiffure antique. Lancé au milieu de la Cour et de Paris, avec des passions fort vives et une grande dévotion, l’exemple de son père sous les yeux, U était devenu le plus sauvage des hommes. Sa piété, mieux entendue avec l’âge, a fini par n’être plus farouche, mais elle lui a nui longtemps. Comment ne pas l’admirer, quand on le voit suivre son père malade chez le fameux M. de Girardin, à Ermenonville (i), et, l’ayant vu expirer dans ses bras, se consacrer dix-huit ans à la plus stricte économie pour payer les dettes qu’il lui avait laissées, au lieu

(i) Ermenonville, pris Sentis, appartenait A René-Louis, marquis de Girardin. Né & Pari* en U fit la guerre de Sept ans et devint colonel de dragons, puis brigadier des gardes du corps du roi de Pologne, duc de Lorraine. Retiré À Ermenonville, Il donna l’hospitalité & J. J. Rousseau, qui y mourut au bout de six se* maines. En *793, U te sauva de l’échafaud en protestant de son dévouement À la république, et mourut À Vernouillet, dans l’Oise, le ao septembre 1808.

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d’abandonner sâ succession en demandant les droits de sa mère, comme tout le monde le lui conseillait* Non, il eut le courage de se réduire à l’absolu nécessaire pour acquitter ses dettes, et sa généreuse grand’mère, la comtesse de Lescure, a imité son exemple, toutefois sans rien retrancher de ses nombreuses aumônes ? ils ont payé sur leurs revenus, leurs amis les ont aidés, et surtout le respectable M. d’Àuzon (i), le meilleur des parents, A vingt-cinq ans, M* de Lcscure n’avait plus que deux cent mille francs de dettes et quatre-vingt mille livres de rentes, en comptant la fortune de sa grand’mère.

C’est de mon oncle, le marquis de Lescure, que la mort est rapportée, dans l’histoire de l’abbé Barruel, sous le nom àe chevalier de Lescure ; [[osais peu de chose à cet égard, mon mari n’a répondu qu’une ou deux fois et en quelques mots à mes questions ; je me suis gardée de les renouveler, voyant combien cela lui était pénible. J’en ai parlé à ma mère, maïs elle était si bonne qu’elle ne pouvait crôiré à ces horreurs, Elle pensait seulement qu’Ërmènonville était un endroit livré aux amusements, même au libertinage, et que son beau-frère était mort à forcé de débauches], M. de Lescure, maréchal de camp, avait alors trente-sept ou trente-huit ans» Son père, menin de M, le Dauphin, père de Louis XVI, avait épousé Agathe-Geneviève dé Sauvestre de Clisson (s), dont le frère venait d’être tué à la bataille de Fontenoy. Ses deux sœurs aînées s’étalent faites religieuses, malgré leur mère ; la dernière avait la même vocation, la mort de son frère la décida à y -renoncer, afin de ne pas laisser sa mère seule,

t *

(*) Hector-François Sonnet d’Auzon, chevalier, eelgneur du Beignon, prie Poùzauges, et de ta Boulayc, paroisse de Treize-Vents, en bas Poitou, fusillé & tijàln ; près Savons ?, en décembre 1793»

(a) Agathe-Geneviève Sauvestre, dame du comté des Motbes et de Clisson en Poitou, mariée, te i 5 février 1746, à François-Alphonse de Salgues, marquis de Lescure, en Albigeois, baron de Salnte-Flaive en bas Poitou, meswe de camp du régiment Dauphin-dragons, tué sous le» murs dé Plaisance le 16 Juin 1746*

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r~ 47 r~

[Le comtc.de Lescure, nommé colonel d’un régiment de dragons

alors en Italie, partit un mois après son mariage, traversa très difficilement les Alpes, couvertes de neige, et arriva la veille de la bataille de Plaisance. Il y fut blessé et ne voulut jamais quitter le champ de bataille ; il était le seul colonel de dragons présent, et les commandait tous, « Ma situation est trop belle, dit-il, à mon âge, pour me retirer, # Blessé une seconde fois, les dragons l’emportaient, un boulet de canon lui fracassa la tête dans leurs bras. La comtesse de Lescure, restée, grosse, était une femme d’une profonde piété ; elle consacra ses {ours à sa mère et à son fils, le marquis de Lescure. Celui-ci fut traité avec beaucoup de faveur, à cause de son père ; il s’était marié & dix-sept ans, avec Jeanne de Durfort de Civrac, scieur de ma mère. M mo de Lescure mourut en couche, laissant un fils que j’ai épousé ; l’amour que lui portait son mari était si violent, qu’il faljut le garder à vue pour l’empêcher de se tuer. A vingt-trois ans, mon oncle, par obéissance pour sa mère, s’était marié en secondes noces avec M 1Ia de Sommièvre (1). Il en eut une fille qui mourut en naissant ; sa femme resta quatre ans dans un état cruel, et mourut elle-même avec un courage et une piété au-dessus de tout éloge. Elle adorait son mari, qui, sans l’aimer, lui a toujours témoigné beaucoup d’attentions. Mon onde était doux, bon, gai, très brave, ce qu’on appelle dans le monde un homme rempli ^honneur ; mais il se livrait avec fureur & tous les amusements, à tous les plaisirs. Toutîe monde l’aimait, parce qu’il avait le caractère le plus aimable ; il ne comptait pour rien ni la peine ni la dépense..

  • [N épris de Madame ce fut elle qui l’entraîna £

Ermenonville. Il y passa habituellement les dernières années de sa vie, au milieu de toutes les folies qui ont attaché des

souvenirs si singuliers & ce séjour. Mon beau-père était d’une

(0 Anno-Mârie-TMfèic de Sommlèvrc, fille de Gaapftrd, comte de Semmièvre,

et de Louiee de Choiseul.

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telle légèreté, que tout lui paraissait des plaisanteries. Quand il tomba malade, il écrivit & son üls de venir le soigner ; il fallait qu’il se sentît alors bien dangereusement atteint. Il resta quarante jours entre la vie et la mort, transpirant sans cesse, d’une faiblesse extrême, et pourtant sans fièvre ; il témoignait & son fils une grande impatience de quitter Ermenonville, et lui disait qu’il n’y retournerait jamais, M. de Lescure ne s’éloignait de son père que pour aller dîner avec les habitants du château et rester par politesse une demi-heure environ au salon. Deux choses l’avaient frappé dans cette étrange société : c’était d’abord les propos les plus lestes, auxquels prenait part M» de PI***, qui avait là ses trois filles non mariées, lesquelles répondaient sur le même ton, et puis, parfois, cette société si folle s’asseyait avec l’air du plus profond recueillement autour d’une des personnes qui ouvrait la Bible et en faisait ta lecture. A leur maintien, on les eût pris pour une assemblée de moines. Dès que le livre était fermé, les propos lestes et les rires indécents recommençaient. Il me reste dans la tête des choses que je ne veux pas assurer, ne me rappelant pas de qui je les tiens, mais ce n’est toujours pas de mon mari. Quand cette société crut pouvoir initier mon oncle, qui se livrait- sans y attacher la moindre importance, pour s’amuser, on voulut lui faire prêter le fameux serment, en lui tenant sur le cœur la pointe d’une épée ; mais, saisi d’une juste horfour, il s’écria : « Enfoncez l’épée, jamais je ne ferai ce serment. » Les adeptes redoutant la suite d’un assassinat pareil, ou qu’il n’avertît le Roi, prirent le parti d’éclater tous de rire, en le comblant d’éloges et lui dirent qu’ils avaient voulu plaisanter, sûrs de le voir refuser un si horrible serment, qu’aucun d’eux ne voudrait faire non plus.

Mon onde, se sentant un peu mieux, demanda des chevaux et se fit coiffer, en disant à son fils : « Nous resterons un instant au salon pour prendre congé. » Mais en se levant pour ôter sa poudre, il tomba sur le parquet, et mourut deux minutes

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après, sans prononcer une parole. Voilà tout ce que j’ai su de M. de Lescure au sujet de la mort de son père. Périer, son vieux et fidèle valet de chambre, fut témoin de l’autopsie qu’on fit de son corps et entendit causer les médecins ; il n’a jamais cessé de répéter que son maître avait été empoisonné, qu’il en avait eu des preuves évidentes, et que d’ailleurs la maladie était d’un genre inexplicable. On dit à son fils et au public qu’on lui avait trouvé un abcès dans les côtes, suite d’iin coup qu’il s’était effectivement donné contre un arbre en chas# sant.

La société d’Ermenonville se dispersa sans bruit peu après la mort de M. de Lescure ; M. de PI***, fortement soupçonné d’infamies inconnues, se rendit en Brabant, d’où il écrivait continuellement à Madame ***. Celle-ci affectait l’irréligion. Ses parents, chez qui elle s’était retirée, firent prier Madame de la Rochebrochard d’Auzay (i) de venir la voir, elles avaient été amies d’enfance. M B * d’Auzay la décida à aller à la messe un dimanche, on lui donna un livre, elle-même fit remarquer qu’elle le tenait & l’envers. Elle se mourait, on n’a jamais su de quel mal ; continuellement le sang coulait goutte à goutte de sa bouche, elle ne se plaignait pas, se levait, s’habillait et ne voulait foire aucun remède. Un jour, M"* d’Auzay lui ayant offert un verre de limonade, elle parut l’accepter avec plaisir ;

. elle le portait à sa bouche, son amie lui dit : « J’espère que ce petit remède vous fera du bien ; » elle jeta aussitôt le verre en disant : « Ah, c’est un remède ! » Elle mourut sans dire un mot, avec un air profondément insensible et concentré. C’est aussi Périer, je crois, qui a raconté que la veille de la mort de mon oncle, M. de Pi*** vint le voir et lui demanda de

(i) Mârte-FrançoUe Joualard d’Yversay, née le 17 mal 17s», dame de Bua#e* rotlet et du Coudreau, mariée, le 17 Juin 1776, & François-Xavier- Joacph Brochard de la Rochebrochard, baron d’Auxay, pria Fontenay-lc-Comtc, capitaine aux che* vau-légers, chevalier de Salnt*Loui«.

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ses nouvelles ; le malade daigna à peine lui répondre. Alors, M. de PI*** prit de la tisane, là versa dans une tasse, y. mît du sucre, et la tournant avec une cuiller, la lui présenta en dlsànt i « Prenez, cela vous fera du bien. » Mon oncle le repoussa d’abord d’un air indigné. M. de PI*** le regarda d’un œil fermé et assuré ; mon oncle, sans dire un mot, saisit là tassé avec une expression de colère et de courage, et but sans cesser dé fixer M. de PP**. Les yeux de ces deux hommes, arrêtés l’un sur l’autre, avaient quelque chose de terrible.)

J’aimais mon cousin, mais le désordre de son père avait changé les idées de mes parents ; Us avaient raison. Qui aurait pu croire qu’il fût assez maître de lui-même pour n’avôir jamais aucune faute à se reprocher ? Jamais il n’eut à se repentir de la plus légère étourderie, qu’on trouve même naturelle aux jeunes gens, et cela dans aucun genre. (Toujours rempli de crainte et d’amour de Dieu, évitant jusqu’à là moindre pensée qui pût l’offenser, il avait un air triste et distrait dans le monde, où il n’écoutait presque jamais ce qu’on disait ; en famille il était plutôt gai.) J’ajouterai que jamais de sa vie, il n’a eii la moindre brusquerie, ni colère ; il avait une égalité d’humeur et’un sang-froid que je n’ai vus qu’à lui, et d’autant plus extraordinaires, qu’il était fort vif ; mais il était un peu entêté, ce défaut vènait beaucoup des plaisanteries qu’il recevait à tout propos ; accoutumé à résister sans relâche à ses goûts et à ceux des’autres, * il était nécessairement tenace à ses idées. Il passait sa vie à lire, à étudier ; comme il avait une mémoire prodigieuse et qu’il réfléchissait sans cesse, il savait tout, mais n’en jouissait guère.

Un trait singulier fera connaître mieux M. de Lescure. Ii était un jour dans le salon de ma grand’mère avec quelques personnes, et, suivant son habitude, ayant trouvé un livre, il le lisait au lieu d’écouter la conversation ; ma gnmd’mère lui en fit reproche, et comme apparemment elle s’ennuyait, elle le pria

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de lui lire haut, ce qu’il fit sur le champ. Au bout d’une demi'* heure, quelqu’un s’étant approché ; de lui, slécria : « C’est de l’anglais I comment ne l’avez-vous pas dit ? » Il répondit d’un air déconcerté : « J’ai pensé que bonne maman rie sachant pas l’anglais, je devais lire en français. » Jamais il n’aurait songé à le dire. Je crois que rien ne prouve mieux ses connaissances et sa modestie ; je pourrais citer d’autres traits du même genre. Monsieur, comte de Provence, est un des hommes les plus instruits, surtout pour les langues. Après l’heure de la Cour, il aimait souvent & s’entretenir avec ceux des courtisans qui avaient, comme lui, le goût de l’étude ; Un. jour, M. de Montes ; quiou (i), qui était de sa maison, arriva pour dîner chez ma grand’mère ; U avait à la main un volume d’Horace. Il sortait, dit-il, de chez Monsieur ; lui et d’autres avaient voulu expliquer une ode très difficile, il» n’avaient jamais pu saisir avec précision le véritable sens de l’auteur, ils trouvaient toujours qu’il y manquait quelque chose ; il voulait porter cette ode partout, jusqu’à ce qu’il eût trouvé la véritable idée du poète. Il y avait beaucoup de monde chez ma grand’mère ; chacun se récusa. Alors elle dit à M. de Mohtesquiou î « Tenez, savez-vous qui il faut consulter ? mon petit-fils. » M. de Lescuré avait alors seize ans, U sortait de l’École militaire. On l’appelle ; il était à la fenêtre, bien. embarrassé et tournant le dos & tout le monde. Il s’avance, en assurant qu’il y a bien longtemps qu’il n’a-Iu du latin, qu’il est incapable d’expliquer Horace. « Essayez, je le veux, dit ma grand’mère, il sera très simple que. vous ne réussissiez pas. » Il prend le livre, lit l’ode d’un bout à l’autre, très vite, saisit le passage saris hésiter. M. de Montesquiou lui saute au cou, court chez Monsieur, et M. de Lescure, bien rouge, bien honteux, retourne à

(i) Aonc-Plerre-Elfsabctb, comte do Monte*qulou-Fwen*ac» no & Pari» lo 3 i sep* tembre *764, premier écuyer de Monsieur, plue uni membre du Corps législatif, grand chambellan de Napoléon, sénateur, pair de France en (819, mort au château de Cou ru n vaux, dans la Sarthe, te 4 août 1834.

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la fenêtre, disant entre ses dents : « C’est un pur hasard, je sais très mai le latin. » Il possédait également bien l’allemand et l’italien, était très fort en histoire et en géographie, excellait dans les mathématiques et calculait de tête d’une manière étonnante ; depuis, 11 se livra pendant plusieurs années à l’étude approfondie des fortifications et de la tactique. Il dessinait à merveille le paysage d’après nature. Il aimait beaucoup monter & cheval, mais détestait la musique ; U avait du plaisir à la danse, faisait bien les pas, mais se tenait mal.)

J’étais élevée à la plus grande confiance vis-à-vis de mes parents ; ma mère me fit voir facilement que M. de Lescure étant ruiné, je ne pouvais l’épouser, et U fut encore plus aisé de me le faire paraître assez ridicule dans le monde, pour m’en dégoûter. Je ne pouvais m’empêcher de l’aimer, mais c’était comme un frère ; on lui en laissait la liberté avec moi ; nous sentions que nous n’étions heureux qu’en semble. Quand il était à lire dans un coin de ma chambre, pendant que j’étudiais avec ma gouvernante, il me semblait que je respirais un nouvel air ; cependant je ne me rendais pas compte de ce sentiment. J’étais l’innocence même et j’avais été si bien détournée de mes idées, que j’aurais été fort affligée d’épouser mon cousin qui était si gauche. Lui m’aimait de son côté ; mais, sachant la volonté de mes parents, reconnaissant de leur confiance pour lui, pénétré de religion, et surtout d’une timidité et d’une réserve sans égale, il ne m’a jamais fait entendre un seul instant qu’il m’aimât autrement que comme un frère. Mais c’est assez parlé de lui, et ce serait beaucoup trop, si je n’écrivais pour moi seule et si lui ne s’était depuis rendu célèbre.

A quatorze ans, je perdis ma grand’mère ; nous fûmes à une campagne nommée Brimborion, que nous prêta Madame Victoire ; c’est sur le chemin de Versailles à Paris, au bas.de Bellevue. Mon grand-père était accablé de douleur, ainsi que toute ma famille ; M me de Chastellux était auprès de Madame

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Victoire ; mon père, ma mère, mon oncle de Lorge, M. de Lescure et moi nous étions avec mon grand-père. Il était attaqué de la pierre ; son état et la mort de sa femme avaient rendu notre maison le séjour du deuil et de la tristesse. Le silence le plus absolu, interrompu seulement par des larmes, régnait dans notre solitude, où rarement on permettait à deux ou trois amis de venir passer une heure.' Dans ce temps, M. de Montmorin fut nommé ministre des Affaires étrangères ; mon mariage fut retardé d’un an, & cause des chagrins de ma famille.

Je passai cinq mois à Brimborion, n’ayant pour tout plaisir que celui de jouer aux échecs avec M, de Lescure. Mon grand-père mourut, et maman fut trois semaines dans un état si affreux, qu’elle ne revenait de ses longs évanouissements que pour avoir des convulsions ; aucun remède ne pouvait la soulager ; c’était son âme qui était malade.

On conseilla à mon père de la faire voyager. Nous partîmes pour la Suisse ; elle y avait pour amis M me de Diesbach et la famille d’Affry (i). Nous étions dans la première voiture, mon père, ma mère, ma gouvernante, un aumônier et moi ; maman pleurait toujours, personne n’osait dire Un mot ; nous allions & petites journées. De temps en temps, quand il y avait un joli point de vue, mon père le lui faisait remarquer ; elle regardait d’un air incertain et refermait les yeux. Elle avait tous les soirs une attaque de nerfs. C’est ainsi que nous avons voyagé pendant cinq mois.

(i) Marie-Madeleine d’Affry, née en 1739, fillo do Louis* Auguste-Augustin comts d’Affry (né à Versailles le »8 août 1713, ambassadeur de France, lieutenant général, colonel des gardes suisses, chevalier des ordres en 1784, mort en son château de Saint-Barthélemy, dans le canton de Vaud, le jo Juin 1793), et de Marte-ÉH* saboth d’Alt. Elle épousa, le si septembre 176a, François-Frédéric, comte de Diesbach Torny, né à Fribourg en 17391 II servit peu de temps’au régiment des gardes suisses, où 10 trouvaient plusieurs membres de sa famille ; rentré dans sa patrie, Il occupa diverses places de magistrature, fut nommé, en 1780, chambellan de l’empereur d’Autriche, et mourut sans enfant le 11 septembre 161 r. La comtesse de Diesbach, dame de la Croix étoilée d’Autriche, mourut à Fribourg le ss mars :82a.

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Mon oncle de Lorge, ses deux fils, Mme de Diesbach, plusieurs autres personnes se joignirent à nous. Nous étions quelquefois dix-huit maîtres ensemble» Nous passâmes, en allant, par Auxerre, Dijon, Salins et Pontarlier. Nous par» courûmes tout ce qu’on peut voir de la Suisse, en voiture, et nous revînmes par Bâle, Strasbourg, Nancy. Je ne ferai pas de relation de ce voyage, je dirai seulement que j’y vis Lavater (i) et Cagliostro (a).

Comme nous arrivions à Brientz, il y avait un monde énorme & la promenade ; on nous dit que beaucoup de personnes se rendaient dans cette petite ville pour consulter Cagliostro ; il y demeurait depuis quelque temps, et tous les habitants avaient pour lui un enthousiasme et une confiance sans bornes ; les malades s’y rendaient en foule. Mon père ne l’avait jamais vu, il eut la curiosité de connaître cet homme qui venait de foire tant de bruit ; trois ou quatre de nos compagnons de voyage voulurent l’accompagner ; U fut décidé qu’ils iraient à huit heures du matin, et que notre caravane attendrait leur retour pour se remettre en marche. Je fis des instances si vives à mon père, qu’il consentit à m’emmener. Nous arrivons chez Cagliostro, mon père demande qu’on lui annonce des Français, le domestique répond qu’il n’en reçoit jamais aucun, à Dites-lui, reprend mon père, que je suis très proche parent de M wa de Brivazac (3) s. Celle-ci avait reçu pendant plusieurs mois, à Bordeaux, Cagliostro et sa femme ; ü lui avait tourné la tête, elle

(t) Jean-Gaspard Lavater, né à Zurich en 1740, premier pasteur de l’église Saint* Pierre, a publié un grand nombre d’ouvrage». Il mourut en 1801 d’une blessure reçue à le prise de Zurich.

(a) Joseph Balsamo, né à Païenne en 1743, d’abord frère de la Miséricorde, médecin, puis aventurier, se fixe en France en 1780, ftit enfermé en 1788, condamné, k Rome en 1791, à ht prison perpétuelle, comme magicien et torder pratiquant la franomaçonmrU ; U mourut en 1795 su fort Saint-Léon. Se femme, Loreuxa Pendant, était fille d’un passementier de Rome ; elle frit arrêtée avec Cagliostro, en 1789, et condamnée è finir ses jours dans un couvent.

(S) Marguerite de La Porte de Puyforrat, mariée à Angoulême à Jean-Baptiste* Guillaume-Léonard de B ri vaste, conseiller lai au Parlement de Bordeaux.

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le croyait le plus habile et le plus vertueux des hommes (c’était avant l’affaire du collier). Le domestique sortit et revint très vite nous dira de monter, À peine sommes-nous entrés dans un salon assez petit, Cagliostro arrive, escorté de deux hommes, dont l’un était le ministre protestant ; ils paraissaient remplis d’admiration et de Joie.] Cagliostro nous reçut avec politesse* II était assez petit, gros, noir, avec une belle figure ; je fus très étonnée de ce que, entièrement habillé et comme tout le monde, il n’avait point de cravate, le col de sa chemise était renversé, garni de mousseline, comme aux enfants de ce temps-là. On commençait à peine les révérences et les compliments, que sa femme entra et s’empara de moi, à mon grand regret, car je ne pus rien entendre de ce que disait son mari, M m * Cagliostro n’était pas très jeune, mais sa figure, assez jolie, était douce et aimable ; elle était fort petite, un peu grasse, très blanche. KUe était très bien coiffée, avait un chapeau & plumes, des boucles d’oreilles, une robe de mousseline sur un dessous rose, une quantité de garnitures ; [sa toilette n’eût pas été ridicule après dîner, mais & huit heures du matin, elle l’était & l’excès. Je n’avais pas encore quinze ans, elle me traita suivant mon fige, et fut du reste charmante. Elle me parla du lac de Brientz, des promenades, de musique, me força d’essayer un clavecin qui était là tout ouvert ; au bout de quelques minutes, j’enrageais.] Comme nous nous retirions, j’entendis seulement cette singulière phrase, que je n’oublierai jamais : à Soyez sûr, monsieur le marquis, que le comte de Cagliostro tâchera toujours de se rendre utile à vos ordres, s A notre retour de Suisse, j’avais quinze ans ; maman reprit sa place auprès de Madame Victoire, et moi mon heureuse vie. Je voyais cependant beaucoup moins de mondé. Maman, toujours affligée, ne recevait guère que des amis, et sa santé était fort dérangée. M w * de Montmorin (i), ma future belle-mère,

(i) FmnçoiioGabrieUo de Tenu, née en 174e à Chadleu, en Auvergne, mariée, en 1764, à Armand-Marc, comte de Montmorin Saint-Hérom ; dame pour accom-

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nous faisait de fréquentes visites et m’accablait d’amitiés ; le temps de mon mariage approchait ; son fils venait chez maman avec son gouverneur : nous prenions des leçons ensemble, nous n’osions nous adresser la parole, tant nous étions timides. On n’était jamais convenu que verbalement des articles, ’sans soupçonner qu’on pût se tromper de part ou d’autre. Mon trousseau était fait, mon mariage allait se célébrer dans la quinzaine, il fut question de dresser le contrat. M. de Montmorin dit à mes parents : « Je ne veux pas vous cacher que j’ai peut-être des dettes. Je me suis toujours occupé des affaires du Roi, jamais des miennes. Quoique j’aie toujours eu des places où tout le monde s’enrichit, mes gens d’affaires prétendent que je suis ruiné ; je vous les enverrai, et, en même temps que vous vous éclairerez,

vous me rendrez le-même service. »

Effectivement, il se trouva que le désordre et le pillage avaient si bien régné dans la maison de M. de Montmorin, qu’il avait plus de dettes que de biens. Je citerai un seul trait : M w * de Montmorin dit qu’au moins il lui restait sa dot de deux cent mille livres, et qu’elle pouvait en avantager son fils ; on lui répliqua qu’elle avait répondu pour un compte de tailleur, et ce compte se montait à cent quatre-vingt mille livres. M. de Montmorin, lancé aux plus grandes places, comblé de dignités, de faveurs de tout genre, ne pensait qu’à son ambition. Ma mère, qui tenait aux choses plus solides, rompit mon mariage ; elle ne voulut pas me sacrifier au hasard des vicissitudes de la Cour, et tout fut fiai, en conservant entre les deux familles l’amitié et l’estime qui les unissaient de tout temps. Moi, je pleurai les bals que M m * de Montmorin m’avait promis, le nom de dame, mais je fus sur-le-champ consolée, quand maman m’assura

pagner Madame Sophie de France. EUE fut guillotinée le 10 mai 1794, avec Madame Élisabeth, ainsi que son fils Hugucs-Antdne-Caiiïte de Montmorin, né i Versailles en novembre 1771, sous-lieutenant au S* chasseurs en 179s.

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qu’elle me marierait bientôt et que i’Irals au spectacle et à toutes les fêtes également*

Je me rappelle ici des détails que je tiens de ma mère, et qui concernent le chevalier d’Eon (i). Je n’ai vu nulle part ’ que l’on ait fait connaître les motifs pour lesquels le Roi avait exigé de lui qu’il ne revînt en France qu’habillé en femme. M. d’Eon ayant parlé, écrit et agi de toutes les façons contre M. de Guerchy (a), ambassadeur à Londres, dont U avait été secrétaire, M. de Guerchy le fils (3), son père étant mort, voulait se battre contre le chevalier, à moins que ce ne fût une femme, comme on en avait répandu le bruit. Alors, pour empêcher le duel, le Roi obligea M. d’Éon à porter des vêtements de femme. J’ai aussi entendu dire à ma mère que la France l’avait envoyé en Russie, lorsqu’il était encore très jeune, et cela comme espion, pour être femme de chambre de l’impératrice Elisabeth (4). Il avait occupé cette place pendant trois ans ; et, plusieurs années après, la Russie ayant eu des soupçons sur cette aventure, la France se trouvait bien aise de soutenir que c’était une femme. Je me souviens de l’avoir vu dans mon enfance, à Versailles, chez ma grand’mère. Il était alors l’objet de la curiosité générale, et passait en effet pour une dame (5). Il me semble encore voir cette étrange figure. Il portait une robe noire avec un grand

(i)CharlM-GcncvJève-I^>uU-Augu«to-Tlmothéo do Beau mont, chevalier d’Éon. nd à Tonnerre en 1708, officier et diplomate, chevalier de Saint-Louis en 1763, mon à Londres te ai mat 1810.

(») Ctaude-Françols-Louis Régnier, marquis do Guerchy, né en 171$, d’une famille de Bourgogne, lieutenant général, chevalier des ordre* du Roi, marié à GabrieUe-Lydle d’Harcourt, mourut à Farts te *7 septembre 1767.

(3) Anne-Louis Régnier, comte, puis marquis do Guerchy, né & Paris, le 3 février 1755, marié & Marie-Françoise du Roux do Sigy, mourut en 1806 k Montreuil-sur-Mer.

(4) Élisabeth Pétrowna, fille de Pierre le Grand, née le 5 septembre 1700, impératrice de Russie le 6 décembre 1741, morte le «9 décembre 1761.

(5) Selon ta Biographie miremile, a» fut en 1777 qu’il se trouvait à Versailles j alors je n’aurafa eu que cinq ans, et pourtant je suis portée & croire que c’était nlus tard. (Note de l’auteur.)

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bonnot qu’on appelait une baigneuse ; il était affreux sous cette couture. Des sourcils noirs et épais ombrageaient ses yeux orients ; un teint animé, rouge-noir, accompagnait ce hideux visage ; son air baril et le mouvement de ses bras et de ses jambes, qu’il soulevait en gesticulant, c’était incroyable à volrl Il portait une énorme croix de Saint-Louis, Je me rappelle que, devant moi, un autre chevalier de Saint-Louis, maréchal de camp, qui riavait jamais eu l’occasion de faire la guerre, ayant voulu plaisanter sur cette décoration mise sur une robe de femme, il répondit avec colère t « Monsieur, je l’ai gagnée sur le-b»«" p de bataille, et non comme bien des gens, au «su de la

cheminée» »

On me força d’embrasser cette singulière demoiselle, qui me fp<«»i r très grande peur. Ma grand’mère avait un maître d’hôtel qui l’avait vue en homme-, il ne pouvait en croire ses yeux, etentr’ourait à chaque instant la porte du salon où se trouvait le chevalier, afin de le considérer plus attentivement On se divertissait de sa curiosité, et surtout mademoiselle d’Eon, qui l’avait embrassé en le reconnaissant,

Ma mère m’a raconté plusieurs fois tenir de Madame Victoire que cette princesse avait été tourmentée d’une vive curiosité de savoir la vérité sur le Masque de fer. Elle avait supplié à plusieurs reprises le Roi, son père, de lui confier ce secret, il s’y refusa longtemps $ vaincu enfin par ses instances réitérées, il y consentit, à condition qu’elle ferait serment de ne jamais le révéler à personne ; puis il lui expliqua la valeur du serment qu’il exigeait ? elle fut tellement effrayée de la crainte de pouvoir manquer à un engagement si terrible, qu’elle préféra renoncer à connaître le secret. Ma mère tenait pour certain que le comte de Matirepas (i)

/a Jean-Frédéric Phétlppeaux, comte de Maurepes, né le 9 Juillet *701, rtçit le titre de ministre d’Êtet à la mort do ton pire, dèa 17» 5, ft*t minbtre de te Marine et de te Maison du Roi à *4 ans, puis exilé en 1749. Rappelé par toute XVI, U présida le Coneeil d’État, et mourut le si novembre 1781.

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avait été le dernier à le savoir ; toutefois, étant ministre, U l’avait probablement dit au roi Louis XVI].

La santé de maman était toujours très faible ; elle demanda & Madame Victoire la permission d’aller en Gascogne. J’y fus pour la première fois de ma vie en 1788 ; ma mère vit en passant à Tours le cardinal de Rohan ; il se montra d’autant plus touché de ce souvenir, que les gens de la Cour craignent souvent de voir les exilés. Mon oncle de Lorge, avec ses fils, vint en Gascogne, nous passâmes l’été dans ses terres et dans les nôtres. Je revins à Versailles h la fin de l’année avec mes parents : j’avais seize ans, plusieurs partis se proposaient pour moi, maman était encore indécise.

Voilà l’instant des états généraux et le commencement de la révolution.

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CHAPITRE II

DEPUIS LE COMMENCEMENT DES ÉTATS GÉNÉRAUX JUSQU’A L’AFFAIRE DES 5 ET 6 OCTOBRE

J e passerai légèrement sur les événements qui ont eu lieu en 1 789. Je n’écris pas l’histoire, c’est bien assez de raconter la mienne ; aussi je ne m’attache qu’à ce qui m’est personnel, ou que j’ai vu. D’ailleurs, dans ce temps, j’étais une enfant

Versailles était devenu très brillant ; les états généraux y avaient attiré un monde infini, je passai l’été le plus agréable. Maman recevait chez elle, tous les soirs, le duc de Luxembourg (1), président de la noblesse, et une foule de députés du côté droit. Les ducs de Luynes (2) et de Lévis (3) (dont le dernier a depuis réparé ses erreurs par le plus sincère repentir),

<t) Annc-Charl&S’Si gl sm 0 nd do Montmorency, né Je 1 5 octobre 1737, marquis de Royan, puis duc de Pincy-Luxembourg, duc de ChÂMJJon, pair de France, lieutenant générât, capitaine des gardes, donna, le ao août 1789» ** démission de député aux état» généraux et émigra. Il mourut à Lisbonne le i 3 octobre i 8 o 3.

(a) Loui*Jowph’Charl«-Am*bic d’Albert, né te 4 novembre 1748, duc do Luynes et de Chevreutc, pair de France, maréchal de camp, chevalier de Saint-Louis, colonel général des dragons en 178$. Député de ta Touraine aux états généraux, il n’émigra point et ne fut pas arrêté. Appelé au Sénat en t 8 o 3, il mourut à Pari» le ao mai 1807.

(3) Pierre-Mare-Gaston, duc de Lévis, né à Pari* Je 7 mars 1764, émigra en 179a, fut blessé À Quiberon, rentra en France on 1808. Pair de France, maréchal de camp, ministre d’État, chevalier des ordres, membre de l’Académie française, il mourut 4 Paris le i 5 février t 83 o,

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furent obligés de renoncer à venir chez maman, où Ils ne trouvaient que des gens dévoués au Roi*

J’allai voir la procession des états généraux, ainsi que la séance, et plusieurs autres choses remarquables* Je faisais de la musique tous les sqirs avec M. le comte d’Astorg (i), officier aux gardes du corps, qui, dans l’émeute de Versailles contre l’archevêque de Paris, avait blessé un homme, et depuis, avec M* de Savonnières (a), qui avait escorté M. Necker aux frontières, lors de son renvoi le so juillet ; par ces raisons, il était abhorré des patriotes. M. de Galvimont ($) et plusieurs autres personnes formaient notre concert* Je m’amusais infiniment, tandis que, dans le même salon, on faisait les conversations les plus intéressantes.

Les régiments de Bouillon et de Nassau venaient d’arriver à Versailles, ils étaient logés dans l’Orangerie ; nous fûmes les voir. Le lendemain, mardi 14 juillet, à six heures du soir, un monde étonnant sé promenait sur le parterre du Midi, au-dessus de l’Orangerie. Les officiers des régiments faisaient jouer la musique militaire ; on exécutait des allemandes, la joie était sur tous les visages. Je n’oublierai jamais ce moment : quel contraste ! On entend quelques chuchotements* M. de Bonsol (4), officier aux

(») Jean-Jacques-Maric, comte d’Astorg, né À Aueh le >t juin 1759, lieutenant de* gardes dans la compagnie de Luxembourg, colonel en 1788, commanda un corps do l’arméo de Condé. Nommé» en 18s$, maréchal de camp, 11 fut mis à la tête du département de Sche-et-Marne, et retraité, en 1816, comme lieutenant général et commandeur de Saint-Louis} il mourut & Auçb le a8 janvier 182a.

(a) Timoléon-Magdeion-Françols, marquis de Savonnières, né à Meta le *8 novembre 1740. Enseigne au régiment de Normandie en 1755, major du régiment de Navarre en 1776, chevalier de Saint-Louis, mostre.de camp en 1780, lieutenant aux gardes du corps en 1786 ; U eut te bras cassé d’un coup de fusil par un garde national de Versailles, le 5 octobre 1789, et mourut le g février suivant.

(3) Jean-Augustin-Armand de Galvimont, né & VUleneuve-d’Agen, baron de Saint-Martial, comte de Saint-Chamarans, page du Rob puis capitaine dans royal* Piémont, mon & Bordeaux* le 1$ février 18ts, à l’Age de 5 o ans.

(4) Jean-Guillaume- Vincent, comto de Bonsol, né le 1* juin 1751, aux EsseJntes, près La Réolo ; volontaire aux grenadiers de Fijsnce en 1765, sous-lieutenant en 1767, mettre de camp de cavalerie en 177g, chevalier de Saint-Louis en 1784, lieutenant aux gardes du corps en 1789*' Il émigra et fut retraité en s 8 i 5 comme lieutenant générai et grand-croix de Saint-Louis.

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gardes du corps, vient À nous et nous dit r à Rentrée, rentrez, le peuple de Paris est soulevé, il a pris la Bastille, on dit qu’il marche sur Versailles, » La terreur succède à la gaieté, nous retournons dans nos appartements, toute la terrasse devient déserté en un instant.

Je passe les événements qui suivirent ; je dirai seulement une anecdote singulière, que j’ai sue depuis avec certitude. Le jour de la prise de la Bastille, où tout le peuple de Paris criait Vive le duc d’Orléans ! celui-ci, ne sachant prendre aucun parti, fut chez M m * de Lambalie, sa belle-soeur, à l’hôtel de Toulouse, sous prétexte de lui faire une visite, et, dans le fait, pour se cacher. Elle était incommodée, et elle fit ce qu’elle put pour le congédier ; mais il resta malgré elle, depuis six heures du soir jusqu’à onze, parlant peu, paraissant inquiet, demandant à chaque instant des nouvelles et croyant entendre du bruit à toute minute. M me de Lambalie n’eut point l’air de savoir qu’on criait Vive le duc d ? Orléans t ex lui-même n’en parla pas. Il paraît que personne ne savait où il était, car pendant tout le temps Ü ne vint qui que ce fût demande !* & loi parler. Je tiens cette anecdote de la marquise de Las-Cases (t), notre parente, dame d’honneur de la princesse de Lambalie, qui était présente.)

La veille du jour que le Roi alla à Paris, nous passâmes ta soirée chez M. le duc de Sérent ; il nous cacha son départ pour les pays étrangers avec les princes, mais il avait les larmes aux yeux, ainsi que sa famille, en nous quittant. Nous restâmes sans nous coucher. Nos fenêtres donnaient sur la rue des Réservoirs, nous étions dans cette partie du château qui touche l’Opéra. Toute la nuit, on entendit des voitures, des chevaux, des signaux pour se reconnaître ; les écuries de M. de Sérent étaient vis-à-vis

(t) Rose-Rairaonde de Études de Guébriant, née !» 3 » janvier 1756 au château de CoétiUUu, en Bretagne, mariée, en 1776, à Pierre-Jean, marquis de Las-Cases* Beauvoir, morte le 19 juillet »8to, «u château d’Axay-le-Ridcau, Indre-et-Loire.

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do noua* nous le vîmes partir en silence* avec les petits princes et sa famille, À la pointe du jour* nous étions & courir dan» toutes tes galeries* sans savoir ce que nous allions devenir ; nous ne trouvions que des figures effarées et pâles. Les députés accompagnaient le Roi, à la réserve du duc de Luxembourg* forcé de s’éloigner. Tout le monde quittait Versailles, Mon oncle do Lorge* ami, avant l’Assemblée nationale* du duc de Luynes, lui demanda un asile pour nous à Datnplerre, château à quatre lieues de la ville ; nous y fûmes à cinq heures du matin ; nous étions plus suspectes que d’autres, par nos opinions et la société que nous recevions. Un courrier vint nous apprendre le retour du Roi ; nous revînmes à Versailles et reprîmes absolument la même vie. Peu de temps après l’ouverture des états généraux, le Dau* phin (i) mourut de rachitisme ; il était de la plus jolie figure* il annonçait un esprit, un caractère* une fierté et une sensibilité qui doivent le faire regretter, Je le voyais sans cesse, étant fort liée avec M Mei de Mortemart (s), petites-filles du duc d’Harcourt (3), son gouverneur, et. élevées par la duchesse (4), Un seul mot fera connaître combien ce Dauphin était digne d’être aimé : il était dans un état affreux, il ne pouvait plus marcher, et tout son corps n’était qu’une plaie. Il demande un jour qu’on le porte dans le jardin ; d’Harcôurt veut sonner, il lui dit :

« Ah, ne sonnez pas t un tel (un de ses valets de chambre) va venir, il est de servie» aujourd’hui* il me fait mal, » WL m ® d’Har-

(i) Louis*Joseph, fils aîné de Louis XVI, né à Versailles le *a octobre 1781,

mort le 4 juin 1789, . ‘. *

(a) Aime-Victurnienne-Henriette de Rochecbouart*Mortemart, née le 7 mai 1773, mariée en 1789 au duc de Crcy ; NathaUe-Henriette-Vlctumlenne, née le *3 juin » 774 mariée en 179» au prince de Beau vau ; Catheri ne-Vlctumlenno, née le 4 juin 1776, mariée en 1804 au duc de Crussol î filles de Victurnien de Roche* chouart, duc do Mortemart, et d’Anne-Oabrielle d’Harcourt.

(3) François-Henri, comte de UUebonne, né le ti Janvier 1796# lieutenant général, gouverneur de Normandie, puis du Dauphin ; duc d’Harcourt en > 783, mem ro de l’Académie française, mort à States, en Angleterre, le sa juin 1801.

(4) Francoite-Catherinc-Scolastique. d’Àubuason de la Feu Iliade, née à Mite* mont en Périgord, le a août «733, mariée le i 3 juin 17*3 au comte de Ultebonne, depuis duc d’Harcourt, décédée à Paria le ta novembre t 8 « 5 *

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court lui répond : « Il fait tout ce qu’il peut pour vous soulager ; it peut être moins adroit que les autres, mais il est aussi attentif, et le refus que vous ferez de son service le désespérera» » Alors le Dauphin s’écrie j « Ahl sonnez, j’aime bien mieux souffrir que de faire de la peine à un brave homme. » Il était rai* sonnable comme à quarante ans ; on lui lisait de bons ouvrages d’histoire et de littérature, et ses télexions étonnaient. Un jour qu’on lui Usait la tragédie de Mérope, & ce vers :

Le premier qui fut roi fût un soldat heureux,

il interrompit le lecteur, en disant ï « Je n’aime pas ce vers-là. » À sa mort, un de ses valets de chambre, qu’on réveilla pour lui dire : M. le Dauphin n’existe plus, expira dans l’instant de douleur.

M w0 (i) et M llM de Sérent revinrent six semaines après leur départ. Tout le monde se faisait illusion, à la réserve de maman, qui prévoyait les plus grands malheurs, et d’un bien petit nombre de personnes.

Je fus témoin d’une chose qui me fit de la peine ; je rentrais de me promener, le Roi avait fait venir deux cents chasseurs à Versailles, vers le mois de septembre. C’étaient les chasseurs des Trois-Évêchés, auparavant dragons de Lescure (2), du régiment de mon beau*père. On avait mis toutes les formes constitutionnelles nouvelles pour les faire arriver. Ils se présentent à la grille du Dragon, le peuple s’ameute, ferme la grille, jette des pierres aux chasseurs ; on les laisse là, mourant de faim. Sur les cinq heures, le Roi revient de la chasse ; ils crient : « Vive le Roi 1 » et celui-ci passe sans s’arrêter, au lieu de leur dire de le suivre

(1) Bonnc-Marie-Féllcité do Montmorency-Luxembourg, née le 18 février 17^9, mariée, te a ? janvier 1754, k Armand-Louis, comte, depuis duc de Sérent ; dame d’honneur de Madame 1 a duchesse d’Àngoulémo ; morte au palais des Tuileries le 14 février 182 3.

(a) Le 17* dragons, devenu en 1788 régiment des Évéchés, et ensuite a* régiment de chasseurs à cheval.

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et de les faire entrer par le château. Ainsi, ce pauvre Roi, tou» jours faible et incertain, perdait chaque jour de sa dignité. Les dragons entrèrent le soir.

Ce fut vers la fin d’août que la garde nationale de Versailles monta la garde au château. De tout temps on plaçait aux portes extérieures une sentinelle des Suisses et une des gardes françaises ; celles-ci désertèrent peu à peu pour se joindre & la populace de Paris. Enfin il n’en resta que sept fidèlés, dont un sergent. Ils demeurèrent & leur poste trente-six heures, épuisés de fatigue ? ils se retirèrent en versant des larmes. Le lendemain matin, il se trouva qu’ils étaient partout remplacés par des gardes nationaux ; on fut surpris et affligé ; cependant, par la manière dont cela s’était passé, U semblait qu’on dût leur avoir de l’obligation, puisque les portes avaient été abandonnées. Mais n’aurait*on pas dû le prévoir ? Le Roi n 'aurait-il pas pu y remédier, quand on s’aperçut de la désertion ? Les nombreux officiers des gardes françaises n’auraient-ils pas dû s’empresser de prendre le fusil, remplacer leurs soldats, recruter des gens sûrs, etc, .. ? Du reste, je ne veux pas attaquer ici l’intention des officiers ; ils sont restés fidèles, mais ils auraient dû montrer plus d’énergie. À la vérité, c’est plus la faute de leur commandant que de tout autre ; U était bal et sans talent, homme faible et nul. Le Roi fit officier le sergent resté fidèle, et sergents les six soldats, dans les troupes de ligne.

Le octobre fut le jour du fameux dîner des gardes du corps, offert à la garde nationale de Versailles et aux autres militaires. J’en fus témoin ; U se donnait sur le théâtre de l’Opéra, Tout le monde se rendit dans les loges pour le voir ; à chaque instant entraient des soldats de Flandre, des gardes nationaux, des gardes suisses ; ils se réunissaient pour boire à la santé du Roi. Cette fête parut si touchante, qu’on engagea le Roi et la Reine à s’y rendre ; ils y vinrent, la Reine portant son fils, le nouveau Dauphin. Ils parurent dans les loges, aux acclamations

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redoublées} ta musique jouait : O Richard, 6 mon roil On décida le Roi & aller sur le théâtre pour faire le tour de la table ; la Reine le suivit et parla & chacun avec sa grâce enchanteresse, qui savait si bien captiver les ccours ; elle confia successivement le Dauphin à différents gardes du corps. Après une demi-heure au plus, elle se retira avec le Roi, L’ivresse, l’enthousiasme étaient au comble, tout le monde versait des larmes de joie et d’attendrissement ; tous les officiers qui étaient & table sautèrent dans l’orchestre et de là sur l’amphithéâtre, pour gagner plus vite la galerie de l’Opéra et s’y trouver avant le Roi, qui avait fait le tour par les corridors, U semblait que tout ce monde montait à l’assaut ; on poussait des cris confus de : Vive le Rot, vive la Reine, nous les défendrons, mus mourrons pour eux ; qu’on vienne les arracher de nos àrasl Je n’entendis’aucune provocation contre l’Assemblée nationale ni le tiers état. Tous les militaires qui avaient suivi le Roi, après s’être retrouvés sur son passage, se mirent à courir sur la terrasse, dans les cours, sous les fenêtres de chaque membre de la famille royale ; ils allèrent de lâ sous le balcon du Roi, qui y parut* Quoique ce balcon, qui est celui de la cour de marbre, en face de la grille, fût à une très grande élévation, plusieurs militaires s’élancèrent dessus, l’épée à la main, en criant : Vive le Roi ! C’est une chose incroyable, mais cependant très vraie. Le Roi, la Reine étaient en larmes, rien ne fut plus touchant que cette scène.

Il y eut le lendemain un déjeuner des gardes du corps seuls, à leur quartier ; on prétend qu’il fat encore plus vif que le dîner, mais il n’y eut pas de témoins et tout se passa entre eux ;

Je me rappellerai toujours que M. le comte de Narbonne* Frttzlar (i) (ainsi surnommé par Louis XV, à la suite de sa belle défense de cette ville), vieux militaire célèbre et non employé,

(0 Jwto-FrançoU de Narbonne-Pelct, né lo 3 i décembre 1726 à Stint-Paui-Trois-Chftteaux, en bat Dauphiné ; lieutenant général, grand-croix de Saint-Loula, il mourut à Parlai !* 28 Janvier 1S04.

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était à Versailles depuis les troubles, espérant être utile, au Roi, Quoique fort âgé, il avait l’agilité d’un Jeune homme ; il faisait tous les fours un exercice violent à pied et & cheval, afin de conserver ses forces ; il venait sans cesse chez maman. Il y soupa le 4 octobre ; tout le monde partait du fameux dîner, et les habitants du château de Versailles croyaient être devenus invincibles. Maman lui demanda ce qu’il en pensait, il lui dit à voix basse, mais je l’entendis : « Madame, depuis trois mois je me promène dans la ville et les environs, pour juger les intentions de chacun et les dispositions de défense en cas d’attaque ; il n’y a nul ensemble, nulle prévoyance, nulle précaution, et, si M. de la Fayette veut venir attaquer Versailles, il prendra toute la Cour d’un coup de filet. Je crois bien que, s’il fût venu le soir même du dîner, on se serait battu à merveille, quoique sans ordre ; mais à présent, c’est différent, chacun s’endort et le Roi est perdu. »

Ce fut le lendemain que cette triste vérité fût prouvée. Le Roi était parti pour la chasse ; on commença à dire, sur les trois ou quatre heures, que le peuple de Paris venait attaquer le château ; on ne pouvait croire cette nouvelle. Cependant on fit ranger quelques troupes devant la grille des Ministres* et on envoya avertir le Roi, Il chassait dans les bois de Meudon, il reçut ses courriers. Il arriva aussi de Paris un chevalier de Saint-Louis, qui se jeta & ses pieds, l’avertit du danger et se retira sans dire son nom.

Le Roi revint en voiture au grand galop par la Porte* Verte et, par conséquent, la grande avenue ; cinq minutes plus tard, 11 eût été enlevé à la jonction du chemin de Paris, par l’avant-garde de la Fayette, ou plutôt par une troupe de la lie du peuple, hommes et femmes ramassés au hasard. C’eût été très heureux : les volontaires parisiens étaient encore à la barrière, la plupart d’entre eux étaient forcés, et il n’y avait nul ordre dans leur marche. Sitôt qu’on aurait appris l’enlèvement du Roi, les

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huit cents gardes du corps et les deux cents chasseurs, qui étaient déjà à cheval, auraient volé pour le délivrer, et les Parisiens, surpris de cette brusque attaque, se seraient culbutés les uns sur les autres ; mais par malheur le Roi arriva ; il s’enferma dans son cabinet avec le perfide Nccker (t) et ses autres

ministres, dont bien peu étaient purs.

On ferma les portes du château ; tout y était en désordre, une foule de personnes couraient les galeries ; il y avait environ deux mille hommes dans le château, la plupart gentilshommes : Ils étaient en habit habillé, chapeau sous le bras, n’ayant pour armes que leurs épées, quelques«uns avaient des sabres et des pistolets ; le tout ensemble excitait la pitié : leur bonne volonté et leur ridicule comme militaires. Tout le monde était ahuri. Nous allâmes dans le salon d’Hercule, avec beaucoup de dames, pour voir par la fenêtre ce qui se passait dans les cours : environ six cents hommes ou femmes, et surtout hommes habillés en femmes, étaient sur la place d’Armes ; ils étaient déguenillés, armés les uns de faucilles, les autres de piques. Ils avaient traîné deux petits canons et criaient : Du puttt. Tout le monde sait qu’il y avait une disette, feinte au fond, mais très réelle pour le particulier ; elle s’étendait à Paris, Versailles et environs.

Cet amas de misérable était l’avant-garde de Paris : le peuple de Versailles s’y joignait un peu, mais il était encore retenu par l’incertitude.

Les gardes suisses étaient rangés en bataille, à droite sur la place d’Armes, le régiment de Flandre à gauche ; cinquante cavaliers de maréchaussée et les deux cents chasseurs y étaient aussi ; huit cents gardes du corps à cheval se tenaient devant la grille de la cour des Ministres, en dehors ; un piquet de

(1) Jacques Neeker, né è Genève en * 73 *, d’abord banquier à Pari*, fut directeur général de* Finance* de 1776 à 178*, pul* en 1788 et 1789 ; » *e retira, en 1790, dan* sa terra de Coppet, prés Genève, et y mourut en *804.

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gardes suisses était & chaque porte extérieure, et des gardes du corps & pied, * aux portes intérieures.

Nous regardions toutes ces dispositions ; quand nous vîmes un officier des gardes du corps qu’on emportait ; on le fit entrer dans la cour, et on le déposa chez M, de la Luzerne (1)1 ministre de la Marine et ministre fidèle.' C’était M. de Savonnières ; il venait de recèvoir au bras une blessure dont il est mort au bout de quatre mois ; il s’était séparé de trois ou quatre pas de sa troupe, il avait été tiré à bout portant. En recevant le coup, Il s’écria : « Mes camarades, ne nie vengez pas ; attendez les ordres du Roi, défendez-le. » Nous fûmes très saisis de ce spectacle, d’autant plus qu’il y avait plusieurs femmes d’officiers des gardes du corps à la fenêtre, avec nous. ! Cependant ce ne fut qu’un incident particulier, et on ne fit rien de plus. Il faut l’attribuer & ce que les patriotes en voulaient personnellement à M. de Savonnières, parce qu’il se distinguait par son courage et qu’il avait escorté M. Necker, comme je l’ai déjà dit.

Nous rentrâmes dans notre appartement et en sortîmes plusieurs fois ; il va sans dire que mon père ne quittait pas Monsieur. Tantôt on disait que toute la garde nationale arrivait, tantôt que c’était un faux bruit* Enfin, à neuf heures du soir, ' nous entendîmes le tocsin que le peuple sonnait. On fit rentrer les gardés du corps dans leur quartier, et, pendant ce temps, on tira sur eux : ce fut en partie ces misérables venus de Paris, dont le nombre augmentait à chaque instant, en partie la garde nationale de Versailles. On ne doit pas oublier que M. Collet, qui en était un des capitaines, se jeta entre le peuple et les gardes du corps et reçut deux coups de fusil : cela fit cesser le feu. Les gardes

du corps, qui avaient l’ordre de ne pas riposter, se retirèrent*

<t) César-Henri, comte de ta Luiorae, ni à Pari» te aï février 1737. lieutenant général en 1784. ministre de la Marine de 1787 à 1790, émigra et mourut -en Autriche, b Bernau, prés Wells, le «4 mars >799.

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Dans le moment où nous entendions les coups de fusil» le tocsin et la générale que le peuple faisait battre, M. de Cal* vimont, jeune homme de nos parents, entra chejs maman et tomba évanoui sans pouvoir proférer un mot. Il était venu à pied de Paris, et avait fait plus de dix lieues pour éviter d’être emmené par le peupla, coron arrêtait tout le monde sur la route et dans les rues ; on forçait hommes et femmes à marcher contre Versailles, M. de Calvimont n’avait pas dîné, il avait toujours couru, entendant les tambours parisiens tout le long du chemin ; arrivant au moment des coups de fusil tirés par les troupes de Versailles sur les gardes du corps, il crut que le combat était commencé. Les portes du château étaient toutes fermées, mais comme il avait été page, il trouva le moyen de pénétrer avec deux de ses amis. Nous fûmes fort effrayées de le voir entrer et s’évanouir ; maman et moi étions seules, mon père était dans la galerie avec les autres gentilshommes pour défendre le Roi. Nous fîmes revenir M. de Calvimont, et sitôt qu’il eut mangé, il se rendit à VCEil-de-Bœuf. Nous avons su depuis qu’il était d’une association de quatre cents jeunes gens qui avaient proposé plusieurs fois d’enlever le duc d’Orléans ; les ministres ne l’avaient jamais voulu, et il venait non seulement comme les autres pour défendre le Roi, mais aussi pour renouveler ce projet, et il espérait, à l’aide de ceux de ses camarades qu’il pourrait rassembler, prendre le duc d’Orléans.

Il se rendit donc à la galerie et annonça positivement l’arrivée prochaine de M. de la Fayette et de toute la garde nationale de Paris. Grande rumeur. M. le duc d’Ayen (i), capitaine des gardes du corps, était à un coin de VŒU-de-Bœuf f à se moquer

(t) Jwn-Louis*Pftul*Fr*nfoit de Noaillet, né le #6 octobre 1739, duc dAyen, mile duc de Nasilles et pair de Franco ? lieutenant général en 1784, capitaine de» gardes, chevalier de la Toison d’or, membre de l’Académie de» sciences, mort a Fontensy-Tréaigny, Seinc*et*Maroe, le 36 octobre 1834.

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de ceux qui croyaient que son gendre, M. de la Fayette, arrivait. On lui amena M. de Calvimont pour le convaincre ; il lui répondit tranquillement : « Monsieur, vous dites que les troupes ont commencé à se mettre en marche à midi, il est neuf heures, elles devraient être arrivées ; c’est donc qu’elles sont retournées ; tout ce que vousidites n’a pas le sens commun. » Et il ne voulut plus rien entendre. Il y avait aussi, dans l 'Œil* de-Bœufi certaines personnes qui ne montraient ni crainte, ni affliction, entre autres M we de Staël (i), qui avait un gros bouquet et riait aux éclats.

Le Roi était enfermé avec les ministres, personne ne pouvait le voir, tout était en confusion. Pendant ce temps, on fit entrer dans son cabinet une députation de cette canaille venue de Paris : c’étaient des filles habillées en poissardes ; on lui fit aussi sanctionner, des décrets.

Au milieu de ce désordre, nous allons chez Mesdames ; Madame Victoire était chez Madame Adélaïde, nous y entrons, il y avait beaucoup de personnes de leur maison. Mesdames étaient calmes, malgré les cris qu’on poussait au dehors, et montraient beaucoup de courage. [Je crois encore entendre Madame Adélaïde dire noblement : « Nous leur apprendrons à mourir. »] Elles firent fermer seulement les volets, la chambre étant sur la terrasse, au rez-de-chaussée. À chaque instant, on venait donner des nouvelles contradictoires. Le comte de Narbonne-Lara (s), qui depuis a été ministre, alors chevalier d’honneur de Madame Adélaïde et grand ami de M. de la Fayette, arrive à onze heures et demie chez Mesdames ; il venait

( :) Annc-Loulse-Germaine Nectar, née À Perl» en 1760, mariée en 1786 eu baron de Sta6I*Holstein, ambassadeur de Suède on France. Exilée de Pari» en 180a, puis internée k Coppet, en Suisse, en 1810, elle s’évada en 18ia et mourut À Paris ie 14 juillet 1817.

(a) Lpuis-MarioJaequoS’Amalric de Narbonne* Lara, né le a 3 août <755, À Colorno, duché de Permet maréchal do camp et ministre de la Guerre en 1791, plus tard aide de camp de Napoléon, ambassadeur de France ; mort À Torgau, en Saxe, le 17 novembre i 8 i 3.

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de VŒil-de-Bmf, assure que tout est apaisd, se met à plaisanter sur la peur de chacun, il parlait encore* quand M. de Thianges (ï) ouvre la porte, ainsi que M"” de Béon (a), en criant : « M. de U Fayette (3) est chez le Roi. » Rien ne peut peindre l’étonnement, le saisissement que causa cette nouvelle ; l’instant d’après, on vint dire que M. de la Fayette, pâle comme la mort, était venu demander seulement la sanction de quelques décrets, et la permission de faire garder le Roi par les volontaires parisiens ; enfin des platitudes qu’on avait la sottise de croire être les seules raisons qui avaient fait marcher tout ce monde sur Versailles, Mesdames se rendirent auprès du Roi.

Maman et moi revînmes dans notre appartement, M. le comte de Montmorin (4), gouverneur de Fontainebleau, ami intime de notre famille, jeune homme cousin du ministre, qui n’avait rien de brillant, mais le plus dévoué au Roi, le plus plein de probité et d’honneur qü’on puisse trouver, entra chez maman ; il lui dit que, depuis quelques jours, on avait refusé de la poudre au

(1) Araable-Gaspard, de U maison de VUIdumc, né h Doyet, en Bourbonnais le 37 Juillet 1734. comte de ThUngw, premier gentilhomme de la chambre du feu roi de Pologne, lieutenant général, grand-croix de Saint-Louis, grand bailli d’épée de Re aai romont, premier maître de la garde-robé du comte d’Artois, mort & Jouarre (Seine-ct-Marne), la 34 décembre 1800. Il avait épousé Marle-Anne-Jeaane Bernard, fille de Simon-Charles Bernard, seigneur de Balalnvilllert et du comté de Clory-Créquy, en Picardie.

  • (s) Msrle-Madeleine-Chariottc de Béon, fille de Gabriel-Guillaume, comte do

Béon du Massés de Caecaux, et de Marie-Madeleine-Christine Lombard de Montauroux, avait épousé François-Frédéric, comte de Béon-Béarn, mettre de camp, sous lieutenant aux gardes du corps, chevalier do Saint-Louis, Elle était dame pour accompagner Madame Adélaïde, et elle épousa en secondes noces, en 1808» Joseph-Marie-Grégolre-Prosper, comte d’Hsutpoul.

(3) Merlc-Jean-Paul-Roch-Y ves-GUbert Motîer, marquis de La Fayette, né le 6 septembre 1767, k ChavagnSe, près Brloude, en Auvergne, fit la guerre d’Amérique, fut, en 1789, député aux états généraux, puis commandant de la garde, nationale, sortit de France en 179s, y rentra après le *8 brumaire, et mourut & Paris te ig mat 1834.

(4) Loult-Victoire-Hlppolytc Luce, comte do Montmorin Salnt-Hérem, né à Fontainebleau le 1 3 décembre 1763, major, ’et en 1790 colonel du régiment de Flandre, gouverneur de Fontainebleau, capitaine des chasses. Cité devant le tribunal révolutionnaire le 17 août 1793, acquitté le 3 s, il fut massacré le 3 septembre dans la prison de ta Conciergerie.

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régiment de Flandre, dont U était major en.second et qu’il commandait (M. de Lusignan (i), colonel, étant député et patriote) ; le régiment n’avait que cinquante cartouches par compagnie (il était arrivé depuis une semaine) ; la garde nationale s’était emparée de ses canons ; malgré ses représentations, le major n’avait pu ni obtenir de la poudre, ni ravoir ses canons ; les soldats étaient encore fidèles, mais ils commençaient è murmurer, et avec raison ; enfin, chose incroyable, après l’arrivée de M. de la Fayette et de la foule immense des Parisiens, M. de Montmorin venait de recevoir l’ordre des ministres d’enfermer le régiment dans les Petites-Écuries, et d’apporter la clef de la grille ; n’ayant pu trouver la clef, -parce qu’on ne -la fermait jamais, on lui avait donné l’ordre de mettre un cadenas à la porte. Il s’écriait que le Roi était trahie et il pleurait de

rage. 1.

Tous les habitants du château allèrent se coucher ; beaucoup de gentilshommes voulaient passer la nuit dans les galeries, mais le duc d’Ayen les renvoya, ferma les- portes, disant qu’il était du dernier ridicule de s’inquiéter. Je ne veux pas oublier une légère circonstance, qui prouve combien on était aveugle et loin de prévoir ce qui devait arriver par la suite. En revenant de chez Mesdames, nous rencontrâmes le duc de Saulx-Tavannes (a), ami de notre famille y il n’était certainement pas ; du nombre des traîtres, et il avait autant d’esprit que tout’le monde ; Il dit à maman : « Eh bien ! chacun va se coucher, on dit que tout est 1 fini. — Comment, fini ? — Je n’y conçois guère rien ; il paraît que M. de la Fayette ne voulait que faire sanctionner des décrets

<0 Hugues-ThibauIMUcnri-Jacquo», marquis do L«ay-Lu#ignem, né à Pari» le a» décembre 1749} mettre de camp commandant du régiment de Flandre en 1784, chevalier de Saint-Louis, député de Pari* aux état» généraux, maréchal de camp en 1790, mort en 1815.

(a) Charles-François-Casimir, comte do Saulx-Tavannes, né le il août 1739, marchai de camp en 1780, chevalier de» ordre», créé duc en, 1786, chevalier d’honneur de I» Reine, pair en 84, lieutenant générai, mort & Pari» le i 5 Juin 18ao.

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et que la garde de Pari* velUût sur le Roi. — Ah I dit maman, certainement demain on emmènera la famille royale & Paris. ~-Cela ne se peut pas, le Roi n’y a pas d’appartement, toutes les Tuileries sont démeublées depuis longtemps, excepté l’appartement de la Reine, » Il nous quitta, chacun s’en alla, et on se coucha.

Mon père, ma mère et M m0 d’Estourmel (i) furent les seuls du château qui veillèrent ; comme nos fenêtres donnaient sur la rue des Réservoirs, et qu’on découvrait de là la place d’Armes et la cour des Ministres, on y voyait mieux l’agitation du peuple que partout ailleurs du château. On avait fait atteler quinze voitures du Roi à huit heures du soir, afin qu’il pût fuir avec se» gardes ; mais, au lieu de leur faire traverser la place d’Armes et les cours, pour de là gagner la terra&c, ce qui était très facile, toutes les troupes étant alors sous les armes, on leur fit prendre le chemin de la grille du Dragon, par les rues, sans escorte ;’le peuple les força à retourner, plusieurs écuyers coururent risque de la vie ; on vint dire à ce pauvre Roi que les voitures ne pouvaient arriver au château ; ainsi il fut trahi encore pour cet objet.

On fit ranger les gardes du corps à cheval sur la terrasse pendant la nuit, et peu après on les fit partir pour Rambouillet.

Sur les cinq heures, maman vit beaucoup de peuple courir avec violence par des mouvements tumultueux ; c’était de loin, elle ne put distinguer ce que c’était ; elle sortît de son appartement avec mon père et M wc d’Estourmel ; ils traversèrent la galerie de l’Opéra pour aller au vestibule de la Chapelle, qui menait à la grande galerie. Ils trouvèrent les portes fermées et

(i) PhlHberte-Renée de Galard de Brassée de Béarn, mariée le 3 o avril 1776 & Louis-Marie, marquis d’Estourmel, chevalier de Saint-Louis en >778, grand bailU de la noblesse du Cambrdsis, député aux étata généraux, lieutenant général en 179a. La marquise d’Estourmel était dame pour accompagner Madame Victoire ; elle mourut le t 3 septembre 1894,

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tout dans la plus profonde tranquillité ; heureusement ils rentrèrent » car l’instant d’après, la minute avant que le peuple envahît» nos domestiques vinrent dire que les gardes du corps étaient devenus fous ; deux» courant à toutes jambes» avaient voulu entrer» on avait fermé la porte sur eux. Alors maman» ne pouvant plus tenir à ses inquiétudes, demanda à la sentinelle de la garde nationale, qui était à la porte de la cour de l’Opéra, sous ses fenêtres (mais elles étaient élevées à une hauteur énorme sur la rue), ce qui se passait dans la cour des Ministres, où elle voyait toujours le peuple dans la même agitation. Il dit : « Ce sont les gardes du corps, madame, » et il fît signe qu’on teur coupait la tête. Il n’était resté à Versailles que ceux de service, environ deux cents : ils furent poursuivis, plusieurs tués en se défendant en héros, la plupart se sauvèrent par mille déguisements. D’ailleurs on ne cherchait certainement pas ix en tuer beaucoup» les meneurs surent bien arrêter le peuple» quand ils le voulurent.

On peut imaginer l’état dans lequel nous étions, en apprenant qu’on tuait les gardes du corps ; plusieurs exempts, qui demeuraient près de notre appartement, vinrent s’y cacher ; nous donnâmes des habits à des gardes qui étaient réfugiés chez nous, nos domestiques en sauvèrent beaucoup. Nous étions dans 2a plus horrible inquiétude, on pensait voir massacrer toutes les personnes du château ; le peuple et la garde nationale de Paris étaient dans les cours ; on apprit qu’on avait gagné le régiment de Flandre dans la nuit, on avait emporté ses drapeaux. Les soldats les voyant sur la place d’Armes, passèrent par-dessus la grille ; alors on s’empara de chaque soldat, on lui prodigua le vin et l’argent ; ces hommes, indignés de rester sans cartouches, d’avoir eu leurs canons enlevés, d’avoir été enfermés toute la nuit sous clef, furent bientôt gagnés et se mêlèrent au peuple ; ils ne participèrent point cependant aux assassinats.

Profitant de ce que la foule se portait dans les cours et de ce

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qu’il n’y avait âme qui vive dans la rue des Réservoirs, nous sortons du château ; maman et moi tremblions comme la feuille ; nous nous réfugions dans un petit logement que M, le comte deCrcnay (i) avait dans la ville, extrêmement près du château ; nous y restons avec plusieurs personnes venues pour y chercher asile, entre autres des officiers des gardes du corps.

Tout d’un coup nous entendons une fusillade et. une canonnade générales et sans ordre, qui partent des cours et durent plus d’une demi-heure ; nous croyions qu’on massacrait tout au château, et nous étions dans le plus cruel état, quand on vint nous dire que c’était une réjouissance, parce que le Roi avait paru sur le grand balcon avec la cocarde et avait consenti à aller demeurer à Paris. Il lui fallait bien obéir : quel consentement ! quelle réjouissance ! Nous retournons au ch&teau et de là chez Mesdames. Je leur fais moi-même des cocardes de rubans, nous en prenons. toutes ; il y avait dans les antichambres plusieurs de leurs gens, qui étaient de la garde nationale de Versailles et avaient endossé l’uniforme.

Nous montons en voiture avec Mesdames, M me de Narbonne (2), M m * de Chastellux, maman et moi ; nous suivions celle du Roi, mais nous en étions à une grande distance ; une foule immense et le grand nombre des voitures nous -séparaient, quoique Mesdames fussent parties en même temps.

Je n’oublierai pas que la Reine, en montant en carrosse et entourée d’une troupe immense de ses assassins, reconnat dans la

(1) Sébastian-Anne- Julien do Poil vilain, comte do Crenay ot de Montaigu, né lo

  • 5 septembre 1743, sous-lieutenant aux gendarmes de la gante du Roi, chevalier do

Saint-Louis, maréchal do camp, retraité en *78», maître de la garde-robe de Monsieur, comte de Provence.

(a) Françoise de Chalut-Sensee, mariée, par contrat du j3 juillet 1749, k Jean-François, comte de Narbonne-Lara, créé duc en 1780, grand d’Espagne, premier gentilhomme de l’infant, duc de Parme, maréchal de camp, commandant dans le haut Languedoc. Elle avait été dame du palais de l’infante, duchesse de Parme, et était dame d’honneur de Madame Adélaïde ; elle mourut en r8at,

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foule le baron de Ros(i), officier des gardes du corps» déguisé ; elle eut le courage de lui dire tout haut : « Voua irez savoir de ma part des nouvelles de M. de Savonnlères, et lui direz toute la part que je prends & son état. » M. de Ros nous le répéta, l’instant d’après. C’est ainsi que je n’écris que ce que j’ai vu ou ai su de la bouche des témoins oculaires, sans parler des faits que d’autres mieux Instruits que moi feront passer à la postérité.

Plus de deux mille voitures suivaient le Roi ; on prétendait qu’après son départ on pillerait le château ; aussi le démeublait-on avec une telle précipitation, qu’on jetait jusqu’aux glaces par les fenêtres.

Jamais on n’a vu une confusion pareille à celle de la route de Paris à Versailles. Tout le monde était pêle-mêle ; on voyait des énergumènes, hommes et femmes, qui avaient l’air de furieux ; on entendait les cris répétés de Vive la Nation ! et à chaque instant des coups de fusil partaient au repos, ou peut-être exprès. Nous avions cent hommes de la garde nationale de Paris qui nous entouraient, destinés spécialement pour la voiture de Mesdames ; tout le long de la route, elles leur parlaient avec la plus grande bonté, et même trop grande, en partie par peur, en partie par habitude d’être extrêmement affables ; Madame Adélaïde surtout, * par le besoin qu’elle avait d’être toujours en\ agitation et en mouvement. Nous fûmes cinq heures envoûte jusqu’à Sèvres ; il avait été accordé à Mesdames d’aller à Beltevue, les cent hommes les y accompagnèrent, et y restèrent pour les garder. Maman, en arrivant, eut une affreuse attaque de nerfs.

(O Augustin-Nicolas-Jean do Rcfc, né le 16 juin 174», à Sitint-Estévo-del-Monastir, dons la Roussillon, capitaine aux milices de Perpignan en.1759, at dant Cholseul-dragons en 176$, sous-Ueutenant aux gardes du corps, compagnie écos* saise, en 1777, avec le rang de mestre de camp de cavalerie, chevalier de Saint-Louis.

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CHAPITRE III

DEPUIS LE tf OCTOBRE 1789 JUSQU’AU 10 AOÛT 1793

Nous sommes restées à Bellevuc jusqu’au 19 oc* tobre ; Mesdames étaient toujours gardées par les troupes nationales de Paris ; elles menaient la vie la plus triste, et n’avaient avec elles que peu de dames de leur maison. Maman était dans l’état le plus cruel ; vivement frappée des malheurs de la révolution, elle avait souvent des attaques de nerfs et des insomnies continuelles. Elle demanda & Madame Victoire la permission d’aller en Gascogne ; nous partons, maman, mon père, mon oncle de Lorge, son second fils (1), le marquis de Civrac, et moi. Notre voyage se fait avec la plus grande tranquillité ; nous passons par Libourne, et de là nous allons par la traverse, au château de Blaignac, appartenant à mon oncle. La vue est de toute beauté. Il y a un joli parc, mais une boue si affreuse qu’il est impossible de s’y promener, même sur

(t) Alexandre-tèmeric de Durfbrt, né à Perl* le 6 février >770, marquis de Civrac. lieutenant d’artUIerie en 1789. chevalier de Saint-Louis en 1814, colonel de ta légion de Malnc-etr Loire en 181 5, maréchal de camp en 18aa, député en >894, pair de France en 1837, démissionnaire en i 83 o. Il mourut i« 16 septembre * 835, au château de Branguet. Isère.

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la terrasse ; nous y restons huit mois, absolument seuls, les mauvais chemins et les menaces des paysans empêchant toute réunion ; à l’exception de deux ou trois voisins, qui même viennent très rarement, nous ne voyons personne, et, ne pouvant me promener,)e m’ennuie excessivement.

Deux mois après notre arrivée chez mon oncle, les matelots des environs détruisent ses pêcheries ; cependant, cette années, U n’a pas à se plaindre des paysans des paroisses dont il était seigneur ; ils viennent danser tous les dimanches, et mon oncle les traite avec la bonté rare qui fait le fond de son caractère ; mon seul amusement est de danser avec eux.

Nous partons dans le mois de juillet pour aller habiter Citran en Médoc, appartenant & mon père. Nous passons un àn, sans rien de remarquable ; mon oncle, ses fils et quelques personnes y étaient presque toujours. Nous y vivions tranquilles, quoique le pays fût assez mauvais, mais nous y faisions beaucoup de bien, et toute la paroisse travaillait pour, nous ; ainsi les paysans se trouvaient toujours dépendre de mon père, comme ouvriers. D’ailleurs, nous étions fort paisibles ; on nous laissait en repos, à l’exception de quelques propos et de quelques petits désagréments.

Depuis le commencement de la révolution, mon mariage était arrangé avec le comte de Talaru (i), qui devait avoir cent mille livres de rentes, neveu et héritier du maître d’hôtel de la Reine ; je ne le connaissais pas ; notre union avait été retardée à cause des troubles dont on espérait la fin ; il fut décidé qu’on n’attendrait pas plus longtemps.

Mon mariage allait se faire, mais maman se rappelait l’inclination mutuelle que M. de Lescure et moi avions eue l’un pour

O) Louis-Justin-Marie, né le a septembre 1769, comte, puis marquUde Talent, émigra. Il lut nommé pair en i 8 t 5, ambassadeur en Espagne en >823, chevalier de la Toison d’or, chevalier des ordres, ministre d’état. Il mourut à Paris le sa mai 1850.

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l’autre depuis l’enfance i les raisons qui avaient fait renoncer au projet de me marier avec lui n’existaient’plus ; il avait presque achevé de payer les dettes de son père, il allait avoir vingt-cinq ans, et on n’avait que du bien & dire de lui sous tous les rap* ports. Il possédait alors trente mille livres de rentes, et devait hériter de sa grand’mère, qui en* avait cinquante mille. Il vint nous voir, et maman nous dit séparément que nous étions libres de nous épouser, si nous le voulions. Nous ne connaissions nos cœurs ni l’un ni l’autre, mais sitôt qu’il eut l’espoir de m’épouser, ses sentiments se réveillèrent avec plus de vivacité que jamais, et il profita de la permission qu’il avait enfin obtenue, pour m’en parler pour la première fois de sa vie. Je sentis bien vite que je. n’avais pas cessé de l’aimer î je l’avouai à maman, qui le lui dit, et en moins de huit jours, notre union fut décidée, et nous fûmes les deux êtres les plus heureux de la terre.

Nous apprîmes que le Roi était parti de Paris, et avait été arrêté à Varennes, M. de Lcscure nous quitta pour aller en Poitou ; il était à cette époque d’une coalition bien importante, qui s’élevait à trente mille hommes, sans comprendre les gens du pays, sur lesquels on pouvait absolument compter, comme ils l’ont bien prouvé depuis. L’organisation s’étendait à plusieurs provinces ; on avait gagné deux régiments : l’un, qui était. 4 la Rochelle, devait au jour convenu marcher sur Poitiers, en supposant des ordres ; le second, qui était dans cette, dernière ville, devait.se porter en avant sur* le chemin de Lyon où d’autres fidèles attendaient, les princes, ’alors en Savoie* La rapidité du départ et de l’arrestation, du' Roi empêchèrent de rien faire pour le.moment, et M. de Lescurc revint. Il partit peu après pour émigrer, comme l’avait fait toute la noblesse du pays, qui commit en cela une grande folie. Loin d’être poursuivi dans ses terres comme les autres gentilshommes, chaque seigneur était ou municipal ou commandant de la garde

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nationale de sa paroisse, et les paysans leur demandaient chaque jour s’ils voulaient prendre les armes contre les patriotes. Les princes connaissaient la coalition, l’approuvaient et désiraient que ceux qui en étaient n’émigrassent pas ; mais les jeunes gens voulurent imiter le reste de la noblesse ; on eut beau leur représenter la différence qui existait entre leur position respective, envoyer deux personnes aux princes pour leur demander de nou» veaux ordres et engager les jeûnes gens & attendre leur réponse, rien ne put les arrêter : Us partirent en foule ; leur exemple entraîna les chois, et l’organisation se trouva dissoute. M. de Lescure le sachant, se mit en route avec son cousin le comte de Lorge (i), fils aîné de mon oncle ; ils coururent l’un et l’autre beaucoup de risques ; ils furent arrêtés aux frontières peu de jours avant que le Roi n’acceptât la Constitution ; ils furent obligés de faire beaucoup de chemin à pied, armés, avec les contrebandiers qui leur servaient de guides.

Le lendemain de l’arrivée de M. de Lescure à Tournaÿ, il apprit que sa respectable grand’mère venait de tomber d’apoplexie et touchait à son dernier moment ; il demanda aux chefs des émigrés la permission de revenir en Poitou, et se rendit en poste auprès d’elle. Il y resta une quinzaine ; alors voyant que sa maladie se prolongeait et donnait quelque espoir, U repartit pour émigrer. Il voulut, avant, venir me voir et passer seulement vingt-quatre heures en Médoc ; il faillit périr & Blaye : s’étant embarqué trois fois à force d’argent, malgré les matelots qui lui disaient que le passage était impraticable, il fut jeté trois fois à la côte et obligé de remonter par Bordeaux. Maman avait reçu une lettre du comte de Mercy-Argentcau (2), son ami intime, ambas-

(t) Guy-tèmeric-Anne de Durforty në à Parie le a 5 Juin 1767. comte de Lorge, puis duc de Cime, duc de Lorge et pair de France. Colonel de cavalerie à la Restauration, chevalier de Sa int-Loula, président du coneell général du Loiret. Il se retira en » 83 o et mourut & son château de Fonspertuis, prés Beaugency, le 6 octobre 1837.

(a) Florimond-CIaude de Mercy-Argenteau, né & Liège le ao avril 1737(01 non en 173a, comme le disent les biographes : son père se maria te 19 juin 1736).

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sadeur de l’Empereur en France pondant trente ans, et le confident de M. de Kaunitz ( :), premier ministre d’Autriche. Elle l’avait consulté sur la première émigration deM, de Lescure, et il lui avait mandé de Bruxelles, où U était alors, qu’il ferait mieux d’attendre jusqu’au printemps au moins, qu’il n’y avait nul préparatif, que les puissances ne feraient la guerre que si on les y forçait, et que ce ne serait sûrement pas de tout l’hiver. Mais M. de Lescure était déjà parti quand cette réponse arriva.

Maman avait reçu par ma tante de Chastellux, qui avait suivi Mesdames à Rome, la dispense du Pape pour mon mariage ; de plu s, nous avions alors un curé insermenté, il fallait en profiter, car c’était un grand hasard à cette époque. Il y avait partout des intrus, et comme on ne se mariait pas devant la municipalité, rien n’était plus difficile que de faire reconnaître son union. Nous avions eu d’abord un intrus, c’était un capucin flamand, mais il s’en alla, trouvant très désagréable d’être dans des landes dont il n’entendait pas la langue ; les paysans allèrent demander un curé à l’évêque Pacareau (a) ; cet homme ne croyait à rien, tout par conséquent lui était égal ; il leur dit en riant qu’il n’avait pas de prêtre 4 leur donner, et qu’ils pouvaient reprendre l’ancien ; ils en obtinrent la permission du district, et notre abbé Queyriaux revint dans la paroisse, mais toujours menacé d’être chassé et souvent insulté par des coquins de la commune, auxquels il opposait une piété et un courage héroïques. Outre ces raisons, la meilleure de toutes pour se presser de nous marier était les sentiments mutuels de M. de Lescure et de moi.

En arrivant, il fut agréablement surpris d’apprendre qu’on

Conselllcrintlmc et chambellan de l’Emperour, grand-croix de Saint-Étienne de Hongrie, chevalier de la Toleon d’or, U mourut ambassadeur à Londres, le a$ août 1794.

(t) Wencetlas, prince de KaunltedUetbeig, hé en 1710, ambassadeur d’Autriche en franc», puis chancelier do cour et d’État, chevalier de la Toison d’or et de Saint-Étienne de Hongrie, mort le *4 fuln 1794,

(s) Pierre Pacareau, né & Bordeaux le a septembre 1716, curé de la paroisse Saint-André, chanoine de la métropole, puis évêque constitutionnel de la Gironde, mort le 5 septembre >797»

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venait de publier nos bans. Maman lui montra la lettre de M.de Mercy, et trois jours après nous étions unis î ce fut le 27 octobre 1791. J’avais alors dix-neuf ans et M. de Lcscure vingt-cinq. Personne n’assista à cette cérémonie, on se rendit de très bonne heure à l’église ; il y eut seulement beaucoup de danses et de bonne chère pour les paysans auxquels nous nous joignîmes.

J’observerai ici que mes dispenses du Pape portaient que je devais me marier devant un prêtre insermenté ou s’étant rétracté. C’est la première fois que le Pape se prononça par un bref, du moins je l’ai toujours entendu dire, et cela amena plusieurs bons prêtres & retirer le serment qu’ils avaient fait, ignorant d’abord si le Pape l’approuvait ou non.

Je suis ici è la plus belle époque de ma vie ; je voudrais pouvoir m’y arrêter, mais mon bonheur n’a été qu’un rêve. Trois semaines après mon mariage, M. de Lcscure apprit que sa grand’, mère avait eu une nouvelle attaque d’apoplexie, qui la mettait à la mort ; j’eus le chagrin de quitter mon père et ma mère pour aller auprès d’elle, et je partis pour le Poitou avec mon mari. Sa grand’mère fut pendant deux mois paralysée de tout un côté, un cancer ouvert, un érysipèle, des vomissements continuels, et une attaque d’apoplexie tous les huit jours ; c’est dans cet état qu’elle vécut quatre mois, ne cherchant à articuler quelques mots que pour remercier des soins qu’on prenait d’elle, et pour prier Dieu. Jamais on n’a vu une mort aussi angélique et aussi courageuse. On ne pouvait plus mettre de titres sur son tombeau, maïs les habitants du pays y firent graver d’une voix unanime î Ci-gît la mère des pauvres, éloge au-dessus de tous les autres.

Son petit-fils la regretta beaucoup. Elle avait fait, onze ans avant sa mort, dans un temps où son fils n’avait encore aucune dette, une espèce de testament, qui n’était nullement obligatoire, et beaucoup trop magnifique pour la position où se trouvait M.de Lescure, par les dettes de son père à payer, et plus encore par la révolution. Il voulut non seulement l’exécuter de point en

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point, mais encore Î1 ajouta d’autres pension» & celles qu’elle laissait ; son’testament étant fait depuis longtemps, elle avait oublié plusieurs domestiques, qui en méritaient à l’époque de sa mort ; et non seulement il eut cette générosité, mais il voulut la laisser ignorer, et distribua tous les legs au nom’de sa grand’mère, sans parler de lui.

Nous avions h Clisson M. de Marigny (i), officier de marine, chevalier 'de Saint-Louis, ami’et parent de M. de Lescure ; il avait alors quarante ans ; c’était un grand et bel homme, grand chasseur, d’une force prodigieuse. Plein de bravoure, il avait de l’esprit et connaissait bien son état. Le fond de son caractère était la complaisance et la gaieté ; franc, loyal, toujours de bonne humeur, [très farceur, faisant avec une facilité étonnante des chansons pleines d’idées aimables, il racontait des histoires très comiques ; il était recherché de tous les châteaux. Toujours prêt à rendre service, très adroit, sans y mettre de prétention, généreux, le cœur excellent, il entrait chez les paysans pour donner des soins aux malades et aux bestiaux. Il était adoré dans notre

pays’où il passait tous ses congés,

On a dit bien mal à propos que M. dé Marigny s’enivrait, et cela, parce qu’à la guerre il s’exaltait k l’excès, parlant aux paysans avec une extrême véhémence, mais sans colère. Il était très ardent, enthousiaste. Il avait naturellement le teint très coloré, une belle carnation : quand il était échauffé par l’action, il devenait fort rouge. I ! m’est arrivé de commettre une étourderie, qui prouve bien qu’il ne s’enivrait pas.

— [Le jour des R6i$, pendant notre séjour à Clisson, en 179a, je m’arrangeai pourquoi eût la fève ; je fis apporter les meilleurs vins de la cave et des liqueurs ; je buvais quelques gouttes à sa

(1) Augu*tin-&lennc-Ga»perd do Bernard de Marigny, né & Luçon le a notembre 1754, lieutenant de vaisseau, capitaine d’apprentie canonnier» en *783, chevalier do Saint-Loui». Général dan» la grande armée vendéenne, fusillé à la Glrardière, près Cerisày, en ba'* Poitou, le »4 Juillet J 794-

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hanté et j’avais recommandé qu’on lui servît toujours rasade. II s’y prêta d’abord, mais après quelques verres, U me dit : « Ma petite reine, vous êtes bien jeune, je vois que vous voulez m’enivrer ; vous pensez que, toujours gai, je le serai encore plus, et cela vous divertira. Je ne suis pas venu & mon âge, et officier de marine, sans savoir comment je porte le vin ; mais, à force de boire, je serais ivre, qu’arriverait-iü Au lieu d’être aimable et de vous faire rire, je serais malade, puis je m’endormirais. A pré* sent, ordonnez, ma petite reine, et, si cela peut vous plaire, je boirai tant que vous voudrez. » On sent bien que je l’en dispensai, et je lui fis mes excuses.

Malgré sa forte santé, M. de Marigny n’avait pu s’accoutumer à la mer ; il y était toujours malade, cependant il n’avait jamais cessé de combattre jusqu’à la paix ; depuis, il ne s’embarquait plus et s’occupait à Rochefort de la construction et de l’artillerie : il était devenu un officier des plus instruits. C’est lui qui a fait établir les jetées aux Sables-d’Olonnc. L’ambition de M. de Marigny se bornait, quand le Roi serait remis sur le trône, à demander dans les troupes de terre le grade de lieutenant*colonel, qui répondait & celui qu’il avait dans la marine, il n’avait pas ridée de demander rien de plus : il me l’a dit à la Boulaye, . pendant la guerre.* Il ajoutait plaisamment ; « J’ai beau aller au combat sur mer, sur terre, je n’ai jamais reçu aucune égratignure ; je suis pourtant bien grand et gros, et, * s’il vole un grain de poussière, je suis sûr qu’il m’arrive dans les yeux, quoique je les aie bien petits.

Je me suis étendu sur le compte de M* de Marigny, parce que j’aurai souvent à parler de lui.

Au mois de février 1792, nous panons pour Paris avec l’intention d’émigrer ; nous partagions bien l’imprévoyance générale : croira-t-on qu’avec quatre-vingt mille livres de rentes, nous n’emportions que huit mille livres et pas une lettre de crédit ? M. de Lescurc continuait à n’être occupé que de payer

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ses créanciers. À la vérité, il avait laissé su procuration à M. d’Auzon : cet ami fidèle aurait fait assurément tout son possible pour nous envoyer de l’argent, mais aurait-il réussi ? Nous n’avions même pas l’idée de cet embarras, nous comptions toucher nos revenus tranquillement, à mesure.

Une fois en route, nous versons ; plus loin, nos chevaux s’emportent ; cependant nous en sommes quittes pour la peur.

« I I.

Nous arrivons à Paris chez ma tante de Lorgé, au Louvre* Ma voiture était brisée, les roues cassées, nous sommes obligés de nous arrêter pour en acheter une autre ; je n’étais pas fâchée de rester quelques jours à Paris, pour voir M lle’de Sércnr, que j’avais retrouvées, logeant aussi au Louvre.

Je ne pouvais être présentée, parce que le Roi avait décidé, depuis son retour h Paris, qu’il ne serait fait aucune présentation ; il craignait que les femmes des députés du tiers état ne voulussent être admises à la Cour ; ainsi il ne recevait que celles qui l’étaient auparavant.

J’allai voir M me la princesse de Lamballe (i), aux Tuileries, c’était la plus tendre amie de maman ; elle me reçut comme si j’avais été sa propre fille. Le lendemain, M. de Lescure fit sa cour au Roi et à la Reine, celle-ci lui dit : « Je sais que vous avez amené ici Victor ! ne, elle ne peut faire sa cour, mais je veux la voir ; qu’elle se trouve demain, & midi, chez la princesse de Lambatlc. » M. de Lescure vint me dire cet ordre flatteur, et me recommanda de profiter de cet entretien particulier pour savoir si le Roi voulait, ou non, qu’il restât du monde à Paris autour de lui. La Reine me mit elle-même sur la voie.

Je me rendis à midi chez M m * de Lamballe ; la Reine y arriva, m’embrassa ; nous entrâmes toutes trois dans un cabinet.

(i) Maric-Therésc-Louiie de Sovoie-Carignan, née & Turin le 8 septembre 1749 mariée le 17 Janvier 1767 À Louis de Bourbon-Penthièvre, prince de Lamballe, veuve le 6 mai 17681 surintendante de la maison de la Reine, massacrée À Paris le 3 septembre 179a.

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La Reine, après une conversation pleine de bonté pour moi, me dit en riant : « Kt vous, Victor ! ne, que comptez-vous faire ? J’imagine que vous êtes venue ici, comme tout le monde, pour émigrer ? » Je lui répondis que c’était l’intention de M, de Lescure, mais qu’il resterait à Paris, s’il pouvait espérer être plus utile & Sa Majesté* À ces mots, la Reine réfléchit un instant et me dit d’un air très sérieux : «C’est un bon sujet, H n’a pas d’ambition, qu’il reste. » Je lui répondis que ses ordres étaient des lois. Elle me parla de ses enfants et me dit : « 11 y a longtemps que vous ne les avez vus, venez demain k six heures chez M me de Tourzel, j’y mènerai ma fille ; » car alors elle l’élevait elle-même, et M me de Tourzel n’était chargée que du Dauphin. Quand la Reine fut partie, M m<> de Lamballe me témoigna sa joie de la manière dont j’avais été traitée ; je lui dis que j’en sentais tout le prix, et que M. de Lescure resterait. Elle me recommanda le plus profond secret sur les ordres que je venais de recevoir.

J’allai le lendemain chez M w * de Tourzel (i), la Reine y entra avec Madame Royale, elle vint à mol et me dlttôut bas, en me serrant la main fortement ; « Victorine, j’espère que vous restez. » Je lui répondis que oui ; elle me serra encore lâ main, et fut causer avec M®** de Lamballe et de Tourzel t elle parla d’abord de moi et répéta plusieurs fois : «t Victorine reste à Paris », assez haut pour que je l’entendisse. Depuis, elle adressa la parole à M. de Lescure, chaque fois qu’il faisait sa cour, et il nÿ a jamais manqué tous les : jours où la famille royale recevait, jusqu’au 10 août. C’est ainsi que cette reine savait captiver les cœurs ; mais on a fait tourner ses bontés mêmes contre elle. Je passai la soirée chez M ma de Lamballe avec Madame Royale et beaucoup de monde.

(i) Louise-Élisabeth, prince»*® de Croy d’Havré, née À Perte le it juin 1744, meriée Je 8 avril 1764 À Louis-François du Bouchet de Sourche», roarqul* de Tourwl. prévôt de l’hôtel du Roi, et grand prévôt de France, mort en 1786. Gouvernanto des enfant* de France, créée duchesse en 1816, elle mourut te »4 mai » 83 a, au château de Oroussay, près Montfort-PÀmaury (Seine-et-Oise),

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Cependant, je notais pas tranquille, tous les seigneurs émigraient et blâmaient M, de Lescure de rester ; mon oncle de Lorge lui écrivait les lettres les plus pressantes. Je parlai à M M ® la princesse de Lamballc, ’elle demanda de nouveau les ordres de la Reine, à ma sollicitation ; elle la chargea de me rapporter ces propres paroles : «Je n’ai rien de nouveau à dire à M. de Lescure, c’est à lui de consulter son devoir, son honneur et sa conscience, et j’ajoute cette réflexion : les défenseurs du trône sont toujours bien, quand ils sont auprès du Roi. s M m * de Lamballe me recommanda de nouveau le silence ; je lui témoignai mes craintes sur la réputation de M. de Lescure, que sa position, de toute manière, obligeait d’émigrer, à cause des préjugés du moment, et surtout parce qu’il venait d’hériter de sa grand’mère. Il était arrivé à Paris pour sortir de France ; deux jours après, le décret ordonnant de saisir les biens des émigrés avait été rendu, et s’il restait, cela semblait être pour sauver sa grande fortune. M me de Lamballe sentait tout cela, mais elle me disait : à Peut-on abandonner la Reine, quand elle a donné des ordres ? Vous ne pouvez douter que les princes n’approuvent ceux qui restent auprès du Roi ; n’est-ce pas la même cause ? »

Je rapportai la réponse de la Reine à M. de Lescuré, et lui communiquai mes craintes ; U me dit : «Je serais un homme vil à mes yeux, si je pouvais balancer un instant’entre mà réputation et mon devoir : obéir au Roi avant tout ; si j’en suis la victime, au moins je n’aurai rien à me reprocher. J’estimé trop tous les émigrés, pour ne pas croire que tous et chacun d’entre eux se conduiraient de même à ma place. J’espère que je serai à portée de prouver que je ne suis pas resté par peur, et que je me battrai ici plus qu’eux là-bas ; en tout cas, si je ne suis pas à portée de rien faire, et que je sois blâmé, j’aurai sacriflé au Roi jusqu’à mon honneur, mais je n’aurai fait que mon devoir* » Tels étaient ses sentiments, je les admirais et j’étais inquiète*

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(Quelquefois aussi, je lui disais que peut-être les émigrés rentrant en France chercheraient à répandre des doutes sur son honneur et sur sa bravoure, « Je ne me battrais pas avec eu*, répondait-il, la religion me le défend ; mais, à la première guerre juste qui s’allumerait en Europe, j’irais servir comme volontaire et je saurais bien montrer si je manque de

courage,

Deux mois après, M, de Calvimont vint de Coblentz passer un instant à Paris ; nous obtînmes la permission de faire dire à mon oncle de Lorge, sous le plus grgnd secret et sans aucun détail, que M, de Leacure avait reçu des ordres ; mon oncle continuait à nous écrire que nous nous perdions en restant. Je répondis de M, de Marlgny à la princesse de Lambaile, et je fus autorisée â le retenir. Tous les jours, beaucoup de Poitevins venaient chez lui’et chez M. de Leacure ; comme on savait leur façon dépenser et que j’étais sans cesse chez M"” de Lambaile, on les pressait de dire un seul mot, et beaucoup de personnes s’offraient à demeurer près du Roi, si ces messieurs leur assuraient qu’ils pourraient ère utiles. J’allais chez la princesse et lui disais :

« Si le Roi désire avoir des gentilshommes près de lui, il en restera ; ce seront des gens sûrs, discrets, sans ambition, absolument dévoués. Que feront deux ou trois cents personnes tout au plus, qui ont reçu l’ordre de demeurer ? Elles périront avant le Roi, mais leur mort n’empêchera pas la sienne, » À cela, M BB de Lambaile soupirait, s’affligeait de ces demi-mesures, mais me recommandait le plus profond secret.

Ainsi M. de Lescure ne pouvait rien répondre & ceux qui le consultaient, et le nombre des émigrés augmentait. Je crois que U Cour était bien aise qu’il y eût une partie de la noblesse près de» princes, mais elle aurait voulu qu’il en restât à Paris et n’osait le dire, de peur qu’il n’y eût des traîtres, des indiscrets, et que cela ne donnât des armes contre elle à l’Assemblée

nationale.

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Nous prîmes l’hôtel de M, de Dicsbach-Bcllcroche (i), rue des Saussaies, faubourg Saint-Honoré ; il était fort jûli, nous l’avions loué pour mon père et ma mère, qui devaient venir assister A mes couches. Nous y menions une vie très retirée : je ne recevais personne, M, de Lcscurc était toute la journée aux Tuileries et dans tous les endroits où il y avait du bruit ; j’allais me promener avec lui aux Champs-Élysées, c’était mon seul amusement. Je n’a* vais rien à désirer quand j’étais avec lui, et c’est ce qui changea mes goûts et mon caractère ; j’aimais auparavant tous les plaisirs avec vivacité, mais depuis mon mariage, je n’aimais que lui, L’été de 1792, quoique lancés au milieu des événements qui menaçaient le Roi, nous n’avions pas l’idée des risques que nous courions, moi surtout ; c’est-à-dire, je ne sentais que ceux de M. de Lescure, si on se battait ; mais excepté cela, je n’avais pas la pensée des dangers. Comment i’aurais-je eue, étant encore si jeune et, depuis le 6 octobre, n’ayant rien vu de la révolution ? D’ailleurs, tout le monde de ma société n’ÿ songeait pas davantage : personne ne doutait de la contre-révolution, comme prochaine et facile, et on n’imaginait pas qu’on pût être poursuivi, emprisonné, massacré ; les moments de crise passés, on causait des événements en riant. J’ai souvent réfléchi, depuis, à cette étonnante confiance ; quelques esprits justes, comme M w * de Lamballe et maman, étaient frappés de la révolution, mais les autres étaient vraiment aveuglés.)

J’eus grand’peur le jour du désarmement des gardes du Roi : j’ignorais qu’il y eût eu du bruit ; j’étais seule en voiture et en grand deuil de l’Impératrice (2), ce qui excitait la fureur du

(1) Cet hôtel appartenait à Phitlppe-Nlcolas-Ladislas, comte de Dlasbach, sel* gneur de Belleroche, né en 1747. U avait épousé en 1770 Marie-Claire de Baudcquln de Sainghen, en Artois. En 1789, il succéda à son père dans le commandement du régiment de DIesbach ; rentré en Suisse, il St partie du conseil souverain. Nommé lieutenant général en 1816, Il mourut & Saint-Germain en Laye le to mars 18as.

(a) Marie-Louise, Infante d’Espagne, née le 34 novembre 174$, fille de Charles III,

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peuple et avait fait courir des risques à plusieurs personnes. J’allais chez M mo de Lamballc ; ma voiture arrive sur le Carrousel» je vois une foule immense, les gardes désarmés, inanités par la populace, mon cocher est forcé d’arrêter au milieu de tout ce monde ; cependant j’en fus quitte pour la peur, mais je ne pus entrer aux Tuileries, toutes les portes en étaient fermées.

Je passe sous silence ce qui est arrivé à Paris pendant l’été. M. de Lescure était toujours soit aux Tuileries, soit déguisé au milieu du peuple ; il s’était trouvé, dans toutes les occasions, en présence du Roi. Pour moi, je m’éloignais au contraire du bruit, j’allais seulement chez M roe de Lamballe : je voyais ses Inquiétudes, toutes les peines qu’elle se donnait ; jamais tl n’y eut princesse si dévouée à la Reine et si courageuse. Elle avait fait l’entier sacrifice de sa vie, elle me disait, peu de temps avant le 10 août : à Plus le danger augmente, plus je sens redoubler mon courage ; les princes doivent donner l’exemple, je suis prête à mourir et ne redoute rien. » Elle ne pensait absolument qu’au Roi et à ta Reine, et quoiqu’on l’ait bien calomniée, on ne peut que l’admirer, quand on a été témoin de sa conduite ; le duc de Penthièvre (i), son beau-père, est mort de chagrin de sa fin cruelle ; toute sa vie avait été consacrée à prodiguer ses soins ù ce vertueux prince.

Vers le a 5 juillet, M me de Lamballc me dit ; « M. deVioraénil (a) [depuis maréchal de France) est arrivé, c’est lui qui doit commander les gentilshommes restés près du Roi. » Il entra

roi d’Espagne, mariée te iC février 1765 à Picire-Lcopold-Joseph, archiduc d* Autriche, grand-duc de Toscane, roi de Hongrie et de Bohême en 1790, empereur des Romains sous te nom de Léopold U. L’impératrice mourut te 1 5 ma ! 179s.

(t) Louis-Jean-Marie de Bourbon, fils du comte de Toulouse, né & Rambouillet le 16 novembre 17a 5, grand-amiral de France, grand-veneur, gouverneur de Bretagne, mort h Vernon, on Normandie, le 4 mars 1793.

(1) Charles-Joseph-Hyacinthe du Houx, baron, puis marquis de Vlomcnü, né le sa août 1734 & Ruppes, en Lorraine, maréchal de camp en 1780, émigra, fût nommé maréchal de France en 1816, chevalier des ordres en 1820, et mourut A Paris le 3 mars 1807.

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chez elle dans ce moment ; elle lui parla, devant moi, des ordres ouc M. de Lescure avait reçus, le lui recommanda ; j’ajoutai qu’il aurait l’honneur d’aller prendre ses ordres le lendemain, Il y fut très bien reçu. M me de Lamballe me dit : « Vous pouvez maintenant faire connaître aux princes que M. de Lescure a des ordres, mais n’en parlez pas ici, c’est toujours le plus grand secret. » Nous écrivîmes, je ne sais si la lettre parvint, M. de Vioménil avait été plusieurs fois à Coblentz, et U en revenait alors, preuve que le Roi et les princes s’entendaient bien.

Mon père et ma mère arrivèrent à Paris le 29 juillet [avec M m * de Courcy O), sœur de mon père, et son mari ; ils habitaient depuis longtemps Citran, ils le quittèrent à cause du massacre de deux prêtres, qui venait d’avoir Heu à Bordeaux, ]

Le 8 août, il y eut une horrible scène dans la rue que nous habitions. Un prêtre s’était mis à faire le commerce des cuirs, par correspondance avec son beau-frère ; il était (détesté du peuple, pour avoir dit que les assignats feraient augmenter les souliers, et qu’on les paierait bientôt vingt-deux livres ;, on l’accusait d’être accapareur ; il logeait en face de notre hôtel. II arrive une charretée de cuirs pour lui ; un homme de la garde nationale, une femme et deux ou trois enfants arrêtent la voiture et se mettent à crier s À la lanterne. Le prêtre descend, parle à ces personnes, rien ne peut les apaiser ; ils veulent conduire ces cuirs à la section du Roule ; elle était quatre portes plus haut, dans la même rue ; il y consent et s’y rend avec eux. Nous sortons tous et allons nous promener aux Champs-Élysées, nous rentrons à la brune, et nous trouvons la rue pleine de monde ; le tumulte n’était cependant pas très grand, mais à peine sommes-nous dans le salon, que la foule et les

(*) Marguerite-Anne de Donnimn, morte à Citran le g janvier 179g, à l’Age de soixante-deux an», mariée en 1785 à LouiWacquea de Coure/ d’Hervi] le né le 36 décembre *740, à Cbataineoun, dan* l’élection de Verneuii en Normandie, Capitaine au régiment de Languedoo-infanterie, chevalier de Saint-Louis, il avait Édit campagne au Canada et en Conte. Il mourut au château de Citran, le septembre * 8 o 5.

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cria redoublent, le peuple devient furieux ; le prêtre était à U section, des administrateurs voulaient le sauver, d’autres le faire périr. Au milieu de ces hurlements, nous cherchons à fuir, nous descendons, il y avait du peuple plein la rue ; à l’autre bout, par où nous passions pour retourner auxChamps-Élysées, on cassait les vitres d’un limonadier aristocrate ; cependant on ne nous dit absolument rien ; & peine étions-nous partis, qu’on jeta par la fenêtre le malheureux prêtre : il fut mis en pièces par le peuple» Le 9 août, M. Grdmion (i), Suisse, officier de la garde constitutionnelle du Roi, vint occuper un très petit logement que M. de Diesbach s’était réservé dans l’hôtel ; il arriva le soir et, par un heureux hasard, personne ne le vit entrer. On disait qu’il y aurait du bruit le lendemain. M. de Lescure devait aller coucher au château ; M. de Montmorin, de Fontainebleau, son ami intime, logeait près de notre hôtel, étant resté comme lui par ordre du Roi ; il devait venir le prendre ; il était fort au fait de tout ce qui se passait au château, car le Roi avait une confiance particulière en lui, depuis la révolution. Il vint et dit & M. de Lescure : « Il est inutile que vous alliez aux. Tuileries, j’en arrive, on a rapporté d’une manière positive au Roi, qu’il ne devait être attaqué que le i a ; il y aura cependant du bruit cette nuit, mais on sait que l’insurrection sera dirigée contre l’arsenal : le peuple veut s’emparer des poudres^cinq mille hommes de la garde nationale sont commandés pour l’empêcher. Vous entendrez peut-être beaucoup de bruit, ne vous en inquiétez pas et soyez sûr que cela ne regarde pas le château ; restez tranquille, moi j’y retourne, parce que je suis prié à souper chez M m * de Tourzel. » On voit par là combien on avait trompé la Cour. Nous allâmes nous coucher tranquillement, comptant qu’il n’y aurait rien le lendemain.

U) François-Maurice Grdmion, né 4 Gruyère, près Fribourg, en 1749, soldat aux gardes suisses on 1766, adjudant en 1779, chevalier de Saint-Louis en 1791, aide de camp du général de Pont-l’Abbé, qui commandait 1 'lnfenterle de la garde constitutionnelle du Roi.

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CHAPITRE IV

DEPUIS L’AFFAIRE DU 10 AOÛT

JUSQU’À MON ARRIVÉE À TOURS

V ers minuit, nous commençons à entendre marcher plusieurs personnes dans la rue et frapper doucement aux portes ; nous regardons par la fenêtre, nous voyons que c’est le bataillon, de la section qu’on rassemble à petit bruit ; nous pensons qu’jfl s’agit d’attaquer l’arsenal* Vers les deux ou trois heures du matin, nous entendons distinctement le tocsin, qui commence à sonner dans notre quartier. Alors M. de Lescure, ne pouvant tenir à son inquiétude, s’habille, s’arme et part avec M, de Marigny pour aller aux Tuileries voir par eux-mêmes si le peuple se porte de ce côté. Mais quoique ayant des cartes rouges et des cartes bleues pour entrer au château, et en connaissant bien les issues, ils ne peuvent y pénétrer ni l’un ni l’autre ; ils voient massacrer la fausse patrouille. Jusqu’à neuf heures, ils tournent autour des Tuileries. Désespéré de ne pouvoir réussir, M. de Lescure revient pour se déguiser tout à fait et se mettre en homme du bas peuple ; mais comme il rentrait, la canonnade commence.

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« «* »« y P 4i>

ts désespoir s’empare de son âme, de n’avoir pu s’introduire dans le château. On criait dans la rue ; Au secours ! voilà lek Suisses qui viennent, nous sommes perdus / L’instant d’avant, noua avions vu défiler trois mille hommes avec des piqués neuves, qui venaient du fond du faubourg. Le bataillon de notre section avait marché aussi, était revenu, retourné encore. Nous croyons une minute que le Roi a le dessus, mais une seule minute tout au plus ; car au cri de : Au secours l succèdent bien vite les cris de : Vive la nation ! vivent les sans-culottes ! Nous restons consternés, entre la vie et la mort ; quant à M, de Marigny, il est enveloppé et obligé d’aller avec le peuple attaquer le château. Au commencement du feu, une femme, qui avait été forcée comme lui de marcher, est blessée ; ü la prend et l’emporte. Il se sauve ainsi de cette horrible position, qui a été commune & bien d’autres personnes, venues pour défendre le Roi, mais entraînées par le peuple, faute d’avoir pu pénétrer aux’Tuileries. Depuis minuit, on avait mis des piquets de la garde nationale à toutes les portes, avec ordre de ne point laisser entrer, afin que le Roi n’eût pas de défenseurs.

M. de Montmorin vint se réfugier chez maman, li était entré en courant chez un épicier qu’il ne connaissait pas, et demandait un verre d’eau-de-vie ; dans ce moment, quatre gardes nationaux, revenant de se battre, ivres dé carnage, apparurent comme des furieux. L’épicier, se doutant que M. dé Montmorin était du château, lui dit sur-le-champ : « Mon cousin, vous ne yous attendiez pas, en arrivant de la campagne, à voir la fin "du tyran ; allons, buvez à la santé de ces braves camarades et dé la nation.» C’est ainsi que cet homme généreux le sauva sans le connaître ; mais, hélas 1 il périt au a septembre. Il vint aussi chez moi d’autres personnes ; ce fut pour nous la journée la pltis cruelle ; on massacrait tous les Suisses, et sur notre porte il y avait : Hôtel Diesbach, ce qui était remarqué par beaucoup de passant» ; de plus, on disait que M, de Lescure était chevalier

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du poignard ; noua attendions la mort, mais heureusement les habitants de notre rue notaient pas méchants et nous étaient assez attachés, par la précaution que nous avions prise de nous fournir de tout ce dont nous avions besoin chez nos voisins. On ignorait que M. Grémion était logé dans l’hôtel ; arrivé de la campagne la veille, il n’avait pas de carte pour entrer aux Tuileries, parce qu’on venait de les changer, ce qui l’avait empêché de s’y rendre ; la même raison avait retenu mon père.

Nous attendons le soir avec impatience pour fuir, nous nous déguisons et nous sortons chacun séparément ; il était convenu que. nous irions nous réfugier dans le faubourg Saint-Germain, rue de l’Université, chez une ancienne femme de chambre. Maman part avec mon père et sÿ rend sans accident. Il n’en est pas de même de moi ; je sors un instant après, avec M. de Lescure ; j’avais exigé qu’il quittât ses pistolets, pensant que cela le ferait reconnaître pour chevalier du poignard ; [c’est ainsi que le peuple nommait les personnes qui se rendaient près du Roi.] Il céda malgré lui à mes vives instances, par pitié pour mon état : j’étais alors grosse de sept mois ; mon entêtement faillit me coûter la vie. Nous suivons la rue de Marigny, qui est plantée d’arbres, et de là nous entrons dans les Champs-Élysées ; il y fait très noir, quoique nous soyons aux premières ailées ; le plus profond silence y règne ; de loin seulement, on enten’d des coups de fusil du côté des Tuileries ; mais personne au monde dans les allées. Tout d’un coup, nous distinguons la voix d’une femme qui cric j Au secours 1 et s’élance vers nous. Elle était poursuivie par un homme qui menaçait de la tuer ; elle prend le bras de M. de Lescure, en lui disant : « Monsieur, défendez-moi. » Il était fort embarrassé, sans armes et tenu par deux femmes ; nous étions, chacune d’un côté, attachées à son bras, et presque évanouies ; il cherche en vain à se débarrasser de nous pour aller sur cet homme qui nous couchait en joue, disant qu’il avait tué

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plusieurs aristocrates dans la journée, et que ce serait cela de plus. Si M. de Lcscure eût eu ses pistolets, il aurait pu le tuer, car nous étions tous les quatre seuls. Il demanda à l’homme, qui était ivre-mort, ce qu’il voulait k cette femme : c’était une ouvrière d’environ quarante ans ; l’autre répondit qu’il ldi demandait le chemin des Tuileries, où il voulait aller tuer des Suisses. Effectivement il n’avait pas l’intention de la tuer, il ne voulait que savoir son chemin ; mais cette pauvre femme, au lieu de lui répondre, avait perdu la tête de frayeur, et s’était mise à courir. M. de Lcscure, avec ce sang-froid que je n’ai vu k personne comme à lui, dit qu’il avait bien raison, que lui aussi allait au château. Cet homme causa longtemps, et de temps en temps il nous couchait en joue, tantôt disant qu’il le soupçonnait d’être aristocrate, et tantôt le priant de lui laisser tuer au moins cette femme. Il ne s’approchait pas assez de nous pour que M. de Lescure pût se jeter sur lui ; plus il nous disait de le laisser libre, plus nous le tenions de toutes nos forces, ne sachant ce que nous faisions. Enfin, M. de Lescure vint à bout de persuader cet homme qu’il allait aux Tuileries ; 'mais, autre embarras, il voulait y venir avec nous ; il s’en tira encore en lui disant : « J’ai ma femme avec moi, c’est une poltronne ; comme elle est près d’accoucher, je ne veux pas la contrarier ; elle veut que je la mène avant chez sa soeur, je vais la conduire et te rejoindre dans un moment. » Enfin, l’autre s’en va. Je supplie M. de Lcscure de quitter le bois, nous allons sur le grand chemin qui sépare les Champs-Élysées, Jamais de ma vie le spectacle qui s’offrit k mes yeux ne sortira de ma tête : â droite et à gauche, nous avons les Champs-Élysées, où nous savions qu’on atait tué dans la journée plus de douze cents personnes ; il y règne la plus profonde obscurité ; en face sont les Tuileries en feu, d’où on entend des cris furieux, mêlés aux coups de fusil, et derrière nous, la barrière aussi en feu, La femme nous quitte, et nous voulons tourner à droite pour

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gagner le pont Louis XVI. Nous entendons du bruit dans les allées, des gens qui crient, Jurent et viennent à nous ; je n’ose jamais aller par là, et la peur me saisit, au point que je regagne les Champs-Élysées, du côté de la maison de M sur la duchesse de Bourbon (i) ; nous suivons le long des jardins.

En arrivant à la place Louis XV, nous voulûmes nous diriger vers le pont Louis XVI ; mais dans ce moment, on y fit une décharge, et en môme temps noua vîmes une foule qui, tirant des. coups de fusil, arrivait du côté du pont tournant, et semblait venir à nous. L’endroit de la place où nous étions était à peu près seul. Nous prîmes la rue Royale, puis la rue Saint-Honoré, la place Vendôme, plusieurs autres rues, et, après avoir fait un chemin énorme, nous arrivâmes au Louvre. M. de Lescure m’avait fait suivre exprès les rues où il y avait le plus de monde et les mieux éclairées. Nous coudoyions tous ces gens à pique, qui, la plupart ivres, poussaient des hurlements ; j’avais si bien perdu la tête que je criais comme eux de toutes mes forces : Vivent les sans culottes, illumine cassef les vitres l et M, de Lescure ne pouvait me calmer et me foire cesser de crier. Nous trouvâmes le Louvre, qui était sombre et solitaire, de lâ le pont Neuf où H y avait assez de monde, et où l’on faisait beaucoup de bruit. Enfin nous passâmes de l’autre côté de la Seine et nous Remontâmes le quai.

Rien de plus frappant que l’excessive tranquillité, le silence qui y régnaient, avec le contraste qu’offrait l’autre côté de la rivière. On voyait les Tuileries en feu, on entendait les cris de la multitude en fureur, les coups de fusil, de canon, mais c’était comme si la Seine eût séparé deux empires différents. J’étais épuisée de fatigue. Je ne pus me rendre jusqu’où était maman, je m’arrêtai dans une petite rue, chez une ancienne femme déchargé de M m * de Lescure, au quatrième étage. Deux domestiques

(O’L’Élytiio-Botirfoft.

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s’y étaient rendu» pour apporter nos effets les plus précieux que je leur avais confié» ; ils avaient eu le courage de passer, courant mille risques, car le peuple tuait les voleurs et les aurait pris pour tels, s’ils eussent été arrêtés. Nous les chargeons d’aller dire A maman que nous sommes Rauvés ; ils nous avaient appris qu’elle l’était, ainsi que mon père ; mais, par peur ou par impos* sibilité, ils n’allèrent pas l’avertir. Mon pauvre père, mourant d’inquiétude pour moi, ressortit, courut une partie de la nuit dans la ville, me cherchant, et retourna auprès de maman ; Us passèrent la nuit dans les plus cruelles angoisses, craignant que je n’eusse péri ; le lendemain matin ils apprirent que j’étais en sûreté.

Nos autres domestiques allèrent demander asile A leurs connaissances ; ils avaient fui de l’hôtel, nous leur avions, avant de partir, distribué de l’argent, ne croyant pas pouvoir nous échapper. Deux ou trois femmes osèrent rester dans l’hôtel ; on fit sauver le suisse delà porte. Une de mes femmes de chambre, Agathe, dont j’aurai occasion de parler dans la suite, vit tuer un homme d’un coup de fusil à côté d’elle, en revenant de porter des habits à un garde suisse. On massacra toute la nuit des Suisses dans notre rue et dans la rue voisine, où était aussi une section ; c’était affreux. Le lendemain matin on continua dans beaucoup d’endroits ; deux personnes furent tuées près de M. de Lescure ; il était sort ! malgré moi, pour savoir des nouvelles de quelques-uns de ses amis.

Nous restâmes une semaine dans nos asiles, nous allions nous voir, maman et moi, habillées en femmes du peuple. Un jour, en revenant de chez elle, j’eus une peur horrible ; je donnais le bras A M. de Lescure, déguisé aussi ; nous étions devant un corps de garde, une quarantaine de volontaires étaient assis à la porte, ils élevèrent la voix en nous regardant, et un d’entre eux dit : « On voit passer beaucoup de chevaliers du poignard déguisés, mais on les reconnaît très bien. » Je crus que M. de

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Lcscure allait être arrêté ; je ne dis rien, maïs en arrivant dan»

ma chambre, je me trouvai mal.

La section du Roule, où était l’hôte ! Diesbach, était assez, bonne, nous y étions aimés, on nous fit dire d’être sans inquiétude ; n’osant pas y retourner, nous fûmes loger à l’hôtel de l’Université. Maman y entendit crier la translation de M w * la princesse de Lambalie à la Force, et tous ces malheurs réunis lui donnèrent une fièvre inflammatoire» Elle était un peu mieux ; les craintes redoublaient, on arrêtait une foule de personnes, nous attendions notre tour : mais comment sortir de Paris ? On refusait des passeports & tout le monde, et en demander était une raison pour être arrêté ; on eut même la barbarie de refuser à une de mes amies, la vicomtesse de Remis (i), un passe» port pour aller voir son fils, malade à Vincennes ; on ne lui en donna même pas pour un médecin qu’elle voulait y envoyer. Ce malheureux enfant périt, et la mère pensa mourir de douleur.

Dieu nous fit trouver un libérateur, M. Thomassin, homme plein d’esprit, l’ancien gouverneur de M. de Lescure ; il lui était entièrement attaché ; Ü résolut de nous sauver, ou de périr avec nous. Il avait donné un instant dans la révolution, de plus il était connu pour un ferrailleur déterminé ; ces deux raisons l’avaient fait nommer commissaire de police et capitaine de la section de Saint-Magloire. Il demande et obtient une commission pour acheter des fourrages pour l’armée ; il va trouver les commissaires de notre section, ils lui promettent de nous délivrer des passeports. Il nous mène lui-même à la section, en uniforme de la garde nationale, les épaulettes de capitaine et toute la jactance d’un héros parisien ; tandis qu’il parie, un secré-

(0 Victoire-Jullo-Lucrèce du Puy-Montbruo, fille de Jacquet du Puy, chevalier, marqui» de Montbrun, mettre de camp de cavalerie, et de Catherine de Narbonne-Pelet de Saïga t, Elle était la teconde femme de Pont-Simon de Pierre, vicomte de fiernit, maréchal de camp en 1788, chevalier de Saint-Louit, et depuit lieutenant général. Elle mourut b Fontainebleau en 1887,

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taire honnête expédie nos papiers à la sourdine ; il y avait beaucoup de monde, on fait peu d’attention à noua* Noua rentrons ù l’hôtel de l’Université, et M* Thomassin court à la munici* palité pour faire signer nos passeports*

Le lendemain pensa lui être bien funeste, et aussi ix M, de Lcscurc : ce dernier avait pour cousin et ami Henri de la Rochejaquelein, fils du marquis de ce nom ; Henri (i) avait alors à peine vingt ans : c’est lui dont il a été tant question dans la guerre de la Vendée* Il était resté parce qu’il était officier de la garde, et le Roi, après le licenciement de ce corps, avait donné ordre aux officiers de demeurer auprès de lui, tant pour le défendre, qu’afin de n’être pas accusé d’avoir choisi d’autres aristocrates pour remplacer dans sa garde ceux qui avaient émigré. Le chevalier Charles d’Autichamp (a), ami d’Henri de la Rochejaquelein, était resté par la même raison : c’était un jeune homme de vingt-trois ans, bien fait, d’une jolie figure, Pair très noble ; il passait pour bon officier de cavalerie ; il existe encore, et s’est distingué dans la guerre de la Vendée* Ces messieurs s’étaient sauvés par miracle du château, surtout M. d’Autichamp qui avait couru les plus grands risques, Il avait été obligé de tuer, pour s’échapper, deux hommes qui allaient le massacrer*

Déjà plusieurs fois MM* de la Roche jaquelein et d’Autichamp avaient failli être arrêtés ; ils ne savaient que devenir [n’ayant pas de domicile, lorsqu’un courageux avocat, M. Fleury, apprenant leur affreuse position, leur fit offrir un refuge chez lui, rue de

(i) Henri du Vergier de k Rochojaqueleln, né «u château de la DurbeUére en Poltoui te 3 o août 177a, Sout-Iieutenant au régiment royal -Pologne cavalerie, puia dans la garde constitutionnelle à cheval du Roi. Généralissime de la grande armée vendéenne, il fin tué le aS Janvier, 1794 à l’âge de ai ana.

(a) Chartes de Beaumont, comte d’Autichamp, né au château d’Angers le S août

  • 77 °i capitaine dans royal-dragons en 1787, adjudant-major de k garde à cheval

du Roi en 1791, général dans les armées de la Vendée, devint, sous la Restauration, lieutenant général, pair de France, grand-croix de Saint-Louis, et mourut au château de la Rochefàton, pris Parthenay, le 6 octobre 1859.

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l’Ancienne-Comédie ; sans le connaître. Ils acceptèrent et furent sauvés par cet excellent homme]. M* de Lescurc espéra qu’il pourrait leur avoir des passeports dans notre même section, où ils n’étaient nullement connus ; il fallait trouver un homme prêt à déclarer qu’ils logeaient chez lui, et en outre que ce fût certifié par deux témoins : M. de Lescure se chargea de dire qu’ils habitaient dans sa maison. U envoya chercher Lirzin, le limonadier dont on avait cassé les vitres le 8 août, lui parla, le décida à servir de témoin et & en amener un autre. MM» de Lescurc, de la Rochejaquelein, d’Autichamp et Thomassin, toujours en uniforme, arrivent à la section ; on leur promet des passeports, mais ils sont obligés d’attendre que d’autres personnes soient expédiées.

Pendant ce temps, le second témoin s’avise de lire un papier affiché dans la salle ; il voit que c’est une loi portant deux ans de fers contre les faux témoins pour les certificats de résidence et passeports : il s’approche du secrétaire et dit qu’il se récuse et qu’il ne connaît pas ces messieurs. Outre le danger excessif que cela devait leur faire courir, et à M. de Lescure, il y avait d’autant plus de péril, que cet homme demeurait en face de notre hôtel ; il était donc impossible qu’il ne sût pas si ces messieurs y logeaient ou non. Heureusement le secrétaire était honnête homme, il dit tout bas à M. de Lescure : « Vous êtes tous perdus, sortez. » Il ajouta tout haut de revenir à un autre moment, qu’il n’avait pas le temps de l’expédier, et cela d’un ton de fort mauvaise humeur. Ces messieurs s’évadèrent doucement et se sauvèrent par ce miracle.

Il fut décidé que nous partirions en voiture, le a5 août, pour le Poitou, maman, mon père et moi, tous fort mal mis, avec M.Thomassin en habit d’uniforme, M. de Lescure et un seul domestique en courriers. Nous avions tâché d’avoir un postillon sûr, mais au Heu de cela, on nous en donna un qui était ivre et scélérat ; il pensa causer notre perte. Nous arrivons à la bar-

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riàrc : il y avait une autre voiture arrêtée* nous montrons nos passeports, on exige le signalement de nos chevaux de poste, et on veut nous renvoyer à la section de Saint-Sulpice, la plus près des barrières, pour prendre ce singulier signalement ; M. Thomassin descend, parle au capitaine du poste ; il le reconnaît pour un de ses amis ; l’autre lui dit : « Je vais tâcher de vous empêcher de retourner ; laissez partir les autres, et après, vous continuerez votre chemin. » M. Thomassin remonte et cause avec le capitaine ; la chaise de poste retourne, et notre postillon prend le grand galop et la suit malgré nous. Le capitaine nous laisse aller, voulant bien ne pas nous faire rentrer, mais n’osant prendre sur lui de le dire nommément et de forcer le postillon & prendre la grande route. Nous arrivons à la section ; aussitôt nous sommes entourés d’une foule de peuple qui augmente à chaque instant. On entend des murmures : « Ce sont des gens qui se sauvent de Paris. — La berline est bien chargée. -Ce sont des aristocrates. — À la lanterne ! À l’Abbaye ! À la prison ! » etc.

Nous restons une heure dans cette cruelle position. Pendant ce temps, M. Thomassin montre à la section nos passeports, le sien et tous ses brevets ; les commissaires de police le reconnaissent pour un des leurs, plusieurs même se rappellent l’avoir vu dans d’autres occasions, comme capitaine de la garde nationale ; on l’embrasse et on lui délivre un laissez-passer. Mais le peuple semblait vouloir s’opposer à notre départ ; M. Thomassin paraît sur les marctîes du perron, déploie ses brevets de commissaire de police, de capitaine de la garde nationale de Paris, de major de celle de Vitré, et surtout sa commission pour aller acheter des fourrages pour l’armée ; il dit que nous sommes ses parents, il termine son discours en représentant la nécessité de laisser faire les approvisionnements de l’armée ; alors il a l’air de s’abandonner à l’enthousiasme, appelle tous les jeunes gens à la défense de la patrie, et leur jure que, sa mission remplie, il volera aux

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frontières pour combattre avec eux ; il finit par s’écrier : « Mes camarades* répétez avec moi : Vive la nation /» Tout le peuple ému applaudit avec transport. M. Thomassin se jette dans la voiture* ordonne au postillon de partir* et nous reprenons la route d’Orléans* aux cris mille fois répétés de : Vive la nation !

Notre postillon faillit une seconde fois nous coûter la vie ; nous rencontrons* à une lieue de Paris* cent Marseillais* l’avant garde de ceux qui allaient chercher les prisonniers à Orléans. Nous étions du côté opposé à celui où ils passaient* le postillon traverse exprès le pavé* va accrocher les soldats de cette compa* gnie et manque d’en culbuter plusieurs ; dans l’instant* toute la troupe nous couche en joue. M. Thomassin sort la moitié du corps par la portière* cric : « Mes camarades* tuez ce monstre, Vive la nation / » Les Marseillais s’apaisent dans l’instant* en voyant l’uniforme* et le postillon* qui a grand’peur pour lui* continue sa route ventre à terre. Nous trouvions les chemins remplis de volontaires qui se rendaient & l’armée ; ils marchaient sans ordre et insultaient tout le monde* surtout les voitures ; mais sitôt que M. Thomassin se montrait, criant Vive la nation, ces gens applaudissaient et répétaient : Vive la nation !

Je n’oublierai pas qu’à Orléans* où nous arrivions le soir* pendant qu’à la porte on visait nos passeports, tout le monde nous entourait ; on nous demandait, avec empressement* s’il était vrai que l’on vînt chercher les prisonniers ; on nous disait que la ville les aimait et voulait les garder* on ne voulait pas qu’il leur arrivât du mal ; nous fûmes bien attendrie des sentiments de ce bon peuple.

Après Beaugency* on nous insulte dans un village et on nous demande nos passeports : nous les montrons, et* dès qu’on sait que M. Thomassin est capitaine de la garde nationale de Paris* on le prie de passer en revue cinquante hommes du village qui partaient pour l’armée. Nous voilà devenus gens d’importance ; il tire son épée gravement* fait la revue* prononce un discours

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sur l’amour de la patrie, et nous remontons en voiture aux cris de : Vive la nation l

Mon oncle et ma tante de Courcy avaient eu des passeports pour Bordeaux, par le moyen de M, Thomassin, et nous avaient rejoints en cabriolet sur la levée. M. Thomassin change de place avec ma tante, qui vient dans notre voiture. Bientôt nous rencontrons une foule de volontaires qui nous entourent, nous jettent des pierres. Notre protecteur s’élance du cabriolet, l’épée à la main, saisit le plus mutin au collet, lui apprend qu’il est capitaine de Paris. Cet homme devient tremblant ; M. Thomassin fait encore un discours patriotique, et nous continuons notre route.

À cette époque, tous ceux qui tenaient à la troupe de Paris paraissaient autant de héros. C’est donc en général d’armée que M. Thomassin nous mène jusqu’à Tours ; il nous arrive dans le chemin mille aventures pareilles à celles que je viens de décrire ; nous rencontrons successivement quarante mille volontaires.

Mon oncle et ma tante continuent leur voyage ; nous apprenons qu’il y a du bruit & Bressuire, précisément dans le district où la terre de Clisson est située, et qu’on ne nous laissera pas passer. Nous nous arrêtons donc forcément près de Tours, en face de la ville, de l’autre côté de la Loire.

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CHAPITRE V

DEPUIS MON SÉJOUR ATOURS JUSQU’AU t 3 MARS 1793 COMMENCEMENT DE LA GUERRE DE VENDÉE

s» m onsjeur de Lcscure partit & franc étrier pour Saumur, (\ f\ afin de savoir la vérité sur les troubles de Bressuire. 1 VJL M. Thomassin avait été, à Tours même, faire viser nos passeports à la municipalité $ grâce à son uniforme, nous passons fort tranquilles dans le faubourg, quoique nous entendions beaucoup de bruit qu’on faisait dans la ville, où le peuple promenait sur des ânes les femmes qui ne voulaient pas aller à la messe (des prêtres intrus).

Au bout de deux jours, M. de Lescure nous envoya un courrier pour nous dire que le bruit était fini et que nous pouvions continuer notre route. Nous fûmes arrêtés dans un petit village par le corps de garde : un paysan, qui était en sentinelle, voulait non seulement voir nos passeports, mais encore visiter nos malles, chose très désagréable pour nous, car nos femmes, parties devant avec M, de Marigny, avaient les clefs ; les paysans se rassemblaient, le soldat faisait un tapage terrible, M. Thomassin nous tira de ce mauvais pas ; il demande l’officier, montre nos passe-

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ports, prend au collet le soldat qui criait toujours qu’il fallait nous arrêter, et, avec le ton d’un général, dit à l’officier s « Il est singulier, monsieur, que la discipline ne s’observe pas mieux ici, et qu’une sentinelle ose commander} c’est vous seul qui en avez le droit ; vous voudrez bien mettre cet homme en prison et veiller sur votre troupe. » L’officier s’incline profondément et nous partons aux cris de : Vive la nation l

Nous arrivons k Thouars, les esprits étaient extrêmement échauffés, la ville étant fort patriote, et l’insurrection des campagnes venant k peine de se terminer. On visite toutes nos malles et paquets avec un soin si exact, qu’on déploie tout le linge, et on vide plusieurs pots de conüture dans la voiture, prétendant qu’il y avait dedans de la poudre ; cependant on nous laisse passer et nous arrivons k Clisson.

Il est temps ici de parler de l’insurrection qui venait d’avoir lieu, et de ce pays qu’on a appelé depuis généralement : la Vendée. Il se nommait alors vulgairement le pays du Bocage : la moitié était de la province du Poitou, un quart de celle d’Anjou, et un quart du comté Nantais, II est borné au nord par la Loire, Paimbceuf d’un côté, et de l’autre Brissac ; à l’occident par la mer et la ville des Sables ; au midi, par Luçon, Fontenay, Niort ; à l’orient, par Parthenay, Thouars, Vihiers.

Toutes les villes que je viens de nommer étaient patriotes (i) enragées, ainsi que les campagnes environnantes, c’est-à-dire tous les habitants de la Plaine ; au contraire, toutes les campagnes du Bocage, situées entre les limites que je viens de décrire, fort aristocrates. Le pays est plein de collines couvertes de bois, coupé par une multitude de ruisseaux d’eau vive, * les chemins sont creux, étroits, pleins de bourbiers, bordés de haies vives fort élevées et d’arbres* Il n’y a point de grands chemins

(i) Ainsi s’étaient nommé* eux-mêmes le* ennemi* de l’ancien régime, qui “voient embrassé la cause de la révolution, {Alfred UUié.)

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ni de rivière navigable ; la seule route est celle de Mortagne à Nantes ; le pays est en outre plein de gros rochers. On laisse reposer la terre très longtemps ; on sème des genêts dans les I champs en friche, on les y laisse quelquefois jusqu’à dix ans, ils deviennent comme des bois taillis presque impénétrables (i),

On voit que ce pays est bien propre à faire la petite guerre ; ajoutez à cela qu’on trouve à tout moment quatre chemins, tous pareils ; ce sont des berceaux d’où on ne peut distinguer aucun objet ; là plupart des villages et les maisons sont dans les vallons, on ne les aperçoit pas de loin. Ce pays est très agreste et très pittoresque, mais il a un aspect sauvage ; il y a cependant des points de vue superbes. Il était fort peuplé. La richesse principale est en bestiaux et grains ; les denrées sont excellentes et à 1 vü prix. Presque tous les seigneurs du pays étaient riches et 1 vivaient dans leurs terres avant l’émigration, mais alors ils étaient presque tous sortis de France ; les paysans les adoraient et en étaient traités comme des enfants chéris.

Le peuple est essentiellement doux par caractère, entêté, hospitalier, bon, confiant, brave, gai, fort dévot, plein de respect ! pour les prêtres et les nobles ; il les aborde avec timidité, quoique toujours sûr d’en être bien reçu ; aussi cette timidité se change au bout d’un instant en familiarité, et on peut dire qu’ils traitent leur seigneur comme des enfants traitent leur père, avec respect et tendresse» Les paysans avaient les mœurs pures et simples, ils vivaient dans l’abondance, sans être riches, mais ils étaient

(i) U Bocage ne ressemble plus guère * co qu’il était autrefois. Maintenant, des routes stratégiques superbes le coupent dans tous les sens ; on y voit beaucoup de peupliers d’Italie, des bois blancs de toutes sortes, des arbres verts, etc. Tout cela y était inconnu Jadis, à peine en trouvait-on dans les jardins de quelques châteaux. Les espèces d’arbres y étaient peu variée* î chênes, ormeaux, châtaigniers, cerisiers, frênes, voilft tout. Sans cesse, des chemins couverts de genêt* et d’ajoncs de douxe, de quinxo et jusqu’à vingt pieds de haut ; ces grands genêts, ces grands ajoncs n’existent plus ; les bourg* se bâtissent à la moderne ; enfin Je Bocage n est plus reconnaissable. Ces changements ont commencé après 183a, (Note de l’auteur.) r

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trè» heureuk ; le pays étant plein de gibier, leur défaut était d’être fort braconniers : cela leur a beaucoup servi pour la guerre,

La portion du Poitou située dans le pays de Bocage est comprise, depuis la révolution, dans les départements de la Vendée et des Deux-Sèvres i celle d’Anjou fait partie de Maine-et-Loire, et celle du comté Nantais est dans la Loire-Inférieure, C’est lors de la grande guerre de 1793, que les républicains donnèrent à tout ce pays insurgé le nom de Vendée, qu’il n’avait pas auparavant. Les paysans avaient toujours été aristocrates, comme je l’ai dit déjà ; U y avait cependant des petites villes patriotes, dans l’intérieur des terres, comme Mortagne, Bressuire, Cholet, Châtillon, Montaigu, Beaupréau, Machecoul, Challans, ainsi qu’une portion des bourgs et quelques individus disséminés dans les villages ; ces derniers en si petit nombre, toutefois, qu’on peut dire avec vérité que, sur cent paysans, à peine pouvait-on en compter un de patriote ; tes autres, depuis le commencement de la révolution, n’ont pas cessé de témoigner leur dévouement au Roi, h la religion, à îa noblesse.

Quand, en juillet 1789, on fit prendre les armes à toute la France, en faisant croire à chaque village qu’une multitude de brigands arrivaient pour Incendier, et que presque partout on insulta les seigneurs, les paysans de la Vendée (j’appellerai ainsi dorénavant le pays insurgé) vinrent se ranger autour des leurs, pour les défendre des prétendus brigands. Quand on nomma des maires, des commandants de garde nationale, ils choisirent leurs seigneurs ; quand partout on ôta les bancs des églises, appartenant aux gentilshommes, Us conservèrent ceux des nobles et brûlèrent ceux des bourgeois ; quand les intrus remplacèrent les curés légitimes, le peuple ne voulut pas aller & leur messe, ni & celle des prêtres assermentés ; au point qu’un intrus, qui vint pour la dire aux Echaubroignes, paroisse de quatre mille âmes, fut obligé de s’en aller, n’ayant pu même trouver du feu pour allumer les cierges. Les paysans cachaient les prêtres, se rassem-

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blaient dans les champs pour prier ; cela avait causé de petites Insurrections’partielles. On avait quelquefois envoyé des gendarmés avec les intrus, il y avait eu des rixes ; on avait déjà vu plusieurs traits héroïques. Un paysan du bas Poitou (i), entre autres, se battit longtemps avec une fourche de fer contre les gendarmes ; couvert de vingt-deux blessures, on lui criait : Rends-toi ; il répondait : Rende\-moi mon Dieu y et il expira, sans vouloir céder.

Les paysans demandaient souvent à leurs seigneurs quand ils voudraient se mettre à leur tête pour rétablir l’ancien régime ; enfin, lors de l’émigration, plusieurs apportèrent leur aigent, pour les aider à faire le voyage ; quelques-uns les suivirent, et tous s’empressaient & les combler de vœux pour leur retour*

O bon paysl Comment ne pas t’aimer ? Seul, au milieu de la France, tu n’as jamais varié ; tu n’as pas eu un seul moment d’erreur.

L’insurrection qui éclata en août 1 79a fut plus considérable que les autres ; une quarantaine de paroisses se soulevèrent, toutes du district de Châtillon, depuis district de Bressuire ; la cause en fut dans les persécutions qu’on faisait éprouver aux prêtres. Il y en avait plusieurs de cachés dans le pays, et, comme on veillait avec plus de soin que jamais à ce qu’ils ne disent pas la messe et qu’on ferma, sitôt le 1 0 août, quelques chapelles qu’on leur avait laissées, les paysans se rassemblaient tous les dimanches dans un champ, y amenaient trois ou quatre prêtres et leur faisaient célébrer la messe. On menaça d’enlever ces prêtres pendant le sacrifice ; le dimanche suivant, ils se rendirent dans le même champ, mais armés de fusils, de faux, de bâtons. Peu de jours après, sachant que les émigrés étaient à Verdun, ils n’écoutèrent que leur zèle, et ces deux motifs les firent attaquer Bressuire (2). Il n’y avait en ce moment que deux gentilshommes dans le pays ; tous étaient, les uns à Paris près du Roi, les autres émigrés.

(1) Il s’appelait Guillon,

(a) Le 34 août 179a.

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M. Baudry d’Asson (i) t qui depuis fut tud en 1793, et M. de Calais (a), seuls restés, se mirent à la tâte (B), mais ils n’étaient pas en état de commander un homme ; leur seul mérite à tous deux était la bravoure. Ils firent hacher les malheureux paysans, on en tua une centaine qui moururent en criant Vive le Roi ; on en prit cinq cents, le reste se dissipa, et presque tous passèrent l’hiver, errants, dans les bois, toujours dans la crainte d’être arrêtés. Les volontaires massacrèrent un M. de Richeteau (4), il ne périt cependant aucun des prisonniers (5). Le tribunal de Niort, bien composé, trouva moyen de les acquitter tous peu à peu, en faisant tomber le prétendu crime de l’insurrection sur les morts et sur les absents.

(1) Gabriel Baudry d’Asson, né en 1755, seigneur de Brachain, paroisse de Saint-Marsault, on bas Poitou, fut condamné à mort par contumace, comme brigand de la Vendée, lo a6 avril 1793, par la commission militaire séant aux Sablesd’Otonna, et fut tué & la bataille de Luçon, le 14 août suivant.

(a) Louis-Joseph de Calais, seigneur de Puy-Loufit, né le t 3 mars 1749 ; folt prisonnier après Savehay, il échappa heureusement à une condamnation h mort et fut déporté on Espagne, d’où U passé on Angleterre. U mourut à Puy-LouCt, commune des Aubiers, près Bressuire, te (3 août i 8 a 3.

(3) Avec eux étalent M. de Feu et Adrien-Joseph Detouche, ancien poôlter à la Châtaigneraie, puis avoué, maire de Bressuire. Celui-ci fut condamné & mort par le tribunal de Niort, lo 18 novembre 17ga, ü avait alors quarante ans. L’arrêt ayant été annulé par la cour de Cassation, Delouche se réfogla à Nantes, où U mourut.

(4) D’après (a tradition de la famille, c’était Louis-Alexandre-Françoi» de Richeteau, chevalier, seigneur de Villéguay, né le 4 mal >766, fits de René-Louis-Charles-Henri-Urbain de Richeteau, chevalier, seigneur de la Coindrte et de la Coudre, près Argenton-Chfetcau, et de Catherinc-Mélanie Hunauit de In Chevatterto. Après l’affaire des moulins Cornet, ft Bressuire, U se cacha pendant trois {ours, puis fut pris et fusillé ù Thouars, le 28 août 179a.

Un de ses frères, René-Louis de Richeteau, né k la Coindrie le i" septembre 1768, seigneur de la Scvrie, fut condamné et exécuté à Angers le 18 nivôse an II, 7 janvier 1794, comme frère d’un chef de brigands, fotillé au début du soulèvement.

(5) C’est è cette affaire que la garde nationale de Thouars fit son apprentissage de barbarie ; ù leur rentrée dans la ville, presque tous ceux qui la composaient apportaient des oreilles, des nu des malheureux qulls avalent massacrés, quoiqu’ils fussent sans armes. M. Duchattel*, qui depuis fut envoyé à la Convention, donna une preuve d’humanité : il fit son possible pour empêcher le massacre, mais on égorgea quelques-uns de ces infortunés paysans jusque dans ses bras'. (Note du manuscrit.)

  • Gaspard-Séverin D&chutel, né m 1766, à Rochefou, près Argenton-ChAteau. Député de*

Deux-SArres à ta Convention, U ne vota ni 1 » culpabilité ni ta mort du Sol. Décrété d’accu mttau. Il Ûtt arrêté À Bordeaux, conduit À Pari*, er décapité te 3 t octobre 1793.

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- y» -

Ce fut dans ce malheureux moment que noua arrivâmes h Tours et de là à Clisson, Notre paroisse de Boismd, où le château est situé, et quelques autres au bord du pays, ayant plus de patriotes et étant près de la Plaine, entre Parthenay et Bros* suire, n’osèrent pas se révolter et allèrent môme, par crainte, donner du secours à Bressuire ; d’ailleurs notre paroisse était plus tranquille sur l’article delà religion que les autres. Le curé (i) et le vicaire avaient fait le serment, mais avec de grosses restrictions, surtout le vicaire (a), le prêtre le plus vertueux que je connaisse. Quelques autres curés du voisinage l’avaient imité ; ils avaient fait le serment « sauf en ce qui pouvait être contraire à la religion catholique, apostolique et romaine, dans laquelle ils déclaraient vouloir vivre et mourir » ; ils priaient pour l’évêque légitime (3) et n’obéissaient point aux mandements de l’intrus (4) ; le district fermait les yeux, apparemment par prudence.

À peine rendus à Clisson, nous apprenons les massacres du a septembre. Maman se douta de la mort de M roe de Lamballe, ne recevant pas de ses nouvelles, car elle avait chargé une infinité de personnes de lui en donner ; elle finit par nous demander la vérité, notre silence lui confirme ce malheur. Elle tombe sans connaissance et passe trois semaines, jour et nuit, dans des attaques de nerfs, en versant des larmes. Nous lui cachons cependant la mort de plusieurs autres de son intimité, surtout celle de

(1) Le curé, Daniel CaUIaud, fut plu* tard condamné A mort par le tribunal criminel de* Deux-Sévres, le x 3 nhôte an H, à Janvier 1794.

(a) Pierre Joubert, né le 6 juillet 176a, 4 Saint-Clémenfin, pré* Argenton-ChAttau, vicaire de Boismd en 1786, mourut le 39 avril $849, cord de cette môme paroisse qu’il n’avait jamais quittée.

(3) L’évôquede la Rochelle, Jean-Charles de Coucy, né au château d’Ecordal, près Vouziers, le a 3 septembre 1746, sacré le 3 janvier *7905 11 émigra en juillet 1791 et ne rentra en France qu’en 1814. Archevêque de Reims le 1er octobre 1817, comte et pair de France en 1822, H mourut Je g mars 1824.

(4) Joseph-Jean Mestodier, né 4 ta Foyc-Montjauh, pris Beauvoir-sur-Niort, le 3 février 1739 ; curé de Breuilles, prés Saint-Jean-d’Angéiy, élu évôque constitutionnel des Deux-Sèvres le 8 mai 179(5 il se retira, en 1795, À Cou Ion, près Niort, où it exerça te notariat, et mourut le 10 vendémiaire an XII, 3 octobre x 8 o 3.

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M, de Montmorin, de Fontainebleau, ce sincère ami de toute la famille, que M. de Lescure et moi regardions comme un frère.

Dans ce temps, les couvents furent détruits ; nous avions une tante abbesse, sceur de mon grand-père, le duc de Civrac(i) ; elle avait élevé maman au couvent de Saint-Ausone (2), à Angoulêmc. Cette femme, la plus respectable que j’aie connue, avait soixante-quinze ans ; elle était fort sourde, mais point infirme, Jamais on n’a réuni autant d’esprit, de piété, de gaieté et de douceur. Elle se décida à vivre avec ma mère en Gascogne ; comme, dans le moment, ' celle-ci était chez moi, elle consentit avec plaisir à y venir, mais elle ne voulut pas, de peur de nous gêner, amener aucune religieuse, malgré nos instances. M. Thomaasin alla chercher ma tante ; son arrivée rendit beaucoup de calme à maman, par le plaisir qu’elle lui fit et le désir de la voir heureuse.

Dans le même temps, M. de la Rochejaquelein s’échappa de Paris et alla d’abord chez lui. Sa tante (3), demoiselle de la plus haute vertu, demeurait près de Châtillon, à Saint-Aubin de Baubigné, où était le château de son père, nommé la Durbelière ; c’était une des paroisses révoltées. Comme ce jeune homme était seul dans le château, fort suspect par cette raison, et de plus comme étant officier de la garde, et dans un pays qui venait de se soulever, M. de Lescure l’engagea à venir chez lui. Nous étions moins suspects que tous les autres, par la grande quantité de vieillards et de femmes qui étaient réunis chez moi, et aussi en raison de ma grossesse ; d’ailleurs j’ai déjà dit que notre paroisse ne s’était pas révoltée,

(,) Marlc-Franÿoite do Durfort-CIvrac, née è In Mothe-Montravel, en Périgord, le vj avril 1717, abbesse de Saint-Ausone en 1760, faite prisonnière à Salnt-Barthclemy, près Angers, condamnée le i 5 frimaire an II et exécutée le 19, 9 décembre 179 ?., ,

(a) Abbaye fondée vers le ni* siècle, détruite successivement par les Normands, les Anglais et les calvinistes} reconstruite dans l’enceinte de la ville d’Angoulême par la munificence de Louis XIII.

(3) Anne-Henriette du Vergicr de la Rochejaquelein, née À la Durbelière le

  • 3 octobre 1750, décédée à Saint-Aubin le 17 janvier 1810.

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— 1)4

Je veux commencer par tracer le portrait d’Henri de la Rochejaquelcin, que j’augmenterai dans la suite, son caractère s’étant singulièrement développé par la guerre. Il avait cinq pieds sept pouces ; extrêmement mince et blond, une figure allongée, il paraissait plutôt Anglais que Français. Il n’avait pas de jolis traits, mais la physionomie douce et noble. Dans ce temps-là il avait l’air fort timide ; on remarquait cependant des yeux très vifs, qui depuis sont devenus si fiers et si ardents, qu’on disait qu’il avait un regard d’aigle. Il était excessivement adroit et leste, montait à cheval à merveille. C’était un bon sujet, sévère sur ses devoirs. Il avait été au collège militaire de Sorèze (i) ; à l’âge de quinze ans il entra au régiment Royal-Pologne (a) cavalerie, dont son père était colonel, alors en garnison à Niort. À l’une des premières manœuvres, étant au premier rang, le régiment au galop, il culbuta avec son cheval ; les cavaliers voyant tomber le fils de leur colonel, s’arrêtèrent ; celui-ci cria plusieurs fois ; Au galopa et tous passèrent sans lui faire aucun mal.)

Outre les personnes que je viens de nommer, il y avait chez moi le respectable M. d’Auzon, vieillard infirme ; M. des Essarts, le père (3), pauvre gentilhomme, dont notre famille avait fait la fortune ; il avait été marié par M m *de Leacure, la grand’mère, à une de nos voisines (4), mais il avait toujours vécu à Clisson, ainsi que ses enfants ; il n’avait à cette époque que sa fille (5),

(0 M. de la Rochejaquelein n’aimait pat l’étude, aussi n’était-ll pas très ins* trait ; le seul livre dont U ne se lassait point était la Vie 4 e Turenne, qu’il relisait constamment. (Note de l’auteur.)

(a) ia* régiment de cavalerie, devenu en 1791 le 5 * régiment de cavalerie, puis le 5 * de cuirassiers,

(S) Pierre Michel, écuyer, sieur des Essarts, fut élu, le 5 juillet 1790, secrétaire de l’assemblée des électeurs du district de Châtlllon-sur-Sèvrc. Devenu second pré* sident du conseil supérieur de la Vendée, U se cacha, après la déroute de Savensy, & Fégréac, près Redon, où U fut découvert et fusillé en 1794.

(4) Marie-Pérlne Richard de la Messardiére, dame de Corbin en Bolsmé, près Breseulre.

(5) Éllsabeth-Agathe<iMarie-Henrictte Michel des Essarts, née à Bolsmé, fut arrêtée 4 Montrelals, près Varades, condamnée 4 Angers comme « ci-devant noble », et exécutée le 21 nivôse an U, to janvier 1794, 4 Fàge de trente-deux ans.

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âgée de trente ans. Cette demoiselle avait toute l’instruction et tout l’esprit possibles, mais le jugement faux ; pleine de prétentions, elle menait entièrement son père, qui était instruit, spirituel et bon naturellement, mais qui avait aussi des prétentions et secondait sa fille dans la rage qu’elle avait de tout gouverner, Du reste je lui rends cette justice, qu’elle a eu les soins les plus touchants pour ma grand’mère, ’pendant sa maladie. Ses deux frères étaient l’un, M. des Places (i), officier de marine, dont je ne parlerai pas, parce que, étant alors émigré, il n’entrera pour rien dans ces Mémoires, et l’autre, l’abbé, depuis le chevalier des Essarta (a), ami de M. de Lescure. Il avait toujours vécu & Clisson, mais il avait été obligé d’en sortir par un arrêté du département des Deux-Sèvres, prescrivant à tous les ecclésiastiques, même simples tonsurés, qui avaient refusé de prêter le serment, de quitter le pays. M. des Essarta, qui était dans le dernier cas, avait été forcé d’aller demeurer à Poitiers ; c’était un jeune homme de vingt-trois ans, extrêmement aimable, doux, gai. Ses deux défauts étaient d’être susceptible et de se laisser diriger par sa sœur qu’il aimait, mais qui avait pris un entier ascendant sur toute la famille. Cette sœur était enivrée d’amour propre et d’ambition, et ne négligea rien dans la suite pour en inspirer à son frère et à son père pendant la guerre de Vendée.

Nous avions en outre, à Clisson, M. le chevalier de Saint-Laurent de la Cassaigne (3) ; il était un peu de nos parents, et comme tout ce qu’il possédait était chez des émigrés, il se trouvait absolument & l’aumône ; M. de Lescure l’avait recueilli chez lui par

(i) Joseph-Michel do* Place* des Essarta fut retraité sou* la Restauration comme capitaine de vaisseau» chevalier de Saint-Louis, puis nommé doyen du conseil do préfecture de la Vienne. Il mourut & Poitiers le ao novembre ï 837, à l’âge de soixante-quinze ans.

(a) Charles-Marie Michel, chevalier des Essarte, né à Boism6.il fut pris à Mont relais, prés Varades, condamné et exécuté à Angers le 19 nivôse an II, 8 janvier (794. Il était âgé de vingt-cinq ans.

(3) Louis-Charles de la Cassaigne, chevalier, seigneur de Saint-Laurent dés Combes, en Ahgoumois, né & Varennes en Qermontois, te ao mars 1740,

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charité. J’aurai occasion de beaucoup parler de lui ; aussi, il faut que j’en fasse le portrait, Citait un homme de cinquante ans, petit, gros, bon, sot et poltron : voilà en deux mots son caractère ; sa figure exprimait la bêtise et peignait parfaitement son mérite. Il avait dû être prêtre pendant plusieurs années ; tout le temps qu’il avait porté le petit collet, il avait été assez libertin ; il entra au service et devint bigot : il portait tout à l’excès. M, de Marigny était aussi chez moi, y étant revenu en même temps de Paris.

Telles étaient les personnes qui vivaient à CHsson, et nous ne recevions pas de visites, parce que personne n’osait se voir ; nous avions, entre nous, une cinquantaine de domestiques, tous aristocrates, à l’exception du nommé Motot (valet de chambre-chirurgien de ma grand’mère), de sa femme et du maître d’hôtel, Le premier était terroriste ; cependant nous les gardions tous, parce qu’ils avaient eu les plus grands soins de M mo de Lescure. À sa mort, ignorant leurs principes, elle avait prié son petit-fils de les garder chez lui toute leur vie, et leur avait fait en outre des legs considérables. La mémoire de sa grand’mère était si chère à M. de

Lescure, qu’il ne voulait point désobéir à la moindre de ses volontés,

Le 3i octobre au soir, les douleurs me prirent pour accoucher ; on envoya chercher un chirurgien de Châtillon, nommé Beauregard, très habile, fort patriote contre les prêtres et le Roi, mais attaché à la noblesse, surtout à notre famille. Il arriva trop tard ; après avoir souifert sept heures, je mis au monde une fille ; Motot pensa me tuer par maladresse. Cependant mes couches fuient très heureuse». Maman me prodigua ses soins ; je donnai ma fille ù nourrir à une paysanne que je pris chez moi, ne voulant pas nourrir moi-même ; je prévoyais que la révolution pourrait nous atteindre, et je voulais suivre, à quelque prix que ce fût, M, de Lescure, soit en prison, si on l’y mettait, soit à la guerre, s’il se formait un parti, le sachant déterminé à s’y jeter.

Quelque temps après, le Roi périt. MM. de ta Rochejaqueiein

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U-4>

et de Lescure avaient chargé des amis de les avertir, si oh préparait quelque mouvement pour le sauve ! 1, afin de se rendre sur le-champ & Paris ; mais U n’y eut rien du tout. Il est impossible de peindre la douleur que nous ressentîmes en apprenant ce crime : ce ne fut, pendant plusieurs jours, que des larmes dans toute la maison.

Le fort de l’hiver étant passé, ma mère parla de se rendre en Gascogne avec mon père et ma tante ; elle ne pouvait cependant sc décider k me laisser ; elle voulait m’emmener, et moi je ne pouvais me déterminer & la voir partir, ni à quitter ma fille et M. de Lcscurc ; celui-ci tenait h attendre chez lui, parce qu’il prévoyait que tôt ou tard les paysans se révolteraient, sans cependant avoir aucun plan, et il voulait faire la guerre avec eux ; maman était loin de le blâmer, mais elle désirait m’emmener.

Au milieu de ces incertitudes, s’alluma la guerre de la Vendée. Toute ma famille resta ; car, dans ce malheureux temps, on était également suspect, quand on s’enfuyait ; dans l’autre insurrection, M 11 * des Essarts avait été mise en prison & Parthenay, où elle passait, pour se rendre ù Niort ; d’ailleurs mon père ne voulait « plus partir, une fois le mouvement déclaré, comptant y participer aussi.

Me voici donc à cette époque à jamais célèbre. Je finis ce chapitre en assurant (ce qui est l’exacte vérité, mais on ne l’a point cru,) que ni les prêtres, ni les nobles n’ont jamais fomenté, ni commencé la révolte ; ils ont secondé les paysans, mais seulement quand l’Insurrection a été établie ; alors ils ont cherché & la soutenir. Je suis loin de dire qu’ils ne la désiraient pas ; mais, on doit le comprendre pour peu qu’on y réfléchisse, aucun d’eux n’était assez fou pour engager une poignée de paysans sans armes, sans argent, à attaquer la France entière ; ils attendaient un moment favorable, espéraient qu’il viendrait tôt ou tard, connaissant les disposit^s'^dt^ays et gémissant de n’avoir aucun moyen de les s^oSder. EnfmTes puissances coalisées ne

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donnèrent aucun secours è la Vendée, ni pour pousser le peuple à se révolter, ni pour soutenir la guerre. La Vendée s’est insur* gée par un mouvement spontané, inattendu ; on peut vraiment dire qu’elle s’est levée en masse.

On doit, je crois, ajouter foi h ce que je dis ; personne ne peut savoir ces détails aussi bien que moi, les choses secrètes, comme les plus connues. D’ailleurs, je n’ai aucune espèce d’intérêt à cacher les menées que M, de Lescure et autres auraient pu faire, et je ne les aurais pas ignorées. On doit donc croire, sans aucun doute, cette étonnante vérité, que ni les particuliers, ni les Gouvernements, n’ont excité la Vendée à la guerre ; mais que le peuple, par sa propre volonté, y a fait un soulèvement général, au moment où on s’y attendait le moins.

Si M. de Lescure et d’autres prévoyaient qu’une révolte éclaterait, ce n’était qu’une idée éloignée, vague, à laquelle ils ne donnaient aucune suite, ne voyant aucun moyen raisonnable de réussir. Trop surveillés pour faire la plus petite démarche, il* s’abandonnaient uniquement à ce que développerait l’avenir. Je crois pouvoir assurer qu’il en était de même en Anjou.)

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CHAPITRE VI

DEPUIS LE ï 3 MARS 179 ?

COMMENCEMENT DE LA GUERRE DE LA VENDÉE

JUSQU’AU 9 AVRIL

JOUR DE MON ARRESTATION

O n ne doit pas s’attendre à trouver dans ces Mémoires des détails de tout ce qui s’est passé dans la guerre de la Vendée ; je me suis fiait une loi de n’écrire que ce que je sais d’une manière positive, et j’aime mieux passer sous silence des faits intéressants, ou les indiquer seulement, que d’altérer en rien la vérité. Je n’ai pas été dans les commen* céments de la révolte ; ainsi, jusqu’à l’époque où je m’y, suis trouvée, je n’aurai que peu de choses à en dire, et je m’attacherai principalement & ce qui me concerne : ce sera beaucoup moins curieux, mais cela sera plus vrai.

L’insurrection a commencé à la fois sur plusieurs points, parce que les paysans ne voulaient pas tirer à la milice. A Challans, le nommé Gaston, perruquier, fut tué en prenant la ville à la tête des gens du pays (1) ; MM. de Charette, de la

(t) Dana ta premiers temps de l’Insurrection» ta guettes républicaines parlé* ront beaucoup d’un Gaston, chef des insurgés. Ce Gaston n’a existé qu’un instant ; ce qui fit sa réputation, c’est qu’il tua tout d’abord un officier d’un grade élevé,

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IOQ

Cathclinière (i) et autres, se mirent ensuite & leur tête dans cette partie. Près Machecoui, .du côté des Herbiers et de Montai gu t MM. de Royrand (a), de Sapinaud (3), de Verteuil (4), se {oignirent aux paysans qui se révoltaient, gagnèrent une bataille considérable (5), prirent Montaigu, restèrent à garder les postes important» de Chantonnay et du Pont-Charron, et n’agirent plus pendant longtemps. Je ne sais aucun détail sur tous ces points ; ce que je connais le mieux, et je le raconterai en conséquence, c’est la manière dont la guerre commença du côté de l’Anjou. Le district de Saint-Florent rassembla les paysans pour tirer à la milice ; ils firent un peu de bruit dans la ville, puis s’en retournèrent ? le district les ajourna au dimanche suivant, il y avait un jeune homme nommé Forest (6), du village de Chanzeaux, qui

<mdos»a son habit, fut au combat ainsi vêtu et se fit prendre pour un chef. (Note du manuscrit.)

Gaston (Bourdle ?), perruquier à Saint-Christophe du Ligneron, fut pris au combat do Saint-Gemls, le »5 avril *793, et massacré.

(t) Louis Ripault, chevalier, seigneur de la Cathaliniére, était né dans le pays de Retz en 1768} il habitait le château de Princé en Chéméré, près Palmbœuï » fut blessé et fait prisonnier au Moulinet, paroisse de Frossav, et guillotiné à Nantes te i 3 ventôse an II, 3 mars 1794.

(a) Charles-Augustin de Royrand, né à Montaigu le 9 avril 173*, chevalier, seigneur de la Petite-Roussière, paroisse de Bazoges-en-Paillers, dans le bas Poitou, lieutenant au régiment de Navarre en 1744, capitaine en 1755, chevalier de Saint-Louis en 1761, retraité comme lieutenant-colonel en 1785 ; Il commanda une armée en Vendée, fut blessé prés Eutrames le yj octobre 1793, et mourut le 5 novembre près de Baugé, en Anjou.

(3) Sapinaud de la Vérie, né en 1788, ou château du Bois-Huguet, près Morta-

8 * rdC dU COrpî ’ “ u P° nt *Cbarron, près Chantonnay, te

(4) Jacques-Alexis de Verteuil, écuyer, seigneur du Champblanc, né le 36 mars jj^capiUlne aux grenadiers royaux, chevalier de Saint-Louis, gouverneur do

île Dieu, r«traW en 1785. Chef de division dans l’armée vendéenne, il fut Ait prisonnier et.fusillé à Savenay le 34 décembre 1798,

Son fils, Mathieu, né & Rochefort le as avril ty 65, ancien officier au régiment 8 décembre 17*3° d#U * i#mbcs emportéw <*« Flèche, et mourut le

(5) U bataille fut donnée au Pont-Charron. U général Marcô avait treize cents hommes de troupe* de ligne et les gardes nationales des villes environnantes : il

luKriT) PlétCm<mt b * ttU’lM r * publicain * M «tirèrent en désordre. (Note du marut (à IStSTÏl "*il 7 aV u ril 175 à Ch4MC4ux » fut * Pontorson et mout a la Flèche, le 7 décembre 1798, — Chanzeaux était du district de Vihiers.

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avait beaucoup plus d’éducation que n’en ont ordinairement ceux de sa classe ; il avait émigré et était rentré après la campagne de 1792. Cet homme était.suspect et avait paru le plus ardent à détourner les paysans de tirer & la milice. Le district jugea essentiel de l’arrêter avant le dimanche Indiqué, et envoya huit gendarmes pour le prendre, Forest s’y attendait et s’était muni d’armes bien chargées ; il demeurait dans le bourg, 1) voit arriver h sa maison les gendarmes, tire sur eux par la fenêtre, en tue un, le reste s’enfuit, Il court à l’église et sonne le tocsin ; la paroisse se rassemble, il harangue les paysans en leur mon* trant le corps du gendarme. Aussitôt, tous les jeunes gens du village se dispersent et vont dans toutes les paroisses des environs sonner le tocsin.

Pendant ce temps, Catheltneau (1), colporteur, du Pin-en-Mauges, père de cinq enfants en bas âge, en faisait autant, uniquement poussé par l’idée de la vengeance qu’exercerait le district sur ses compatriotes pour la mutinerie qui avait eu lieu à Saint-Florent,

Tout le pays se rassemble : Catheltneau, Forest, Forestier, Stofflet se mettent à la tête ; la plupart armés de bâtons, Us vont attaquer Chemillé, Cholet, les prennent, ainsi que les canons qui y étaient, s’emparent de plusieurs autres petites villes. MM. de Bonchamps (2), d’Elbée (3), se joignent à eux (4).

Forcit avait suivi en émigration Louis Gourrcau, écuyer, soigneur de Chanteaux, au service duquel il. était attaché.

(t) Jacques Cathelineau, né au Pin-en-Mauges, près Beaupréau, le 5 Janvier {759, appelé le saint d’Anjou, premier généralissime de la grande armée, fut blessé à Nantes, le 39 juin 1793, et mourut le 14 juillet, à Saint-Florent-sur- Loire.

(a) Charies-Meichior-Artus de Bonchamps, seigneur de ta Baronni&re, paroisse de la Chapelle-Saint-Florent, né le >0 mai 1760, au château du Crucifix, prés Châteauneuf-sur-Sarthe, blessé le 17 octobre 179s prés Cbolet, mort le lendemain au hameau de la Melllorsye, paroisse de Varades…

(3) Maurice-J wwph-Loui# Gigot d’Elbée, né le as mars 175a, à Dresde, en Ssxe, où son pire s’était marié, prit du service en France, devint lieutenant aux che* vau-légers, puis te retira au château do la Loge, prés Beaupréau. Général en chef de la grande armée, U fut blessé, ml# hors de combat & Cholet le 17 octobre 1793 ; transporté à Nolrmoutier, 11 y fut pria et fusillé le 9 janvier 1794.

<4) Les paysans allèrent chercher M. d’Elbée qui était tranquillement chez lui,

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Je ne ferai point encore connaître les caractères des personnes que je viens de nommer ; j’y reviendrai plus ioin, pour ne pas trop interrompre ce qui me regarde.

Nous étions parfaitement tranquilles ; M. Thomassin avait été faire un voyage dans une terre de M. de Lescure (i), près des Sables. En retournant par les Essarts et les Herbiers, à peine eut-il passé ce dernier bourg de quelques lieues, qu’il vit venir à lui plusieurs personnes qui s’enfuyaient au grand galop. Elles lui dirent que les Herbiers venaient d’être pris par des troupes de ligne provenant apparemment d’un débarquement (car la peur les avait tellement aveuglés, qu’ils avaient cru voir tous les paysans en uniforme). M. Thomassin continua sa route ; à Bressuire, il trouva toute la ville en émoi et deux cents volontaires qui y étaient cantonnés depuis leur formation, sous les armes. On ne savait cependant rien de positif. M. Thomassin était en uniforme ; il s’était beaucoup vanté dans cette ville de son grade de capitaine de la garde de Paris, il avait toujours fait le patriote et le brave (il méritait seulement ce second titre). Il est arrêté dans la ville par plusieurs personnes du district et autres, qui le questionnent et le consultent avec beaucoup d’inquiétude. Il ne croyait pas ce que les fuyards lui avaient dit, parce que cela n’était vraiment pas probable, et il aurait beaucoup désiré que ce fût vrai ; mais, persuadé que c’était une terreur panique, il raconte en riant ce qu’on lui avait appris en route, ajoute qu’il ne le croit pas, badine beaucoup tous ces patriotes effrayés, en leur disant qu’il ne manquerait pas de venir les défendre, et qu’il se chargeait de garder la ville à lui tout seul. Ces gens le prennent au mot, et il n’obtient la permission de venir jusqu’à Clisson, qu’à condition de retourner le soir même à Bressuire ; on lui en fait donner

“ femme étant accouché* de la veille ; quant & M. de Bonchamps, je ne sale ai Im paysan» furent le chercher, ou s’il se rendit de lul-môme. (Note de l’euteur.) (i) U Guy, dans la paroisse de Sainte-FUive-des-Loup»,

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sa parole d’honneur. Il arrive chez moi et nous raconte toute cette aventure, riant de ce qu’on prétendait que des troupes débarquées étaient aux Herbiers, où il avait passé peu d’heures avant, venant du bord de la mer.

1

Nous croyons d’abord que M. Thomassin a perdu l’esprit, nous n’ajoutons pas plus de foi que lui & tout ce qu’on lui avait dit. Il retourne & Bressuire, et nous fait dire le lendemain qu’il paraissait très vrai que les Herbiers étaient pris et que l’on se battait dans plusieurs endroits du pays ; mais il ne pouvait comprendre ce que c’était, un débarquement ou une révolte : le premier n’était pas probable, et l’autre ne l’était guère plus, vu les avantages que les troupes assaillantes paraissaient remporter. Du reste, rien n’était positif, les rapports se contredisaient et étaient tous invraisemblables.

Nous restions confondus d’étonnement et dans la plus grande incertitude. Le lendemain, Motot alla k Bressuire et revint nous dire que l’on avait battu les Brigands, qu’on en avait beaucoup tué, et pris huit cents ; il ajouta, en riant, que la guillotine allait les mettre à la raison. Nous étions furieux contre lui, sans oser le témoigner. On venait toute la journée nous faire les contes les plus étranges et les plus différents. M. de la Rochejaquelein envoya son domestique, à cheval ; chez sa tante, qui n’était qu’à quatre ou cinq lieues des Herbiers, pour savoir la vérité. 11 écrivit une lettre fort simple, lui mandant qu’il lui envoyait un de ses chevaux qui était malade, et il chargea de vive voix son domestique de savoir la vérité des rapports inconcevables que nous entendions depuis trois ou quatre jours.

Ce domestique fut arrêté & Bressuire, et on trouva sur lui une lettre de M. de la Cassaigne à M Ue de la Rochejaquelein, dont il était parent et ami, et une douzaine de sacrés«cœur$ peints sur du papier. La lettre était fort courte et ne contenait & peu près que cette phrase : « Je vous envoie, mademoiselle, une petite pro* vision de sacrés-cosurs, que j’ai faits & votre intention. Je vous

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prie de remarquer que toutes les personnes qui s’appuient sur cette dévotion réussissent dans toutes leurs entreprises. » Ces paroles y étaient mot pour mot ; précisément les révoltés avaient tous attaché un sacré-cœur ù leur habit, nous l’ignorions entièrement ; nous ne savions pas non plus que M, de la Cassaigne eût écrit ; nous l’apprîmes quelques jours après. Aussi nous no pouvions nous expliquer l’aventure qui nous arriva et qui nous parut incompréhensible.

Le lendemain matin du jour où M. de la Rochejaquelein (quo j’appellerai désormais Henri, pour abréger) envoya son domestique, nous sommes réveillés à sept heures par nos gens. Ils venaient nous dire que toutes les portes et avenues du château étaient gardées par deux cents volontaires & pied et qu’il y avait dans la cour vingt gendarmes portant des ordres du district. Nous cachons Henri, craignant pour lui, parce qu’il était de la garde du Roi, et nous allons savoir des gendarmes ce qu’ils veulent. Le district faisait demander tous les chevaux, équipages, fusils, munitions, et M. de la Cassalgne. M. de Lescure se mit à rire et dit^aux gendarmes qu’il semblait qu’on crût sa maison un arsenal, et M. de la Cassaigne, le général d’une armée invisible ; du reste il imaginait qu’on pouvait avoir besoin d’armes et do chevaux ; mais, quant à M. de la Cassaigne, le distria avait été sûrement induit en erreur ; c’était un homme infirme, paisible, et il mourrait de peur si on l’arrêtait ; il allait écrire au distria, et en répondait corps pour corps, afin de le représenter sitôt qu’on l’exigerait. Les gendarmes firent difficulté, mais le bri ga dier, nommé Bâty, prit M. de Lescure à part, lui dit qu’il pensait comme nous, nous raconta que les révoltés avaient battu les Bleus k Montaigu, nous donna beaucoup de détails, et, comme il croyait nos partisans plus forts qu’ils n’étaient en effet, il promit à M. de Lescure de faire tout ce qui dépendrait de lui pour l’obliger, et le pria de tâcher de contenter le distria, en !yi accordant pourtant le moins possible. La seule grâce qu’il

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demandait, c’était de rendre un jour témoignage en sa faveur et de lui conserver sa place* M. de Lescure, sans se fier à cet homme (il fit bien, car c’était un patriote que la peur seule fai* sait parler), le remercia et lui dit que, dans toutes les occasions, * il chercherait à lui être utile, et qu’il pourrait venir chez lui, sûr d’y être bien reçu. Il ne donna au district que deux ou trois mauvais chevaux et tout lo reste & proportion, et répondit par écrit de M. de la Cassaigne.

À peine la troupe partie, ce dernier, qui habitait un corps de logis séparé du château, arriva en disant ï « Eh bien, j’ai eu grand’peur pour voua. » Ayant appris ce qui le regardait, il perdit la tête ; le moindre bruit le faisait trembler ; il se cachait sous les chaises, sous la tapisserie, sitôt qu’on ouvrait une porte. Il baisait les mains de M. de Lescure, et nous donnait la comédie. Nous étions d’autant plus en train de rire, que Bàty nous avait persuadé que la révolte était trèB forte et qu’il y avait même un débarquement. Le pauvre la Cassaigne ne parlait que de fuir ; nous lui représentions que M. de Lescure avait répondu de lui.

Peu de jours après, deux seulement, je crois, nous fûmes bien étonnés de voir arriver M. Thomassin. U nous dit que l’insurrection était prodigieuse ; il y avait un débarquement, les ennemis marchaient sur Bressuire ; le district avait évacué la ville sur Thouàrs, et lui avait trouvé le moyen de se sauver en cachette pour venir nous joindre et se réunir avec nous aux roya* listes. Il nous apprit toute l’histoire des sacrés-cœurs et du domestique arrêté. Tous les royalistes portaient ce signe, et, dans le piremiér moment, on avait fait la motion de venir mettre le feu à Clisson et de nous massacrer tous. Il était parvenu à calmer cette fureur, et nous en étions quittes pour ce qu’on vient déliré.

Nous passâmes la journée la plus gaie, attendant à tout moment l’armée des royalistes ; tout le pays avait la même impa* tience. Les paroisses environnant Bressuire étaient sous le joug et ne pouvaient se révolter sans qu’on vînt les aider, car s’étant

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insurgées six mois avant les autres, elles avaient été désarmées, On avait tué les plus hardis, forcé les autres à se cacher au loin, et les paysans étaient si surveillés, qu’ils ne pouvaient se réunir et prendre un parti. Mais quel fut notre désespoir en apprenant, le lendemain, que le district et la troupe étaient de retour à Bressuire, ayant su dans la nuit que les rebelles avaient été battus et s’éloignaient de Bressuire au lieu de s’en approcher I Nous ne doutions plus de notre perte. Mais quel parti prendre ? M. de Lescure était depuis quatre ans commandant de la garde nationale de sa paroisse ; il ne l’avait rassemblée qu’une fois, pour la procession du Saint-Sacrement. Nous pensâmes que, si le district avait oublié, par peur ou par d’autres motifs, d’appeler notre. paroisse à la défense de la ville, comme à l’autre révolte, U n’y avait pas de doute qu’il ne le fît alors, ne fût-ce que pour forcer M. de Lescure et tous les habitants du château à aller au secours de la ville, ou à se faire arrêter, d’autant que nous avions plus de vingt-cinq hommes dans la maison, en état de porter les armes. Nous nous rassemblons tous pour délibérer. On invite M. de la Rochejaquelein à parler le premier comme étant le plus jeune. Il dit avec vivacité qu’il ne portera jamais les armes contre les paysans, ni contre les émigrés, et qu’il aime mieux périr. M. de Lescure parle après lui, dit qu’il pense de même ; qu’il se fera tuer sur place, plutôt que de se déshonorer et de se battre contre ses amis. Tous répètent la même chose, et je dois l’assurer, dans ce triste moment, personne n’imagina un conseil timide. Maman y applaudit ; elle dit : « Vous êtes tous, tous du même avis : plutôt périr que de secourir Bressuire ; c’est le mien aussi, et cela est résolu. » Après avoir prononcé ces mots d’un ton ferme, elle se jette dans un fauteuil en s’écriant : « 11 faut donc tous mourir ! » M. Thomassin lui dit : « Madame, moi je me sacrifie ; le seul moyen que je puisse trouver, c’est d’aller demain de grand matin à Bressuire. Peut-être réussirai-je à vous sauver ; peut-être aussi, devenu suspect, parce que je n’ai pas

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suivi la troupe & Thoûars, je serai arrêté moi-môme ; mais je m’expose pour mes amis, cela suffit, » Nous le remercions tous.

Le lendemain matin, il partit pour Bressuire. Je renvoyai ma petite fille dans le village de sa nourrice, afin de la sauver ; cette femme, du reste, avait une telle peur, qu’elle risquait de perdre son lait. Maman, ma tante et mol allâmes nous cacher dans une métairie ; ces messieurs restèrent, attendant la mort ; Us ne voulurent jamais nous garder avec eux. On pourra dire : « Mais pourquoi n’alliez-vous pas tous joindre les royalistes ? » Nous no savions au juste où ils se trouvaient ; le plus près qu’ils pouvaient être était & sept ou huit lieues, le pays était rempli de troupes, il nous était impossible de fuir.

On juge aisément de l’état où nous étions dans la métairie ; je restai quatre heures à genoux, pleurant à chaudes larmes. Enfin arrive un domestique, qui avait été avec M. Thomassin à Bressulre, il nous dit de sa part qu’il avait été assez bien reçu. Dans ce moment on se contentait de tenir quelques propos contre nous, ^mais il ne paraissait pas qu’on voulût nous inquiéter. Il nous apprit aussi que le domestique d’Henri avait été emmené à Thouars avec plusieurs autres prisonniers, lors de l’évacuation de Bressuire ; pendant toute la route, les troupes voulaient les fusiller, le district et les officiers avaient eu beaucoup de peine & les sauver. Revenues toutes les trois au château, nous retrouvâmes nos parents avec la joie la plus vive.

« Nous fûmes tranquilles environ huit jours, sans savoir aucune nouvelle positive, ’et ne recevant que des rapports absurdes et contradictoires, On ne pouvait entrer à Bressuire sans un laisse^ passer ; encore faisait-on de grandes difficultés. On fouillait à l’entrée, à la sortie ; aussi était-il impossible à M. Thomassin de nous écrire et à nous de lui envoyer un exprès, Motot répandait le bruit qu’on voulait arrêter MM. de la Rochejaquelein, de Marigny et de la Cassaigne ; tout cela n’était que des oui-dire.

M. de Léscure et Henri s’étaient amusés depuis quelque

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temps & m’apprendre è monter à cheval * payais une telle peur, que j’en pleurais ; eux à pied me tenaient chacun une main, et un domestique la bride de mon cheval. M, de Lescure trouvait avec raison qu’il fallait me forcer à apprendre : cela pouvait me devenir nécessaire dans un temps de révolution. Je commençais h être un peu moins craintive et & me promener dans les jardins,

Depuis les troubles je n’avais pas monté à cheval ; M, de Lescure et Henri me le proposèrent, ils montèrent aussi, Comme nous étions & nous promener dans le parc, nous apercevons une troupe de gendarmes venant au château ; nous craignons que ce ne soit pour arrêter Henri \ nous le forçons à gagner au galop une de nos métairies, et nous revenons. Les gendarmes réclament nos chevaux et spécialement ceux d’Henri ; U y en avait encore un k lui dans l’écurie. M. de Lescure fait l’impossible pour le sauver. Le gendarme lui dit qu’Henri est beaucoup plus suspect que lui ; il répond avec vivacité : « Je ne sais pas pourquoi ; c’est mon cousin, c’est mon ami, et nous pensons absolument l’un comme l’autre. » Les gendarmes demandent où il est. « Sûrement dans sa chambre ou h la promenade », répond M. de Lescure, Cela passe ainsi ; on emmène son cheval et quelques-uns des nôtres ; Henri revient à la maison.

Nous commencions alors à apprendre tous les jours de nouvelles arrestations faites dans le pays ; on mettait en prison le peu de gentilshommes qui y étaient restés ; tous étaient des vieillards, des infirmes ; on arrêtait aussi les femmes, nous attendions notre tour. Il fut dit qu’on allait faire tirer à la milice le dimanche d’après, cela nous inquiéta beaucoup. Le mardi, M 114 de la Roche jaquelein. envoya un paysan savoir des nouvelles de son neveu ; elle l’avait envoyé une autre fois, mais il n’avait pu rien nous apprendre de l’armée des royalistes ; à ce second voyage il nous en fit mille rapports fort avantageux ; il nous annonça que ChâtSlIon était en leur pouvoir, que toutes les paroisses des en-

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virons s’y joignaient. Il ajouta ; s’adressant à Hénrii « Monsieur, on dit que vous allez dimanche tirer à la milice, Y consentirez-vous, tandis que vos paysans se battent pour rte pas y tirer ? Pàratesez, et tout le pays, qui vous désire, se rangera sorts vos ordres, » Henri déclara aussitôt qu’il panait, et l’homme lui promit de le guider ; il dit qu’il faudrait faire neuf lieues à pied à travers champs pour éviter toutes les patrouilles des Bleus, c’est-à-dire les républicains (je les nommerai ainsi dorénavant, comme on le faisait dans la Vendée). M. de Lescure Voulait à toute force l’accompagner et aller se battre à côté de lui, nous eûmes beaucoup de peine à le retenir. Henri lui représentait que, n’ayant pas sa famille (elle était émlgrée), il devait plus hasarder que lui ; que d’ailleurs étant en visité à CUsson, il pouvait s’en absenter quelques jours, sans trop se compromettre, pour connaître au juste ce qu’était cette révolte, dont on né savait rien de positif ; qu’il lui ferait dire si c’était vraiment une guerre et s’il était raisonnable de s’y joindre ; mais que M. de Lesciirc, en partant comme un fou, sans réfléchir, sans savoir si on pouvait espérer de Servir la bonne cause, risquerait de nous faire tous massacrer inutilenjpnt, car il serait impossible, à une quantité de vieillards et de femmes de se sauver ; que lui n’était point sujet à la milice, son pays n’était point encore révolté : toutes ces raisons devaient le retenir. Nous joignîmes nos prières et nos représentations à celles d’Henri. Si j’avais été seule avec mon mûri, j’aurais hasardé d’aller avec lui rejoindre les révoltés ; mais toute notre famille eût été perdue. M. de Lcscure se rendit enfin, mais alors, nouvelle scène. Plusieurs personnes prétendaient que le départ d’Henri, connu pour être son ami et pour demeurer ihèz lui, le compromettait et qu’il serait mis ainsi que nous en prison : Henri se déclaraprèt à tout sacrifier à cette considération, Alors M. de Lescure lui dît : « L’honneur et ton désir te portent à aller rejoindre tes paysans, ils t’appellent ; je souffre mortellement de no pouvoir te suivre, mais j’aime mieux risquer mille fois la

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— IIO

prison que de t’empêcher d’aller faire ton. devoir* — Je viendrai donc te délivrer s’écria Henri, en se jetant dans ses bras, et en prenant cet air martial qu’il a toujours eu i depuis, M. de Lescure prescrivit à tout le inonde de ne plus faire de représentations, sur le départ d’Henri ; qu’il était fixé, et que c’était déjà trop de l’avoir déterminé lui-même à ne pas partir aussi.

Après cette scène si touchante, vient, la parodie : M. de la Cassaigne dit qu’il veut suivre Henri et se ; joindre aux royalistes. Nous lui démontrons que c’est s’exposer beaucoup, et qu’il ne, fera pas la guerre. Il nous étale de beaux sentiments de bravoure, cela nous fait rire ; dans le fait, la peur l’avait aveuglé au. point qu’il croyait être plus en sûreté dans le payB insurgé. On lui objecte que M. de Lescure a répondu de lui corps pour corps, et qu’il est indigne de vouloir l’exposer à une prison certaine. Il se met. À pleurer, prétend que nous voulons sa mort, que Dieu lui avait donné des jambes pour fuir, et que, tant qu’il en aurait, il fuirait ; que ce serait résister & la volonté de Dieu, de ne pas le faire. Nous le chapitrons deux heures, mais il pleurait toi^ours. M. de Lescure entre dans le salon, M. de la Cassaigne va lui demander tout en larmes la permission de se sauver : M, de Lescure U lui accorde, malgré nos représentations. Nouvel embarras, Nous disons & M, de la Cassaigne qu’étant, gros, lourd et âgé de cinquante ans, il ne pourra jamais suivre Henri, qui n’a que vingt ans et est un des hommes les plus lestes qu’on puisse trouver, qu’il faut faire neuf lieues dans la nuit, par une. pluie à verse, à travers champs, passer par-dessus des haies très hautes, sauter des fossés ; que si quelque patrouille arrivait, il ferait prendre Henri. Il dit alors à celui-ci t « Mon cher ami, dans le cas où nous, entendrons du bruit, tu me laisseras et tu te sauveras.» Henri lui répond : « Est-ce que tu me crois aussi poltron que toi, et capable d’abandonner quelqu’un qui est avec moi ? Non. Si on vient pour nous prendre, je me battrai, je périrai avec toi, ou nous nous sauverons ensemble.» M. de la Cassaigne se jette sur

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ses mains, les baise et s’écrie mille fois ; « Il me défendra, Il me défendrai s

À onze heures, quand tous les domestiques furent couchés, Henri, son domestique, M. de la Cassaigne et le guide partirent, le premier armé seulement d’un gros bâton et de pistolets. Quand ils furent sortis, M. de Lescurc me dit ; aA présent que M. de la Cassaigne est en marche, je vous «vouerai que je crois possible que son départ me c o mp romette, mais je ne pouvais tenir à sa poltronnerie ; sa peur me donnait autant d’ennui que de pitié. »

Le dimanche fixé pour tirer à ta milice arriva : tous nos domestiques se rendirent au bourg ; nous étions & déjeuner, quand nous entendons crier : Pistolet à la main, et aussitôt nous voyons arriver au galop, dans la cour, vingt gendarmes ; nous apercevons en même temps des sentinelles à toutes les portes des cours et des jardins. Nous allons tout de suite au*devant des gendarmes ; ils nous lisent un ordre du district, portant d’arrêter M. de Lescure, moi, M. d’Auzon et toutes autres personnes suspectes, qui pourraient se trouver à Clisson* Nous leur demandons la. cause de cet ordre ; ils n’en savaient rien. Ma pauvre mère déclare sur-le-champ qu’elle se rendra en prison avec moi, mon père également, ne voulant pas m’abandonner. Je leur fois inutile* ment toutes tes instances imaginables ; M. de Marigny dit qu’il suivra M. de Lescure^ et qu’il est résolu depuis longtemps à partager son sort Les gendarmes avaient toujours le pistolet à la main ; il y en avait deux & mes côtés, suivant mes pas et me couchant en joue ; je finis par leur dire que sûrement, au milieu de la grande quantité de femmes qui étaient dans la maison, j’aurais pu éviter dans le premier moment d’être reconnue et m’échapper, dans une maison aussi facile que la mienne pour se cacher ; ils pouvaient donc voir que je ne voulais pas m’enfuir ; que j’allais m’habiller et qu’ils voudraient bien rester dans les corridors, qu’il était ridicule de suivre une femme avec des pis-

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ni-I l’i


tolcts ; ils me laissèrent. M. d’Auzon étant malade depuis quelque temps, fit accroire qu’il était fort mal et obtint de rester. Quand les gendarmes rirent que nous les recevions très honnêtement, que tous nos domestiques étaient h tirer Ix la milice et qu’il y avait une quantité de femmes et de vieillards dans la maison, ils s’adoucirent ; une chose les frappa surtout, la volonté de mes parents de me suivre. Pendant les instances que je faisais à maman de rester, un gendarme lui dit ? « Madame, de toute manière vous viendrez, car l’ordre comprend toutes les personnes suspectes. » Maman lui répondit : « Est-ce que vous voulez m’ôter jusqu’au plaisir de me sacrifier pour ma fille ? » Ce mot les attendrit beaucoup. Dans le fait, maman et mon père auraient pu éviter de venir en prison, en s’habillant en gens de service, comme firent M ; et des Essurts ; mais une fols qu’ils eurent déclaré qui ils étaient, on les aurait emmenés de force. Les gendarmes nous prirent en amitié et nous firent des confidences. Ils nous dirent qu’il y avait dix jours que l’ordre du district était donné pour nous arrêter, mais tous leurs camarades du pays avaient refusé ; et dans le fait, il n’y en avait aucun parmi ceux qui étaient venus chercher les chevaux. Enfin l’ordre avait été donné sous la responsabilité du commandant s celui-ci avait choisi des hommes ne nous connaissant pas* arrivés la veille de Vierzon en Berry, car ori rassemblait toutes les brigades pour former une cavalerie contre les Brigands ; Eux-mêmes étaient affligés de nous arrêter, voyant combien nous étions aimés de tout le monde, et ils dirent qu’ils feraient leur possible pour nous rendre service. Je me croyais grosse à cette époque ; maman leur en parla, cela les toucha extrêmement.

Enfin nous partîmes en voiture, tous les cinq, escortés par les gendarmes ; en sortant de la cour le chef leur dit î » Citoyens, j’espère que vous vous empresserez à rendre témoignage de la soumission avec laquelle oh a obéi, et aux honnêtetés qu’on vous a faites* ; ils répondirent tous que oui. En effet, quand nous

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arrivons aux portes de Bressuire, beaucoup de volontaires et de peuple, voyant conduire des prisonniers, sans savoir qui ils étaient, se mettent & crier : A V aristocrate ! Les gendarmes leur disent de se taire, qu’ils seraient tous bien heureux d’être aussi bons citoyens que nous ;.qu’un malentendu seul nous faisait arrêter. Ils allèrent rendre compte au district de leur commission.

Tous les nobles faits prisonniers étaient dans le château de la Forât (t), converti en château fort, & trois lieues de Bressuire, plus près de la révolte, dans la paroisse de Moncoutant ; sans doute les gendarmes craignaient qu’on ne les -y massacrât, car ils nous promirent de faire toüs leurs efforts pour que noiis restions en ville ; cela nous en donna le désir. En arrivant au district, ils firent mille instances pour qu’on nous permît de retourner à Clis* son avec une garde, on le refusa ; alors ils demandèrent qu’on, nous laissât & Bressuire. Allain (s), honnête patriote municipal et marchand épicier delà maison, s’offrit à nous garder chez lui, disant que la prison était trop pleine ; on y consentit, et on nous assigna ta ville pour séjour. M. de Lescure demanda sur-le-champ à parler au district ; il voulut payer d’assurance, et, quoiqu’il eût bien à craindre relativement à Henri et à M. de la Cassaigne, il demanda s’il y avait quelque chose contre lui, si on avait découvert quelque intelligence avec les révoltés, et il voulait qu’on lui fit sur-le-champ son procès. Le district lui répondit qu’il était suspect (ce fameux mot venait d’être mis en usage) ; il demanda en quoi il pouvait l’être ; « parce qu’il était noble, répondit-on ; 11 n’avait pas à se plaindre, ayant été arrêté le dernier, et toutes ses réclamations étaient inutiles.» On l’amena nous rejoindre, et de lâ on nous conduisit chez Allain. Je finis ce chapitre en disant que la bonne volonté des gendarmes n’avait pas été achetée, nous ne leur offrîmes point d’argent.

. C) La Forôt-aur-Sèvrc, ancienne habitation do Philippe deMornay.dft DupletsU-Mornay, seigneur du Plessis-Marly, 1549*1613.

(3) Jean-Louis Allain» mort &.Bressuire le 7 octobre ? 83 a, à l’Age de quatre* tingt-douro an».

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CHAPITRE VII

DEPUIS LE 9 AVRIL t ?g 3, JOUR DE MON ARRESTATION

JUSQU’AU 4 MAI 1793.. ]

JOUR DE LA PRISE DE BRESSUIRE

Nous étions établis chez Allain, tous les cinq, dans deux petites chambres hautes, avec une femme de chambre et un domestique. Il nous recommanda surtout de ne pas nous mettre à la fenêtre et de ne pas descendre, afin’qu’op nous oubliât le plus possible ; cette précaution nous sauva la vie. Nous apprîmes que M. Thomassin était en état d’arrestation depuis dix jours ; U avait été conduit au château de la Forêt et

n’avait pu nous le faire dire. *' 1

Deux jours après notre internement, les Bleus partirent pour aller se battre et attaquer les Aubiers, entre Châtillon et Bps» suire ; je n’ai rien entendu déplus effrayant et de plus majestueux que la Marseillaise, chantée en chœur par deux mille cinq cents hommes qui défilèrent sous nos fenêtres, accompagnés par tous les tambours ; ils avaient un air fier et martial ; ils semblaient autant de héros. Le lendemain le bruit courut dans la ville qu’ils avaient battu les Brigands, et qu’ils assiégeaient M. de la Rochejaqueleln dans son, château. Nous passâmes.la plus cruelle

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jpurnte ; mai* quelle fut notre joie, le soir à huit heures, cri entendant tous ces. brèves courir, en désordre, criant ; « Citoyens, au secours ! Les Brigands nous poursuivent ; illuminez, illuminez !» Ce ne fut que tumulte pendant toute la nuit, et nous la passâmes attendant avec impatience l’armée royaliste, qui cependant’rie vint pas.. *

Je m’arrête pour raconter la bataille qui sauva à cette époque la Vendée ; elle m’a été décrite par plus de cent témoins ; elle fût due tout entière à Henri.

Je reprends l’histoire de celui-ci, du jour de son départ, de Glisson. Ï1 arriva chez sa tante après la marche la plus pénible et la plus dangereuse, et y laissa M. de la Cassaigne. Il apprit que l’armée était du côté de Cholet et de Chemilié ; les jeunes gens des environs de Ghâtillon s’y rendaient, il y fut aussi et arriva pour être témoin de la perte d’une bataille qui fit reculer l’armée jusqu’auprès de TifFauges, tout À fait dans l’intérieur du pays. MM. d- Elbée, de Bonchamps, Sfofflet et autres, lui dirent qu’ils regardaient la révolte comme manquée ; il n’y avait en tout que deux livres de poudré dans l’armée, et elle allait se dissoudre.

Henri, pénétré de douleur, s’en retourna seul chez lui' ; il y arriva le jour même où les Bleus, sortis deBressuire, avaient pris les Aubiers et avaient dissipé un petit rassemblement qui voulait s’y opposer. Il n’avait point de chef, n’ÿ ayant èncore eu aucun noyau de formé dans cette partie, dont les paysans allaient simplement se joindre à l’armée d’Anjou, après avoir arboré le drapeau blanc dans leurs paroisses qu’on n’avait pas encore attaquées ; toutes les troupes républicaines se portaient jusqu’alors du côté de l’Anjou ou du côté de Nantes etMontaigu, Henri croyait tout perdu et ne supposait même pas qu’on pût rien faite, quand les paysans, apprenant qu’il venait d’arriver ; furent le trouver et lui dirent que, s’il voulait se mettre à leur tête, ’cèla. ranimerait tout le pays, et qué. dans la nuit on ferait un rassemblement dé huit à dix mille hommes ; Henri y consentit avec joie. 4 ;

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Le lendemain matin, il se trouva presque le nombre promis, des paroisses des Aubiers, Nueii, Saint-Aubin, les Echau» broignes, Yzernay, etc., mais tous armés de bâtons, de faux, de faucilles ; il n’y avait pas deux cents fusils, encore étaient-ce des fusils de chasse. Henri avait découvert chez un maçon soixante livres de poudre qu’il avait par hasard, ayant autrefois fait sauter des rochers à la mine, pour bâtir, comme cela se pratique dans le pays. C’était un trésor que ce peu de munitions, car il n’y en avait pas d’autres, Henri parut à la tête des paysans et leur dit i « MesamiS) st mon père était ici, il vous inspirerait plus de con* fiance, mais à peine nous me connaisse \ et je suis un eqf’ant ; f espère que je vous prouverai au moins par ma conduite, que je suis digne d’être à notre tête, St j’avance, suivbz-moi ; si jb recule, tuez-moi ; si je meurs, VENGEZ-Moi. » Telles furent ses propres paroles. Les paysans lui répondirent par de grandes acclamations. Cependant, malgré leur zèle, ils étaient un peu effrayés ; la plupart n’avaient pas vu le feu, les autres venaient de se trouver à une défrite, et ils étaient sans armes. Ils commencèrent pourtant à entourer les républicains, et, cachés derrière les haies, k crier i Vire le Roi / ce que répétaient fous les échos. Pendant ce temps, Henri, avec une douzaine des meilleurs tireurs, se glissa sans bruit dans les jardins des A ubiers ; les Bleus étaient dans le bourg. À l’abri d’une haie, Henri, qui était le meilleur tireur du pays, en tua et en blessa beaucoup ; il se donnait le temps de viser avec son monde ; les coups partaient rarement, mais ils atteignaient toujours. On chargeait les fusils d’Henri, il tira plus de deux cents coups, et presque tous portèrent sur les hommes ou sur les chevaux.

Les républicains, ennuyés d’être tirés cofnme au blanc, sans voir leurs ennemis, voulurent se déployer et se ranger en bataille sur une petite hauteur derrière les Aubiers ; ce mouvement rétrograde les perdit ; les paysans crurent qu’ils s’enfuyaient. Henri courut à eux, le leur persuada ; aussitôt les cris de Vive le Roi l

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Henri de La Rochejaquelein ;

. . -rt

General en chef désarmas s catholiques et royales de la. VBNüés rué le 18 janvier 1794/À l’âos db vingt et un ans f.

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redoublèrent. Les Vendéens armés de bâtons s’élancèrent comme des furieux ; on les vit sortir en foule de derrière les haies, où ils étaient cachés ; Ils sautèrent sur les canons, et les Bleus, surpris, épouvantés d’une si brusque attaque, s’enfuirent en désordre, abandonnant deux petites pièces de canon, les seules qu’ils avalent, et deux caissons. Ils eurent soixante-dix tués et un nombre plus grand dé blessés ; les nôtres les poursuivirent jusqu’à une demi* lieue de Bressulre (i).

Tel est le rapport exact de cette journée mémorable, et depuis, l’on retrouve cette manière de se battre des paysans à presque toutes les rencontres, surtout dans les commencements. Leur tactique consistait & entourer en silence les Bleus, à paraître Inopl* nément à portée de pistolet, en jetant de grands cris, & se précipiter sur les canons pour les empêcher de leur faire du mal, disaient-ils, à tirer rarement, mais en visant juste. Les paysans disaient : « Un tel, tu es le plus fort, saute à cheval sur le canon », et cet homme sautait dessus en criant : Vive le Roi ! pendant que ses camarades tuaient les canonniers. On voit aussi la conduite que tenaient les chefs : l’essentiel était d’inspirer confiance aux soldats qui, au commencement de l’attaque, avaient toujours un moment d’hésitation, mais se rassuraient et devenaient Invincibles quand ils voyaient leurs généraux, à leur tête, se jeter dans un péril évident.

Cette manière de faire la guerre paraîtra sans doute inconcevable, mais elle est l’exacte vérité ; on le croira davantage en réfléchissant que pas un soldat ne savait l’exercice, ni même distinguer sa droite de sa gauche. (On ne comptait peut-être pas dans tout le Bocage vingt paysans qui eussent servi ; nulle part en France il n’y avait dans le peuple autant de répugnance pour l’état militaire et pour ce qui éloignait du pays.]

(i) Quand le* troupe* républicaines furent rentrée» à Brestuire, 1* frayeur était si grande, que le générai Quétineao ne put jamais établir une sentinelle hors des portes de la ville. (Note du manuscrit.)

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« uS -

Presque toute la noblesse était dmigrée ou en prison. ; aussi n’y a-t-il jamais eu dans la guerre de Vendée cent officiers sachant quelque chose ; tous les autres et plusieurs générât# étaient des jeunes séminaristes, des bourgeois, des enfants et des v paysans ; on verra cependant des talents naturels se développe !*, et surtout une foule de traits héroïques. Enfin on sé rappellera avec étonnement que ces troupes si ignorante*, si mal équipées, et, dans le commencement, sans canons et presque sans ifuails, dont aucun de munition, ces paysans armés de bâtons, ont été à la veille de conquérir la France et l’ont forcée k la paix ; à eu* seuls ils ont su faire trembler la république, et le nom de la Vendée durera autant que le monde : preuve incroyable de ce que peuvent la bravoure et l’enthousiasme» La cavalerie était plus surprenante encore que l’infanterie ; elle montait des chevaux de meüniers, de colporteurs, dé poissonniers, avec des brides et des étriers de corde ; aussi, n’a*t*clle

guère été employée que dans les déroutes pour la poursuite de l’ennemi…

Les républicains oftt répété sans cesse que les Vendéens forçaient les habitants du pays qu’ils parcouraient, à se joindre. à eux ; cela est entièrement faux. Les Vendéens n’ont jamais * contraint, ni même engagé personne à prendre les armes avec eux ; bien loin de là, leurs têtes étaient montées au point de se méfier des gens qui venaient les rejoindre et n’étaient pas du pays. Iis les regardaient comme des traîtres ou des espions venant exprès pour les perdre, et ils auraient considéré comme des iâches prêts à fuir, ceux des habitants dû Bocage que les promesses ou les menaces eussent décidés, à marcher avec eux, ]

Je regretterai souvent dans ces Mémoires de ne pouvoir détailler les dispositions d’attaque et les circonstances de chaque* combat, aussi exactement que pour celui des Aubiers ; je ne dirai absolument rien que je ne sache positivement, et on trouvera ici ce seul avantage, l’exacte vérité.

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Henrï, ayant gagné la batailleuses Aubiers, nfc marcha paé

sur Bressuire, & cause de la position désespérée des Angevins ; il courut toute la nuit pour en porter la nouvelle à MM, d’Elbée et de Bonchamps, leur amena les canons, toute la poudre qu’il avait prise, et les jeunes gens de bonne volonté qui avaient voulu le suivre. On fit toute là journée des rassemblements en Poitou, en Anjou ; ces paysans réunis reprirent une nouvelle ardeur, livrèrent plusieurs batailles, qu’ils gagnèrent, reconquirent le terrain perdu : & Cholet, Boïs-Grolleau, Chemillé, etc. ; je ne sais aucun détail de ces affairés. Dans l’une d’elles, M. de Bonchamps fut légèrement blessé. Il y eut très peu de monde de tué, du côté des Vendéens ; en général, dans toutes les batailles, ceux-ci perdaient au plus un homme contre cinq, et souvent un contre dix, même moins ; quoique cela semble d’abord incroyable, on le jugera très simple après un mot d’explication. Les paysans étaient cachés derrière les haies, et tous éparpillés sans ordre ; à peine les Bleus pouvaient-ils les apercevoir ; quand ceux-ci tiraient, suivant l’usage des troupes de ligne, & hauteur d’homme et sans viser, ils ne tuaient que deux ou trois individus, au Heu que les Vendéens ne tiraient pas un coup sans léser, et, comme les troupes dé ligne présentaient un front serré, il était rare qu’un coup de fusil fût perdu. Quand les paysans marchaient en avant pour prendre les canons, si l’on tirait avant qu’ils eussent eu le temps d’y arriver, ils se jetaient ventre à terre, sitôt qu’ils voyaient mettre le feu : la décharge passait au-dessus d’eux et, pendant ce temps, ils couraient à quatre pattes et tuaient les canonniers avant qu’ils pussent tirer une autre fois. À l’arme blanche, nous avions aussi l’avantage, en ce que tous nos soldats marchaient par leur seuje volonté, guidés par l’enthousiasme le plus violent, tandis que la moitié des Bleus, surtout au çomnien-

. 4, b 0. < 1 * « i

cernent, formés de la garde nationale sédentaire et.de nouvelles réquisitions, ne se battaient qu’avec répugnance. [Presque tous nos soldats faisaient un signe de croix avant de tirer un coup de

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Ml ; dans les déroutes, Us criaient tranquillement : Vive le Roi, quand même !] Puis connaissant bien les chemins, qui sont fort couverts, ils s’échappaient facilement, tandis quéles Bleus, dans leurs défaites, se trouvaient perdus dans des labyrinthes impéné» trahies. Ces détails feront mieux concevoir les étonnants succès de la Vendée, mais on ne pourra jamais comprendre la valeur inouïe que l’enthousiasme a su Inspirer à des paysans naturelle* ment doux ; conservant à la guerre cette bonté caractéristique, ils n’ont jamais fait de cruautés, ni le moindre mai dans tes villes prises d’assaut : ils semblaient les frères de ceux qu’ils venaient de combattre. C’est la religion qui produisait ce miracle ; je reviendrai avec détail, par la suite, sur cet article. Je reprends ce qui me concerne,

. Le lendemain de la bataille des Aubiers se passa en agitation et en inquiétude à Bressuire ; il y arriva quatre cents Marseillais de renfort ; le jour suivant Ils se mirent à crier qu’il fallait tuer les prisonniers, persuadèrent les autres troupes(i) ; tous ensemble coururent aux prisons et en tirèrent onze paysans qui y étaient renfermés ; la plupart n’étaient point des révoltés, mais simplement soupçonnés de l’être : gens qu’on avait pris dans leur Ut ; U y avait aussi quelques femmes qu’on laissa ; les hommes passèrent sous nos fenêtres, aux cris d’une soldatesque furieuse. Nous crûmes que nous allions subir le même sort, mais heureusement les Mar* seillais ignoraient qu’il y eût des nobles en arrestation. Les habi* tants, quoique patriotes, n’étaient pas assez scélérats pour vou* loir notre mort, <Tautant que nous étions en général très aimés. On ne pensa donc pas à nous ; il est sûrement inutile de parler

(») On rangea l’année 'aur la place de la BAthe, hors la porte du chemin qui conduit À Thouara ; et lorsque l’année fut en bataille, on amena onxe malheureux paysans. Le» commandante de Marseillais se promenèrent dans tes rang» et demandèrent de» personne» do bonne volonté pour massacrer cea infortunés. Personne de Thouara ne se réunit & ces hommes atroces, mais seulement quelque», un» de SainUean-d’Angélyj on le» massacre À coups de sabre, les paysans recevaient la mon À genoux, en priant pieu, (Nom du manuscrit.)

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l’état affreux dan» lequel nous fûmes» pendant cette cruelle journée. Le district et le général Quétineau cherchèrent à empé» cher le massacre et suivirent les soldats hors la ville» mais ils cédèrent & leurs menaces, Le maire (i) s’opposa seul & ce crime avec la plus grande force et se mit devant les prisonniers ; on l’emporta dans les bras, les malheureux furent immolés. Allain était consterné ; U engagea, deux jours après, Clerc-Lassalle (a), commissaire du département, è venir nous parler : c’était un jeune homme fat, bavard ; il parut nous plaindre beaucoup, dit que cette mesure d’arrêter les nobles était occasionnée par la guerre ; que ce n’était pas lui qui nous avait fait mettre en prison, mais son collègue, uniquement parce qu’il trouvait ridicule de voir libres des personnes naturellement suspectes ; que la guerre allait finir, on allait raser tous les bois, toutes les haies du pays, décimer les hommes, emmener tous les habitants dans le centre de la France et les remplacer par des colonies patriotes, et il ajoutait ; « C’est dommage que nous soyons forcés à cette mesure par le fanatisme des paysans, qui, du reste, sont les plus honnêtes gens qu’on puisse trouver (B). » Il dit’àM. de Lescure : « Celui qui commandait aux Aubiers était le fils de M. de la Rochejaquelein, le connaissez-vous ? — Oui, répondit-il. — — C’est même un de vos parents, je crois, — Vous avez raison. » Heureusement son envie de parler, l’emportant, il ne suivit pas cette conversation, se mit à nous raconter la bataille à sa mat) René-Pierre-Cbarlos Deachamps, avocat, conseiller du Roi, maire royal de Bresaulre, puis, en 1790, maire élu, président du tribunal civil, mort le 3 octobre 180$, à l’Age de solxante*qulnxe ans.

(a) Pierre-Alexandre, né À Niort io 18 novembre 1765, fils de I. P. Clerc, sieur de la Salle. Défenseur officieux au tribunal criminel des Deux-Sèvres et administrateur du département, délégué en 179 ? pour organiser la défense contre les Vendéens. Juge suppléant sous l’Empire, député de Ta gauche en 18s«, à protesta contre l’expulsion de Manuel, quitta la Chambre et ne fut pas réélu. Il mourut le a 5 juillet 1837, . au Crand-Breuil, canton de Mauxé-sutvMignon.

  • (3) Éloge mérité, aveu remarquable dans la bouche d’un ennemi I Encore aujourd’hui,

lea fédérés propriétaires sont sûrs de n’être pas trompés par leurs métayer» qui pourtant se sont battus contre eux À chaque guerre. (Note de l’auteur.), .

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niôrev on jüge aisément de la crainte que nous eûmes, quand il piaria d’Henri. Le grand sang-froid de -M. dé Lescure et l’air simple dont il répondit ne lui donna aucune idée ; il demeurait à Niort, et n’était que depuis peu de (ours à Bressuire ; il ignorait tout ce qui regardait Henri etM. de la Cassaigne, relativement à nous ; ceux qui le savaient, ou ne le disaient pas par attaché^ ment pour nous, ou n’y pensaient pas, uniquement occupés de la peur affreuse qui les dominait Nous ne savions trop si nous ferions mieux de demander à être conduits au château de la Forêt* nous en parlions faiblement, Cierc-Lassalle nous dit qu’il le ferait volontiers, et qu’on devait envoyer bientôt tous ceux qui y étalent, à Niort. Depuis, noua n’en avons plus parlé, voulant être à portée d’être délivrés par les Vendéens. Cierc-Lassalle sortit, nous restâmes h Bressuire.

Nous dûmes notre salut à la confusion extrême qui régnait dans la ville ; à chaque instant il arrivait des troupes, sans cessé on criait aux armes ; des terreurs paniques faisaient voir les Brigands attaquant la ville ; personne ne savait ce qu’on faisait. Pour nous, c’était notre seul moment de jouissance ; nous espérions que la place serait prise, et, sans craindre les dangers que nous pouvions courir, nous ne pensions qu’au bonheur de joindre les royalistes. On parlait d’arrêter les personnes restées à Clisson et de nous emmener à Niort. M. de Lescure faisait mille projets pour s’échapper et aller trouver l’armée, quand on voudrait le transférer, disant que rien ne l’arrêterait, s’il perdait l’espoir d’être délivré, et qu’il se ferait tuer ou joindrait les révoltés. Sur ces entrefaites, l’abbé des Essarts (que j’appellerai désormais le Chevalier) arriva comme soldat à Bressuire. On avait arrêté Une lettre prouvant qu’il s’était chargé de faire passer dé l’argent à des émigrés ; le représentant en mission à Poitiers l’envoya chercher : il lui dit qu’il était bien heureux que la loi rendue pour prononcer 1* peine de mort contre ceux qui faisaient passer de l’argent à des émigrés ne fût pas encore promulguée, mais qu’il

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partirait le lendemain pour sébattre contre les Brigands, ’ou qu»U serait guillotiné à midi ; il partit donc. Il venait beaucoup nous voir et cherchait avec ces messieurs tous les moyens de rejoindre les royalistes. Nous décidâmes cependant M. de Lescure à attendre que noua fussions conduits à Niort, car sa fuite nous ferait massa* crer ; il y consentit avec peine, malgré tous les risqués qu’il devait courir lui-même en s’échappant, :,

Je mé reprocherais d’oublier deux traits sublimes î* la p’etitè paroisse dé Beaulieu est très près de Bressuire, on voulut ÿ faire tirer à la milice ; au jour dit, la troupe s’y rend, mais elle nÿ trouve que des femmes ; elle assigne au lendemain et prévient que, si les hommes ne se présentent pas, elle brûlera le boùrg : non seulement elle n’y trouva pas les hommes, mais pas même une femme ; on mit le feu, et toùt lut consumé, La troupe alla ensuite faire la même sommation à la paroisse de Saint-Sai^veür, également’près de Bressuire ; le lendemain, elle nÿ trouva que des femmes et le maire, malgré le : terrible exemple de Beaulieu et lès menaces de pareil châtiment ; on emmena le brave maire en prison, et on allait mettre le feu au bourg, quand on apprit ^arrivée des Vendéens. On faisait des arrestations toutes les nuits dans la ville ; il nÿ avait pas de nobles, mais on enlevait des bourgeois et artisans, aristocrates ou plutôt patriotes modérés (car il nÿ avait, pour ainsi dire, pas de royalistes dans la ville) ; on enleva, entre autres, cet honnête maire qûi s’était opposé au massacre des prisonniers (i).

Avant de parler de notre délivrance, je ne veux pas oublier un danger nouveau que nous courûmes. Oh n’avait jamais ouvert nos lettres à la poste, maman en reçut fine, d’un prêtre émigré, quatre jours à peu près avant la prise de là ville ; mise à la

(0 On emmena plus d« soixante prisonniers, parmi lesquels le maire et l’abbé Gaudouin, aumônier et bienfaiteur de l’hôpital, regardé généralement comme le père des pauvres, auxquels il distribuait toute sa fortune, qui était assez considérable. <Noto du manuscrit.)

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poste & Bordeaux, elle était datée de Madrid, II lui mandait que la guerre allait être déclaréo ; qu’elle serait bientôt au comble de ses vœux, en voyant remettre le Roi sur le trône. U Jettre né disait pas cela en toutes lettres, mais elle le donnait à entendre si clairement et avec une tournure si maladroite, qu’un enfant de six ans aurait deviné cette plate énigme. Nous frémissions du risque que nous avions couru, et bien davantage encore, quand le lendemain on nous apporta nos lettres, et au dos écrit s lu au district. Le hasard fit que ces lettres étalent toutes de domestiques ou de créanciers, et si mai peintes, qu’à peine on pouvait les déchiffrer : mais combien nous craignions que, la poste suivante, il n’en vînt de dangereuses ! L’armée royale n’en donna pas le temps,

Le lendemain nous entendîmes beaucoup de rumeur dans la ville ; le bruit courait que les Brigands attaquaient Argenton-Château, à trois lieues de Bressuire ; le soir on dit qu’il était pris, et que les Vendéens marchaient contre la ville ; les troupes furent toute la nuit sous les armes et nous sur pied ; craignant ou d’être massacrés ou d’être emmenés plus loin, nous attendions l’attaque avec la plus vive impatience. Au point du jour, le 2 mai 1793, les troupes commencèrent à défiler sans bruit. J’ignore pourquoi chaque compagnie fit halte quelques minutes sous nos fenêtres ; nous croyions à chaque fois que c’était pour nous prendre ; nous apprîmes vers les huit heures qu’on évacuait la ville sur Thouars. : ! y avait cependant cinq mille hommes pour la défendre. Bres* suire est naturellement fort et l’était autrefois par son château et ses murailles, mais le tout était en grande partie tombé en ruine ; le château, jadis presque imprenable, a été cependant enlevé par Du Guesclin. Les murs de Thouars étaient en meilleur état et la position encore ‘plus forte ; toute la troupe s’y retira, poursuivie par la peur. Nos volets étaient fermés, tout le monde nous oublia, excepté le général Quétincau : c’était un ancien grenadier, patriote, vraiment honnête, et, comme il

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connaissait M. de Lescure, il fut charmé de ce que personne ne pensa à nous. La terreur des républicains était si grande, qu’ils laissèrent la caisse, et quatre, cavaliers revinrent la chercher ; H» abandonnèrent aussi beaucoup de drapeaux, Presque tous les habitants de la ville s’enfuirent à Thouars (i),

Allain nous demande, ainsi que sa femme, de se réfugier à Clisson ; nous y consentons et, suivant leur désir, nous envoyons chercher beaucoup de charrettes de nos métairies pour emporter leurs effets*, tous les gens de Bressuire croyaient que leur ville serait brûlée, & cause de tout le mal qu’elle avait fait aux paysans lors de la première révolte et des derniers massacres des prisonniers. Plusieurs hommes et femmes de la ville viennent aussi nous demander asile à Clisson ; nous leur disons que nous ne refusons pas, mais que, si les Brigands tuent tout, comme eux l’ont toujours prétendu, nous courons autant de risques à Clisson qu’eux-mêmes. Ils insistent, assurant que les Brigands ne brûlent pas les châteaux et aiment les nobles, M. de Lescure n’a pas l’air de le croire, et dit cependant qu’il recevra avec plaisir toutes les personnes qui voudront se sauver chez lui ; que d’ailleurs c’est le chemin de Parthenay, et qu’ils pourront y aller de là. Nous étions dans des craintes mortelles qu’on ne vînt nous chercher. Enfin, à onze heures, Allain nous dit que nous pouvions partir, que toute la ville était évacuée, que le peu qui restait d’habitants ne penserait pas à nous arrêter. Nous nous mettons en marche avec Allain ; nous ne rencontrons qu’un seul homme et

(i) Telle était la confusion quand on évacua, que le général Quétineau ordonna à chaque soldat de mettre quatre boulets dans sa poche, cet ordre inexécutable Ait cause qu’il en resta beaucoup dans la ville, dont les royalistes s’emparèrent. Dans le désordre de la retraite, la terreur fut si grande, que, l’armée ayant aperçu de loin quelques mouvements dans un champ, on ne put obtenir de la cavalerie de se porter plus de vingt-cinq pas & la découverte, un seul osa s’approcher un peu plus et dit que réellement détail une colonne ennemie. Quétineau fit mettre son armée en bataille, dresser ses canons ; U s’avança lui-même pour aller reconnaître l’ennemi î c’était un paysan qui labourait tranquillement son champ avec un attelage de huit bœufs. Une partie des Marsefilsis ou bataillon du Nord déserta dans cette retraite, mais sans passer aux Vendéens. (Note du manuscrit.)

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beaucoup de femmes’qui pleuraient et -jetaient : les. hauts cria ; elle» demandent à ÀUain où il va, U répond : À Pa^thena/ ; nous étions sur la route, et une grande partie des habitants s’ÿ rendaient. À peine Hoçtl» de la ville, nous prenons notre course par des chemins détournés ; M. de Lescure et moi, étant les plus jeunes, arrivons une heure avauf les autres. Nous rencontrons M. pàillou, honnête homme, un peu patriote, — qui était venu vpir son..oncle, notre curé. Nous lui contons ce qui se passe, et npus apprenons les bonnes nouvelles aux gens du château, où personne ne pouvait en croire ses yeux en nous voyant. Il nous arriva successivement beaucoup de fuyards de Bressuire, surtout des femmes ; plusieurs furent amenées par leurs maris, qui les y ; laissèrent. Le chevalier des Essarta vint aussi avec un volontaire ; ils étaient restés cachés dans la ville jusque ce que tout le monde fût parti. Nous apprîmes que les prisonniers de la Forêt avaient été enlevés et conduits par Parthcnay, dans la nuit, à Angoulême, où aucun n’a péri. Après une détention de vingt-deux mois, M. Thomassin revint me trouver. Il resta chez moi jusqu’à sa, mort, arrivée en 1804(1) ; son esprit s’était tout à fait dérangé.]'

Vers une heure, on répandit un bruit vague, que les Brigands ne.marchaient pas sur Bressuire. M. de Lescure, au désespoir, envoya chercher des paysans sûrs, — les chargea de rassembler les paroisses, de leur donner rendez-vous pour cinq heures du matin à un point indiqué, où elles trouveraient des chefs. Jl résolut d’aller à Châtition chercher de la poudre et quelques troupes ;, if avait le temps d’arriver au rassemblement, pour occuper la ville au point du jour et empêcher les Bleus d’y rentrer. Il décida qu’à la brune nous partirions tous, escortés par. douze braves domestiques bien armés. Nous pouvions, espérer, n 'être pas arrêtés, en passant par de bonnes paroisses ; le

(0 Jacquoi-Françoia-Marie Thomawiu mourut ; au logi* du G 4 t, commune do Hoiernc, prè* Bressuire, le ig janvier 1804, — èg 4 d’environ soixante-quatre ans.

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poste de U. Forêt, qui nous coupait la communi’cationavec, les Brigands, était évacué. Ma chambre fut remplie d’armes et.dc cocardes blanches. On juge de notre position, la maison ; pleine de patriotes l Tout se faisait secrètement ; nous attendions la nuit avec impatience, craignant même que res gendarmes de Parthenay ne vinssent nous chercher. M. de Lescure avait fait placer plusieurs jeunes gens sur des hauteurs pour avertir, Deux ou trois habitants de Bressuire étaient venus armés à Clissôn ; je leur fis ôter leurs fusils sous différents prétextes. Personne ne savait toutes ces dispositions, que M. de Marigny, le Chevalier des Essarts et moi. Nous étions bien jeunes alors et M. de Marigny, plus âgé, avait la vivacité d’un enfanfc par, caractère : aussi ne voulions-nous consulter personne, non que notre famille n’eût pas les mêmes sentiments que nous, mais nous redoutions les réflexions et les conseils raisonnables.

Sur les quatre heures, M. de Lescure voulut se rendre à Châtillon, il dit à maman les mesures prises pour notre, départ ; elle lui demanda ce que nous deviendrions, si les Bleus rentraient le jour suivant & Bressuire, comme ils l’avaient déjà, fait une fois. Il répondit : à Demain, au point du jour, je serai' maître de la ville, quand même l’armée des royalistes aurait tourné d’un autre côté ; j’ai envoyé l’ordre de se révolter & plus de quarante paroisses. » Maman tomba presque sans connaissance, en s’écriant : Nous sommes perdus J Dans le fait, l’ardeur de M. de Lescure à faire la guerre l’avait rendu bien imprudent, et sûrement, à calculer de sang-froid cette démarche décisive, il y avait de quoi frémir, d’autant qu’à toute minute, on pouvait envoyer de Parthenay nous arrêter. Il était bien sûr. que le pays se soulèverait à ses ordres, mais quelles en seraient les suites ? Il comptait sur la terreur panique des patriotes, et, après avoir tant tardé à se. jeter dans la révolte à cause de nous, il ne pouvait plus résister à son : désir, conservant l’espoir de nous mettre en sûreté ; enfin, U était hors de lui.

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Si on réfléchissait au danger, quand on commence une guerre civile, U n’y en aurait jamais ; une fois engagée, il faut bien la soutenir ; mais on a besoin d’un courage extraordinaire où d’une témér^ sans réflexion pour l’entreprendre, et, par dessus tout, dans les deux cas, d’un enthousiasme violent»

M. de Lescure, M. de Marigny et un domestique montèrent sur d’excellents chevaux et partirent pour Châtillon. À peine, étaient-ils en marche, que je vis arriver un patriote de Bressuire qui se glissait en tremblant le long des murs du château, en répétant à demi-voix : « lis y sont, ils y sont ! — Qui, lui-dis-je ? —.Les Brigands, dans Bressuire ; ils sautent à cheval par dessus les murs, par-dessus les maisons. » Je le laissai s’affliger avec les autres gens de la ville, et je fis partir secrètement un domestique à bride abattue pour chercher M. de Lescure, qui revint au bout d’un quart d’heure. Je passai ce temps à causer avec tout ce monde qui mourait de peur. Comme mon mari arrivait, un des métayers entre dans la cour, pour avertir que les Brigands avaient retenu leurs boeufs, mais, ayant appris qu’ils étaient à lui, ils avaient promis de les relâcher sur un billet de sa main. M. de Lescure dit en riant aux gens de Bressuire : à II me paraît qu’effectivement vous avez raison, les Brigands aiment les nobles ; je vais aller chercher mes bœufs, et je vous promets de tâcher de sauver vos meubles ; restez ici sans inquiétude. » Quand il fut parti, je pensai que peut-être M. de la Rochejaquelein n’arriverait pas le premier au château ; alors il serait possible que les révoltés que nous verrions d’abord, et dont je ne connaissais pas l’esprit, fissent un peu de tapage, en trouvant tant de patriotes chez moi. Je les engageai donc à quitter leur cocarde, sans leur déclarer encore positivement mes intentions ; je leur dis que, n’étant pas en état de nous défendre contre aucun parti, fl fallait n’avoir le signe d’aucune opinion ; ensuite, je les mis tous dans une aile du château sur la cour et leur recommandai d’y rester sans bruit. Maman était

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prè$ de ma tante, mon père les soignait* nos domestiques étaient dans la maison. : je les avais empêchés de sortir, dé peur de quelques, propos. On voit quejusquedà, nous ne savions rien de bien positif, et je n’osais regarder comme certain tout ce qu’on disait ; nous étions livrés à tant de nouvelles absurdes depuis six semaines. Je restai seule au milieu de la cour, moins’ par bravoure* assurément, que par agitation. Au bout de cinq minutes, j’entendis arriver des chevaux au grand galop et crier : Vmk Roi ! C’étaient. MM, de Lescure et de Marigny ; ils avaient rencontré, à un. quart de lieue, M. de la Rochejaquelein, qui venait à Gliason avec M. Forestier et trois cavaliers ; tout le monde sortit du château aux cris redoublés de : Vive le Roi ! Henri se jeta ; dans nos. bras, en s’écriant : « Je vous ai donc délivrés i » Nous pleurions tous. À ces explosions de joie, les patriotes de Bressuire ouvrirent doucement la porte pour savoir d’où venait ce bruit ; quand ils virent que nous n’étions que la famille et les domestiques, ils sé jetèrent à nos pieds, et plusieurs se trouvèrent mal de l’excès de leur surprise. M. de Lescure conta toute leur histoire à Henri ; celui-ci leur dit que jamais on n’aurait pu choisir un meilleur asile pour être à l’abri des Brigands, que de se sauver chez eux. M. de Lescure fit embrasser par Henri toutes les femmes, pour les raccommoder avec cette espèce de monstre tant redouté. Ce ne fut que joie dans la maison.

Henri nous donna peu de détails sur l’armée ; U paria beaucoup de la valeur des paysans, de leur enthousiasme, nous raconta qu’il y avait, plusieurs autres années royalistes avec lesquelles celle-ci n’avait pas encore de relations établies, mais on savait qu’elles avaient du succès ; M. de Charette en commandait une ; il venait de surprendre 111e de Nôirmoùtier, qu’on lui avait livrée. Nous lui parlâmes des munitions : il nous apprit que les canons n’avaient chacun que trois coups à tirer, en attaquant Argenton, mais on y avait pris de la poudre, on

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possédait & présent douze gargousses par canon, et jamais l’armée n’avait été si riche. Cette position aurait fait frémir, mais nous étions incapables de sentir autre chose que le bonheur d’ôtre révoltés. Maman était la première & dire : « Quand un gentilhomme se trouve près d’un parti royaliste, U n’y a pas à délibérer.» Nous n’étions occupés et nous ne parlions avec Henri que du. courage et de l’ardeur des paysans. Pour moi surtout, naturellement portée à l’espérance, fort vive et fort enfant, je me livrais à la joie sans la moindre réflexion, Henri nous présenta M. Forestier, jeune homme de dix» sept ans, bourgeois du côté de Chaudron (i), en Anjou, (de la Pommeraye-sur-Loirc ; j’ai entendu dire que son vrai nom était François Thibault ; son père était cordonnier.) Il sortait du collège, il avait la plus jolie figure possible ; c’était, nous dit Henri, un de ceux qui avaient commencé la guerre ; il était d’une bravoure peu commune et un des principaux officiers de cavalerie de l’armée, dont il était adoré. Il fut décidé qu’ils repartiraient tous deux pour Bressuire avec M. de Lescure, celui-ci voulait faire connaissance avec les officiers et généraux et se réunir à eux ; le lendemain ils joindraient l’armée, et nous partirions pour le château de la Boulaye, à M. d’Auzon, situé à Mallièvre, dans l’intérieur du pays, entre ChâtiUon et Mortagne ; les autres resteraient à Clisson.

(i) Forestier était Sis d’un cordonnier de Chaudron y il fut élevé par les bontés de M. de Dommtigné, qu’il suivit dés tes premiers temps de l’insurrection. (Note du manuscrit.)

Henri Forestier, né à la Pommeraye-sur-Loirt le 5 février 1775, se destinait, à l’état, ecclésiastique. Il prit part & tous 1 tes combats dq la Vendée comme un dés chefs de la cavalerie. Après ta guerre, il se tint longtemps caché, puis s’exila. Rentré à Bordeaux, il fut condamné à mort par ta commission militaire de Nantes, en t 8 o 5. U Dictionnaire historique de Maine-et-Loire dit qu’il put regagner l’Espagne et l’Angleterre, et qu*U mourut à Londres le 14 septembre 1806.

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CHAPITRE VIII

DEPUIS LE à MAI, JOUR DE LA PRISE DE BRESSUIRE JUSQU’AU COMBAT DE THOUARS

LE 5 DU MÊME MOIS

m. yr oNsiBUR de Lescure me fit avertir au point du jour, l\ / 3 mal, qu’il allait arriver avec Henri et quatre-vingts X Y JL cavaliers, Ils vinrent en effet aux cris de Vive le Roi ; ils amenaient avec eux le chevalier de Beauvoliier (i), jeune homme beau, — grand et âgé seulement de dix-huit ans ; il a été depuis l’aide de camp et l’ami de cœur de M. de Lescure, C’était un des meilleurs sujets qu’on pût trouver, U joignait la plus rare bravoure à la plus grande douceur. La manière dont il arriva à l’armée est assez singulière. On l’avait fait partir de force, comme gendarme de réquisition, de Loudun, ville entre Saumur et Poitiers ; quand les Bleus évacuèrent Bressuire, il trouva le moyen d’y retourner, sous prétexte d’avoir oublié quelque chose, et gagna une hauteur sur le chemin d’Argenton ; là, il vit de loin défiler toutes les troupes pour Thouars. Quand

(i) Jean-Baptiste de Beauvollier, baptisé à Beuxes en Loudunols, le n Janvier 1774, fut pria à Montrelals, prés Va rades, condamné er exécuté à Angers le aa nivôse an U, 11 Janvier 1794.

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H fut sûr qu’elles étaient bien en route, il prit le galop pour aller rapprendre aux Vendéens ; il rencontra à une lieue les premiers cavaliers, qui d’abord le reçurent mai et ne voulurent pas le croire, son habit de gendarme étant une mauvaise recommandation. 11 survint un officier paysan qui prit un peu plus de confiance en lui ; & la proposition d’aller, avec une trentaine de cavaliers d’avant-garde, abattre l’arbre de la liberté planté dans la ville : « Oui, répondit le paysan, à condition que tu marcheras à la tête ; si on trouve du monde dans Bressuire, ou si tu recules, je te brûle la cervelle. — J’y consens, cria M. de Beauvoilier, car je ne suis ni traître ni poltron. » Effectivement, ils arrivèrent dans la ville et trouvèrent qu’il avait dit la vérité.

Les cavaliers, qui vinrent à Clisson avec ces messieurs, n’avaient pas un air bien militaire ; ils avalent des chevaux de toutes tailles et de toutes couleurs ; la plupart avaient des sabots au lieu de bottes, des habits de toutes les façons ; des pistolets à la- ceinture, des sabres et des fusils attachés avec des cordés. Les Vendéens n’avaient aucune cocarde militaire ; beaucoup mettaient à leur chapeau des morceaux d’étoffe blanche ou verte, d’autres du papier, des feuilles, et plusieurs rien du tout ; mais tous les paysans avaient par dévotion, et sans que personne en eût donné l’ordre, un sacré-cœur cousu à leur habit, et un chapelet passé dans la boutonnière. Nos soldats ne portaient ni giberne ni havresac, ni effets, quoiqu’ils en prissent en quantité aux républicains ; Us trouvaient cela incommode, ils préféraient mettre leurs cartouches dans leurs poches ou dans un mouchoir roulé en ceinture, suivant l’usage du pays. À la queue de leurs chevaux, ils attachèrent des épaulettes et des cocardes nationales. L’armée eut une trentaine de tambours, mais pas de trompettes.]

On reconnaissait mieux les Vendéens à la bigarrure de leur habillement qu’à tout autre signe ; les officiers n’avaient

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d’autre marque distinctive que d’être mieux équipés que leur» soldats.

Toute cette troupe allait pour donner dans la soirée une fausse alarme, jusqu’aux portes de Parthenay, afin de faire prendre le change sur la marche de l’armée qui devait partir le lendemain pour attaquer Thouars. Tous les soldats se mirent à déjeuner, la maison se remplissait de paysans qui accouraient se réunir à eux, après avoir abattu dans les paroisses les arbres de la liberté ; il arrivait des femmes, la hache à la main, venant de détruire ce signe patriotique. Le château était plein de gens qui chantaient, mangeaient, criaient Vive le Roi ! M. de Lescure nous racontait qu’il avait été reçu à bras ouverts par les officiers, et traité comme chef de toutes les paroisses qui s’insurgeaient ; qu’on l’avait fait entrer au conseil de guerre, où l’on attendait avec impatience mon père, M, de Marlgny et M. des Essarts ; enfin, qu’il y avait très peu d’officiers, et on regardait comme un grand bonheur d’avoir ceux-ci de plus.

Au milieu de cette conversation, il pensa arriver l’événement le plus tragique : les Vendéens avaient attaché leurs chevaux dans la première cour, sans sentinelle, suivant leur coutume. Trois Bressuirais, qui avaient laissé à Clisson leurs femmes, dont deux étaient grosses et une nourrice, vinrent pour les chercher et les emmener à Parthenay. Ils étaient en uniforme républicain, bien armés et à cheval ; quand ils virent tous ces chevaux au piquet, ils crurent que c’étaient des Bleus venus pour nous prendre ; ces trois hommes ne trouvèrent dans la première cour qu’un petit domestique âgé de quinze ans, Us lui dirent : « Bonjour, citoyen cet enfant répondit : « Il n’y a point de citoyens ici. Vive le Roi I. Aux armes, voilà les Bleus 1 » À ce cri, tous les cavaliers sortent, sabre à la main, comme des furieux ; heureusement mon père et moi, entendant le tumulte, sans savoir ce que c’est, accourons de toutes nos forces ; nous reconnaissons les trois Bressuirais qu on allait massacrer ; nous nous jetons entre les paysans et eux. Tout

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ce qui était dans la maison sort dans la court les trois femmes de ces malheureux arrivant comme les autres, tombent évanouies. Nous disons aux cavaliers que ce ne sont pas des soldats venus pour nous arrêter, mais les maris des femmes réfugiées chez noust qu’ils venaient les chercher et s’étalent armés seulement pour les défendre. Les paysans ne voulant pas entendre raison, Henri se met à leur parler. Pendant ce temps, nous faisons entrer ces trois hommes dans le salon, dont nous fermons la porte ; là nous les faisons changer d’habits, prendre une cocarde blanche, et, quand la troupe est un. peu apaisée, nous les montrons sous ce nouveau costume ; on les fait marcher sur la cocarde nationale, crier Vive h Roi, et enfin les cavaliers se calment.

La nourrice de ma fille, qui la gardait dans son village depuis le commencement delà guerre, vint me l’apporter, Cette femme avait la plus grande répugnance à me suivre ; elle avait des évanouissements, de chagrin de quitter son mari, ou bien de frayeur ; cela me faisait craindre qu’elle ne peMît son lait, et je croyais ma fille plus en sûreté avec des paysans qu’avec moi ; je me décidai à la lui laisser, lui faisant promettre de se tenir cachée dans le pays, et je chargeai beaucoup de gens de veiller sur elle.

Enfin nous partîmes vers midi pour Bressuire, et M. de Lescure accompagna Henri pour donner l’alarme & Parthenay. Avant de s’en aller, il dit aux patriotes qu’ils pouvaient rester dans le château, tant qu’ils craindraient la moindre chose ; il le permit même à Motot, ce scélérat qui avait quitté Clisson au commencement de la guerre, pour être chirurgien des Bleus à Bressuire, et. qui était venu s’y réfugier le a mai. Cet ho mm e avait déjà montré la plus noire ingratitude, et depuis a continué son affreuse conduite, malgré la clémence de M. de Lescure et la leçon également forte et touchante qu’il lui donna en lui feisant grâce. Presque tous les autres patriotes restés à Clisson étaient des gens honnêtes et paisibles.

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Nous nous motions en marche dans deux voitures traînées perdes bœufs, suivis de nos domestiques armés. Quand. nous sommes près de la ville, nous commençons & voir les Vendéens ; nous criions Vive k Roi ! ainsi qu’eux, et nous pleurions à chaudes larmes, de foie et d’attendrissement. J’admirai surtout une cinquantaine de Brigands prosternés au pied du calvaire, rien ne put les distraire de leurs ardentes prières, La ville était remplie de paysans armés, il y en avait environ vingt mille dont six mille avec des fosils ; d’autres avaient des faux retournées, arme effrayante et terriblé ; des faucilles, des couteaux au bout de longs bâtons, des broches, ou simplement de gros morceaux de bois, comme des espèces de massue. Tous se croyaient invincibles. Les cloches étaient en branle ; il y avait un grand feu de joie de l’arbre de la liberté et de tous les papiers du district. On nous mena dans une chambre pleine de soldats.

Mon père, MM. de Marigny et des Essarta allèrent trouver les autres officiers, . et je fus me promener avec mes femmes autour de la ville. Les paysans, qui ne me connaissaient pas, me demandaient si j’étais de Bressuire ; je leur disais que j’y étais prisonnière, qu’ils m’avaient délivrée ; ils étaient enchantés d’avoir sauvé des nobles, ils attendaient tes émigrés, et puisque j’étais aristocrate, ils voulaient me faire embrasser Marie-Jeanne : ils appelaient ainsi une superbe pièce de canon de douze, la première qu’ils eussent prise, une des six pièces du château de Richelieu. Le cardinal avait fait fondre ces canons, en les chargeant d’omementfe & sa gloire et à celle de Louis XIII ; elles étaient d’un travail aussi fini que tout ce qu’on peut voir de plus parfait. Les paysans avaient un respect superstitieux pour Marie-Jeanne, et croyaient qu’elle leur assurait la victoire. Je trouvai ce canon sur le milieu de la place, entouré de paysans qui l’embrassaient et’l’admiraient ; autour il y en avait treize autres de tout calibre. *

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. Le soir, nous fûmes surpris et édifie» de voir dans chaque chambre tous les soldats à genoux, répétant le chapelet dit par Vun d’eux, et nous apprîmes qu’ils ne manquaient jamais de le faire trois fois par jour, Bressuire ne fut point pillé, à l’exception de trois ou quatre maisons, où on cassa leà meubles cependant, les paysans portaient une telle hairtb ù la Villéi qu’ils démolissaient les murs à coups de pique.

Je ne veux pas oublier deux traits qui prouveront la bonté et la douceur de ces pauvres gens : nous étions dans une chambre avec une trentaine de soldats ; je les entendis se demander les uns aux autres du tabac et à’affllger de n’en pas avoir ; j’interrogeai l’un d’eux, pour savoir si on n’en trouverait pas dans la ville ; il me répondit qu’on en vendait, mais que n’ayant pas d’argent pour en acheter, ils aimeraient mieux mourir que piller. Je chargeai cet homme d’aller en chercher deux livres, et je les lui donnai pour ses camarades ; j’eus beaucoup de peine à les faire accepter. Je vis 1 dans la rue deux cavaliers se poursuivant : l’un reçut un léger coup de sabre, il allait le rendre à son camarade ; mon père, se trouvant là, lui retint le bras en lui disant : «Jésus-Christ a pardonné à ses bourreaux, et tu es de l’armée catholique ! à Aussitôt cet homme embrassa l’autre. À ce propos, je dirai que, tout le temps que j’ai été à l’armée, il n’y a jamais eu de duel. On se battait si souvent contre les Bleus, et on avait si peu d’officiers, qu’on leur faisait sentir la nécessité de se conserver pour les batailles ; les soldats les imitaient.

L’armée alors à Bressuire était composée d’Angevins et de Poitevins des environs de Cholet, Beaupréau, Chemillé, Coron, Aîortagne, Maulévrier, Châtillon, Bressuire, etc. ; elle se distinguait des autres par le nom de ta Grande Armée} sa force était presque égale à toutes les autres ensemble. Elle était ordinairement de vingt mille hommes, et dans les grands rassemblements, aisément de quarante mille. C’est elle qui a fait les exploits les plus grands, comme on le verra parla suite, car

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elle était exposée à beaucoup plus d’ennemis. Dans le fond du pays commandait Charotte ; son plus fort rassemblement allait à vingt mille hommes ; il avait ft se défendre contre Nantes et les Sables. Du côté de Montaigu était l’armée de Royrand, qui faisait douze mille hommes, et n’avait à surveiller que Luçon ; de l’autre côté, le poste commandé par MM. de Lyrot etd’Ésigny se défendait aussi de Nantes : le rassemblement pouvait aller à trois ou quatre mille hommes* L’armée de Bonchàmps était opposée à Angers ; elle était de dix à douze mille hommes, mais elle sc réunissait souvent à la grande armée. On le voit, ces différents corps, entourés par la Loire, la mer, lès marais de Luçon et la grande armée, ’ne pouvaient se battre que sur leur terrain ;, au contraire la grande armée, soutenue par les autres sur ses derrières, n’avait devant elle ni par côté aucune barrière -naturelle, et, par conséquent, avait un grand pays à défendre : la Châtaigneraie, Fontenay, Parthenay, Airvault, Thouars, Vihiers, Doué, Sau mur, tout se réunissait contre elle ; c’est pourquoi elle a livré tant de combats et pris tant de villes.

Tâchons maintenant d’expliquer comment elle était commandée. 11 n’y avait point eu de nomination de généraux ; les hommes obéissaient & ceux en qui ils avaient confiance.

M. d’Elbée menait les paysans -des environs de Beaupréau et Cholet ; c’était un petit homme de quarante ans ; il n’avait jamais été que sous-lieutenant d’infanterie et était retiré du service depuis quinze ans. Il était brave et dévot au suprême degré ; il ne savait des combats que s’avancer, en disant : « Mes enfants, la Providence vous donnera là victoire » ; les soldats le regardaient comme la bànnlèré. Il avait de l’amour-propre, un dévouement entier, d’excellentes intentions, un enthousiasme extrême ; du reste, c’était un homme de paille. Cependant tout le mon4e avait infiniment d’estime et de déférence pour lui. Il était d’aîlepolitesse excessive, mais fort vif, et s’emportait, répétant gravement : Confions-nous à la Providence.

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Stofflet (i), garde-chasse de Maulévrier, commandait toute cette partie : c’était un homme grand* ûgé de Quarante ans ; 11 avait été soldat dans un régiment allemand ; rempli d’ambition, il a depuis perdu L’armée par ce défaut môme, qu’il ne paraissait pas encore avoir ; tout le monde alors, ainsi que lui, ne poursuivait qu’un but, celui de faire le mieux possible. Les soldats ne l’aimaient pas, le trouvant trop dur, mais ils lui obéissaient mieux qu’à personne* Brave, actif, intelligent, les officiers l’estimaient beaucoup, et il était utile, en ce que les soldats lui étaient soumis. [À la fin, de mauvais conseillers sè sont emparés de son esprit, l’ont gouverné et lui ont inspiré un orgueil, une vanité qui ne lui étaient pas naturels ; cela lui a fait commettre de grandes fautes, qui ont causé beaucoup de tort au parti. J

Cathelineau, paysan du Pin-en-Mauges, commandait toutes les Mauges. C’était un homme d’environ trente-quatre ans, d’une douceur, d’une modestie, d’une bravoure et d’une intelligence rares ; il se mettait toujours à la dernière place, quoiqu’on lui rendît tout plein d’égards ; tout le monde l’adorait, et les soldats l’appelaient le Saint d’Anjou, à cause de sa grande piété, comme ils o.nt appelé depuis M. de Lescure, le Saint du Poitou.

M. de la Rochejaquelein commandait les environs de Châtillon ; son courage, qu’il poussait souvent jusqu’à la témérité, lui avait fait donner le surnom à' Intrépide. Il avait le coup d’œil extrêmement juste et des dispositions naturelles étonnantes pour la guerre ; ses défauts étaient de s’occuper peu du conseil, quoiqu’il eût d’excellentes idées, et d’être quelquefois emporté par son courage à s’exposer comme un fou sans nécessité, quand les

Bleus étaient en déroute. Souvent on le lui reprochait ; U disait :

l, : (0 Jean-Nicolas Stofflct, né à Bathelémont-lès-Bausernont, en Lorraine, le 3 fléwler 175$, ancien militaire, garde-chasse au château de Maulévrier, près Cholet, devint un des principaux chefs de la Vendée. Il fut arrêté par trahison à ta Saugrenièro, prés la liait, et fusitlé k Angers le a 5 février 1796.

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« Pourquoi veu*.on que je sois général) Je suis trop jeune, je voudrais être hus&ard* pour avoir le plaisir de me battre, »Jamais il n’a faitun prisonnier sans lui donner la possibilité de lutter corps à corps avec lui, ]

M, de Lescure commandait les environs de Bressuire ; aussi brave qu’Henri, U était beaucoup plus réfléchi ; rien n’égalait son sang-froid. Il avait étudié toute sa vie la tactique, aussi était-il l’officier de l’armée le plus Instruit, le seul même capable d’attaquer et de défendre des places ; à cette époque, il n’avait que la théorie. Son seul défaut était l’entêtement. Les officiers le respectaient et l’aimaient infiniment ; c’était lui qui les instruisait tous, pour leur faire comprendre les fortifications des camps des Bleus, Ces deux amis n’avaient nulie ambition et étaient unis comme deux frères ; tout le monde les aimait et ne parlait que de leur courage.

Tels étaient les généraux de t’armée ; il faut y ajouter mon père i étant maréchal de camp et ayant fait les guerres d’Allemagne, il aurait dû avoir autorité sur les autres, mais il ne s’en souciait pas, n’ayant nulie ambition ; il ne désirait qu’être à l’armée. Cependant on lui témoignait beaucoup de respect ; s’il eût voulu ne pas toujours se mettre de côté, il eût commandé ; mais naturellement timide et peu communicatif, U se tenait à l’écart (1).

J’en citerai un trait comique. Le jour de son arrivée à l’armée, M. d’Elbée lui dit de compter qu’il ferait savoir au Roi sa. conduite, quand la contre-révolution serait faite, par un de ses parents, écuyer de M, le prince de Condé ; si mon père avait dit qu’il était gentilhomme d’honneur de Monsieur’et avait passé sa vie à la cour, M. d’Elbée* qui n’était pas dépourvu d’ambition,

(1) M. de Donnissan avait la meilleure tâte de tout le» chefs, voyait très bien les événements, mais il ne communiquait guère ses idées. Il avsit prévu dès te commencement les tristes suites de cette guerre et m fin déplorable. (Note du manuscrit.

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et les autres, se seraient soumis à lui ; au lieu de cela, il remercia beaucoup M. d’Elbée, en lui disant qu’il né désirait rien du Roi que l’honneur de le servir, et c’était vrai. \ En général, tels étaient los sentiments de presque tous les officiers de la Vendée ; on ne les entendait jamais parier de récompenses qu’ils espéraient du Roi, et, se sacrifiant pour lui, ils regardaient que c’était tout simplement leur devoir, et qu’ils n’y avaient nul mérite. M. d’Elbée lui-même, comme on voit, croyait qu’il serait avantageux à mon père de connaître un écuyer du prince de Condé, et je pense que bien peu, & la place de mon père, eussent laisser ignorer ce qu’ils étaient]

M. de Bonchamps, qui se trouvait dans ce moment à Bressuire avec son armée, était un homme de trente-deux ans ; il avait fait la guerre dans les Indes sous M. de Suffren. Tout le monde lui accordait infiniment de talent et de bravoure ; il n’y avait qu’une voix sur son compte. Il était malheureux, car il ne pouvait aller au feu sans recevoir quelque blessure, et souvent par là son armée était privée d’un excellent général. Toute la grande armée l’aimait, et il était regardé comme le plus habile des chefs ; il n’avait nulle ambition et était aussi généreux que brave.

M. de Dommaigné (i) commandait la cavalerie ; c’était un très brave homme.

IA. deMarîgny fut mis à la tète de l’artillerie ; j’ai déjà peint son caractère ; il connaissait parfaitement tout ce qui regardait cette partie du militaire et aurait été excellent dans l’arme, ayant autant de talent que de courage, si son excessive vivacité ne lui* eût pas fait souvent tourner la tête par trop d’ardeur ; aussi a-t-il presque autant fait perdre que gagner de batailles. Du reste, il savait très bien son état, s’étant particulièrement attaché

(i) Jean-Baptistc-Louls-Étienno de Dommaigné, comte de Brûlots, baptisé le s s novembre 1749 k Saint-Augustin d’Angers, BU de J, B. I.. de Dommaigné, seigneur de ta Gaîonnière et de ta RocUe-Hue en Anjou ; Il avait été garde du corps en 17^8 et gendarme de la garde en 1773.

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ù l’artillerie dans la marine et ayant partidpé à plusieurs des* centes pendant là guerre contre les Anglais.

Ces chefs avalent une égale autorité, à l’exception de M.dè Dommaigné ; il y avait aussi deux autres personnes regardées comme généraux : le premier, M. de Boisÿ'(i), maladif, et, par cette raison, fort rarement h l’armée ; le second, M. Duhoux d’Hauterlve (2), beau-frère de M. d’Élbée, chevalier de Saint-Louis, mais qui ne marquait pas beaucoup ; c’était un honnête homme, qui faisait de son mieux : ces deux messieurs étaient pour ainsi dire des généraux honoraires.

On sera surpris de voir une armée avec autant de chefs, et on croira que cela devait occasionner des dissensions, mais du tout : chacun rivalisait de zèle, et d’ailleurs on n’avait pas le temps de discuter, on ne pensait qu’à se battre, et la plus parfaite

union régnait entre tdüs.

. MM. de Fleuriot (S) étaient de l’armée de Bonchamps, anciens et bons militaires. ’ 1

Il y avait en outre des officiers qui commandaient indifféremment aux postes où on les ihèttait. Parmi lès plûé brèves d’alors étaient MM. Forestier, Forest, Villeneuve du Cazeaufa),

(1) Pierre-Prosper Oouflîor, chevalier, marquis de Boisy, seigneur de Landchaudiéro, né su. château de la Courtaiserlo, en Anjou, le 5 octobre 1750. Pris et fasiUé À Noirmoutier, le 9 janvier 1794.

(a) Pierre Duhoux d’Hauterivc, né le ta août 1746, fils de Jean Duhoux dUau* terive, gouverneur de Noirmoutier, et de Charlotte de Juliot. Page du prince de Condé, 'sous»lieutenant À la légion de Condè en 1766, capitaine au régiment de Cambrésis en 1778, démissionnaire et chevalier de Saint-Louis en 1787. Il avait d’abord rejoint l’armée de Condé, puis l’armée vendéenne. Il fut pris et fa allié S Noirmoutier le 9 Janvier 1794.

(3) Jacques de Fleuriot de U Frcu Itère, né k Ancenls te 1* msi J 736, page de

la Reine en 1750, lieutenant de cavalerie en 1757, chevalier de Saint-Louis en 1776. II fut grièvement blessé k l’attaque do Nantes le s7 Juin 1793, et mourut à fiaint-Florent-le-Vieii.

Son frère, Jacques-Nicolas, né À Ancenls le 3 o octobre > 738, capitaine de cavalerie en 1780, chevalier de Saint-Louis, maréchal des logis aux gardes du corps en >78$. Général de l’armée vendéenne, 11 fat retraité an 1816 comme maréchal de camp, commandeur de Saint-Louis, et mourut À Omblepled, près Ancenls, le ’ao octobre 1824.

(4) Louis-Augustin de Villeneuve du Cornu, chevalier, seigneur do Pontreau,

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les frères de Cafhèüheau (i), le chevalier iDüHoux (»), le chev^ lier de Bekurepalre(3)qui rejoignit à Bres&uifô, MM.deCou€tus(4), : des Nouhes (5), de Dieusic (6), de Jousselin (7)* de la Pelouse (8) t

j ans ta paroieso do Salnt-Piorro do Cholot, Alt baptisé au May la ay février 17W. C’est lui sans doute qui fut pris et condamné A mort par le tribunal criminel de Nantes, te 38 nivôse an II, 17 janvier 1794, nous la désignation do * Loulii-FmnçoU Villeneuve, Agé de tronto-six ans, ayant commandé des Brigands dès le mois de mars. » Son père, Gabriel-Louis de Villeneuve, chevalier, seigneur de la Poizottière, baptisé au May le 17 août 170a, avait épousé Marie-Élisabeth des Herbiers de l’Étanduùre et avait acquis on 1761 la seigneurie du Corca u, dans la paroisse du May, prés Cholot. Quoique âgé de 71 ans, il fit la campagne d’eutre-Lolre et périt À Blaln, le 18 novembre 179S.

(t) Jean, l’atnd de la famille, né la 5 décembro 17SG, tué À Savenay le s 3 décembre «7 q 3} Pierre, né le 37 décembro 17C7, blessé prés de Cholet, mort d’une fièvre putride au Pln-en-Maugw, en mars 1794) Joseph, né le a 3 mai 1773, fait prisonnier À Chalonnes, exécuté À Angora le 37 mars 179$.

(3) U chevalier Duhoux était neveu du général républicain du mémo nom, et cousin de M. Duhoux d’Hauterive, officier vendéen,

(3) Pierre-Marie-René Plot, chevalier, soigneur do Bèaurepaire en Anjou, né À la Coussaye, près Bressuire, te 33 décembre 1771, fut un des plus brillants officiers de in Vendée. Il prit port À tous les combats de 1793 A 1796, et devint adjudant général de l’armée d’Àutichamp. La Restauration lui donna le brevet de colonel de cavalerie et de chevalier de Saint-Louis. U mourut À Poitiers le S lévrier tSas. Sa mère, née de Feydeau, ftit massacrée et son péro fusillé À Savenay ; son oncle, guillotiné} un de te* frères mourut on combattant, un autre en prison ; sa sœur échappa aux noyades de Nantes et sauva par son courage le dernier de ses frères \ elle » depuis épousé, À Poitiers, le comte de Lusignan.

(4) Jean-Baptistc-René de Couétus de la Vallée, né À Nantes te 16 juillet 1744. Ancien page de la Reine, cornette de cavalerie, lieutenant en 1766, chevalier de Saint-Louis, démissionnaire en 1768. U se battit on Vendée jusqu’aux préliminaires de la paix ; pendant ta suspension des hostilités, il fut arrêté par surprise au Clouxeau, près Chalitns, et fusillé le 7 nivôse an IV, «S décembre 1795.

(5) AJcxis-Hüaire, fils d’Alexis-Henri des Nouhes et de Marie-Anne d’Aulx, né en 1756 À Pouzauges en bas Poitou, s’enrôla en 1777 su régiment de Condédragons ; congédié l’année suivante comme gentilhomme, U entra en 1779 dans tes volontaires du chevalier de Larmlnat. En 1783 il épousa Jeanne-Madeleine Mercier de Marigny et quitta le service en 179t. Il se distingua dans la grande armée vendéenne, comme major de la division des Aubiers, et fut sabré dans les rues de Savenay..

(6) Chantal-Louis-Blousie-Guy-Lancelot de Dleusie, né le 37 février 1773, A Sainto-Gcmmes-d’Andigné, en Anjou. Ancien page du roi, il fit les campagnes de 1s grandéarmée vendéenne, puis passa en Bretagne où 11 commanda une. troupe de Chouans, H fut pris et massacré près de Laval, au mois d’août 179$.

<7) Louift-Chartes-Emmanue), marquis de Jousselin, né le a5 octobre 1774 À la Gaucherle-aux-Dsmes, paroisse de Montllliors, en Anjou. Il reçut en tôt 5 le brevet de colonel d’infanterie, chevalier de Saint-Louis, et mourut À Angers le 34 mal 1854..

(6) Camille-Abraham Carrefourt, chevalier, seigneur de la Pelouse en Saumurais, né À Lyon le 39 avril <734, capitaine d’artillerie en 1760, chevalier de Saint-

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de Saujon (i), les Taxiez Tranquille (a), Vandangeon (3), le» Soyer (4), Bernard (5), les Blouin (6), Bonin (7), de Bruucourt (8) v Genay (9), Girard de Beaurepalre <iô), les Mar*

Loulton 1770, chef do brigade au régiment do Grenoble «n 1776, quitta le service en 1778, Condamné À Saumur le 28 août 1793, H fut oxécuté sur là place do la Gllango.

(t) San» doute Charles-Alexandre de Campot de 8au)on, baptisé le 18 lévrier 1743', fils de Jean-Françolt-Êléonor, seigneur de Prlnçay, dans la paroisse devantes, près Chlzé en Poitou, et do Charlotte Cafetan d’Exéa. Il avait épousé en 1770 Meriesfacquos Doxmler,

(s) Jean Châtelain, surnommé Tranquille, né À Cholot le 30 septembre 176S. Ses services et sa bravoure lui valurent, en 1814, le brevet de maréchal de camp. Le roi l’anoblit et lut donna la croix de Selnt-Louis. Il mourut le u juin (848, à fcbomlré, près Baugé.

(3) Jacquet Vandangeon, dit le Sabraur, parce qu’après la bataille de Fontenay, il poursuivit avec acharnement tes Bleus qui emmenaient la pièce de canon Marie-Jeanne, et en sabra de sa main une trentaine. Il était né À Yzernsy le i 5 août 1769, ot.jnaurut Jc-*8 décembre 1849. Son père, né à BouxlUé, prés Ancenls, te >5 Janvier t 736, avait été dénoncé pour son xèle à seconder et secourir les Vondéent. Il fut deux fois arrêté et emprisonné à Choiet, puis conduit à Noirmoutier et’mis à mort.

(4) Les Soyer étaient quatre frères : René-François, né AThouarcé, prés Angers, te 5 septembre 1767, devint évêque de Luçon en iSai et mourut le 5 mai 184b ; Jean, né en 1770, major général de l’armée d’Anjou, chevalier de Saint-Louis, reçut en 18x6 le brevet de maréchal de camp, et mourut le 17 octobre 18a 3 ; François, né en 1775, Ait breveté colonel et chevalier de Saint-Louis, et mourut en x 855 } Louis-Pierre, né on 1777, breveté chef de bataillon et chevalier do Saint-Loule, mort en 1860.

(5) Charies-ÉUe Bernard, né À Fonteney-le-Comte le >5 mars 175a, fit la canepagno d’outre-Loîre. Fermier général de la terre de Puyguyon, à Cerisay, Il mourut le 3 1er octobre 18a r.

(6) Deux Louis Blouin étaient partis de Trémentlncs près Choiet t l’un, fermier à la Bréchatlère, est mort le ‘9 avril i 8 a 5, A soixante-dix-huit ans} l’autre, aubergiste À la Coindrie, .mourut le 9 décembre <804, à cinquante-huit ans,

(7) Benott-Ambrolse-Henri Bonin, mort aux Aubiers, canton de Chàtillon-sur-Sèvre, le 1 *» mars i 85 a, À l’Age de quatre-vingt-deux ans.

(8) Louis-Joseph-Marie de Braucourt, né au Cottel, paroisse du Pellerin, près Paimbeeuf, le sa février 1770, était contrôleur générai surnuméraire. D’abord aide de camp de Charcttc, il assista è toutes les batailles Jusqu’en 1798, reçut plusieurs blessures, eut Poil enlevé d’un coup de sabre, Ait deux fois condamné à mort et parvint & se sauver. Chevalier de Saint-Louis en 1816, il mourut è Luçon le 37 avril iSaS.

(9) Joseph Genay, Aïs de Jean Genay, originaire de la Chètaignerie, sénéchal de Courlay, ’et de Marie Garnier des Marmeniéres. Il mourut è Courlay, le ao Juillet 1845, âgé de 8a ans. ^

(to) Charles-Eusèbc -Gabriel Girard, chevalier, seigneur de Beaurepalre, près Montalgu, fut blessé de douze coups de sabre au second combat du Mouiinaux-Cbèvres, et mourut A Fougères.

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tin (i), O’Doly (a) v Tonnelet (3), le.vaillant chevalier des Essarts, Guignard (4), Cady (5), Bourasseau, et bien d’autres, nobles et bourgeois.

Étaient officiers de droit : tout ancien militaire, les nobles du pays, ceux en qui les paysans mettaient leur confiance et ceux qui se distinguaient, et cela sans nomination ; les généraux les chargeaient de commander, et chacun agissait de son mieux.

Pour achever l’esquisse de la grande armée et des autres en même temps, j’ajouterai que les paysans se rassemblaient. sur l’ordre.de leurs chefs, mais, le lendemain de la bataille gagnée ou perdue, il n’y avait plus personne ; ils s’en retournaient tous chéz eux, il était impossible de les retenir ; ils revenaient sur-lechamp quand on les rappelait. Les réquisitions étaient conçues en ces termes î « Au Saint Nom de Dieu, de par te Roi, telle paroisse est invitée à envoyer le plus d’hommes possible, tel jour, à tel endroit ; on aura soin d’apporter des armes et des vivres. Signé : Un tel. »

Aussitôt les paysans sonnaient le tocsin, et c’était à qui partirait. Les soldats apportaient chacun du pain ; en outre, les généraux avaient soin de faire tuer des bœufs, qu’ils prenaient chez les particuliers, à l’estimation, sur un reçu de leur main, et

( !) Plusieurs Mèrtln se sont distingués dans les guerres de ta Vendée : deux frfcres souvent cités ; un paysan du Volde avec ses quatre fils ; un, de la Pomworaye, ancien gendarme ; Tristan Martin, de Montrevault, né le a août 1765, breveté sous U Restauration colonel et chevalier de Solnt-Louls, mort à son château du Verger le vj janvier 1826 ; Jean-Baptiste Martia-Bsùdlaiére, néi la POmmersye le eo février 17%, breveté en iSifi colonel et chevalier de Saint-Louis.

(») Jacques-André-Maurice O’Dslyî d’une famllFé originelle 4’Mènde, fil* 4« Jean-Barthèlemy ODsly de Duglas, conseiller du Roi en l’élection 4e ChAtülon, et de Jean nc-Frsoçoisc-Antot nette Brunet du Mesller. Ils étalent trois frères t le plus jeuno ft»t tué en combattant, tes deux autres furent guillotiné* à Nantes.

(3) René Tonnelet, garde-chasse du comte do Colbert, À Tout-Ie*Monde, paroisse des Ëcheubroignes.

ÎS H c°ü ri '^ îaU ? C ^“hpwrd, de TlflStuges, andeu «atdsrmg A RocKo-Serviére.

(5) Sébastien-Jacques Cady, né À Salm^urcoMc-la-Wsine, pr&Cbslannes, ebirurgten et très brave officier de la grsnde swnée, reprit les armes en 1706, fat retraité par U Restauration comme colonel, chevalier de Saint-Louis, devint maire de Sslnt-Uurent et y mourut le igjvril 1830, & l’Age de 66 ans,

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ils faisaient boulanger dans le lieu du rassemblement. C’était à qui fournirait du pain et de la viande. Il était défendu aux femmes de paraître & l’armée, mais c’était à qui se trouverait sur son passage, pour offrir à manger ; elles se mettaient à genoux à. dire leur chapelet pendant que l’armée défilait. On peut juger par là de l’enthousiasme général du pays, Pour ne pas écraser le paysan, on avait soin de faire surtout prendre des vivres chez les nobles, émigrés ou non ; le rassemblement ne durait jamais que deux ou trois jours.

Il n’y avait ni tentes ni bagages, et ce qui étonnera le plus, pas une sentinelle, car jamais paysan n’a voulu consentir à monter la garde, même étant payé ; il n’y avait presque jamais de patrouille. C’était un officier qui allait seul à la découverte pour former des colonnes et diriger les troupes ; on disait. : Monsieur un tel va par tel chemin, qui le suit ? Les soldats qui l’aimaient se menaient en marche ; quand on voyait qu’il y en avait assez de ce côté, on les faisait passer par un autre. Celui qui avait un commandement emmenait avec lui quelques officiers, et là il séparait, sa troupe en plusieurs corps, de la même manière ; on se mettait à une croisée de chemins, on faisait passer chacun d’un côté et de l’autre ; on ne disait jamais : À droite, à gauche, mais : Allen du côté de cette maison, du côté de cet arbre, Tous ces détails paraîtront des rêves, je répète qu’ils sont vrais.

Les chefs portaient habituellement, pendant l’été, des vestes, gilets et pantalons de siamoise de toutes couleurs, fabriquée à Cholet ; quelques-uns avaient des vestes de drap vert avec des collets noirs ou blancs. Quand il faisait froid, ils mettaient des redingotes, même des habits, comme avant la guerre ; Henri a fait toute la campagne avec une redingote bleue. On peut dire que chacun s’habillait avec ce qu’il avait et comme il pouvait.]

Je ne puis finir ce qui concerne l’armée sans parler des hôpitaux ; jamais on n’en a eu de mieux servis que ceux de la

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grande armée. Il y avait à Saint-Laurent-sur-Sèvre le chef d’un ordre de sœurs grises, appelées Sœurs de la Sagesse ; cet établissement n’était pas encore détruit, et comme plusieurs maisons qui en dépendaient avaient été ruinées, il s’y trouvait cent religieuses hospitalières réunies. Dans le même bourg étaient les missionnaires du Saint-Esprit. Ces deux communautés s’étalent chargées des blessés et en prenaient les plus grands soins ; dans divers autres endroits, des chirurgiens en rassemblaient aussi ; les Bleus étaient soignés absolument comme les nôtres.

Nous partîmes le 4 au matin de Bressuire, maman, ma tante, M. d’Auzon, ML et M 11 * des Essarts et moi. Quand nous fûmes à un quart de lieue de Châtillon, tous les gens de la ville vinrent au-devant de nous, sous les, armes, avec un tambour & leur tète ; ils criaient : Vive le Roi % vive la noblesse, vivent les prêtres ! Ils nous demandaient où étaient M. de Lescure et les autres ; nous leur répondions : À l’armée. Les cris de Vive la noblesse redoublaient ; nous pleurions d’attendrissement et de joie. A notre arrivée à Châtillon, une espèce de conseil de ville qu’on avait établi vient nous complimenter et nous force d’accepter d’être reconduits par une garde d’honneur ; nous la congédions au bout d’un quart de lieue, en lui donnant trente louis ; nous arrivons le soir à la Boulaye et nous nous y établissons.

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CHAPITRE IX

DEPUIS LE 5 MAI i ; p3

JOUR DE LA PRISE DE THOUARS

JUSQU’À LA PRISE DE FONTENAY-LE -PEUPLE (i) CI-DEVANT LE-COMTE

CHEF-LIEU DU DÉPARTEMENT DE LA VENDÉE (a)

M s voici arrivée à U relation des batailles de la Vendée. Je pense en avoir oublié, et je ne rapporterai pas même toutes les dispositions de celles que je décrirai ; je dirai seulement ce que je sais de positif* Le combat deThouars est très célèbre, et, de plus, fort intéressant pour, moi, à cause de la conduite extraordinaire qu’y tint M. de Lescure, et qui le fit connaître & toute l’armée. Le pont de Vrine est situé Â une demi-Ueue, sur une petite rivière, le Thouet, qui de là coule au bas de la ville ; les Bleus l’avaient presque entièrement coupé, & l’exception d’un passage étroit qu’ils, avaient fermé par une charrette pleine de fumier et renversée ; derrière, ils avaient formé un retranchement défendu par cent cinquante volontaires et des canons. En face et tout près du pont est un rocher & pic ; MM. de la Rochejaquelein et de Lescure furent envoyés sur

(i) Le tb mai.

(a) Le chef-lieu fût transféré à La Roche-sur-Yon par décret du 04 mal 1804.

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ccttc hauteur avec mille à douze cents hommes pour commencer l’attaque, On leur avait dit que toute l’armée se trouverait deux heures après aux portes de la ville, mais, au lieu de cela, cette escarmouche dura sept heures. La poudre allait manquer, Henri court & cheval pour en chercher et presser la marche des troupes, M. de Lescure reste seul & commander ; il s’aperçoit que les Bleus commencent & s’ébranler ; alors, n’écoutant que son courage, il prend un fusil à baïonnette, crie aux soldats d’avancer, et, descendant du rocher, il arrive jusque sur le pont ; là il reçoit toute une décharge de mousqueterie et de mitraille qui traverse ses habits ; s’apercevant qu’aucun paysan n’a osé le suivre, il remonte, les appelle, redescend, retourne sur le pont, reçoit une nouvelle décharge, et, se voyant absolument seul, il revient chercher les paysans et retourne au pont pour la troisième fois ; alors, suivi d’un seul soldat, mais voyant arriver MM. de la Roche jaquelein et Forest au grand galop pour le seconder, il franchit le pont le premier, le soldat le second, celui-d est blessé ; Henri, descendu de cheval, passe le troisième, Forest le quatrième ; ils se jettent dans les retranchements, les paysans accourent en foule, et tous les Bleus qui s’y trouvaient se rendent ; ces messieurs restèrent pour garder le passage et les prisonniers. L’attaque générale commença ; mon père et M. de Marigny prenaient par le pont Saint-Jean, MM. d’Elbée, Stofflet par le côté opposé, M. de Bonchamps par un autre (i).

Âu bout de deux heures de combat, la ville se rendit. Pendant la bataille, M. de Lescure et Henri faisaient démolir sans bruit le mur de la ville, à coups de pique, par les soldats ; sitôt que la brèche fut faite, tis entrèrent (s) avec une partie dè leur monde pour ouvrir la porte à M. d’Elbée ; ils arrivèrent dans le

(i) Vo !r 4 l’appendice, note 1.

<*) Honri agrandit de Ma malt» ta brèche et la franchit le premier, étant monté sur les épaulea de TouiMint Texier, un des plus intrépides parmi les braves. Né & Courlay en bas Poitou le 04 mars 1769, Texier fut nommé sous la Restauration

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moment où le général Quétineau lui présentait les clefs de la ville et les drapeaux ; rien ne fut pillé dans Thouars, quoiqu’on pût dire qu’il fut pris d’assaut. Les paysans coururent’aux églises prier Dieu, sonner les cloches, et s’amusèrent, suivant leur usage, à brûler les arbres de la liberté, les papiers du district et de la municipalité ; Us ne prirent dans la ville que les armes et autres effets de guerre. C’est ainsi que ces pauvres Vendéens, qu’on appelait Brigands, se conduisaient dans toutes les villes dont ils s’emparaient ; je ne le répéterai plus, parce que c’était de même partout. L’amour de la vérité me force cependant d’ajouter que, tors du commencement de la révolte et de la première prise de Machecoul, on y commit plusieurs actes de barbarie ; c’est l’armée de Charettequi les fit, et je ne sais s’il y était alors ; en tout cas, c’est la seule et unique fois qu’on eut quelque reproche à faire aux Vendéens dans une des armées.

Ce combat fit la réputation de M. de Lescure, tous en parlaient avec admiration ; les paysans qui en revenaient et que je rencontrai à la Boulaye, où pas un ne me connaissait, me vantaient leur nouveau général, et m’assuraient que sûrement il était vrai que le bon Dieu écartait de lui les balles, parce que c’était un saint ; sans cela 11 aurait été tué, tant il s’étàit exposé. Cette opinion s’accrédita parmi ces bonnes gens ; ils croyaient qu’en se mettant derrière lui, rien ne pouvait les atteindre et qu’il était invulnérable ; les officiers comme les soldats lui obéissaient à l’envi. Il m’a dit les raisons qui l’avaient poussé à s’exposer si singulièrement ; depuis il l’a fait encore autant, mais par réflexion, pour entraîner ses soldats, n’étant jamais plus de sang-froid que dans les plus grands périls. Il me dit donc que : 1° la joie de se trouver à la première bataille lui avait fait perdre la tête et

cheyaUec de 1 à Légion d’honneur, et mourut à Sunay, commune de ChAtlllon-sur* Thouet, le 09 mare 1847.

Son frère ainé, Joseph, né le * janvier 176s, montra la plue grande valeur, reçut sept belles dans divers engagements, et mourut I Courlay, canton de Cerlsay, le 6 janvier t 83 a.

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l’avait rendu téméraire & l’excès ; 29 ayant vu que l’essentiel était d’inspirer de la confiance aux paysans, Il avait voulu la mériter sur-le-champ.

Nous perdîmes très peu de monde à Thouara, quoique le combat eût duré onze heures ; les Bleus eurent cinq ou six cents hommes de tués ; nous prîmes beaucoup de canons, de fusils, de poudre, et trois mille prisonniers ; le reste se sauva. On le» renvoya presque tous, la plupart étaient des pères de famille de la garde nationale sédentaire des environs ; deux cents à peu près furent gardés prisonniers et suivirent l’armée* Quant & Quétineau, il dit à M, de Lescure : « Monsieur, tout le monde ne vous a pas oubliés à Bressuire ; je vis bien en partant vos volets fermés, mais j’étais loin de vouloir vous nuire. » Comme M. de Lescure savait, ainsi que tous les officiers, qu’il s’était conduit en honnête homme, tout le temps de son commandement, il demanda d’être maître d’en disposer, ce qu’on lui accorda ; ü l’emmena dans sa chambre, et lui dit ï « Quétineau, vous êtes libre, vous pouvez partir ; je ne vous propose pas de prendre parti avec nous, parce que ce n’est pas votre opinion, mais je vous engage à rester prisonnier sur parole dans la ville royaliste que vous voudrez ; vous y serez bien traité, et cela ne vous compromettra pas vis-à-vis de là république ; au lieu que, si vous allez trouver les Bleus, on vous fera périr pour avoir rendu la ville, malgré votre belle défense. » Quétineau lui répondit : « J’estime davantage mon parti, je ne doute pas qu’on me rende justice, car je n’ai livré la ville que forcé par le gros de l’armée catholique et voyant les paysans entrer en foule par’la brèche ; alors j’ai couru au district en disant : « La ville est prise d’assaut, tous vont être passés au fil de l’épée, je n’ai que l’espoir de pouvoir fléchir le vainqueur en ouvrant moi-même les portes sur-le-champ. »Un administrateur du district s’étant écrié avec désespoir :

« Eh bien, si j’avais un pistolet, je me brûlerais la cervelle », Quétineau, avec un grand sang-froid, en avait pris un à sa cein-

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turc et le lui mit présenté, Le pauvre administrateur se résigna alors à capituler,) Quétineau ajouta que sa femme était, dans la république ; que, libre de choisir, il préférait s’en aller, car sans cela il ne pourrait répondre aux accusations de ses ennemis, et prouver qu’il avait fait son devoir (i). Cet homme conserva toujours ce caractère loyal ; il ne s’abaissa à aucune supplication et partit plein d’estime pour la générosité et la valeur des Vendéens

Quelques soldats prirent parti avec nous, surtout des gens de Loudun : nous y îîmeB une bonne recrue d’officiers ; fi vint nous joindre de cette ville t MM. de Beauvollier aîné (3), de la Marsonnlère (4), de Sanglier et de Mondion*

(i) Quétineau, pendant la séjour de l’armé* vendéenne à Thouare, habita wns» tamment la même malien que le* officiera supérieur* ; Il mangeait avec eu*. Quelques-uns eurent lo tort de l’insulter, l«a principaux cheft prirent hautement $a défense. On ne lui ôta point tel arme*. On voulut lui persuader de ne p«* »e livrer & des hommes qui traitaient les malheureux comme des traîtres : « Penee*-vous, dlt-ll, que je n’ale pas bit mon devoir ? — Général, voua vous êtes conduit comme un bravo, tout le monde voue rond justice dans l’armée catholique. * Il redoutait d’être mésestimé des Vendéens, et surtout do son parti. (Note du manuscrit.)

(a) Passeport donné au commandant Quétineau, à Thouare, le 8 mai 1793, par

les généraux vendéens.

« Noue, généraux de 2 'armée catholique et royale, permettons à M. Pierre Que* tineau, breveté lieutenant-colonel d’un bataillon de volontaires, commandant la garnison de Thouare, d’aller où bon lui semblera, convaincue que l’honneur le portera, tant qu’il restera prisonnier, 4 ne point porter les armes contre nous, a moins qu’un échange ou autre arrangement de droit ne Paît délivré de sa ^ptivlté. Le même sentiment l’engagera, noue l’espérons, à rendre un compte sincère et fidèle de le manière humaine et généreuse avec laquelle nous nous sommes conduits enve» les troupes laites prisonnières sous ses ordres, le dimanche 6 du courant

« Fait à Thouara, le 8 mal 1798…

« Donnlsaan. D’Elbée. Leseure. La Rochejaqueleîn. Cathelineau. Stoffiet Bonchamps,

« Le lieutenant-colonel Quétineau. », ,., ..

(3) Pierre-Louis, comte de Beauvollier, né 4 Beuxes, prés Loudun, le *4 J®*® 1761, seigneur deSammarçolles, ancien page du Roi, Intendant et trésorier jenérti de l’armée vendéenne, prit part 4 toute la guerre, fut mis plusieurs fort en prison sous le consulat, puis devint Inspecteur des fourrages dans les armée* impériales. Il fut blessé et pris 4 la Bétéslna, et retraité par la Restauration comme commissaire-ordonnateur des guerres, chevalier de Saint-Louis. Il mouru

au Mans le 1 1er mai 184*..

(4) Charles-Joseph Levieil, seigneur de la Marsonnlère, près Moncontour-de-

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’M. de Beau voilier» frère du chevalier âgé de vingt-huit ans» avait servi ; c’était l’homme le plu» actif qu’on pût trouver. J’aurai bien souvent occasion de parier de lui ; il était fort vif» fort sensible et en môme temps très dur pour le service» exact» ferme et propre à tous les objets de détail et tout ce qui demandait beaucoup de suite et de soins (i), Dans le premier moment il -se mit officier d’artillerie» ainsi que MM, de la Marsonnière et de Sanglier, Ces deux derniers avaient quarante ou cinquante ans» hommes peu brillants» mais singulièrement braves» honnêtes et pleins de bonne volonté ; le premier avait servi dix-huit ans dans l’artillerie et était fort bon officier (a). Le chevalier de Mondion (S) était un jeune homme de quatorze à quinze ans, grand et fort pour son âge, d’une belle figure, d’un courage * surprenant ; il était plein d’esprit et fort vif ; ses trois frères étaient émigrés. Resté à Paris dans la pension de M. Paulette, il s’échappa avec un faux passeport qu’il avait febriqué, et il vint nous rejoindre.

M. de la Vfile-Baugé <4), habitant de Thouars, qui avait été forcé de prendre les armes contre nous, demanda à servir le Roi dans l’artillerie ; c’était un homme de vingt-neuf ans, extrêmef ûi. tou * n< à SalafrCtaJr le ta novembre 1747, lieutenant eu corps royal d’artillerie en 1768, avait donné se démission & U mort de son père en 1776. Il était en prison à Leudun pour avoir envoyé de l’argent à son fils émigré. Il s’échappe après la victoire des Vendéens & Thouars. Il fit vaiUament son devoir dans toute te campegne de le grande armée» et périt & le bataille de Savonay. (OUportroltde M. de BeauvolUer rainé est très flatté. (Note du manuscrit.) (a) M. de Sanglier, vieux et malade, ne s’est Jamais battu.

M. do is Marsonnière n’avait pas de brillant ; mais U était un des meilleurs offimanuscrlo ” 0 ^ 10U,0UM * ** p, aec ' Mn * cherchwr * « foire remarquer. (Note du

(3) Louis de Mondion de Cbossigny, file de Jean-Vincent dé Mondion, écuyer, seigneur de Cbossigny, prés Loudun, et de Maric-Louise-Thérèsc de la Châtre.

! tor* nriLTrS h dér T® ** Sftvent J f * ^«fièrent A enlever Ancenls. Il fut pris et fusillé À Angers en Janvier 1794,

h ^ Ue’dwr4l l er * * Bougé près Thouars, né le

34féijier 1764, fit toutes les guerres de la Vendée, refusa de remploi sous l’Em-

“, l8ï f C iï ? v *, }cr de Saint-Louis, et en r 6 r 5 grand prévôt de la Côte-d’Or, devint maire de Thouars en 18ai, et mourut te *6 octobre 1834.

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ment actif» brave» spirituel, ferme, exact*, U s’attacha beaucoup à M. de Lescure, par estime et par amitié ; il a toujours été regardé comme un des meilleurs officiers (i).

L’armée fut de Thouars & Parthenay, qu’elle trouva évacué ; six dragons, dont le chevalier de Marsanges (a), vinrent la joindre ; ils furent bien reçus des officiers et mal des soldats, qui les prenaient pour des espions ; aussi, au premier combat où ils se trouvèrent, celui de la Châtaigneraie, ils se battirent avec tant de courage, que l’un d’eux fut tué, et les paysans charmés de leur valeur leur crièrent : « Dragons, c’est assez, ne vous exposez pas tant, nous voyons que vous êtes de braves gens ;» effectivement c’étaient des sujets distingués, et ils furent cause que les Vendéens virent depuis avec plaisir les déserteurs, mais H en vint bien peu. De Parthenay, t’armée marcha sur la Châtaigneraie, dans laquelle étaient trois ou quatre mille hommes. La ville fut prise, M. de Bonchamps y entra le premier, sabre à la main (3) ; tes chevaliers de Mondion et de Beauvolliemy furent blessés, l’un à la jambe, l’autre à la main ; ils ne marquaient pas encore beaucoup à l’armée. M. de Marigny, dans ce combat ainsi que dans celui de Thouars, dirigea avec beaucoup de succès notre artillerie. [Ce fut mon père qui contribua le plus

(i) Ajoute* Leriche de Lingerie, jeune enfant de douce à treise me. Il Ait, sitôt ton entrée dîne 1 * Vendée, À une bataille, eut son cheval tué sous lui. On voulut l’éloigner de l’année sous prétexte qu’il n’avait plus de cheval ; on le mit aide de camp de M. de le Cassa igné, qu’on avait fait commandant de ChAtllJon ; U «e pial» gnit d’étro à un poste où 11 n’avait rien A faire, il chercha un cheval et suivit comme les autres ; U montra partout un grand courage. (Note du manuscrit.)

Originaire de Loudun, H fut tué A ta derni&re affaire de Cholet, sooa Stofflet, le 8 février 1794.

(a) Léonard de Marsanges, né le ta ma» 1766, À Beliac en Limousin, fila d’Antoine, chevalier, seigneur de Berneull et de la Cotre, des comme de Marsanges en Poitou, et de Jeanne duTeil de la Roché», sous-lieutenant au régiment d’Auvergne en 178a, fut tué au siège d’Ange».

(3) M. de Bonchamps n’est point entré le premier À la Châtaigneraie ; il quitta Thouars avec sa division pour retourner en Anjou. Ainsi 11 ne se trouva ni À la prise de ta Châtaigneraie ni À la déroute de Fontenay. (Note du manuscrit.)

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m gain 4e la bataille : s’étant aperçu qu’une colonne ennemie Cherchait & nous tourner, il fit marcher sur elle et noua sauva.] U Châtaigneraie ne fut point pillée, mais on cassa les meubles dans quelques maisons (i).

Ensuite l’armée marcha sur Fontenay, mais tes paysans, fatigués d’être depuis longtemps sous les armes, s’en retournèrent pour la plupart ; il ne resta que sept mille hommes k peu près, il y en avait dix mille dans Fontenay. On donna à MM. de Lescure et de la Rochejaquelein le commandement de l’aile gauche ; ils battirent les Bleus qui leur étaient opposés et avancèrent jusque dans les faubourgs de la ville ; mais notre corps d’armée et notre aile droite furent repoussés et prirent la fuite. La bataille s’était donnée avec tant de confusion, que nos canons se trouvèrent engagés à la file les uns des autres, et sans être gardés par des soldats ni des officiers d’artillerie, tous, même M. de MarJgny, s’étant mis étourdiment dans la cavalerie, pour charger ; les canonniers perdirent la tête, ne tirèrent même pas et abandonnèrent leurs piècqs(a), M. d’Elbée fut blessé à la cuisse, M. de la Marsonnière fut pris avec plus de deux cent quarante paysans. On crut que toute notre aile gauche se trouverait enveloppée et serait détruite ; les fuyards du reste de l’armée le disaient, mais elle se retira en bon ordre, quoique toujours harcelée, et sauva deux canons, n’en abandonnant qu’un dont l’aflht était cassé ;

M ai uvuuü* Châtaigneraie que M. de Lescure mit À l’épreuve

’Æ * t ? cW. k l î* 1 ! f était *° n premier combat dan» notre

ST 1 j conduisit diftl UQ «hernin étroit et creux, eur la droite de la ville, m donna deux cent» paysans à commander. It s’agissait d’orapécker le cutua ^a n.colo pnc ybHato^ Aprt. r»ol, ftui ^.bkm.«Vlu“

reto " r - ^ "ipoWloin» Mttfett un fbuterrtM. ; nul. U

« nt intrépidement à on poste pendant pré» d’une demi-heure, jusqu’à ce qu’il fût relevé par M. de Lescure. (Note du manuscrit.) ^ 1

s/ikJ 1, "*** ?** ***** < ï u ’* h»t»Ule ou déroute de Fontenay, M. de Marignv o. L ^* n. d î nné Cânon * P° ur charger avec la cavalerie. U déroute fat si prompt que tout, le monde perdit la tête. On ne fit rien pour sauver les pièces, on les

  • I f x ^ ptioa d * ddUX d ui étaient à l’aile gauche, avec MM. de

la Rochejaquelein et de Lescure. (Note du manuscrit.)

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nous perdîmes plus de vingt pièces et entre autres la fameuse Marie-Jeanne et tous nos caissons.

C’est ce jourdà que quatre-vingts paysans, qui faisaient partie de l’aile gauche, s’étant emparés, près de. Fontenay, d’un poste important qu’on les chargea de garder, ne s’aperçurent pas de la défaite des leurs. Avertis par hasard, ils retournent sur le champ de bataille, le trouvent désert, et volent toute l’artillerie vendéenne abandonnée, Incertains du parti qu’ils ont & suivre, mais ne désespérant pas. de voir leur armée reprendre le dessus, ils ont le courage de rester pour défendre le précieux matériel qu’elle avait perdu. Lorsque les Bleus revinrent de la poursuite, lis eurent à se battre contre cette poignée de braves gens, qui se firent hacher sur leurs canons. Pierre Bibard (i) seul, couvert de vingt-six blessures, fut emmené prisonnier. Comme il était bien vêtu, car it était riche alors, on le prit pour un chef d’importance. Déposé et gardé à vue dans un grenier, il y resta presque nu et en butte aux plus mauvais traitements. Huit jours après, les Vendéens se présentèrent de nouveau devant Fontenay. Dès que l’attaque eut commencé, le soldat républicain qui surveillait le malheureux Bibard se mit & l’accabler de menaces et d’invectives, et, tournant sans cesse contre lui sa baïonnette, il jurait de le tuer, si la ville était prise. Cependant, inquiet et regardant à diverses reprises par la fenêtre, il oublia un instant son fusil ; le prisonnier, presque mourant, se traîna vers l’arme, la saisit, et contraignit son farouche geôlier à se retirer. Après la prise de la ville, ce méchant homme, confronté avec Bibard, attendait en tremblant l’arrêt de mort qui devait suivre des plaintes trop fondées sur la conduite inhumaine et brutale

(t) Pierre Bibard, de le TessouaUe, prè* Chotet, chevalier de la Légion d’honneur, reçut de la Restauration une pension de 3 oo france et l’emploi de garde champêtre, qu’il perdit en i 83 o. Il se retira à Maulevrler, dan* un logeaient qui lui tut donné par les châtelain» du paya, avec une petite rente, 11 mourut te 7 novembre 1841, à l’âge de coteante-oftxe an», pendant une retraite qu’il était allé faire à la communauté de Saint-Uurent-sutvSfrvre.

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— 156 ~~

dont il se sentait coupable ; mais le brave Bibard, déposant tout ressentiment, loin d’accabler son ennemi par le récit de ses torts, demanda et obtint qu’on le mît en liberté, puis il lui dit à voix basse î « Souviens-toi que je t’ai pardonné pour l’amour de Jésus-Christ. » Les blessures de Bibard ne se sont jamais entièrement guéries ; quand une se ferme, il s’en ouvre une autre. Malgré cela, U a constamment continué à servir dans les guerres de la Vendée et à s’y distinguer.]

Nous nous trouvâmes sans poudre ; en rassemblant tout ce qui nous restait, nous n’avions en tout que six pièces d’artillerie, une trentaine de gargousses, et tout au plus une cartouche par soldat. Cependant les généraux ne perdirent pas courage ; ils affectaient un air de gaieté et d’assurance, en disant qu’ils prendraient leur revanche au centuple ; ils invitèrent les prêtres fc exhorter le peuple pour le ranimer, et surtout Mire que c’était Dieu qui avait permis la déroute, pour marquer son mécontentement de ce qu’on avait fait du dégât dans quelques maisons de la Châtaigneraie.

Ce fut dans cette occasion que nous engageâmes M. l’abbé Pierre Jagault, qui venait nous dire la messe, à prêcher les habitants de MalUèvre ; il monta en chaire sans préparation, pour la première fois de sa vie. Il montra une éloquence si vive, si tou** chante, si entraînante, que depuis on l’a très souvent sollicité de parier, et bien des personnes le préféraient même au curé

de Saint-Laud ; c’étaient les deux meilleurs prédicateurs de l’armée.

Un événement aussi singulier qu’imprévu ranima surtout les paysans : un M, de Foileville(i), qui était prêtre et se disait

de Poil us SLÎLΠ!. n T 40 “ SHmd’mèw paternelle, lUcurcux

Jean-Louis, son frère, ni le 30 octobre 1760), Sîï d’un à la marine à Saint-Malo, Docteur en d’eéologMl

S ?. 'JSSüS 4 d ® D ?, > ! ® * * wl1 *790. U «livit l’armée vendéenne jus-

£ “ 5 1 6,1 P, 1 ?* à AncenU » condamné et exécuté & Angers le 16 nivôse «n U, 5 janvier 1794 * U avait trente-deux ans.

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évêque d’Agra in partibm, arriva en Vendée. C’était un grand bel homme, d’une trentaine d’années, peu d’esprit, mais beaucoup de douceur, et l’air entièrement recueilli : cet homme est vraiment jusqu’à présent le mystère de la. Vendée, comme le Masque de Fer fut celui du règne de Louis XIV ; on verra par la suite de ces Mémoires qu’aprèa avoir été reçu avec enthousiasme, il fut soupçonné d’être intrus et espion ; jamais rien n’a été éclairci, pas même à sa mort. Quel pouvait être son but ? Car, nous ayant trompés, la contre-révolution faite, il était perdu ; s’il était traître, comment f a-t-on guillotiné ? À la vérité, les Jacobins étaient bien capables de faire périr leurs espions mêmes. Cependant M. de FollevIUe disait avoir été sacré à Saint-Germain, secrètement, par des évêques de notre connaissance. La jalousie a peut-être été cause de ce qu’on a dit contre lui, tout cela n’a jamais été bien connu ; ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que cet homme manquait absolument d’énergie, chose si nécessaire dans le rôle qu’il voulait jouer. Je rapporterai, à mesure, tout ce qui le concerne ; la manière dont il arriva en Vendée est fort bizarre. Il était caché à Poitiers (i), sans qu’on sût qu’il était prêtre ; U fut envoyé de force & Bressuire comme volontaire, de là à Thouars avec la troupe ; quand on prit la ville, il était dans une maison, les paysans y entrèrent, il leur montra des sacrés-cœurs cousus dans son habit, les assura qu’il était prêtre ; il se fit présenter par quelques personnes au conseil de

(i) M. GulHot de FoHcvHIe vint de Paris À Poitiers sous le prétexte de fuir 1* persécution, et «Ile chez une de ses parentes qui ne le connaissait pas} U parais* sait dans les cercles les plus aimables et y fut goûté. Le matin était donné aux âmes pieuses et À quelques religieuses de ta tille » elles l’admiraient comme un prodige de sainteté. Comme il vit des soturs de Saint-Laurent, U se fit passer pour évêque, peut-être dans le seul but de te faire considérer davantage ; les bonnes saur» en écrivirent aux missionnaires, la correspondance fut bientôt établie ; personne ne douta de la réalité de son épiscopat* Lors de la guerre de la Vendée, il soutint ce rôle, se fit présenter A rétat-major sous ce titre ; la confiance qu»on avait dans les missionnaires Ota tout soupçon. C’est le cardinal Maory qui poursuivit ta condamnation et obtint le bref du Pape, apporté par M. de Saint-Hilaire, au passage de la Loire. (Note du manuscrit.)

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guerre, se déclara évêque et témoigna son désir de se dévouer pour l’armée catholique. Donna-t-il des preuves de ce qu’il avançait ? Je ne l’ai jamais su et je ne le crois pas ; mais plutôt, son extérieur et ses propos inspirèrent-ils confiance aux officiers qui le crurent sans beaucoup d’examen et de réflexion ? Ceci est plus probable ; toujours est-U qu’il fut reçu & bras ouverts ; on convint qu’il se rendrait à Ghâtülon, où il serait reconnu comme évêque. Il y entra le jour de la déroute de Fontenay ; nous ne concevions rien à ce que nous disaient les paysans, et de la déroute et de l’amvée d’un évêque. Toutes les cloches forent en branle àChâtilion, le peuple ivre de joie courut au devant de lui ; il distribua ses bénédictions, et les soldats oublièrent la défaite pour ne plus penser qu’à l’arrivée de Monseigneur.

Cependant l’abbé Brin lui fit sur son épiscopat plusieurs questions qui témoignaient de l’inquiétude et de l’incertitude. M. Gulllot répondit qu’il avait été sacré pour aller en Amérique ; mais, comme il se trouvait dans l’Ouest, un évêque du pays lui demanda de se charger de son diocèse. À la Boulaÿe et dans d’autres endroits, il assura que le Pape l’avait nommé vicaire apostolique pour la France.]

Ici je répondrai à une idée que pourraient avoir plusieurs personnes, que c’était un jeu joué par les généraux ; mais si on réfléchit & leur caractère, tel que je l’ai dépeint, aucun évidemment n’en était capable ; de plus, il n’y avait pas encore de généralissime, tout était en désordre à l’armée. Sûrement on a vu des chefs de parti inventer des impostures, mais ici c’était une révolte spontanée, imprévue ; la plupart des généraux ne se connaissaient pas entre eux ; les officiers agissaient tous sans ordres, comme les soldats ; d’ailleurs, c’eût été un trait bien hardi, bien déplacé et bien dangereux, de faire une mascarade sur la religion dans l’armée catholique. Qui aurait pu l’inventer ? MM. d’Elbée, Cathelineau avaient trop de religion ; Stoffiet, trop peu d’autorité ; M. de la Rochejaquelein, trop de jeunesse ;

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MM. Duhoux et de Boisy, trop de nullité ; mon père, MM. de Leacure et de Marlgny étaient arrivés à l’armée la veille de la prise de Thouars ; M. de Bohchamps n’y- avait nul intérêt, puisque l’évêque Ait plus de deux mois sans aller dans le pays qu’il commandait et resta dans le nôtre. Tous enfin étaient bons chrétiens, honnêtes gens et hommes d’honneur. Non, ce fut le désordre, la confusion, la bonne foi et l’enthousiasme qui furent cause de ta crédulité et de la légireté avec lesquelles on le reçut.

J’ai su depuis, qu’ayant été caché, six mois avant, & Polders, 11 y jouait déjà le rôle d’évêque, et avait trouvé le moyen d’entrer en correspondance avec M. Brin, curé de Saint-Laurent-âur* Sèvre, et les missionnaires de cet endroit, tous gens si respectables : c’est ce qui décida les généraux à le croire évêque, t)e plus, il était connu par M. de Villeneuve du Cazeau, qui l’avait vu au séminaire ; enfin, son nom de Follerille (i) rendait encore plus croyable qu’il fût évêque.)

Les combattants se rassemblèrent en foule, il se trouva près de quarante mille hommes avec le corps de Bonchamps, mais on n’avait point de poudre ; l’armée alla coucher devant la Châtaigneraie, qui avait été occupée de nouveau par les répu* biicains. Le lendemain, au point du jour, ta ville se trouva évacuée, tous les Bleus s’étalent repliés sur Fontenay. L’arméê catholique y marcha sur-le-champ et se trouva sur le midi & Pissotte, à trois quarts de lieue de Fontenay ; les Bleus, au nombre dé dix mille, avec plus de quarante pièces de canon, étaient rangés en bataille devant la ville. On fit donner l’absolution aux soldats avant le combat. Les généraux leur disaient : « Mes enfants, nous n’avons pas de poudre, allons reprendre Marie-Jeanne à coups de bâton, comme au commencement ; à

(x) C’est i tort qu’on la crut noble. Son grand-père, Jean-Joseph Guillot, était commissaire général et ordonnateur de la marine è Saint-Malo ; son’père, Frédéric-Joseph Guillot, était commissaire.

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qui courra le plus vite, on ne peut pas s’amuser ici à tirer. » M. 4e Lescure commandait l’aile gauche ; tea soldats ayant un peu de découragement, il fut obligé d’aller en avant, à quarante pas de sa troupe, seul & cheval ; il s’arrêta en criant : Vive U Roi f Aussitôt il reçut six coups de canon & mitraille, on avait visé sur lui comme au blanc ; par un véritable miracle, il ne fut pas blessé, quoique ses habits ussent criblés, son éperon du pied gauche emporté, avec un grand morceau de sa botte, au mollet de la jambe droite ; il se retourna en criant aux soldats : « Mes enfants, les Bleus ne savent pas tirer, vous le voyez bien, allons, en avant, » Les soldats transportés s’élancèrent si vite, que M. de Lescuredut prendre le grand trot pour rester à leur tête ; dans ce moment, les paysans apercevant une croix de mission, se mirent à genoux autour, quoique & portée du canon. Il passa au-dessus d’eux plus de trente boulets. Dans cet endroit, il n’y avait que MM. de Lescure et de Baugé à cheval. Celui-ci dit à M. de Lescure de faire avancer les soldats ; il lut répondit tranquillement : « Laissez-les prier Dieu » (i). Enfin, Us se relevèrent et coururent sur les ennemis.] Pendant ce temps, M. de Marigny faisait tirer avec succès le peu de gargousses que nous avions. M. de la Rochejaquelein s’était mis & la tête de la cavalerie avec MM. de Dommaigné et de Beaurepaire ; ils firent des prodiges de valeur, et Henri un trait au-dessus de son âge : après avoir battu la cavalerie ennemie, au lieu de la poursuivre, il tomba sur le flanc de l’aile gauche des ennemis, qui soutenait le combat avec quelque succès, et par’là, acheva de décider la bataille ; je voudrais savoir d’autres détails sur les circonstances de ce combat, je dis ce que j’en sais (2).

(1) Ce trait est le sujet qu’s choisi M. Robert Lefebvre, premier peintre du cabi* |» Ct teu ^° Ür k P° rtf *** Levure, commandé par Sa Majesté. (Note de

(a) À cette bataille, M. de Leacure prit les deux premier* espions que les Vendéens aient arrêtés : il mit pied à terre pour les saisir, L’aSaire dura cinq quarts 0 heure, on tira tout au plus deux cent cinquante coups de canon. Un bataillon

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Louis de Leseure

Nté A P.VRf# W ? f 5 OCTOBR* 1766

niwsii pftfes M CHOLKt fcB t 5 0CTO6»H 1793 ;

MORT PRλ' Mî FOTmfefcR* r. K 4 NOVEKBRK :

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Les Bleus, épouvantés de l’acharnement des Vendéens, furent mis en déroute complète, en trois quarts d’heure. L’aile gauche, que commandait M. de Lescure, arriva & la porte de la ville ; il y entra le premier, mais les soldats n’osèrent d’abord le. suivre ; MM. de Bonchamps et Forçât l’ayant vu de loin, s’élan* cèrent pour l’accompagner ; il était temps, il se trouvait -aeul et sa position était fort critique. Ces trois chefs réunis eurent la témérité de s’enfoncer dans la ville, au milieu de plus de quatre mille Bleus encore répandus dans les rues, et qui, glacés d’eftoi, se jetaient à genoux et se mettaient & crier grâce. Quand ces messieurs furent sur la place, ils se séparèrent, prirent trois rues différentes, toujours encombrées de volontaires armés ; ils disaient : « Rendez-vous, à bas les armes ; vive le Roil on ne vous fera pas de mal. » Cependant, M. de Bonchamps fut blessé, à peine eut-il quitté M. de Lescure ; un soldat, après avoir mis à terre son fusil en criant grâce< comme les autres, le reprit sitôt qu’il eut passé, tira, lui traversa un bras et la poitrine dans les chairs et lui fit quatre plaies : heureusement, dans ce moment, les soldats entraient en foule dans la ville, suivant leurs généraux. Ceux de Bonchamps furieux fermèrent la rue et massacrèrent environ soixante Bleus qui y étaient, pour ne pas laisser échapper le coupable.

Quant à M. de Lescure, il eut le plus grand plaisir qu’un homme puisse ressentir ; en quittant MM. de Bonchamps et Forest, il avait pris ta rue des prisons, il les fit ouvrir au cri de Vive U Roi, et se jeta dans les bras de M. de la Marsonnièreet des deux cent quarante prisonniers enfermés avec lui. Cet officier et plusieurs des soldats devaient être guillotinés le len» demain même ; il avait soutenu son interrogatoire avec une noblesse et une grandeur d’âme qui méritaient mille éloges..

girondin opposa le plus de résistance ; la majeure partie so Ht tuer plutôt que do m rendre ; te petit nombre fait prisonnier fut mis en liberté quoique temps après. (Note du manuscrit.)

it

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M, de Lescure avait couru les délivrer, de peur qu’ils ne fussent massacrés par les Bleus ; il vola sur-le-champ à une autre prison où étaient les parents d’émigrés et les gens suspects, au nombre de plus de deux cents. Iis avaient vu de loin le combat et, de crainte d’être immolés par les patriotes, ils s’étalent barricadés en dedans. M. de Lescure frappe à coups redoublés en criant : Ouvres de par le Roi, Aussitôt les portes s’ouvrent, les cris de Vive le Roi ! retentissent dans la prison ; tous les captifs embrassent M. de Lescure, sans le reconnaître, quoiqu’il fût parent ou ami d’un grand nombre ; il se nomme, et les quitte pour se mettre & la poursuite des patriotes, ainsi que tous les autres officiers.

Forest avait pris la rue qui menait au chemin de Niort, aussi se trouvait-il en tête. Le grand intérêt était de reprendre Marie-Jeanne, l’idole des soldats ; les Bleus, qui le savaient, faisaient tous leurs efforts pour la sauver. On était déjà à plus d’une grande lieue de la ville ; Forest s’était si fort avancé, qu’il était au milieu de plus de cent gendarmes ; heureusement il avait le cheval, la selle et les armes d’un gendarme qu’il avait tué à un autre combat ; de plus, il n’était pas habillé en paysan, n’avait point de cocarde blanche, et comme dans ce temps la plupart des troupes républicaines étaient remplies de nouvelles recrues sans uniforme, ils le prirent pour être des leurs ; un d’eux, lui frappant sur l’épaule, lui dit : « Camarade, il y a vingt-cinq mille francs de promis pour ceux qui sauveront Marie-Jeanne ; elle est engagée, retournons pour l’empêcher d’être prise. » Effectivement, tous les Bleus retournent, Forest se met à faire le brave, disant qu’il veut être le premier, il file doucement et se trouve à la tête des gendarmes, assez en avant, suivi seulement des deux plus hardis. Quand il est près de nos gens, il se retourne en criant î Vive le Roi / et tue les deux hommes qui le suivaient ; les Vendéens le reconnaissent, fondent sur l’ennemi et s’emparent de Marie-Jeanne, qui était défendue par quelques

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tenay, plein d’esprit et de probité ainsi que M, du Chesnier (1), Salntongeois, qui servait dans les Bleus, homme spirituel, royaliste forcené et d’une bravoure étonnante ; mauvaise tâte avec sang-froid, il n’a point, par cette raison, fait le chemin qu’il aurait dû. Nous prîmes environ trois ou quatre mille prisonniers, on ne savait qu’en faire : les tuer, c’était un acte de barbarie ; d’abord, on leur avait crié : Rendez-vous^ on ne nous fera pas de

  • mal ; et puis, dans ce temps, les Bleus ne fusillaient pas encore

tous les prisonniers. Les retenir, c’était affamer le pays et avoir, au milieu de soi, dans un petit espace de terrain, des ennemis mal surveillés, faute de forteresses et de troupes réglées. On se décida donc à en garder un petit nombre, mais on ne voulait pas que les autres pussent revenir une seconde fois, ni nier qu’ils eussent été pris. On proposa plusieurs moyens, celui de mon père prévalut : on les tondit tous, aux grands éclats de rire de toute l’armée. [À cette époque, on ne connaissait pas encore en France l’usage de porter les cheveux à la Titus.] On les renvoya avec serment de ne point servir contre les royalistes, sous peine d’âtre fusillés, si on les reprenait (loi qu’on a toujours exécutée) ; on tondit aussi tous ceux qu’on garda, afin de les reconnaître, s’ils s’échappaient.

Ce renvoi des prisonniers avait beaucoup d’avantages : dans cet instant, il y en avait de tous les points de la France ; Us apprendraient donc partout, par leur tête chauve, que les Vendéens les avaient battus et pris ; qu’au lieu d’être des brigands destructeurs, ils faisaient grâce, et formaient bien une insurrection royaliste. Il y avait nécessairement, parmi les Bleus, des indi-

(t) FmnçoU-Xavier-Ambroitû Chesnier du Chesne, dit du Chesnler, naquit à Saintes te 5 avril 1769. U servit d’abord dans la marina royale, puis en 179$ rejoignit l’armée vendéenne ; il fut aide de camp et adjudant général de Charette. Le Ro ! lui envoya la croix de Saint-Louis. Arrêté à Bordeaux le 4 mai 1796, U s’échappa de la forteresse de Blaye. Il pensa en 1804 à réorganiser la Vendée ; 11 Bit dénoncé et une commission militaire le condamna à mort par contumace, à Nantes, le 14 décembre i 8 o 5. Après la Restauration, U se retira prés de Saintes, et mourut le 1» avril 1829.

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vidus qui, par aristocratie ou bavardage, parleraient du courage des Vendéens, de leur générosité, de leurs succès, de leurs opinions, de leur projet de rétablir le Roi sur le trône, de leur clémence même envers les acquéreurs des biens nationaux, auxquels on se contentait de dire qu’on reprenait ces biens ; on espérait engager ainsi les autres provinces 4 imiter notre exemple. Pour les y pousser davantage, on fit imprimer une proclamation, faite par ordre du conseil de guerre, et rédigée par le chevalier des Essarta (i) ; elle mérite d’être lue et a été connue de toute l’Europe, car on prit le soin d’en donner plusieurs exemplaires à chacun des Bleus remis en liberté.

(0 Voir a l’appendice, nota II.

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CHAPITRE X

DEPUIS LA PRISE DE FONTENAY, EN MAI i 79 3 JUSQU’À LA PRISE DE SAUMUR (i)

A yant gagné si complètement la bataille et pris une ville aussi considérable que Fontenay, chef-lieu du département de la Vendée, les officiers pensèrent & donner quelque forme & un pays dont la révolte prenait une consistance réelle) on imagina de créer un conseil supérieur (a), On nomma l’évêque d’Agra président ; M. des Essarta père, vice-président ; M. Carrière, procureur du Roi ; on y ajouta plusieurs membres, et on en augmenta dans la suite le nombre ; il y en eut jusqu’à une vingtaine. Voici les noms des plus intéressants : de la Rochefoucauld (3), doyen ; Bernier (4), Bouras-tu 99 «MU-9 juin.

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(3) Jacques*Loutt de la Rochefoucaul d *Bayera, chevalier, seianaur da

2 T’rLT H le 1 ; 8 -* **> * —

/WMP® CourceJlea, généaJog, et hirald.) U

(4) Ne à Daon, prèi ChAteau-Oontier, le 3 i octobre teda. il fut baotiid 1 a le

1 î ‘ Brochu, Ben*

wweranâ.» Devenu évêque, il signait Étlenne-Aïexandw. Docteur en théolog

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seau de la Renolllère (i), Boutillier des Homélies (a), Bodl (3), Lyrot de la Patouillôrc (4), de la Robric, Coudraye (5), Miche* lin (6), Thomas, Paillou, Le Malgnan, Le Noir (7) et Pierre Jagault (8), bénédictin, secrétaire général. Dans le commencement, ce conseil n’était que pour la grande armée ; dans la suite il s’étendit à celles de Bonchamps et de Royrand ; il siégeait à Châtülon. Je dois parler des deux ecclésiastiques qui en faisaient partie : l’un, M. Brin, curé de Saint-Laurent-aur-Sèvre, un des prêtres les plus éclairés pour ce qui regarde la religion et le plus vertueux qu’on pût trouver (9) ; l’autre, le fameux Bcmier, curé de Saint-Laud d’Angers : c’était sans contredit celui de tous qui avait le plus d’esprit ; âgé alors de vingt-neuf ans, il avait déjà écrit de beaux morceaux sur la

curé do Saint-Laud & Angora, il suivit l’armée catholique. Bonaparte l’employa à la pacification de ta Vendée, puis aux négociations du Concordat. Il fut nommé évêque d’Orléans en ï8oa, et mourut & Paris le »» octobre 1806.

(1) Jacques-Joseph Bou tasseau, seigneur de !« RenolUère, né à la Ségulnlèro, prés Cholet, le s septembre 1749, auditeur k la chambre des comptes de Nantes, puis membre du directoire de Maine-et-Loire, mort k Cholet le s avril 1809.

(s) Jacques-François coutillier, seigneur des Homélies, né le ta avril 1754, reçu, en 1781, licencié k l’université de Poitiers, fût ensuite conseiller du Roi en l’élection de Chktillon, et mourut k Mortagne-sur-Sèvré le 96 août 1800.

(3) Victor Bodi, né k Maulevrier en 1780, avocat, recteur de l’université d’Angers, député k l’assemblée provinciale en 1787, Juge au district d’Angers, fut condamné et exécuté k Angers le 9 brumaire an H, 3 o octobre 1793.

(4) François-Jean-Hervé Lyrot, chevalier, seigneur de la Patouiltère, né k Nantes le afi août J 73a, ancien officier, chevalier de Saint-Louis, tué k Savonay le a 3 décembre 1793.

(5) Pierre Coudraye, notaire & Chktillon.

(6) Robert-Jean-Baptiste Michelin, né k Chantoceauxon Anjou, le 10 avril 1738, avocat au parlement, sénéchal et juge ordinaire de la baronnie de Chantoceaux, puis juge de paix, décédé À Drain le 4 septembre tSto.

(7) Joseph Le Noir de Pas-de-Loup, nék Saumur le 18 juin 176a, volontaire aux carabiniers de Monsieur en >776, lieutenant en 1785, retiré du service en 179t. Originaire de ta paroisse de Saix, dans le Loudunois, il habitait le chkteau des Coutures prés Saumur. 1

(8) Pierre Jagault, né k Thouers le 5 octobre 1765, bénédictin de l’abbaye de Marmoutier, décédé k Thouars le 3 : mai i 833.

(9) M. Brin était bon ecclésiastique, vertueux, mais ses lumières étalent médiocre

  • } Il fut constamment nul dans le conseil. (Note du manuscrit.)

Ambroise-Auguste Brin était curé de Saint-Laurent depuis 1790, et vicaire générai de Is Rochelle. Il disparut dans la guerre*

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révolution* Jamais on n’a prêché comme lui, d’abondance ; U montait en chaire et parlait deux heures avec une pureté et surtout une force d’expression que je n’ai vue qu’à lui, et qui étonnait quiconque l’entendait* Jamais U ne manquait l’expression propre et jamais il n’hésitait ; avec cela un grand nombre de citations latines, un son de voix également doux et sonore, seulement un peu monotone dans ses intonations et dans ses gestes* Cet homme, comme on voit, avait le plus sûr talent pour émouvoir ; il écrivait aussi bien qu’il parlait. Son éloquence avait surtout le mérite d’être brillante et persuasive ; elle s’emparait également de l’esprit et du cœur ; avec cela il était infatigable ; son extérieur était tel qu’it devait être. Avec tant de moyens, un zèle toujours renaissant et l’air le plus modeste, il prit en peu de temps un grand ascendant sur le conseil supérieur, sur les généraux, sur te peuple surtout ; il n’était question que de lui* Heureux, si ces belles qualités n’eussent pas été ternies par une ambition démesurée et un désir insatiable de tout gouverner, et s’il n’eût pas joint à tant d’esprit le goût de semer les dissensions. On assuré qu’il écrit l’histoire de la Vendée : dans ce cas, on peut être persuadé que ce sera l’ouvrage le mieux fait et le plus partial qui ait jamais paru (i). Quant à M. Le Maignan (a), chevalier de Saint-Louis, on verra dans la suite que ce

(O d’al ceci suivent l’impression qui m’était restée sur le curé de Saint-Laud, du temps où j’étais à l’armée. Depuis on lui reproche bien des crimes, et, en grande partie, la mort de M. de Marlgny. N’étant sûre de rien, j’avertis que mon jugement sur cet homme célèbre se rapporte au moment dont je parle ; je croie l’avoir Infiniment trop flatté de toute façon, mémo pour cette époque, car son ambition, son désir de se mêler de tout, son plaisir & semer la discorde afin de gouverner, flattant les uns, menaçant les autres, tous ces défauts, dis-je, ont paru en mille occasions, mais petit à petit et toujours en augmentant. J’ai su députa que le curé de Saint-Laud avait fait brûler tous ses papiers, au nombre desquels était son histoire de la Vendée. Il avait fourni les notes sur l’histoire de M. de Beauchamp et l’éloge d’Henri, qui sont dans le troisième extrait de la Galette de France. U était très mat alors et mourut peu de temps après. (Note de l’auteur.)

(a) Louia-Athanaso Le Maignan, chevalier, seigneur de laVcrrie, baptisé le ao août i ?33 à Ntteil-sous-Passavant, prêt Vihiers, fut lieutenant des milices dans la compagnie de Menou, et capitaine le 1*septembre *759. Chevalier de Saint-

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vieux et respectable militaire préféra se battre que prendre place dans le conseil, et fut le modèle des officiers,

Les généraux chargèrent le conseil supérieur de tout.ee qui regardait la police du pays ; on ordonna en même temps qu’il serait nommé des conseils particuliers dans chaque paroisse, parmi les gens les plus probes et les plus sages. Les généraux ordonnèrent aussi que les paysans de chaque paroisse se choisiraient ira commandant qui saurait le nombre de ceux qui se rendraient à l’armée, afin de pouvoir en instruire les généraux et d’avoir la distribution du pain et de la viande. On voulut nommer un trésorier qui fût en même temps commissaire des vivres pour la grande armée. On décida M* de Beauvollier l’aîné à remplir cette charge, malgré sa répugnance ; il en était vraiment capable, mais il ne l’accepta que pour le bien de l’armée, car cela devait le priver d’aller souvent au combat, ce qui était affligeant * pour un militaire. On lui remit la caisse de 900,000 livres en assignats ; il alla s’établir à Châtffion. Il payait sur l’ordre des généraux* Il distribuait des vestes légères et des souliers aux soldats qui étaient pauvres ; il avait une besogne énorme quant aux vivres. Il avait sous lui M. de Nesde (1) pour l’Anjou et M. Morinais pour le Poitou (je ne sais pas bien au juste leurs noms), officiers pleins de zèle, d’intelligence et de bravoure ; ils employaient beaucoup de gens qui n’étaient pas propres à la guerre et qu’on faisait commissaires des vivres (a). On conserva Louis, volontaire dans la grande armée vendéenne, il eut un bras emporté au siège de Granville et fut conduit au Mans ; dans la déroute U fût pria. et massacre, en décembre 179ÜI.

(t) René Lerou do Nesde, de la paroisse de Saint-Cyr*ta-Lande, dans le duché de Thouara, avait épousé Marie-Anne Ernouit de Moralns, Il mourut au château de Morains, commune de Darapierrc près Saumur, le 19 avril 181 1, à l’âge de

soixante-douze ans… «.

(a) U caisse générale de l’armée fut mise entre les mains de M. Cousseau de Lépinay*, qui rendait ses comptes au conseil supérieur. Dans la suite, on envoya

♦ Alexis Conssean de Lépinay. conseiller du Roi en l’élection de CMtlUon, marié en * idéa on de Baudry, fat pris par les républicain* à la Menaatftre, paroisse de Combrsnd. et

todnTavec «femme* éressnïre, sar)s charrette qui le* amenait.

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& M. do Beauvolüer sa place au conseil de guerre et infiniment de considération et d’autorité ; il avait d’autant plus d’ouvrage qu’étant toujours à Chûtillon, on s’adressait à lui pour des milliers d’affaires.

Telles forent les dispositions établies à la hâte ; les généraux s’en occupèrent les trois ou quatre jours qu’ils restèrent à Fontenay. On aurait dû, pour bien faire, le lendemain de la prise de cette ville, marcher sur Niort, -à sept lieues de là ; mais plusieurs personnes voulaient qu’on fût attaquer 'les Sables, quoique cela n’eût pas le sens commun, puisque notre pays restait alors sans défense. D’autres disaient que sûrement le pont de la Sèvre serait coupé pour se rendre à Niort, et que cela présenterait bien des discutés. Pendant ce débat, le lendemain matin de la bataille, on s’aperçut que les paysans s’en retournaient en foule pour raconter leurs prouesses dans leurs villages ; alors il n’était plus temps de se mettre en marche sur Niort. Il aurait fallu partir dès la pointe du Jour, pour retenir les soldats, et il est probable que Niort eût été pris ; peut-être fût-ce un bonheur qu’on n’y allât pas, car une nouvelle armée, et bien plus formidable, venait nous attaquer du côté de Saumur. Fontenay fut abandonné : c’est une ville dans la plaine, sans défense et entourée de paysans patriotes. Il n’y fut commis aucun mai, et même, à la sollicitation des dames nobles de la ville, on relâcha trois administrateurs du département qui avaient été pris.

À peine chacun était-il revenu chez soi pour se réjouir de la

à* comraluaires auprès des armée* pour relever l’état de tout ce qui se trouvait dans le» ville» qu on prenait, et foire tout parvenir dans le paya insurgé. On compta

« C ^ mn * N * re * MM< <do Tbotwr »)*> Bréchard {de Fontenay) *♦

et Trotouin, dont on a tant parlé depuis. (Note du manuscrit.)

W5 : séoémfde r*mir*ït ? CûÏÏ^5Sio F ^ !-

Mil apériteur de la Vendée, pal» Méritoire du comte de Putatye, oui commandait le» cWmn* en Bretagne, plu* tard avocat, It mourut 4 Fontmy-le-< tante le 0 Juin 1819.

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victoire, qu’on apprit que des hussards républicains avaient paru tout d’un coup au milieu du marché d’Argenton-Château. On vint en apporter la nouvelle à MM. de Lescure et de la Rochejaquelein, qui étaient à la Boulaye avec quelques officiers ; ils expédièrent aussitôt des courriers de tous côtés, et se rendirent aux Aubiers, Heu indiqué pour le rassemblement. Là ils surent que les hussards étaient retournés sur-le-champ à Vihiers, où était l’avant-garde de la grande, armée de Saumur. Ils réunirent dans la nuit environ trois ou quatre mille hommes et quelques canons ; ils comptaient aller attaquer Vihiers le jour même où devait arriver le gros de l’armée.

Nous voici à une affaire vraiment merveilleuse : Stofflet leur Ht dire le matin qu’il s’était porté de Cholct, avec soixante-dix Angevins, à Vihiers, il n’y avait trouvé qu’un petit corps de Bleus, les avait battus, et attendait ces messieurs fort tranquillement ; ils se mirent donc en marche sans la moindre inquiétude ; mais deux heures après l’avantage de Stoffiet, les républicains, au nombre de deux mille, étaient venus de Doué l’attaquer, et l’avaient obligé à prendre la fuite, précisément du côté diamétralement opposé à celui par où arrivait M. de Lescure, qu’il ne put avertir. La ville de Vihiers était toute terroriste, à l’exception d’une seule famille. Les Bleus recommandèrent aux habitants de ne point paraître, de fermer portes et fenêtres, et allèrent camper au-dessus delà ville, au milieu d’une hauteur pleine de broussailles ; là ils se cachèrent pour nous surprendre ; effectivement, ils y réussirent. Nos soldats, qui s’avançaient toujours sans ordre, même près de l’ennemi, étaient bien plus en confusion dans une simple marche ; chacun allait à sa guise. On arriva à Vihiers. MM. de Lescure, de la Rochejaquelein et des Essarta étaient à causer ensemble à la tête des paysans ; ils traversent la petite ville, et voyant sur la hauteur un mouvement de gens qui vont et viennent à travers les broussailles, sans pouvoir distinguer quels ils sont, ils ne doutent plus que ce ne soit Stoffiet et

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ses gens ; ils s’avancent pour lui parler* leurs soldats les suivent nonchalamment ; tout à coup une batterie masquée fait une décharge h mitraille à vingt pas, frappe le cheval de M, de Lesçure au poitrail et casse toutes les branches de quelques arbres à côté d’eux ; cependant aucun* des trois n’est blessé. Ils appellent les soldats, se précipitent à leur tête sur les Bleus ; ceux-ci, confondus du courage de ces paysans, qu’ils regardaient comme vaincus d’avance parieur ruse, sont culbutés et s’enfuient à Doué dans une déroute complète, abandonnant plusieurs canons ; les nôtres arrivèrent plus d’une demi-heure après cette bataille étonnante, où nous ne perdîmes presque personne, et on vit le même jour Vihlers pris, repris et pris de nouveau.

Les paysans, les officiers et les généraux de la grande armée y vinrent en fouie, excepté M. d’Elbée, blessé. Dès le lendemain l’armée fut nombreuse, et c’était bien nécessaire ; celle des Bleus, en y comprenant la troupe battue à Vihiers, avec celle de Doué et de Thouars, était de trente-neuf mille hommes, dont plus de la moitié excellentes troupes de ligne. Les Jacobins ne regardaient plus l’insurrection de la Vendée comme une bagatelle, elle leur paraissait si dangereuse qu’ils y envoyaient leurs meilleures milices ; ils venaient même de demander quatre hommes de choix par compagnie de toute l’armée du Nord, ils les avaient fait partir en poste avec d’autres bataillons. Il est vraiment étonnant et pourtant vrai de dire que toutes ces troupes arrivèrent en cinq jours de Paris à Saumur ; tout, jusqu’aux canons, allait en poste ; on avait pris tous les fiacres de Paris, des relais de réquisition se trouvaient sur la route, le reste des hommes se rendait par eau ; enfin ces forces avaient été réunies comme par féerie ; il y avait douze représentants à Saumur. L’armée royale marcha sur Doué ; l’ennemi avait environ douze mille hommes ; on s’attaqua près de Concourson, il pleuvait à verse, les deux partis ne firent pas grand’chose ; en général on se battit avec peu d’ardeur. Cependant nous fûmes vainqueurs, les Bleus se retirèrent

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sur Saumur, abandonnant quelques canons, mais ayant perdu peu de monde (t). Là nous fûmes rejoints par M. de Boispréau, qu’on avait mis de force fourrier dans les hussards ; il fit semblant de vouloir défier les Brigands et déserta en présence des deux armées, au moment où elles allaient se battre. C’était un jeune homme léger, mais plein d’esprit et de bravoure. L’armée devait aller de Doué à Saumur ; outre que le chemin était plus difficile à cause du passage de la petite rivière du Thoüet, mon père représenta qu’il y avait six à huit mille hommes à Thouars, qui ne manqueraient pas de se rendre sur-le-champ au secours de Saumur ; qu’ils y entreraient avant notre attaque, ou bien nous chargeraient par derrière pendant la bataille, et nous mettraient entre deux feux. Il proposa donc de gagner Montreuil-Bellay, entre Thouars et Saumur ; il dit qu’on couperait toute communication entt*e ces deux villes, et qü’on surprendrait les Bleus venant de Thouars, par cette contre-marche ; que d’ailleurs on s’emparerait en même temps d’un pont situé à une lieue de Saumur, sur cette mêiqe petite rivière du Thouet.

On déféra à cet avis ï l’armée fut à Montreuil ; cette ville est sur une hauteur ; il y a une grande porte en face du chemin de Thouars ; mon père la fit fermer, fit ranger derrière une quantité de canons chargés à mitraille et défendre & qui que ce fût de sotv tir de la ville de ce côté. Tout arriva comme il l’avait prévu. Les Bleus, & qui on avait commandé de se rendre à Saumur dans la nuit, avancèrent en désordre à la hâte, et, sans la moindre défiance, montèrent la hauteur jusqu’à la porte (s).

(t) L’armée vendéenne s’acharna, malgré te mauvais temps, h poursuivre les républicain» ; on les eût suivi» jusqu’l Saumur, sans te fitu des redoutes do Bournan, qui força les Vendéens de rétrograder ; il» revinrent coucher à Doué. Deux hussards républicain» désertèrent ; comme ils n’inspiraient pas une grande confiance, on les désarma ; depuis ils ont très bien servi dans la cavalerie, et s’attachèrent à M. le prince de Talmond. M. de Bolspréau était l’un d’eux. (Note du

manuscrit.)…

(a) Les républicains arrivèrent à Montreuil entre sept et huit heures ; Us étalent commandés parle général Salomon. (Note du manuscrit.)

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Alors on l’ouvrit, les canons ürent une décharge, et les Vendéens sc précipitèrent sur les patriotes ; ils les taillèrent en pièces, prirent tous leurs canons et les mirent en complète déroute* Les Bleus, tant par leur propre peur que par celle inspirée aux bourgeois de Thouars par nos paysans, n’osèrent pas s’arrêter dans cette ville, distante seulement de quatre lieues de Montreuil, et s’enfuirent jusqu’à Loudun, mais en très petit nombre ; la plupart étaient tués, les autres couraient à l’aventure, à la débandade. Nous perdîmes aussi du monde 4 cette affaire parce que, se battant de nuit, on tirait les uns sur les autres (i).

Le lendemain matin on délibéra pour savoir comment on attaquerait Saumur ; on voulait attendre l’armée de M. de Bonchamps qui devait arriver dans la journée (2), mais sans lui, car il était retenu par ses blessures. Tout d’un coup on vit les soldats se mettre en marche et prendre le chemin de Saumur. MM. de Lescure, de la Rochejaquelein, Catheiineau, de Marigny, Stofflet sortirent pour voir ce qui se passait ; ils trouvèrent tous les soldats courant et répétant '.'Vive le Roi ! Nous allons à Saumur, Ces messieurs arrivèrent au pont qu’ils avaient feit garder dans la nuit ; la plupart des paysans l’avaient passé, et les premiers n’étaient plus qu’à une demi-licue de Saumur ; ils firent (3) „

allaient être hachés en pièces, ils tâcheraient avec leur armée de sauver la nôtre. Cela tourna bien différemment qu’on ne

(t) Voir a l’appendice, note III.

(a) Les soldats de Boncheraps étaient venu» pour attaquer les Bleus en fianc ; des paysans placés en avant, dans des jardins, les prirent pour des républicains et en blessèrent une soixantaine. L’armée de Bonchamps était donc à l’affaire de Montreuil et s’y battit très bien ; on n’eut pas à l’attendre pour le lendemain. (Note du manuscrit.)

(3) Demi-page volontairement déchirée par l’auteur dans le manuscrit original et dans la copie Beauvais.

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l’avait cru, Dans le fait, comment aurait*oti pensé que quinze mille paysans (car beaucoup de gens de la grande armée étaient retournés chez eux, et l’armée de Bonchamps, croyant l’attaque fixée au lendemain, se mit en marche en apprenant que le combat commençait, se trouva à l’arrière-garde et ne donna pas dans le premier moment), comment, dis-je, aurait-on cru que des paysans, sans avoir pris la moindre disposition pour l’offensive, puisqu’ils avaient marché sans ordre, s’empareraient de Saumur, défendu par un château antique extrêmement fort, seize mille hommes, presque toutes troupes d’élite, et soixante-six pièces dé canon ? On a vu que les soldats, par une espèce d’inspiration, s’étalent mis tous à courir à Saumur ; les officiers furent obligés de suivre l’impulsion, devenue si forte que, malgré leur diligence, ils purent à peine arriver en tête, aux premiers coups de fusil, M, de Lescurc prit le commandement de l’avant-garde, MM. de la Rochejaqueiein et Cathelineau se placèrent à la droite et à la gauche ; M. dé Marigny avait couru à ses canons : dans ce désordre, chacun cherchait à faire de son mieux. Au milieu de cette confusion, M. de Lescure se trouva seul, sans avoir même un officier avec lui ; la lutte s’engagea, et aussitôt il fut atteint, à six pas, d’une balle qui lui traversa de part en part le bras gauche près de l’épaule ; heureusement elle ne toucha pas l’os ; il fut dans l’instant couvert de sang ; les soldats se mirent à crier J « Il est blessé, nous sommes perdus ! » et, se voyant sans chef, ils voulaient prendre la fuite ; mais il se fit serrer le bras avec des mouchoirs, rappela les paysans en leur disant que c’était une égratignure, et resta à les commander pendant sept heures entières que dura le combat ; il se fit panser plus tard dans la ville. M. de Dommaigné fut tué, ayant été renversé de cheval par un coup de mitraille et foulé aux pieds par les hussards et les cuirassiers. Nos cavaliers, n’ayant pas encore eu affaire à cette dernière troupe, furent si effrayés de voir que leurs coups ne pouvaient les blesser, qu’ils s’enfuirent d’abord, abandonnant

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leur chef. Je n’oublierai certainement pas le trait sublime de Loi* seau (1), cavalier de la brave paroisse de Trémentines en Anjou, et qui vit encore ; U défendit M. do Dorwnaîgné tant qu’il put, tua trois hussards sur son corps, et, blessé d’un coup de sabre au bras, ne pouvant d’ailleurs résister seul à la cavalerie ennemie, se laissa tomber de cheval comme mort ; notre infanterie vint charger les hussards et les cuirassiers ; alors il se releva, prit une pique et marcha à la tête des fantassins ; les nôtres, lassés de voir qu’ils portaient des coups inutiles à ces hommes bardés de fer, visèrent leurs chevaux, les démontèrent et tuèrent les deux cents cuirassiers, aucun ne put se sauver ; ils furent aidés par notre artillerie que M. de Marigny dirigea contre cette troupe, [Mon père amena un renfort d’environ six cents hommes ; se trouvant en état d’attaquer, on assaillit le camp de front.]

La vitle fut prise le soir, M. de la Rochejaquelefn y entra le premier, le sabre à la main, avec M, de Baugé ; ils s’élancèrent au milieu des Bleus, allèrent jusqu’au pont de la Loire, et, voyant venir à eux le flot des fuyards, se mirent de côté sur la place de la BiUrnge : là M. de Baugé Chargeait les carabines, et Henri tirait sur cette troupe effrayée ; pas un individu n’eut l’idée de les viser, excepté un dragon qui vint droit à eux, déchargea sur chacun un coup de pistolet et fut tué d’un coup de sabre par Henri ; il fouilla dans les poches du mort, prit ses cartouches et continua de tirer, près d’un quart d’heure. Pendant ce temps, les canons du château faisaient feu sur eux : M. de Baugé fut blessé & l’épaule d’une contusion qui le jeta par terre, Henri le releva, le fit remonter à cheval. Quand tous les fuyards eurent passé le pont, Henri se mit à la tête de nos gens qui les poursuivaient, et les

(1) Michel Loiseau, dit l’Enfer, ni S Triment lue#, breveté lieutenant-colonel « oua la Restauration, mort S Vcrini, pris Vihiers, te 1$ juillet < 833, à l’âge de soixante-quatre ans.

Son frire Jean fut surnommé Berrier parce que, à ta seconde bataille de Coron, U avait tué de sa main plus de vingt volontaires de ta légion du Berry. Il mourut àTrémentineStprisCholet, le t 5 janvier 1818, à l’âge de quarante-sept ans.

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chassa pendant plus d’une lieue sur la route de Tours. Les repré* sentants se tenaient sur les ponts de la Loire et sabraient les premiers fuyards ; la déroute fut bientôt complète, alors ils prirent le galop encore plus vite que les autres, et se retirèrent à Tours. Il y avait deux redoutes hors la ville, sur le chemin de Doué, fort bien faites, avec trois ou quatre mille hommes dedans. M, de la Rochejaqueleln les attaqua dans la nuit et eut l’imprudence de vouloir passer entre les deux redoutes ; son cheval fut tué sous lui, 11 resta là en attendant le jour, mais les Bleus décampèrent sans bruit, repassèrent en désordre par Doué et s’enfuirent à la débandade* M. de Marigny alla lui-même, le lendemain matin, proposer au château de capituler ; il pouvait nous coûter beaucoup de monde, il y avait dedans quatre cent cinquante hommes et beaucoup de canons. Cependant n’ayant pas de vivres et effrayés par la déroute complète des leurs, ils se rendirent à midi, laissant leurs armes, à l’exception des officiers, qui gardèrent leurs sabres et leurs chevaux. Toute la garnison se retira à Tours sans aucune condition, et avec les honneurs de la guerre.. Dans ce combat, on avait mené la fameuse Marie-Jeanne ; elle y fut fêlée, mais ou le cacha aux soldats. Nous prîmes près de quatre vingts pièces de canon, des milliers : de fusils, beaucoup de poudre, cent cinquante barriques de salpêtre. Nous eûmes soixante hommes tués, quatre cents blessés ; les Bleus perdirent dans ce seul combat quinze cents hommes, sans compter les blessés, et nous fîmes onze mille prisonniers dans les quatre batailles que je viens de décrire, données en cinq jours, ce qui. paraîtra sûrement prodigieux. On tondit tous les prisonniers, et on les renvoya avec serment de ne plus servir ; on n’en garda qu’une centaine. On a raconté que M. de Marigny fit & Saumur un tour de force et d’adresse bien singulier : U aperçut un de nos cavaliers qui prenait la déroute, il courut sur lui au grand galop, et, d’un seul coup de sabre, coupa net le coup du cheval, dont la tête et le corps se trouvèrent absolument séparés.

la

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{ On avait enfermé, dans une église qui servait de magasin d’artillerie aux Bleus, une grande partie des armes que nous avions prises ; elle en était remplie. Le lendemain de notre victoire, Henri, s’appuyant sur une fenêtre d’où l’on voyait dans l’église, resta absorbé dans une profonde rêverie pendant deux heures. Un officier vint l’en tirer, lui demandant avec surprise ce qu’il faisait là ; il répondit : « Je réfléchis sur nos succès, ils nie confondent. Tout vient de Dieu. » j

M. de Lescure apprit que le général Quétineau avait été trouvé enfermé dans les prisons du château de Saumur ; il l’envoya chercher et lui dit : « Eh bien, Quétineau, vous voyez comme votre parti vous traite, malgré votre belle défense ! Vous êtes accusé, traîné dans les prisons, vous y périrez» Restez avec les Vendéens qui vous estiment, sans servir avec eux, puisque vous êtes patriote. » Il répondit que, si on le laissait libre, fi retournerait se consigner prisonnier, car 11 ne pouvait croire qu’on le condamnât ; que, s’il restait avec nous, on le soupçonnerait davantage d’avoir trahi son parti, et fi ne pourrait supporter cetté idée ; que d’ailleurs il craindrait qu’on ne fît périr sa femme. Il montra à M. de Lescure son mémoire, qui lui parut assez approchant de la vérité. Il lui dit : « Monsieur, les Autrichiens ont pris plusieurs places de la Flandre, votre révolte paraît devoir réussir, la contre-révolution est faite ; voilà donc la France démembrée et partagée par les puissances I » M. de Lescure l’assura que c’était contraire à l’opinion des aristocrates, et qu’ils iraient combattre contre les puissances étrangères plutôt que de voir U France démembrée. « Ah, dit Quétineau vivement, alors je vous demanderai de servir avec vous, je suis patriote par un amour véritable de la gloire de ma patrie. » Entendant les Bleus prisonniers s’égosiller à crier Vive le Roi, fi courut à la fenêtre et leur dit : « Vile canaille, qui m’accusiez d’être d’intelligence avec les Vendéens et d’avoir crié Vive U Roi, je les prends à témoin que je ne l’ai pas fait une fois ; mais vous, la peur vous

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transporte, votre lâcheté vous rend méprisables. * Ce brave homme s’en fut & Tours, et peu après U fut guillotiné (i).

M. de Lesçure avait une grosse fièvre, U était épuisé de fatigue et surtout du sang qu’il avait perdu ; on l’engagea à se retirer à la Boulaye. Avant de partir, il assembla les officiers et leur dit j « Messieurs, notre insurrection prend trop de consistance, nous venons de faire une trop belle conquête, pour ne pas nommer un général en chef de la grande armée ; comme les généraux les plus ûgés ne sont pas ici, on ne peut faire qu’une nomination provisoire. Je ne veux pas partir sans qu’elle soit faite, je donne ma voix à M. Cathelineau. » Tout le monde applaudit à son choix, excepté celui qui en était l’objet, car jamais homme n’a été si modeste. Cette nomination fut confirmée par MM. d’Elbée, Duhoux d’Hauterive, de Boisy et mon père, qui arrivèrent à Sau* mur quelques jours après : M. d’EJbée avait été retenu jusqu’alors par ses blessures que la fatigue avait Irritées ; il avait en effet voulu se trouver au second combat de Fontenay.

La nomination de Cathelineau avait de grands avantages. J’ai fait connaître ses vertus, son courage, ses talents naturels ; ü était sans la moindre ambition, aimé de toute l’armée ; de plus, il avait commencé la guerre, et ce n’était pas peu politique- de prendre pour général en chef un simple paysan, dans un temps où la France avait la tête tournée par l’égalité, et où l’on prétendait que, si la contre-révolution se faisait, la noblesse rendrait le peuple esclave. Cela pouvait ouvrir les yeux des patriotes et attacher de plus en plus les paysans & notre cause. Il est très sûr que l’égalité est chose si séduisante que, depuis qu’on l’a offerte aux Français, les aristocrates les plus purs en sont eux-mêmes épris ; aussi tous les officiers nobles dans la Vendée s’appliquaient*

fi) Pierre Quctlneau, né «u Puy-Notre-Darae, prè* Montreuil-Sellay, le a 5 août « 756, fut condamné par te tribunal révolutionnaire de Pari» et guillotiné le a 6 ventéw an II, 16 man 1794, Sa femme, Marie-Anne-Catherine Robert, de ta Treille, paroisae de Montreuil-Bellay, le suivit aur Pécha faud le sa floréal, 1 1er mai.

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ils à traiter d’égal à égal les officiers paysans, quoique ceux-ci leur témoignassent beaucoup de respect, [Les uns et les autres, d’ailleurs, n’étalent.pas mieux nourris que leurs soldats ; ils n’emportaient ni plus de bagages, ni plus de provisions, et jamais on n’a mené une vie plus dure.) Du reste Cathelincau, par son excessive modestie, se trouva plutôt obéir aux autres que commander,

Avant que M, de Lescure ne partît, MM. de Beauvollier eurent un grand bonheur : à la tête de trois mille hommes, ils allèrent pour s’emparer de Chinon, où étaient en prison la femme de l’aîné et plusieurs autres dames ; Us trouvèrent la ville évacuée par peur, et ils ramenèrent M w# de Beauvollier à Saumur ; on envoya de la cavalerie à Loudun, et on y enleva sa fille (i). Au bout de trois jours, M. de Lescure partit de Saumur.

Revenons à ce qui me concerne. Il m’arriva d’abord une aventure assez drôle 5 j’allais chez M H# de la Rochejaquelein pendant que tout le mondé était à l’armée ; il me fallait passer par Châtillon. Un M. Baudry (a), bourgeois de la ville, homme un’peu fou, y commandait ; il vient me saluer et se met à causer avec moi. J’entends le bruit du tambour, il me propose dè voir ce que c’est, me conduit dans la rue ; là je trouve deux cents hommes armés, et lui-même tire son épée èt me harangue. Je m’attendais si peu & cela, je crus qu’il devenait fou tout à fait ; je me mis à crier comme une enfant ; cependant je me rassurai et bientôt je m’accoutumai aux honneurs militaires qu’on me tendait et au carillon que l’on faisait dans les paroisses où je passais.

J’avais été faire ma visite en voiture, je n’avais, pas monté à

0) O# envoya À Chinon dnq ou six cents hommes seulement, et À Loudun soixante-quinze. M. de la Rochejaquelein était A leur tête, (Note du manuscrit) (a) Alexandre-Pierre-Marie Baudry, du Plessis, procureur du duché-pairie de ChAtUlo», fil» de Pierre Baudry, conseiller du Roi, procureur des traités, procureur final, et de Marie-Pélagie Barbot il mourut le 3 mars 1823. Agé de soixante-dix-sept ans.

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cheval depuis trois mois, J’envoyai chercher ma fille, que sa nourrice avait cachée, depuis la déroute de Fontenay, dans la brave paroisse de Courlay, chez les Tester, vaillants paysans ; elle ne pouvait venir en un Jour à la Boulaye, je ne pus résister au désir d’aller au-devant d’elle à la Pommeraie-sur-Sèvre, chez l’excellent et vertueûx médecin Durand (i), à trois petites lieues de la Boulaye*. Je fus obligée d’y aller à cheval ; je mourais de peur, quoique j’eusse un homme & pied qui tenait la bride. Le lendemain j’étais à dtner, quand je vis arriver un courrier pour m’apprendre, ce qu’on m’avait caché, la blessure de M. de Lescure ; il venait d’arriver à la Boulaye et m’écrivait lui-même pour me rassurer. Un tremblement général me saisit, et je voulus partir sur-le-champ ; je sautai sur un mauvais petit cheval qui se trouva là par hasard ; je ne donnai seulement pas le temps d’arranger les étriers, dont l’un était d’un demi-pied plus long que l’autre ; je pris un galop si abandonné que, passant près d’un arbre et ne sachant pas mener, la bête, je faillis m’écraser le genou et n’eus que le temps de passer ma jambe du mémo côté que l’autre sans m’arrêter ; les paysans dans les champs me croyaient emportée ; j’arrivai par la grosse chaleur en moins de trois quarts d’heure. Depuis ce jour je n’ai plus eu peur à cheval. Je trouvai M. de Lescure debout, mais avec la fièvre ; il la garda plusieurs jours.

M. le chevalier Charles d’Autichamp vint rejoindre l’armée de M. de Bonchamps, son cousin germain, et bientôt il la commanda en second sous M. de Fleuriot. Il y avait aussi un officier fort estimé, M. de Piron (2), Breton. M. de la Guéri-

(j) pjerre-Marie Durand, mort h la Pommerale-sur-Sèvre le 39 novombre 18ao, à l’âge de soixante-dix-neuf ans.

<3) Les biographe* croient que M. de Piron (de la Varenneï) était du pay* d’ÀnccnU. Il ne noue a pae été possible de découvrir son origine ni de constater son identité, On dit qu’il avait d’abord émigré et avait servi dans les chevau-légers â l’armée des princes, 11 fut pris après la déroute de Savonay et fusillé à Blain, C’était un des officiers tes plus distingués et les plus brillants de la Vendée.

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vière fils (r), Poitevin, excellent sujet, et M. de la Bigotièrc (a), émigré, d’un courage à toute épreuve, se mirent dans la grande armée. M.de Doramaigné étant mort, on voulut nommer un général de la cavalerie ; on hésita entre Forest et Henri Forestier ; ce dernier cependant emporta tous les suffrages, quoiqu’il n’eût que dix-huit ans ; par modestie, il n’en voulut jamais prendre le titre, mais on le regardait comme tel, malgré lui.

Nous trouvâmes tant de salpêtre* et de soufre à Saumur, qu’on chercha à. fabriquer des moulins à poudre ; on y réussit à force de peine, 6 Mortogne et & Beaupréau, par les soins de MM. de Marigny et d’Hauterive. Ce qu’on faisait ne suffisait pas aux besoins de l’armée, à beaucoup près, malgré toute l’économie possible ; cependant c’était toujours une grande ressource et un supplément à ce qu’on prenait aux Bleus  chaque combat. On envoya tous les canons et la poudre & Mortagne, que l’on choisit pour dépôt ; on en fit un aussi k Beaupréau, mais petit. Du reste on n’avait point enlevé de magasin de poudre, ni d’armes, mais tout ce qui était pour le service de l’armée ennemie, et c’était très considérable.

On prit aussi beaucoup de blé à Chinon ; il y avait un magasin de vivres de la république (car, comme je crois l’avoir observé, on ne touchait jamais aux biens des particuliers), on en fit passer une grande partie dans la Vendée. Ce n’était pas toutefois ce dont on avait le plus besoin : c’était de sel, de savon, d’huile et surtout de drogues, on en acheta le plus possible ; quant au blé, aux bœufs, fourrages, etc., la Vendée en abondait.

(i) Louis-Charles Denis de U Guérlviirc fut tué à Laval te a 3 octobre 179 ?. H était fils de Rémy-Charles-Étienne Denis, seigneur du Chiron et do la Guéri vièro, dans la paroisse du Temple en Poitou, receveur des tailles à Chfttillon, et de Louise-Angélique Ayrault, tous deux fusillés au Mans le a6 frimaire an II, 16 dé* cembre 1793. Sa saur, Élisabeth-Charlotte, porta par mariage, en 1796, le nom de la Guériviére & Jean-Fidèle de Bersy, qui avait été blessé et son père tué dans ta garde suisse le to août 179a.

(a) Le chevalier de la Blgotière, sieur de Perehambault en Anjou, et son frère, furent pris après la bataille du Mans et fusillés, en décembre 1793.

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Un jeune homme eut l’intelligence d’imaginer un excellent savon avec la cendre de bois blanc d’un an, des fèves et du suif ; je regrette de ne pas savoir les quantités et les procédés ; le besoin rend inventif ; par exemple, au lieu de styrax et de digestif (i), on mettait sur les blessures d’armes à feu un onguent fait avec un. jaune d’oeuf et du beurre frais, battus ensemble ; rien n’est bon pour les brûlures de poudre, comme de l’eau dans laquelle on a fait éteindre de la chaux.

Les étoffes nécessaires ne nous manquaient point ; nous avions de gros drap de pays, des siamoises, des toiles, des mouchoirs rouges en quantité : il y a une multitude de fabriques de ce genre dans la Vendée. Les mouchoirs rouges étaient devenus d’un usage général pour les hommes et les femmes, depuis le combat de Fontenay : on avait su que M. de la Rochejaquelein, en ayant toujours un sur la tête, un au col et plusieurs à la ceinture pour mettre des pistolets, avait été désigné aux Bleus sous ce costume pour qu’ils le visent. Les officiers le supplièrent de les quitter, et, n’en pouvant venir 4 bout, ils en prirent tous, cela devint une mode générale ; avec leur habillement, qui était pour presque tous un gilet et des pantalons, chacun 4 sa fantaisie, des bottes, un "chapeau rond et un grand sabre à la hussarde, les jeunes gens avaient l’air de brigands, comme les Bleus les nommaient.

(t) Styrax, baume tiré de l’allbouficr. Digestif, onguent fait, d’opr&i Amb. Paré, de jaune d’œuf, do térébenthine et d’huile rosat.

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CHAPITRE XI

DEPUIS LA PRISE DE SAUMUR

VERS LES PREMIERS JOURS DE JUIN JUSQU’À LA DÉROUTE DE CHATILLON-SUR-SÊVRE (i)

t


J üsqü’a l’époque où nous sommes, la grande armée n’avait eu aucune relation avec M. de Charctte (a), ce fut M. de Lescure qui en établit Étant arrivé à la Boulaye, il apprit 1

par oui-dire que Charctte avait pris Machecoul et en avait chassé c

les républicains, qui s’en étaient rendus maîtres quelque temps auparavant ; le combat s’était donné à peu près le même jour que celui de Saumur, et il avait duré sept heures ; c’est sûrement le plus beau combat de l’armée de Charette, du moins de notre temps* M. de Lescure, sentant l’Importance d’unir tous les chefs de la Vendée pour agir de concert, envoya un courrier à ML de

(i) g juin-3 juillet 1793.

(a) François-Athanase Charctte do la Contrle, né à Couffé, prés Ancenis, le ai avril 1763. Ancien officier de marine, il prit le» armes au cb&teau do Fonte* clause, près la Garnache, en bas Poitou, Après s’être couvert de gloire, admiré autan^que craint de ses ennemis, U fut blessé et fait prisonnier le #3 mars 1796, près la Chabotterle, paroisse do Seint-Sulpicc-tc-Verdon, et fusillé à Nantes le 9 germinal an IV, 09 mars vjcfi. Il était le grand-oncle du général Athanaso de Charette, l’héroïque commandant des souaves pontificaux, colonel dos volontaires ae l’Ouest dans la campagne de France 1870*71.

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Charette, avec une lettre extrêmement polie pour le féliciter de sa victoire ; celui-ci lui répondit par un compliment sur celle de Saumur ; les deux lettres exprimaient mutuellement le désir d’établir une correspondance, pour le bien du pays. M. de Leacure fit part aux autres généraux de sa démarche ; ils étaient toujours à Saumur et avaient envie également de garder cette place et d’aller attaquer Nantes. Gomme ceci devait être un grand avantage pour l’armée de Charette, Ils lui firent demander de les aider dans leur entreprise ; mon père fut chargé de la démarche* Il lui offrit de la poudre et des canons, il les accepta, et depuis nous lui en donnâmes souvent, ainsi qu’aux petits cantonnements près de Nantes. Son armée, placée de manière & rester sur la défensive, les nôtres la couvrant, pouvait difficilement se procurer des munitions, au lieu que nous en trouvions dans toutes les villes dont nous nous emparions.

Saumur pouvait être regardé comme la clef de la Vendée, du côté du [nord ; cette place rendait maître de la Loire, et sa position, naturellement très forte, augmentait son importance. On voulut y mettre, pour commander, M* de Laugrenière (i), mais comme c’était un officier très médiocre et point aimé des soldats, on engagea M. de la Rochejaqueleln à y demeurer quelque temps ; on promit & ceux qui resteraient, l’étape et quinze sols par jour ; jusque-là on ne leur avait jamais rien donné ; on leur dit même qu’ils pourraient se relever tous les huit jours, quatre par paroisse. On verra bientôt que, malgré tous ces avantages, on ne put les retenir.

L’armée partit de Saumur ; Stoffiet eut la folie de faire proclamer, sans en avoir reçu l’ordre, que quiconque resterait dans la ville serait un lâche : cela commença à faire sortir beaucoup

(t) Dominique-Alexandre Jaudonnet, chevalier, seigneur de Laugrenière, dans la paroisse de Boisrné, près Bressulre, et de Orenouiilon, dans la paroisse de Moutiers, près Argenton-Chàteau. Nè le 10 décembre 1745» il était mousquetaire de la garde du Roi en 1763, et se retira en 1767. Fait prisonnier après la déroute de Savenay, Il fut guillotiné à Nantes te aS nivôse an il, 14 janvier 1794.

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de paysans, cependant Henri en garda mille & douze cents, L’armée se porta sur Angers, que les patriotes épouvantés abandonnèrent ; ils avaient tant de peur des Vendéens, qu’il arriva une histoire presque incroyable : quatre jeunes gens, MM, du Chesnier, de Boispréau, Magnan, mauvais sujet de* je ne sais quel pays, plus tard enfermé pour pillage, et un outre (i) dont j’ai oublié le nom, eurent l’audace d’aller seuls à la Flèche, distante de dix lieues d’Angers ; ils arrivent criant Vive le Jlot\ entrent à la municipalité. M. du Ghesnier dit aux administrateurs que l’armée royale marche sur Paris, qu’elle devait passer tout entière par la Flèche, mais qu’ayant une bienveillance particulière pour la ville, il a obtenu des généraux d’y envoyer une seule colonne de quatre-vingt mille hommes, qu’elle arrivera le lendemain ; qu’en conséquence il est venu préparer les logements et l’étape ; qu’il a laissé deux mille hommes de cavalerie à une demi-lieue, pour ne pas effrayer les habitants, toujours à cause de ses sentiments pour la ville. Après ce discours prononcé avec gravité, 11 se fait donner toutes les écharpes municipales, se les passe en ceinture, fait mettre le feu & l’arbre de la liberté par les municipaux, les fait marcher sur la cocarde, crier Vive le JRot\ et donne des ordres pour qu’on boulange dans toute la ville. Chacun s’empresse de lui obéir, et it va dîner avec ses camarades dans une auberge, fort tranquillement ; mais, à la fin du repas, une servante monte et leur dit : « Messieurs, il vient d’arriver un marchand colporteur par le chemin d’Angers ; on lui a demandé s’il avait trouvé la cavalerie des royalistes près de la ville, il a assuré n’en avoir point vu ; on commence à murmurer, on parie de vous arrêter, on dit qu’il y a à parier que vous êtes seuls. Si c’est vrai, vous n’avez que le temps de vous enfuir. » Ces messieurs la remercient, disent qu’ils vont chercher leur cavalerie et qu’ils reviendront dans une demi*heure ;

(i) M. Dupérut,

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Us sautont sur leurs chevaux et arrivent à Angers raconter leur bravade, tout chamarrés d’écharpes tricolores.

Comme Angers est le siège d’un évêché, M, l’évêque d’Agra s’y rendit pour officier ; Il voyageait avec une simplicité digne d’un apôtre. Il allait à cheval, suivi d’un prêtre et d’un domestique portant une crosse de bois doré. Il chanta à Angers une messe solennelle, et, pour gagner les patriotes de la ville et leur prouver que les prêtres prêchaient l’humanité, on fit une espèce de mise en scène convenue entre les généraux et lui. On avait condamné à mort deux canonniers républicains ; au moment où on allait les fiisiJler, l’évêque vint intercéder pour eux, on opposa beaucoup de difficultés, parce qu’ils étaient réellement coupables ; alors il fit semblant de se jeter aux genoux des généraux, et leur grâcô lui fut accordée.

M. de la Rochejaquelein se rendit aussi à Angers, où il eut une dispute avec M. de Hargues (t), bourgeois de la Châtaigneraie, excellent officier ; ils voulurent se battre, on les en empêcha pour le bon exemple. Que serions-nous devenus si les plus braves officiers et soldats eussent été ainsi à l’hôpital ? D’ailleurs l’armée portant le nom de catholique, cela ne pouvait convenir avec le duel.

Le prince de Talmond (a), émigré, second fils du duc de la Trémoïlie, rejoignit l’armée à Angers. C’était un jeune homme de vingt-cinq ans, de cinq pieds dix pouces, gros, d’une figure charmante, goutteux ; il était très braye et tout dévoué, naturellement orgueilleux ; il fut d’autant mieux reçu, que son père (3) et

(1) Augustin do Hargucü d’Êtiveau, d’une famille venue de Hollande À la Rochelle au commencement du xvt* siècle, naquit au Puy-Limousin, près la Châtaigneraie ; fait prisonnier À la bataille d’An train, le as novembre 1798, U fut exécuté.

(a) Antoine-Philippe de La Trémoïlie, prince de Talmond, né à Pari» le 87 septembre 176S, fait prisonnier près de Fougères, te 28 décembre 179 ?, fut exécuté le . 37 janvier 1794, à Laval, dans la cour du château.

(3) Jfean-Brctagne-Charles-Godefroy, duc de La TrémoUlo et de Thouars, Comte de Lavai et 4 e Montfort, baron de Vitré, né le 5 février 17*7, d’abord mousquetaire,

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sa belle-soeur, M lk de Châtlllon, femme du prince de Tarentc (i), son frère, étaient seigneurs de plus de trois cents paroisses en Poitou. M. de Talmond fut sur-le-champ nommé général de la cavalerie, à la grande satisfaction de M. Forestier.

L’armée marcha de là sur Nantes, mais, quoiqu’elle fût réunie à celle de Bonchamps, les deux ensemble étaient peu nombreuses ; plusieurs personnes prétendent qu’elles ne formaient que huit mille hommes. J’ai déjà dît qu’il était impossible de retenir les paysans sous les armes ; ils avaient la rage de s’en retourner chez eux au bout de peu de jours, et ils étalent alors presque tous dans leurs foyers ; déplus, il n’y avait pas beaucoup d’ardeur pour aller attaquer Nantes ; cette ville n’étant pas de la région opposée à la grande armée, les soldats n’en sentaient pas la nécessité. Enfin presque tous les jeunes officiers poitevins étaient restés avec MM. de Lescure et de la Rochejaquelcin, ce qui diminuait la bonne volonté des paysans, car ils aimaient

beaucoup à être commandés par les jeunes, surtout par ceux de leur pays.

On avait décidé, avec le corps de Charette et celui de Lyrot et d’Esigny, que l’attaque de Nantes se ferait à deux heures du matin, le 29 juin. Ces troupes désiraient vivement prendre Nantes, qui était le centre d’où les républicains partaient pour les combattre : aussi on dit que l’armée réunie formait vingt*cinq mille hommes, les soldats de cette région s’y étant portés en foule. Mais comme la Loire défend la ville de ce côté, ils devaient se borner à la canonner, en attendant que la grande armée, entrée

colonel de» grenadiers de France, maréchal de camp en 1770, mort à Chambéry en oavote, le 19 mal 179a.

« < ;|jf u, #e -Emma»ud|e de Chilien, fille de Louis-Gaucher, duc de Châtlllon, et d Adriennc-hmille-FcIlclté de la Baumc-lc-BIanc ; mariée le 20 Juillet 1781 à Uiarles-Bretagne-Marie-Joseph, prince de Tarentc, puis duc de U Trémollle.

« / ? !*, * baronni * de Mauléon en Poitou, actuellement Chôtillon-sur-Sèvrc. avait été érigee en duché-pairie, le u avril 1736, en faveur d’AlexU-Madelelne-Rosalie, comte de Châtlllon, chevalier des Ordres, lieutenant général, gouverneur du Dauphin fils de Louia XV. *

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dans (es murs, eût déblayé jusqu’aux ponts ; ainsi la plus grande partie des troupes se trouvait inutile au commencement de l’action. Un premier malheur fut la résistance opposée par les patriotes â Nort, petite ville entre Ancenis et Nantes ; on s’y battit dix heures et on s’en empara. Pendant ce temps, les canons de Charette et de Lyrot avaient commencé leurs décharges à deux heures du matin, comme on en était convenu ; les nôtres n’y répondirent qu’à huit heures, les patriotes eurent tout le temps de se rassurer et de prendre des mesures. Le général Beysser (r), ci-devant charlatan, commandait ; le combat dura dix-huit heures. Les Vendéens entrèrent dans les faubourgs. [Nantes allait succomber, les Bleus commençaient à fuir par la porte de Vannes, l’intrépide Cathelineau avait même pénétré dans la ville jusque sur la place de Viennes, & la tête de quelques centaines d’hommes, la victoire était dans nos mains. Ce fut dans ce moment décisif, que deux accidents firent tout changer de face. Le général en chef fut blessé & mort, d’une façon incroyable ; une balle lui entra par le coude, comme il avait le bras levé, et lui tomba dans la poitrine ; les Vendéens désespérés l’emportèrent, abandonnant le faubourg qu’ils avaient enlevé.] Tout fait croire qu’ils auraient pris la ville, malgré la défense des habitants et d’une nombreuse garnison, sans une étourderie impardonnable du prince de Talmond.

On avait résolu dans le conseil de guerre, tenu avec plus de soin qu’à l’ordinaire, de laisser le chemin de Vannes libre, pour permettre aux Bleus de s’enfuir par là et éviter une résistance trop opiniâtre. Bien des gens se défendent jusqu’à la dernière extrémité, s’ils ne voient aucun moyen de fuir, qui abandonneraient leur poste s’ils avaient la possibilité de le quitter. Effectivement, l’apfês-midi, beaucoup de patriotes commencèrent à filer

(O Jean-Michel Beysser, né le 4 novembre 1753 à tUbeauviilé en Alsace, avait été chirurgien-major au service do la Compagnie des Indes hollandaises ; général de la République, it fut guillotiné à Paris le 24 germinal an II, i 3 avril 1794.

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par te chemin de Vannes ; mais M. de Talmond, après avoir lui* même écrit et signé la délibération du conseil de guerre, courut prendre quelques troupes et deux pièces de canon, les dirigea contre les fuyards et les força à rentrer dans la ville, emporté par une ardeur qui lui ôta toute réflexion.

Nos soldats, épuisés de fatigue, ne sachant qu’attaquer de vive force, s’en retournèrent tous pendant la nuit, et emmenèrent leurs canons sans en avoir perdu un seul ; ils ne furent point poursuivis, s’en allèrent chacun chez soi, traversant la Loire en bateau. Un des chevaliers de Fleuriot eut la jambe cassée : H mourut, ainsi que Cathelineau, peu de jours après ; tous deux furent extrêmement regrettés de toute l’armée. Les deux messieurs de Fleuriot étaient chevaliers de Saint-Louis et commandaient en second l’armée de Bonchamps, et en chef quand il était blessé. Celui qui fut tué à Nantes était !c plus estimé des deux frères. M. de Talmond eut la tête de son cheval fracassée d’un boulet de canon et fut légèrement blessé à la lèvre par un os du crâne de ce pauvre animal. Mon père faillit tomber sous une décharge d’artillerie, dont cinq ou six boulets l’entourèrent à la fois et de si près, que tout le monde le crut mis en pièces ; il périt peu de soldats. M. de Bonchamps était toujours retenu par ses blessures.

Pendant que ced se passait, il nous arriva bien des aventures. On avait formé, pour garantir le pays, un petit camp de paysans à Arttailloux, bourg entre Bressuire et Parthenay. Il y avait trois ou quatre cents hommes commandés par M. de Richeteau (i), gentilhomme du pays ; comme les soldats ne le connaissaient pas, ils voulaient tous s’en aller. Cependant on savait que Biron (a)

(i) Probablement Armand-Constantin do Richeteau, seigneur de la Buratlère, vjul fit la campagne d’outre-Loire, fut pria après Savenay et condamné à mort le 4 nivôae an 11, 34 décembre 1793, par te tribunal révolutionnaire de Nantes, comme « ci-devant noble et chevalier.

(s) Armand-Louis de Cornant, né te »5 avril 1747, duc de Lauxun, puis de Biron, reçut la croix de Saint-Louis après ta campagne de Corse, en {769. Colonel du

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était à Niort, avec une armée qui augmentait tous les jours et fut portée à vingt-cinq mille hommes ; il y avait des troupes à Saint-Maixent, et on craignait qu’il n’en arrivât d’un moment & l’autre à Parthenay. On envoya courrier sur courrier à M, de Lescure ; il fit dire à Saumur, à MM. de BeauvolUcr, de Baugé, au brave chevalier de Beaurepaire et autres, de se rendre à Amailloux ; il partit lui-même, mais malgré nous, car il était depuis huit jours seulement à la Boulaye, et l’eschais de sa blessure n’était pas tombée en entier ; il avait le bras en écharpe et ne pouvait aller qu’au pas : je voulus absolument l’accompagner.

Nous nous arrêtons, après deux jours de marche, & Cllsson, et le lendemain nous arrivons à Amailloux, à deux lieues de lù. Nous y trouvons quelques officiers et M. ***, jeune, petit, gros, blond, en habit de velours bleu avec des boutons à paillettes, une bourse, et son chapeau sous le bras ; il était vraiment risible. Le lendemain, nous entendons une grande rumeur parmi les paysans ; nous les voyons tenant deux volontaires ; pensant que ce peut être des déserteurs, nous courons, M. de Beauvollier et moi, les rassurer. Effectivement, c’étaient deux chasseurs de la légion du Nord ; Us avaient fui de Saint-Maixent et avaient été poursuivis pendant cinq lieues : Us étaient arrivés hors d’haleine et étaient fort effrayés de se voir tirés de tous côtés par des paysans armés, les uns leur disant de crier Vive le Roi, les autres les appelant traîtres et voulant s’en défaire. Nous les prîmes sous le bras et les menâmes à M. de Lescure, qui était sur son lit. 11 les interrogea ; c’étaient deux beaux jeunes genB, l’un, nommé Cadet, raconta d’un air fort gai qu’il servait depuis longtemps dans la légion du Nord, mais qu’it était aristocrate et voulait se battre pour le Roi ; l’autre avait l’air timide et embarrassé ; il dit

régiment royal* dragon* en 1776, U commanda un corp* d’armée en Amérique. Général de 1 à République française, il fut condamné à mort par 1 à Convention et exécuté la 11 nivéto an II, 3 s décembre 1793. En montant à l’échafaud, il alécria : « J’ai été infidèle à mon Dieu, à mon Roi, & mon ordre. Je meurs plein do fol et de repentir. *

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qu’il était émigré, mais point qu’il était noble, et prétendit avoir été bas officier du régiment de la Châtré. Son air le fit soupçonner, M. de Lescurc recommanda de le surveiller ; on sut dans la suite qu’il avait caché son vrai nom ; c’était le bravo chevalier de Solithac (i) ; il a depuis été, je crois, général d’un parti de chouans,

M. de Lescurc se trouva avoir avec lui environ sept cents paysans ; il en attendait d’autres et Ü savait aussi que plusieurs paroisses des environs de Parthenay voulaient se révolter. Il se détermina donc h aller occuper cette ville, où devait le joindre M. Girard de fieaurepaire, commandant de la Châtaigneraie ; jusqu’alors de l’armée de Royrand, U désirait se réunir à la nôtre et avait fait dire qu’il amènerait du monde, et surtout de la cavalerie, & M. de Lescure. Celui-ci avait environ quinze cavaliers, M. de Beaurepaire vint avec cent cinquante. En conséquence, M. de Lescure le chargea de faire des patrouilles toute la nuit, â moitié chemin de Saint-Maixent, le lui envoya recommander de nouveau à onze heures du soir, ht mettre quatre pièces de canon chargées & mitraille derrière la porte de la ville, sur le chemin de Saint-Maixent, et se coucha accablé de lassitude (a). Les

(0 George*- Marcelin Chabron, chevalier, seigneur de Solühac, né & Saint-Pau* lien en Velay le m octobre *769. Après avoir fait ta guerre de Vendée, U rejoignit les chouan* en Bretagne. Député de la Haute-Loire tous ta Restauration, il mourut ie ao novembre tfiag.

(a) Pendant cette occupation de Parthenay par M. de Lescure, M. de Bauge avait fait fermer en pierre les deux portes latérales de Parthenay ; U n’y avait de libres que celles de Saint-Maixent et de Thouara. On fit mettre à la porte de Saint-Maixent deux pièces de canon, on plaça des avant-postes assez loin, on commanda aux patrouilles do monter d’heure en heure sur la route ; celle de minuit à une heure ne se fit pas, et cela fut cause de la surprise. Il y avait en outre un poste établi hors de la ville, k la grande auberge. On avait donné ordre de crier Qui vive ? et de demander ensuite : Qui m’a mis en faction ? La réponse devait être : M. de Les* sure. Quand Westermann arriva, la sontinelie cria, on répondit : Royaliste ; mais celui qui s’approcha brûla la cervelle au paysan. Iis arrivèrent à un petit poste, ils tuèrent deux ou trois hommes, les autres échappèrent, ainsi que tous ceux qui. étaient au corps de garde de la grande auberge. Les coups de canon réveillèrent MM. de Lescure et de Bougé. Ce dernier monta tout de suite à cheval, courut à la porte de la ville ; elle était entr’ouverte et les canons abandonnés ; c’est en sortant qu’il fut blessé k la Jambe gauche. Hors des portes, il parla ensuite aux républl-

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officiers de la grande armée, très fatigués aussi, se fièrent à M, de Beaurepaire ; malheureusement il n’avait pour lui que la bravoure, il manqua de vigilance et fut se reposer, sans penser à faire des patrouilles. À trois heures du matin les Bleus arrivèrent sans bruit de Saint-Maixent et se trouvèrent dans la ville avant qu’on ne s’en fût aperçu. Tous nos soldats étaient couchés, et pas de sentinelles, comme k l’ordinaire ; car, comme je l’ai déjà dit, malgré tous les efforts des généraux, on n’a jamais pu leur faire monter la garde ; même en payant. Un brave cavalier, nommé Goujon, mit le feu à deux pièces, et se fit tuer sur place en se battant comme un lion. Les Bleus étaient déjà répandus dans toutes les rues, avant que nos soldats ne fussent éveillés ; la surprise, la confusion régnaient parmi eux, l’obscurité y mettait le comble. Ils sortaient des maisons, les balles sifflaient dans les rues ; Us ne songèrent point à se mettre en défense, chacun s’enfuit. M. de Lescure eut beaucoup de peine à se sauver, h cause de sa blessure. M. de Baugé, en descendant la rue au galop, eut un os de la jambe cassé par une balle, son cheval fut tué, et lui tomba dans la petite rivière qui est au bas de la ville ; on l’en retira cependant. Nous perdîmes quatre pièces de canon et soixante-dix hommes, tant tués que blessés ou prisonniers.

Heureusement pour moi, M. de Lescure n’avait jamais voulu me laisser venir avec lui à Parthenay, j’étais retournée à Clisson. À cinq heures du matin, un cavalier qu’il m’avait envoyé pour me prévenir, y arriva & bride abattue ; la peur lui avait si bien fait perdre la tête, qu’il croyait les ennemis à ses trousses, et, dans le fait, ils n’osèrent point poursuivre ; cet homme frappa à ma

mini qui le prirent pour un dos Jeu» ; ensuite il tourna à droit» pour psMar U rivière f alor» tes républicain* Je reconnurent, tirèrent. »ur lui, mais mob l’atteindre. Comme on avait Ait battre la générale, tou* les paysans se levèrent, mais au lieu de s’avancer vers la porte de Saint-Maixent, Us prirent ta fuite par celle de Thouars. Les républicains se contentèrent de les canonner do loin, et ils n’entrèrent dans la ville que le matin, après le lever du soleil. M. de Lescure blessé eut beaucoup de peine A trouver ses habit* et & se vêtir, n’ayant alors aucun domestique avec lui. (Note du manuscrit.)

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porte à coups redoublés, en criant de toutes ses forces : « Sauvez-vous, madame, sauvez-vous ; de la part de M. de Lescure ; nous avons été surpris et battus à Parthenay, sauvez-vous ! » Je devins tremblante comme la feuille, je n’eus que le courage de demander si M. de Lescure était blessé, le cavalier m’assura que non ; je lui dis de réveiller tout le monde et de faire sceller mes chevaux ; je m’habillai si vite que jéne pris pas le temps d’attacher mes jupes, je sortis de ma chambre les tenant de la main et courant de toutes mes forces. Je trouvai dans la cour une vingtaine de faucheurs, je leur criai : « Mes amis, ce n’est pas le moment de travailler, mais de vous battre. » Je saisis par le bras un vieux maçon de quatre-vingts ans qui se trouvait là par hasard, je le priai de me conduire dans une métairie à moi, dont j’oubliais le chemin. Je l’entraînai sans attendre sa réponse et je tâchai de faire courir ce bon vieillard. J’arrivai tout essoufflée à la métairie, j’avais pour ainsi dire porté le bonhomme d’un bras, tandis que de l’autre jç tenais toujours mes jupes. On amena les chevaux, et on m’apprit que le cavalier avait eu trop de peur, il n’arrivait aucun fuyard. M. de Lescure était encore & plus de deux lieues de Clisson, et revenait au pas sans être poursuivi.

Cependant je montai à cheval et allai déjeuner à Courlay, de là dîner au Pin, enfin j’arrivai à Chôtülon sur les cinq heures. La ville était consternée, le bruit courait que M. de Lescure et moi avions été pris avec quinze cents hommes. Je fus tout étonnée, en arrivant, d’entendre crier de tous côtés : La voilà/ la voilà / Tout te monde m’entoura et me suivit au conseil supérieur ; là je racontai ce qui était arrivé et rassurai chacun, ayant eu le temps de calmer ma ridicule peur. Puis je partis pour le château de la Boulaye, où était ma famille ; je rencontrai à moitié chemin maman, dans une voiture à bœufs. Elle me croyait aux mains de l’ennemi, sa douleur et sa tendresse lui avaient fait perdre la tête, au point de se mettre en route pour Niort, afin d’y périr avec mol, pensant qu’on allait m’y guillotiner. Je la trouvai fondant

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en larmes, elle ne pouvait se fier à ses yeux en me revoyant. Je lui demandai d’où elle avait appris d’aussi étranges nouvelles ; cite m’expliqua que le chevalier de Concize (i), de l’armée de Royrand, était arrivé par hasard après dîner avec quatre cavaliers, tous en manteaux bleus. Elle avait dit en badinant à M. d’Auzon :

< Voilà peut-être des cavaliers patriotes », celui-ci avait couru se cacher, l’avait laissée seule ; M. de Concize, ne la connaissant point, avait annoncé que j’étais prise, et aussitôt elle avait voulu se mettre en route, mais avait été forcée d’attendre une heure pour avoir des bœufs, ne pouvant trouver M. d’Auzon pour en donner l’ordre ; à force de le chercher, on était parvenu à le dénicher tapi dans une armoire. Nous finîmes par rire du courage héroïque que lui et moi avions montré dans cette journée.

M. de Lescure retourna à Parthenay quelques jours après, et trouva la ville évacuée : ce ne fut donc qu’une promenade. Les paysans rentrèrent chez eux à la hâte ; ce fut, je crois, à cette époque, que mon mari emmèna en otage deux femmes d’administrateurs, et les tint quelque temps consignées comme prisonnières à Châtillon. (Il est possible que je me trompe, et peut-être n’est ce pas alors que M. de Lescure retourna à Parthenay.)

Pendant ce temps, M. de la Rochejaquelein, resté à Saumur avec quelques jeunes gens, voyait tous les jours diminuer le nombre de ses soldats ; tous s’en allaient l’un après l’autre, ils ne pouvaient se décider à ne point revoir leurs métairies. D’ailleurs, depuis le combat de Saumur, leur ardeur était diminuée, ils croyaient bonnement la contre-révolution faite. Henri envoyait dans l’intérieur du pays tous les canons et la poudre qui étaient

(i) C’était Philippe Grcllor de Concile, né te ag août 1749 au Boisniard, paroisse de la Verrie, prés Mortagne-sur-Sèvre, qui, le 16 floréal an X, 6 mai 180s, signe & l’acte de naissance de sa petite-nièce, Louise-CamUle-isaùre Rivet de ta Thibaudicrc, au Petit-Bourg des Herbiers. Ou son frère Joseph-Martial G relier de Concise, baptisé à Saint-Louis de Rochefort, le 8 mars 1751, chevalier de Malte de minorité. Ils étalent Aie de Charles-Philippe Grelier, écuyer, seigneur de Concise, près tes Herbiers, lieutenant des vaisseaux du roi, et de Catherine-Char lotte-Cécile des Mesllers,

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dans la ville. Il y avait quinze mille habitants, tous patriotes ; ils s’aperçurent bientôt de la faiblesse de la garnison, on fut obliges d’user de stratagème : la nuit, les officiers couraient à cheval et se criaient À chaque instant et dans toutes les rues : Qui vive Ÿ Ils répondaient : Armée catholique. Ce manège faisait croire qu’il était arrivé du monde et maintenait les habitants, mais cela ne pouvait durer longtemps ; il était venu trois mille Bleus à Chinon. Enfin M. de la Rochejaquelein se trouva, lui neuvième, dans la ville, qu’il fut obligé de quitter, emmenant deux canons, les seuls restés à Saumur ; il les jeta dans la rivière à Thouars, Il arriva & Amailloux, en même temps que M. de Lescure s’y rendait de Parthenay.

. Quelques jours après, j’allais dîner & Chàtillon, où étalent MM. de Lescure, de la Rochejaquelein et quelques officiers poitevins ; la première chose que j’y appris fut que le feu était au château de Clisson ; je reçus fort tranquillement cette nouvelle. Depuis le commencement de la guerre, nous nous attendions à cela, mais nous n’avions pas voulu faire démeubler le château, de crainte d’effrayer les paysans : le sacrifice était fait. Voilà comme cela se passa ; Westermann (i), à la tête de dix mille hommes détachés de l’armée de Lauzun, avait surpris les Vendéens à Parthenay ; de là il se rendit à Amailloux et y mit le feu ; c’est le premier village qui ait été brûlé, comme mon château fut le premier incendié. D’Amailloux, les Bleus allèrent, au nombre de quinze cents, à Clisson, à neuf heures du soir. Une vingtaine de paysans cachés dans le bois leur tirèrent quelques coups de fusil ; cela les effraya d’abord, mais ensuite ils revinrent et prirent des femmes qui s’y trouvaient, mais ne leur firent point de mal ; ils n’étaient pas alors aussi cruels qu’ils le devinrent ;

(0 François-Joseph Westermann, né an 1764. fils d’un procureur de Molsheim en Alsace, fut nommé adjudant général on 1793, puis envoyé pour combattre la Vendée ; Il fut dénonce et condamné & mort par te tribunal révolutionnaire do Paris, le »G germinal an U, 5 avril 1794.

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ils examinèrent bien tout le château, d’où Westermann écrivit à la Convention une lettre qui fut mise dans les journaux, datée du château de Lescure (i), où il annonçait qu’il allait mettre le feu au repaire de ce monstre vomi par Vettfer^ après avoir passé une multitude de ravins, fossés, chemins couverts : c’étaient les chemins du pays dont son imagination avait fait des fortifications. On porta de la paille et des fagots dans toutes les chambres du château, depuis la cave jusqu’au grenier, dans tous les endroits de la basse-cour, sans oublier même le chenil ; cette opération dura toute la nuit. Le matin, les servantes de la maison, qu’on devait emmener prisonnières, s’échappèrent ; on alluma partout, avec exactitude, sans rien démeubler, ne prenant que quelques draps et couvertures pour mettre sur les chevaux* On mit également le feu aux greniers, où il y avait plus de huit cents sacs de grains, et aussi à des barges de foin énormes. Quoique les patriotes se plaignissent de mourir de faim, ils ne sauvèrent point les grains ; ils ont détruit dans toute la Vendée plus de blé qu’il ne leur en fallait pour la subsistance de toutes les années dirigées contre elle. Westermann, après cette brillante expédition, se porta sur Bressuire avec ses dix mille hommes. Les paysans s’approchèrent pour étouffer les flammes, on commençait à y réussir quand un accident imprévu arriva. À mon

(,) « Au citoyen Biron, général en chef. Du quartier général de Clisson, château de Lescure, a juillet 179 ?.

«..J’ai livré AmaîlJou au pillage, // al mi» le fou… Je me »ul porté droit «u château de Lescure. Je no peux vous exprimer les chemins couverts, les gorges et les bois que je fua obligé de passer ; je ne suis plus étonné que cofacqitin do Lescure se croyait en sûreté cher lui. Je suis enfoncé dan» Je» bois jusqu’au col… En arrivant, j’ai folt cerné le château… Je vairré s’il est possible de.so procurer des voitures pour conduire les meubles à Perthonay, au profit de ses malheureux habitants ; si je ne puis m’en procurer, les meubles commo le château deviendront la proye des flammes, car jo veux donné ce souvenir à la postérité de l’asile d’un monstre, tel que l’enfer en a vaumy… J’exige de chaque commune qu’elle me four» nlssenf un contingent, et je déclare hautement que je brûle les villages qui fourniront des homme» * l’armée des rebelles… J’engage beaucoup les généraux sou» vos ordre» d’usé des môme» moyens, et bientôt vous verray que les rebelles n’au* ront plus d’agité nulle part. Foustotmakm » {sic).

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mariage on avait préparé un très beau feu d’artifice, on n’avait pu le tirer ù cause de la maladie de ma grand’mère ; l’incendie le gagna, tout partit à la fois ; les hommes et les femmes occupés à éteindre le feu et à sauver les meubles crurent à une décharge d’artillerie tirée par les Bleus ; ils prirent la fuite et de douze heures n’osèrent approcher du château, qui fut consumé en entier, ainsi que les basses-cours (1) ; [il ne resta que la chapelle et quelques servitudes.]

Revenons maintenant h Châtiilon. Quand j’y arrivai, tous les commandants étaient dans les plus grands embarras ; ils n’avaient point de soldats et devaient être attaqués le lendemain matin ; ils s’occupaient h écrire des réquisitions et à expédier des courriers. Parmi les paysans, les uns revenaient de Nantes où l’on s’était battu la veille, les autres, épars, cherchaient à sauver leurs femmes et leurs enfants des mains des Bleus. M. de Lescure me donna des ordres pour les porter à Treize-Vents et à Mallièvre près la Boulaye, d’où je devais envoyer des courriers, car les cavaliers manquaient à Châtiilon ; il n’y avait non plus que deux ou trois canons, Je partis à bride abattue, j’ordonnai, en arrivant à Treize-Vents, de sonner le tocsin, j’envoyai prévenir maman qu’on le faisait par mon ordre. Je haranguai de mon mieux les paysans rassemblés ; je remis au conseil les ordres de M. de Lescure, je dépêchai des courriers pour les autres paroisses ; j’allai aussitôt après à Mallièvre faire le même bacchanale, et enfin je me rendis à la Boulaye.

Ici je m’arrête et je m’écrie : quelle suite d’aventures cruelles ou bizarres ! Hélas, je ne suis encore qu’au début de l’histoire de la vie la plus singulière dont vous ayez, mes enfants, jamais entendu parler.

0) * Du quartier général de Breisuirc, 2 juillet.

. * Demain J’irai A Châtiilon, après «voir brûlé le château de la Rochejaquoloin, comme je l’ai fait do celui de Lescure, où U n’est pas resté une pierre

“ urr * utw-W»T ««KAN».»

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Les paysans se réunirent en petit nombre : les bourgs sont peu considérables dans la Vendée, la plupart des habitants sont dans des métairies, Avant qu’ils eussent reçu les ordres, se fus* sent mis en route et fussent arrivés, la bataille était perdue ; ceux des environs de Châtillon eurent seuls le temps de s’y porter, au nombre de deux ou trois mille. Comme les paysans ne se battaient jamais bien quand on venait les attaquer, ces bonnes gens s’imaginant alors que l’ennemi se sentait assuré de la victoire, MM. de Lescure et de la Rochejaquelein se mirent à leur tête et avancèrent jusqu’au bols du Moulin-aux-Chèvres, à deux lieues de Châtillon ; ils trouvèrent les Bleus et furent battus, comme Ils s’y attendaient, perdirent cependant peu de monde, mais furent obligés d’abandonner Châtillon, où il n’existait même pas de murs. Cependant Westermann écrivit à la Convention qu’il avait pris cette ville, défendue par trois retranchements, lui ayant plu d’appeler ainsi trois arbres abattus sur le chemin. Dans cette bataille fut blessé le chevalier de la Bigotière ; il eut le bras cassé par un boulet de canon, et força les paysans de l’abandonner dans une maison isolée ; il y resta longtemps évanoui, fît trois quarts de lieue & pied, portant son bras en écharpe, et se rendit dans un village d’où on le conduisit à Cholet. On lui fît l’amputation, il retourna au combat avec la même intrépidité, un mois après. Plein de témérité, il reçut un coup de sabre sur le reste de son tronçon de bras. C’était dommage qu’il fût mauvaise tête et mauvais sujet.

Toutes les fois qu’il se donnait des batailles, quand on était à portée de les entendre, c’était un spectacle touchant de voir les femmes, les enfants et les hommes qui étaient restés, tomber à genoux et prier Dieu dans le plus profond silence, tout le temps que le combat durait, puis se relever en criant Vive le Roi ! quand ils croyaient nos gens vainqueurs, ce que nous jugions par le rapprochement ou l’éloignement du canon, et par la manière différente dont tiraient les Vendéens, qui était plus IcQte que

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celle des Bleus. Le jour de la bataille de Châtillon, nous entendîmes bientôt les coups de canon se rapprocher avec vivacité, nous en conclûmes que la déroute était notre partage. Je me mis & courir de toutes mes forces, n’étant qu’à une lieue et demie de la ville i je passai la rivière de Sèvre à Mallièvre, et je me réfugiai dans une métairie que je ne connaissais pas ; je me fis habiller en paysanne, de la tête aux pieds, je choisis même les vêtements les plus déchirés, et je rejoignis maman et les habitants de la Boulayc, que j’avais laissés passant le pont. Nous nous mîmes en marche pour les Herbiers ; nous nous arrêtâmes à Conclze, le chevalier étant venu nous y inviter de la part de sa belle-sœur, femme d’émigré (r), qui y était avec sa fille et un fils très enfant. Nous la trouvâmes occupée à se mettre du rouge et à faire semblant d’avoir une attaque de nerfs ; elle nous reçut à merveille, nous y vîmes le prince de Talmond, qui arrivait de Nantes ; mon père, qui en venait aussi, nous avait rejoints un peu avant.

Toutes les dames et les vieillards partant le lendemain pour les Herbiers, gros bourg assez patriote, on me décide à quitter mon singulier costume. Nous rencontrons M we de Beauvollier et nous sommes logés chez de Jourdain, dont le mari, seigneur de la paroisse, avait émigré, la laissant en France avec quatre jeunes filles ; elle nous accueille très bien. Il va sans dire que ma tante l’abbesse, ma fille et M. d’Auzon étaient avec nous. Maman se trouva fort incommodée de la peur qu’elle avait ressentie, elle en avait cependant témoigné bien moins que moi ; mais le premier mouvement passé, je ne m’inquiétais plus, suivant mon caractère.

(0 SuHnno-ÈIcottAre de Chavagnac, fille de Gilbert-René, comte de Chavagnac, capitaine de* vaisseaux du Roi, chevalier de Saint-Louis, et de Françoise Karengor du Mesnil-Rolland. Elle avait épousé Roland-Chsrlei-Augustin Greller de Conclze, chevalier de Saint-Louis, de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Saint-Uzare, capitaine de vaisseau en : jga t major général de la marine à Rochefort. Elle Fut noyée à Nantes, son mari fut pris aprè* Qui héron et fusillé h Vannes.

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Ruines du château de la Durbelière

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P«f<* ChXtillon kn Poitou WCENDl# f, R 3 JtJIfXKT 1793 ofr naquit Hrnri iïr Fa RorHKJAQtiR[^iK

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CHAPITRE XII

DEPUIS LA DÉROUTE DE CHATILLON LES PREMIERS JOURS DE JUILLET 1793 (1) JUSQU’À LA SECONDE BATAILLE DONNÉE PRÉS DE LUÇON LE 14 AOÛT

L u lendemain de la prise de Châtillon, Westermann envoya des troupes incendier te château de la Durbelièrc, appartenant à M. de la Roche jaquelein. Quoiqu’il ne fût qu’à trois quarts de lieue de la ville (a) et sur le côté, les soldats qui y mettaient le feu mouraient de peur, parce qu’il est au milieu des bois ; Us s’en retournèrent bien vite, de manière qu’on eût le temps d’éteindre l’incendie dans les basses-cours, et le château seul fut endommagé ; le feu y fut mis et éteint cinq fois.

Cependant la grande armée se rassemblait à Cholet à la hâte ; l’ennemi nous attendait par le chemin qui mène de cette ville à Châtilîon et avait placé plusieurs postes en avant ; mais pour le surprendre, nos troupes vinrent par Mallièvre, commencèrent l’attaque le sur lendemain du jour de la déroute. Dans le moment que les Bleus s’y attendaient le moins, les Vendéens se rendirent

(i) Le 3 Juillet.

(21 A 5 kilomètre*,

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sans bruit jusqu’auprès d’un moulin à vent, sur le chemin de Châtillon à Mallièvre, où étaient campées un grand nombre de troupes patriotes. Le feu commença ; M. de Lescure commandait avant-garde, Au moment où l’on entendit les premiers coups de canon, l’évêque intrus de Saint-Maixent était occupé à chanter, à Châtillon, le Te Deum ; il s’enfuit au plus vite. Westermann envoya renfort sur renfort au moulin, mais la furie avec laquelle nos gens attaquaient, et l’étonnement qu’eurent les Bleus de voir, au bout d’un quart d’heure, des colonnes de pay. sans qui paraissaient les entourer de tous côtés et allaient les prendre sur les deux flancs, firent replier l’ennemi sur Châtillon ; nous le poursuivîmes. Ce fut bientôt une déroute si complète qu’on n’en a jamais vu dépareillé ; de dix mille hommes il ne se sauva que trois cents cavaliers, tout, le reste fut pris ou tué, le plus grand nombre eut ce dernier sort ; la rage était grande, et quoique les paysans criassent aux fuyards à Rendez-vous, on ne vous fera point de mal, ils se faisaient tuer. M. de Lescure avait déjà envoyé plusieurs centaines de prisonniers à Châtillon ; on vint lui dire qu’on les avait massacrés à la porte des prisons ; les généraux qui les conduisaient et voulaient les sauver, furent couchés en joue et forcés de les abandonner à la fureur de M. de Marigny et de soldats qui avaient, comme lui, perdu la tête. La poursuite était à peu près finie, M. de Lescure se décida à ramener lui-même environ soixante-dix Bleus qu’il avait pris ; ces malheureux portaient son cheval et s’attachaient à ses habits ; il arriva & la prison, aucun soldat n’osa rien lui dire, car il était infiniment respecté. M. de Marigny, tout couvert du sang de soixante-quinze volontaires qu’il avait égorgés de sa propre main, à coups de sabre, lui cria : « Retire-toi, laisse-moi tuer ces monstres qui ont brûlé ton château. » M. de Lescure lui dit de se retirer lui-même, et qu’il défendrait ses prisonniers s’il le fallait ; [il ajouta î « Marigny, tu es trop cruel, tu périras par épée. »] Alors M. de Marigny s’en alla et les Bleus furent sau-

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vdB, avec tous ceux qu’on amena ensuite de tous côtés, car ces malheureux s’égaraient dans les chemins, impénétrables aux gens étrangers à notre pays ; les femmes et les enfants les assommaient à coups de pierres dans les villages, ou les menaient enchaînés dans les prisons, [La destruction du bourg d’Amailloux et de nos châteaux, premières atrocités de ce genre commises par les républicains, avait inspiré à nos paysans cette ardeur de vengeance. Depuis, ils s’accoutumèrent pour ainsi dire aux incendies et revinrent à leur douceur naturelle. On fit plus de quatre mille prisonniers, le reste fut tué.)

Nous prîmes tous les caissons, canons, bagages, sans qu’il s’en sauvât la moindre partie. Quatre jeunes officiers de l’armée saisirent la voiture de Westermann et enfoncèrent le coffre-fort qui s’y trouvait ; il était vide, mais cela jeta beaucoup de soupçons sur eux, car il y avait dans le nombre d’assez mauvais sujets. Heureusement M. Danyaud-Dupérat(i), aide de camp de M. de Lcscure, se trouva être un des quatre : son général assura au conseil que la valeur et la conduite de ce jeune hoipmc étaient trop connues, il était trop estimé de tout le monde, pour laisser un doute sur ce qu’il n’y avait rien dans le coffre-fort, du moment qu’il en donnait sa parole d’honneur ; il dit que ces messieurs avaient fait seulement une étourderie. L’affaire en resta là, et l’applaudissement universel fut un témoignage d’estime bien flatteur pour M. Dupérat.

M. Richard, médecin breton, officier extrêmement brave et

(t) M. Danyaud-Dupérat était fila d’un avocat de Cognac ; M. de Lescure l’avait pria pour aide de camp & cauae de son étonnante bravoure ; U était auast remarquable par son sang-froid que par an témérité. (Note de l’auteur.)

Isaac-DantcWean Danyaud-Dupérat, né k Cognac te a* novembre 1769, fit toutes tes guerres de Vendée et de Bretagne. Prisonnier en {795, il fut condamné à la détention ; U s’évada de Nantes et rejoignit l’armée de Scëpeaux. Après la pacification il fut proscrit, puis arrêté de nouveau en <804 ; U resta en prison jusqu’en 1814. Maréchal de camp, chevalier de Saint-Louis, il commanda le département de la Vendée et mourut à l’hôpital militaire du Val-de-Qricc, à Paris, le 1 a octobre 1826.

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considéré fut blessé, au combat de Châtillon, d’une balle qui lui creva un œil et sortit à la nuque ; il se fit porter à rhôpital de Saint-Laurent, où les soins admirables des sœurs et du père Supiot, chef des missionnaires, le guérirent de cette cruelle blessure ; il l’avait reçue & côté de M. de Lescure ; celui-ci eut la plus grande part à la gloire de cette journée. On m’a assuré que depuis 1796, après avoir été fait chevalier de Saint-Louis, M. Ri. chard était devenu traître.

Westermann ne fit aucun mal aux habitants de Châtillon ; il délivra environ six cents prisonniers Bleus, parmi lesquels était le chevalier de la Trésorière (1), qui rendît de grands services à la ville en intercédant pour plusieurs habitants. On fut fort étonné, en entrant, de le trouver seul dans les prisons ; il voyait, dit-il, qu’on avait égaré sa jeunesse, mais il était devenu royaliste ; il appela en témoignage les bourgeois auxquels il avait porté secours, demanda à être admis parmi nous, fut d’abord simple fantassin et s’est très bien conduit. Westermann s’enfuit des premiers à cette bataille, mais depuis Ü nous attaqua toujours en forcené.

Nous étions aux Herbiers dans la plus mortelle inquiétude, quand des courriers, au grand galop, criant Vive le Roi et tirant des coups de pistolet, nous apprirent le gain de la bataille. Nous retournâmes bientôt à la Boulaye, où nous trouvâmes M. de Lescure très souffrant de son bras qui n’était pas encore guéri.

Nous reçûmes un exprès envoyé par ma tante de Courcy pour savoir de nos nouvelles. Son aventure est trop extraordinaire pour l’oublier î c’était un garçon couvreur nommé Nivemois, doué d’un sang-froid étonnant ; il avait pris un passeport pour

(0 Marc-Jacques Barbot do la Trésorière, chevalier, dis de Jean Barbot de la Trésoriére» sieur do Si llac, colonel, mort à l’armée de Condc, et de Jeanne de la Croix de PEstoile. Il était né k Angoulême le ao avril *773} il devint officier d’état* major de Charette, fait prisonnier le a 3 mars *790, II fut libéré lors de l’amnistie et mourut en 1809.

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Nantes» ses outils de couvreur» et s’était mis en route. Il parvint & Gerîzay ; heureusement M. de Lescurc y possédait une terre» il se réclama de lui. Les paysans se rendaient au combat de Chûtillon, ils l’emmenèrent avec eux. Il courut beaucoup de. risques en route» les autres le croyant espion ; arrivé au commencement de la bataille» et surveillé par nos métayers qui ne s’y fiaient guère» il fut obligé d’aller au feu» sa truelle à la main. Chûtillon pris, les paysans l’enfermèrent dans une maison, et, poursuivant les Bleus, l’oublièrent ; enfin, le soir, il se hasarda à descendre, et la première personne qu’il trouva fut un domestique de mon père. Il resta huit jours à la Bouiaye ; mais comment le renvoyer ? On lui donna un laissez-passer comme ayant été pris, puis relâché après avoir été reconnu comme voyageur, avec défense toutefois d’aller à Nantes par la Vendée.

11 se mit en route du côté de Poitiers, qui était la ville la plus tranquille ; près d’Airvault, il fut rencontré par un municipal qui voulait l’arrêter. Comme ils étaient seuls, il le tua à coups de bâton et gagna de nuit Poitiers, y déchira son laissez-passer, montra seulement son passeport et dit que, sachant les Brigands en force, il désirait retourner & Bordeaux ; on le lui accorda et il y revint sans accident.

Peu de jours après le combat de Châtillon, M. de Lescure reçut une lettre d’un officier de l’armée de Royrand qui demandait des secours. J’ai déjà parlé du superbe combat livré par cette troupe au commencement de la guerre, dans les environs de Chantonnay. Depuis cette époque elle était restée à garder ce poste, qui était important ; elle n’avait guère de réputation, les soldats étaient les moins braves du pays. Cinq mille avaient marché sous les ordres de M. de Verteuil, un de leurs officiers les plus estimés, lors de la seconde bataille de Fontenay ; ils étaient arrivés après l’affaire. Cette armée avait aussi essayé d’enlever Luçon, mais elle avait été battue ; elle venait d’être attaquée et forcée à Chantonnay, et avait perdu M. Sapinaud

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de la Véric (i), le meilleur de ses officiers, différent de son neveu qui existe aujourd’hui, alors aussi officier de Royrand, bonn « tc homme, mais sans talent. Ce dernier a depuis été, par un caprice du sort, général de la division du centre dans cette même armée. Les officiers estimés et en réputation étaient MM. Grelier (*), de Verteuil, les frères de Béjarry, parents de M. de Lescure ; puis MM, de Sapinaud, de Concizc et de Cumont (3), qui commandait en second. Le général de Royrand était un vieux militaire, plein de mérite et de loyauté.

La lettre reçue par M. de Lescure était un récit de la triste affaire de Chantonnay, écrit d’un style plus pitoyable encore ie crois qu’elle était de M. de Baudry-Puyravault (4), honnête homme, fort nui. On finissait par demander des secours à cor et k cri. M. de Lescure partit sur-le-champ pour aller trouver ces messieurs, et envoya en même temps plusieurs lettres aux généraux pour les prévenir. Ils se rendirent du côté des Herbiers les soldats s’assemblèrent, les Bleus quittèrent Chantonnay ; on voulut aller attaquer Luçon, situé au milieu d’une plaine ; nous fûmes vaincus et perdîmes une partie de nos canons. Cependant nous gardâmes le poste de Chantonnay.

Plusieurs personnes blâmaient M. de Lescure d’avoir été

(0 M, Sapjnaud de la Varie fit constamment bien son devoirs il n’était nas nû bravo et en convenait. « Personne, disait-lî, ne redoute autant que moi d’aSer au

z. mü !, ’h °“ n T « *“ lourir r to “

poste. * J y reste, et je saurai y mourir. » (Note du manuscrit.)

Thimer’ÏÏ GrcHcr do do Chapelle*

^‘«^cmlnc en bas Poitou, ancien lieutenant au corps royal de “SS coion laie, fut pris à Montrelais près Varades, condamné et exécuté à

«ïÿ uvsi.“ v, cr " **" k "" dM, rou ° re, ", r *

mliü de Cumont > chevalier, seigneur du Buisson, pa-

  • *JL h ‘ 3r ‘ S *L nt r Bonn ^ pr4t CholcV » * 6 septembre t 7 S*, page du Roi,

BaibeS ri" 11 d A< ï“ it#, nc * * Saint. Maixent, à Marie-Anne de la

Barbextere. Il mourut à Angers le 19 mai < 835.

(4) Charlcs-Antolnc-Rcné Baudry d’Asson, écuyer, seigneur de Pumvault cin-

  • ' Baudry, ctorelli, «U “ ‘SK ii

manoir, et d Annc-b rançoise-Hyacinthc de <ioulainc ; marié « Anne-Charlotte Le

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cause de cette bataille, en se portant avant les autres au secours de l’armée de Royrand et se montrant le plus décidé à marcher sur Luçon (i). Cependant, sur le premier point, il avait fait son devoir, d’autant que les Bleus, entrant par Chantonnay, prenàient la Vendée par le milieu. Quant au second point, il commandait l’aile gauche et avait remporté l’avantage, tandis que le reste avait été complètement battu ; nous avions perdu beaucoup de monde, cela donnait naturellement de l’humeur ; je ne me rappelle pas d’autres détails de ce combat.

Cathelineau était mort (2) de ses blessures, où la gangrène s’était mise. [M. Pierre Jagault me disait que ce général était un homme supérieur : par la force naturelle de son esprit, il adoptait toujours dans le conseil le meilleur avis ; ses idées étaient justes, son jugement excellent ; au combat, au conseil, on admirait en lui ce qu’est le génie se développant tout d’un coup et ne devant rien qu’à la nature. Il y joignait une piété, un courage, un dévouement, un désintéressement et un excès de modestie également rares.) Il fut question de nommer un général en chef ; on voulait le désigner pour tome la Vendée et on s’y prit fort mal. On aurait dû réunir des envoyés des diverses armées ; il s’en trouva bien de celles de Royrand, Charette et Bonchamps, mais plus du double, h proportion, appartenant à la grande armée ; M. d’Elbée, voulant se faire nommer, fit entrer beaucoup de monde qui n’aurait pas dû y être. Cela se passa avec la confusion habituelle à nos rassemblements. On écrivit

vO Go n’est point A cotte seconde bataille de Luçon que M. de Lescure donna ic plan qui fut blémé, ce fut à la troisième, du i 3 au 14 août. On attribua la défaite À ce que quelques officiers s’arrêtèrent dans des maisons des environs pour piller ; cela donna un fort mauvaia exemple aux soldats, dont plusieurs se dispersèrent et ne se trouvèrent point sur le champ de bataille. M. Baudry (du Plessia de Chfttillon), excellent homme, mais mauvaise tète, fut fort inculpé. On voulait même le faire passer en conseil do guerre pour servir de leçon ; mais son âge, l’estime duo h sa famille et la crainte, en frappant un officier qui n’était pas noble, de paraître vexer la classe du peuple, furent les motifs présentés par M. Jagault à M. de Lescurc pour le déterminer è assoupir cette affaire. (Note du manuscrit.}

(3} Le 14 juillet >793.

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quatre noms sur chaque billet ; il fut dit que celui qui aurait le plu» de voix serait généralissime, les quatre autres successivement si le premier venait à mourir ; ils nommeraient chacun un second, et ces neuf personnes formeraient seules le conseil de guerre : tout cela ne parut guère raisonnable, vu la position des choses. Du reste on n’avait touché au commandement d’aucun chef ; ceux qui avaient des soldats restaient généraux, absolument comme avant. Cet arrangement de conseil de guerre si limité ne subsista qu’à la bataille de Luçon ; aussitôt après, cela changea ; seulement le titre de généralissime et leB droits à le devenir ont été à peu près maintenus et suivis. On sera étonné de me voir parler aussi librement de ce qui regarde la Vendée ; je me suis fait un devoir de dire l’exacte vérité sur tous les points et sur les individus.

M, d’Elbée fut nommé généralissime ; vinrent ensuite MM. de Bonchamps, de Lescure, de Royrand et mon père. On n’a jamais bien su qui M. de Bonchamps nomma pour son second ; les uns disentM.de Fleuriot, les autres, M. d’Autichamp ; M.de Lescure prit M. de la Rochejaqueiein ; M. de Royrand choisit M, de Cumont, et mon père, M. de Charette. Celui-ci fut sensible à cet égard de mon père, mais il rit de tout cela : il n’avait que deux officiers présents à cette réunion. M. de Bonchamps en rit aussi ; il écrivit de son Ht, où le retenaient ses blessures, à M. d’Elbée, qui lui avait fait part de son élection : « Monsieur, je vous fais mon compliment de votre nomination comme généralissime ; ce sont sûrement vos rares talents qui ont fait faire ce choix. J’ai l’honneur d’être… »

tes bons esprits, et particulièrement mon père, MM. de Lescure et de la Rochejaqueiein, désiraient vivement que M. de Bonchamps fût généralissime ; mais ces messieurs n’étaient point intrigants. M. d’Elbée l’emporta par la quantité de ses amis venus au conseil, quoique simples officiers ; mais comme il n’y avait pas de rangs réglés, il était difficile d’en refuser l’en-

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tree, Tandis que des autres parties de la Vendée» excepté de l’armée de Charette, les personnes les plus distinguées par l’opinion générale furent seules & voter, les officiers de M, d’Elbée étaient arrivés en foule,

M. d’Elbéc était un brave homme, courageux et ambitieux ; sans contredit» si on eût donné la place au mérite, elle était de droit à M. de Bonchamps, Du reste, en disant que M. d’Elbée avait de l’ambition, j’entends le désir de commander et les intri» gués pour y parvenir ; mais vertueux et dévoué, il était incapable d’aucune action mauvaise. M. de Marigny resta général de l’artillerie et Stofflet devint major général.

Ce fut à cette époque que M. le chevalier de Tinténiac (i), émigré, arriva de la part du Gouvernement anglais ; U parvint avec peine jusqu’en Vendée, Un bateau de pécheur le débarqua seul et pendant la nuit dans les environs de Saint-Malo. Il ne connaissait point les routes, quoiqu’il fût Breton ; il n’avait point de passeport et était vêtu en bourgeois. Il traversa & trois heures du matin la petite ville de Châteauneuf (je crois qu’on la nomme ainsi) ; les sentinelles lui crièrent : Qui vive ? il répondit : Citoyen, et passa. Au lever du soleil il se trouva dans la campagne, sur le grand chemin ; 1& il rencontra un paysan, l’accosta, le questionna, et, quand il crut être sûr de sa façon de penser, il se confia à lui et lui dit qu’il était émigré, qu’il désirait joindre la Vendée, le priait de lui en donnefr les moyens et se mettait entre ses mains ; il lui cacha seulement qu’il fût porteur de dépêches. Le paysan l’emmena chez lui, où U le garda deux jours, et assembla la municipalité composée, comme dans presque toutes les paroisses de Bretagne, des gens les plus royalistes. Après avoir bien délibéré, on donna h M.de Tinténiac des habits

(i) Vincent, second fils do René-Auguste, marquis de Tinténiac, baron de Qultner’ch en Bannatec, capitaine aux gardes françaises, chevalier de Saint-Louis, çt d’Anne-Antoinette de Kersulgucn. Surnuméraire aux chevau-Iégers de la garde en 177g. Débarqué S Qulberon, U fut tué en combattant, le 18 Juillet 1795, devant lo château de Cotttogon, entre Ploérme ! et Pontivy.

  • 4

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de paysan et un guide pour le conduire dans une maison sûre, où il en trouva un autre, et successivement jusqu’au bord de la Loire ; là, des matelots aristocrates le passèrent ; ce n’était pas facile, les Bleus avaient garni la rive droite de la Loire de batteries, et il y avait des chaloupes canonnières qui croisaient sans cesse î le cours de la Loire était toujours en état de guerre, même les bateaux marchands avalent des canons. Nous avions aussi des batteries sur la rive gauche, et souvent nous forcions les barques à amener. M. de Tinténiac avait eu la précaution de donner rendez-vous à ses guides et au pêcheur anglais pour son retour, Il fit cinquante lieues à pied en cinq nuits et arriva au camp du corps d’Ésigny ; on le confia à un officier, M. de Flavigny ; ils se rendirent & la Boulaye, où on était toujours sûr de trouver des généraux assemblés,

L’Angleterre n’avait eu encore aucune communication avec nous ; on a prétendu que M, de Charette avait envoyé, au commencement, un M., de la Robrie *. alors il ne revint qu’au bout de deux ans (i). Il avait paru aussi unM. de la Godellière, émigré, mais il avait perdu ses papiers ; il parut étourdi et inspira peu de foi ; cependant on lui remit une lettre, d’ailleurs insignifiante ; on a dit depuis qu’il s’était noyé en la portant en Angleterre.

(«) Il est certain que M. do Charette envoya en Angleterre M. de la Robrie, oui pont on débarquant en Bretagne. (Note du manuscrit.) '

Hervouêt do la Robrie figurèrent dans le* armées vendéennes. Joseph, aide de camp do Charettc, envoyé en mission en Angleterre, fut nommé par le comte d’Artois lieutenant-colonel et chevalier de Saint-Louis. Voulant rentrer

“ printemp.. 79 5. n.«TüUn.

ht' SU 177 !’ma 1° T do »’année de Charette, prit

part ft la défense de 1 Ile de Nolrraoutler, parvint ensuite à regagner la cête, réor-

Rends IViihftrtî ? cl fut arrêté le 6 avril 1796.

rh * * liberté, il eut plus tard à se défendre contre l’accusation d’avoir livré

Charettc, ce dont U était Incapable. Décoré par le roi Charles X de l’ordre de t’olomn 11 *’ ? v l trou * é l n, ° rt k la P°rte d’un hameau de la commune de Saint-' Pr^dent P dTl^ 4 * fin d ’° ? obf * « 83 a,10» de la tentative de soulèvement, hriiunl m ! ?^ rîC’co ? miindant de 14 cavalerie de Charette, fut un des plus dière de * erande * ucrre * blewd à l’attaque du village de la Thébauprès des Essarts, en décembre 179$, U mourut le jour même à Sallgny.

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M. de Tintdniac était le second fils du marquis de ce nom, une des mcUlcures maisons et des plus riches de Bretagne ; c’était un homme de trente ans, petit, la figure pétillante d’esprit, et elle ne trompait pas. Il portait ses dépêches dans deux pistolets & deux coups, chargés, elles servaient de bourre. Il était bien déterminé à tirer ses quatre coups s’il était arrêté, par conséquent & sauver le secret de sa mission. Mon père, MM. de la Rochejaquelein, de Lescure, l’évêque d’Agra, des Kssarts, de Béjarry, étaient à la Boulaye. On soupçonna d’abord M. de Tinténiac, on lui demanda comment on l’avait choisi de préférence & tant d’autres émigrés du pays. Il répondit que plusieurs avaient refusé une commission si dangereuse, d’autres ne s’étaient point trouvés à portée ; il ajouta avec une noble franchise ï « Outre les motifs qui auraient déterminé tout autre, j’ai eu, je ne vous le cacherai pas, une jeunesse très blâmable ; j’ai voulu faire oublier mes sottises ou périr. »

Il donna ses dépêches, elles étaient du ministre anglais Dundas (i), je crois ; U y avait aussi des lettres du gouverneur de Jersey. Les dépêches contenaient des éloges sur notre bravoure et les offres les plus flatteuses, et témoignaient le désir de concourir au soutien de l’insurrection ; on y faisait neuf demandes, je crois me les rappeler ou à peu près :

Pourquoi nous n’avions pas établi la correspondance avec l’Angleterre ? Le véritable but de la révolte ? Ce qui l’avait fait naître ? Quelles étaient nos relations avec les autres provinces et les puissances ? Quelle était l’étendue du pays insurgé ? Le nombre de nos soldats ? Nos ressources en argent, vivres, habillements, canons, fusils, poudre ? D’où nous tirions tous nos moyens ? On finissait par nous proposer tout ce dont nous aurions besoin, et on nous demandait d’indiquer le lieu d’un débarquement.

(i) Henry Dundee, né à Édimbourg le 38 avril 1743, fit partie en 1783 du ministère Pitt, fut on 1791 secrétaire d’État à l’Intérieur, puis 4 la Marine. Grée baron Dundas et vicomte Melville, en 1804 premier lord de l’Amirauté, il mourut & Édimbourg le 39 mai 18n.

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On avait dans toutes les dépêches le ton de la bonne foi et une espèce de crainte de nous voir refuser les secours de l’Angleterre, puisque nous n’en avions pas demandé ; on avait même l’air de suspecter, ou du moins d’être incertain de savoir si nous étions royalistes ou monarchies (i), ou même fédéralistes. Le tout était adressé ù M. Gaston, perruquier à Chalians, dont j’ai parlé, qui avait été le premier nommé dans les gazettes comme chef de l’insurrection ; les Anglais le croyaient un M. Gaston ayant commandé à Longwy, lors de la campagne de 1792.

M. de Tinténiac fut vite convaincu que nous étions des roya* listes purs ; il lut notre proclamation de Fontenay, réimprimée à Angers ; les Anglais devaient certainement la connaître, tout en feignant de l’ignorer ; car quelle apparence qu’une proclamation publiée dans toutes les gazettes fût inconnue à leur Gouvernement ? Cela prouve bien que leur prétendue incertitude sur nos opinions étaient une fausseté. De notre côté, nous vîmes que c’était sûrement un émigré ; la confiance s’établit, et, quittant le caractère d’ambassadeur anglais, il nous parla À cœur ouvert pour nous dire la vérité. Les généraux en firent autant et le chargèrent d’instructions secrètes pour les Princes. Il nous dit que l’on ne savait rien au juste, en Angleterre, des choses de la Vendée ; on croyait l’insurrection composée de quarante mille hommes de troupes de ligne, et en général on pensait que c’était un parti de républicains fédéralistes ou de constitutionnels où n’étaient pas reçus les émigrés. M. de Tinténiac ajouta avoir été envoyé par le Gouvernement anglais, sans aucune participation des Princes (2) ; il raconta qu’il y avait un débarquement en préparation, l’île de Jersey était pleine de canons, de munitions, de soldats, d’émigrés ; les Anglais avaient donc tous les moyens possibles pour nous secourir ; on en parlait hautement, mais

(1) Monarchistes libéraux.

(2) À cette époque il n’y en avait pas un soûl en Angleterre. (Note de l’auteur.)

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cependant il ne fallait pas sÿ fier tout à fait ; beaucoup d’émigrés seraient déjà venus nous joindre sans un ordre bizarre, défendant, sous peine de mort, à tout matelot de passer aucun d’eux en France ; lui n’avait eu un bateau que par l’ordre du gouverneur.

On renvoya la réponse comme la lettre était parvenue, c’est-à-dire servant de bourre aux pistolets. Il fallait une écriture très fine et très lisible ; il n’y avait pas de temps, à perdre, M. de Tinténiac ne pouvait rester que deux jours ; il fallait aussi le plus profond secret. Ces messieurs me chargèrent de faire la copie. Je suis, je crois, la seule personne qui existe connaissant tous ces détails et surtout les réponses qu’on fit î elles avaient plus de six pages et étaient fort détaillées. On approcha autant que possible de l’exacte vérité, sans négliger cependant d’exagérer ou diminuer quelques détails, pour engager davantage les Anglais à nous seconder ; nous exaltions nos forces pour les exciter, et en même temps nous sollicitions très vivement des secours. Nous faisions notre profession de foi sur nos sentiments royalistes, nous réclamions surtout un Prince et des émigrés ; nous témoignions que nous avions été dans l’impossibilité d’écrire au Gouvernement anglais ; enfin nous demandions un débarquement qui assurât la contre-révolution ; il est certain, et nous le disions, qu’au moins vingt mille paysans s’enrôleraient sans trop dégarnir le pays, et pourraient s’avancer en Bretagne ; qu’ils feraient révolter aisément cette province dont nous connaissions l’opinion, quoique nous n’y eussions pas de relations ; qu’on y trouverait de nouvelles recrues ; puis la Normandie aurait le même sort, et les succès étaient infaillibles. Pour faciliter les débarquements, les ports de la Rochelle, de Rochefort ou Lorient présenteraient les plus grandes difficultés aux Vendéens ; on chercherait cependant à lever les obstacles. Nous n’avions pas alors l’île de Noirmoutier ; nous étions maîtres du petit port de Saint-Gilles, mais si les Anglais préfé-

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raient Paimbceuf ou les SableB, nous pouvions promettre de réunir cinquante mille hommes pour faire le siège par terre de l’une de ces places, le jour où les Anglais nous préviendraient qu’ils l’attaqueraient par mer : certes, cette proposition établit bien la mauvaise foi des Anglais. Les généraux présents signèrent tous, ainsi que l’évêque d’Agra : il est étonnant, puisqu’il n’était pas évêque, qu’il eût une pareille audace. Il chargea même M. de Tinténiac de voir, en passant, ses sœurs M u# * de Folleville, du côté de Saint-Malo, et lui donna une lettre pour elles.

Les généraux écrivirent en outre aux Princes, ils les assuraient de leur fidélité, de leur aveugle obéissance à leurs ordres et du violent désir d’avoir l’un d’eux à la tête de la Vendée. Cette lettre était très courte et très simple, parce que les Anglais pouvaient la lire ; on chargea de vive voix M. de Tinténiac de rendre compte aux Princes de tout ce qu’il avait vu. On ajouta les choses qui avaient dû être un peu affaiblies dans la réponse aux Anglais ; enfin on lui dit la vérité toute nue. On le pria surtout de répéter que nous demandions de puissants secours, et, si l’on ne pouvait en obtenir, de faire l’impossible pour qu’un Bourbon vînt nous commander avec dix mille émigrés, fussent-ils sans armes et sans argent ; que les Vendéens se sacrifieraient jusqu’au dernier ; l’enthousiasme était tel, que la présence d’un Prince, ou du moins, en attendant, d’un maréchal de France, le porterait à son comble ; avec les dispositions de la Bretagne et autres provinces de l’Ouest, on pouvait espérer faire la contre-révolution, et en tout cas former le parti le plus redoutable.

M, d’Elbée était occupé à rassembler les soldats du côté de Landebaudière ; on n’eut pas le temps de le prévenir, tant M. de

  • Tinténiac était pressé ; M. de Bonchamps était à Jallais, blessé ;

mais l’opinion de ces généraux était parfaitement connue de ceux qui se trouvaient à la Boulaye. M. dç Tinténiac partit avec le

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projet de voir l’un ou l’autre des deux, s’il lui était possible ; j’ignore s’il le put

J’achèverai ici l’histoire de cet homme intéressant, telle que je l’ai entendu raconter par des personnes dignes de foi. Il s’agissait de lui faire traverser la Loire et retrouver son guide, qui dtait à trois quarts de lieue de l’autre côté ; il fallait passer au milieu des postes des Bleus. On choisit un brave officier du camp d’Ésigny ou de Lyrot, avec trente hommes. Ils s’embarquèrent la nuit, conduisirent M. de Tinténiac sans accident ; au retour, ils se battirent contre deux patrouilles, les dispersèrent et revinrent heureusement dans la Vendée. Pour M. de Tinténiac, 11 refit ses cinquante lieues à pied, de guide en guide, retrouva son bon paysan près de Saint-Malo, et arriva & Jersey ; on dit qu’ensuite il mit ses dépêches dans son portefeuille et les perdit, étant tombé dans la mer, d’où il eut beaucoup de peine à être sauvé ; il rendit compte de sa mission au Gouvernement anglais, de vive voix. Il se présenta à M. le comte d’Artois, qui l’envoya à Monsieur, et fit plusieurs courses, toujours dans le but de nous procurer des secours, mais sans aucun succès. Nos Princes étaient alors esclaves. Il fut renvoyé en Vendée par les Anglais l’été d’après, en 1794 ; son voyage se fit comme le premier, si ce n’est que, ne trouvant pas de bateau sur la Loire, il la traversa & la nage. Il resta environ cinq semaines dans la Vendée, parce qu’il était bien plus difficile de lui faire repasser la Loire, alors beaucoup moins forte. Il retourna de là en Angleterre, et fut renvoyé en basse Bretagne lors de la descente de Quiberon, pour soulever les Chouans, augmenter la révolte et commander cette partie, qui était son pays natal. Il réussit parfaitement et rassembla un grand nombre de soldats ; il apprit alors la déroute de Quiberon, continua & remporter des avantages sur les Bleus, mais, peu après, il fut arrêté au milieu de ses succès, et tué en prenant d’assaut une petite ville de basse Bretagne,

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Telle est l’histoire et la fin de l’intrépide chevalier de Tin* téniac (i), dont les Chouans et les Vendéens bénissent encore la mémoire, et en qui l’esprit, mûri par l’Age, avait développé des talents, une bravoure.et une prudence également rares,

(i) Je me suit évidemment trompée sur In fin des aventures de M. do Tinté* ninc. Voyez V Histoire de la Vendée, par M. de Bcnuchnmp. (Note de routeur.)

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CHAPITRE XIII

DEPUIS LE 14 AOÛT i 79 3

JUSQU’AU SECOND COMBAT DE THOUARS

VERS LA FIN DE SEPTEMBRE 1793 (1)

I l’était venu assez de déserteurs dans la Vendée depuis quelque temps, en bien moins grand nombre, cependant, qu’on ne l’a cru. Quand c’étaient des cavaliers ou des jeunes gens de famille, ils étaient faits cavaliers ou officiers ; le reste composait trois compagnies & pied : la française sous les ordres de M. de Fay ; l’allemande et la suisse, celle-ci commandée par le brave et jeune baron de Keller. Ces trois compagnies étaient chacune d’environ cent vingt hommes, et formaient nos seules troupes réglées ; elles étaient à Mortagne, où, à cause des magasins de canons et de poudre, elles faisaient une espèce de service militaire en règle, quoiqu’elles se battissent à peu près autant en désordre que les paysans : sans cela, cette petite poignée de monde se fût fait écraser. Les Allemands étaient presque tous des prisonniers que les Français engageaient & combattre ; les Suisses étaient les restes de ce malheureux régiment des gardes, égorgé le 10 août ; ils ne respiraient que la vengeance,

(1) Le 14 septembre.

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et, jusqu’au dernier, tous se sont conduits en héros. Ils avaient demandé que la bataille de Luqon se donnât le 10 août, cependant elle n’eut lieu que le 14.

Je nommerai en passant quelques officiers dont je n’ai pas encore parlé ; il est bien probable que, dans le nombre, j’en ou. blierai ; je voudrais cependant les citer tous. Ces Mémoires sont consacrés aux braves guerriers qui ont servi dans la Vendée î

c’est une consolation pour moi de leur rendre le tribut d’éloges qui leur est dû.

M. de Perrault, chevalier de Saint-Louis (i), d’environ cinquante ans, était venu nous rejoindre depuis quelque temps ; il était officier dans ce qu’on appelait les troupes bleues de la marine, à Rochefort. Brave, instruit, mais un peu dur, c’était un excellent officier ; il fut toujours regardé comme adjoint & M. de Marigny pour le commandement de l’artillerie, et il faut leur rendre une justice bien rare, c’est que jamais il n’y eut la moindre jalousie ni dispute entre eux. M. de Lacroix (2), chevalier de Saint-Louis, d’abord émigré, était très brave et très bon homme, plein de zèle, sans nulle ambition, avec peu de talent. M. Roger-Moulinier, dur, exact, se faisait respecter des soldats pour son excessive bravoure et son activité ; c’était un jeune homme, ainsi que M, du Rivault(3), [qui était proche parent des la Rochebrochard d’Auzay, voisins et amis de M. de

(0 La marquis Chambona de Perrault, lieutenant de vaisseau en 1767, commissionné capitaine de vaisseau en 1773, passa au service de terre. Major au corps royal de l’artillerie, il reçut la croix de Saint-Louis en t 7 8i. Après la déroute de armee vendéenne, il fut arrêté par 1 a garde nationale, 1 e Si décembre 1703, à Malagra, commune de Baaouges-du-Déscrt. fut conduit au quartier général du général Beaufort, près de Fougères, et fusillé.

«J*il ? a iï rld. d !î L fr Cr ° iX ? u Ro P* ire » du Périgord, fut pris et condamne à mort Slîf Na, ntC * le nlŸÔM « » » décembre i 79 3. C’était sans doute

  • . *7 1 Ckmti le 39 septembre 1744, fils de Jean de Lacroix du Repaire et

de Marie de Beaupoil de Saint-Aulaire, marié è Marie de VUloutreya. Mais nous n’avons pas trouvé qu’il eût été officier et chevalier de Saint-Loui*.

? 1 Vi «°f Auguste Lecomte, chevalier, seigneur du Rivouit, né le 7 avril r 768, ancien officier au régiment royal-Italien, avait d’abord émigré. Il fut blessé au Man» en décembre j 7 ç»3, et périt pendant la retraite.

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Lcscurc ; Us le lui recommandèrent, et mon mari le prit tout de suite pour aide de camp ; sa conduite et sa bravoure étaient parfaites ; ] U était tout dévoué à son devoir. M, Herbault (1), jeune bourgeois de Poitiers, s’était destiné à être prêtre avant la révolution ; son intrépidité, accompagnée du plus grand sang-froid, d’une douceur, d’une piété et d’un zèle toujours renaissants, l’a fait regarder comme un des êtres les plus parfaits qui aient paru dans la Vendée. Un M. de Beau voilier, frère des deux autres, ftgé de seize ans, nous avait rejoints aussi ; il eut peur au premier feu : son frère aîné l’envoya chercher et, devant tout le mondo, lui reprocha sa conduite avec fermeté ; U se rendit depuis ce moment digne de sa famille et aussi brave que personne ; du reste, U n’annonçait pas de talents.

On doit de justes éloges à MM. de Chantreau (2), Brunet (3) et autres.

La bataille de Luçon se donna le 14 août. On avait envoyé demander & M. de Charctte de joindre son armée à la nôtre ; il vint avec sept ou huit mille hommes ; un de ses drapeaux avait deux trous faits par des boulets de canon. On tint un conseil de guerre ; M. de Lescure proposa un plan. Il s’agissait d’attaquer

(1) Claude Herbault, baptisé à Ssint-Porchaire de Poitiers, le to décembre 1768, dis de Claude-Maurice Herbault. procureur au présidial. Il quitta le séminaire pour s’enrôler dans l’armée vendéenne. Il fut condamné par contumace comme « brigand de la Vendée » par lo tribunal de la Vienne, le a 3 nivôse an II, ta janvier > 704 $ mais, le ta décembre précédent, U avait été grièvement blessé au Mans, puis massacré.

(a) Louis-Mario Chantreau de la Jouberdrlo, né À Fontenay-Ic-Comte le 17 juillet 1771, officier au régiment d’infanterie de Halnaut de 1788 à 179a, se battit en Vendée et en Bretagne jusqu’A ta mort de Charette, reprit les armes en 1799. [.oui* XVIII le nomma colonel et chevalier de Saint-Louis, et Charles X lui donna en 1807 lo brevet de maréchal de camp. U mourut A Luçon le 16 février i 85 o,

(3) Henri-Jacqueo-Gabriel Brunet, écuyer, né le 14 mars 1768 à Bron, paroisse de Saint-Just*$ur-Dives en Anjou, septième enfant de Jean-Charles-Gabriel Brunet, chevalier, seigneur de la Charte et de Brosaay. Ancien gendarme de la maison du Roi, 11 fit toutes les campagnes de la Vendée, fut breveté chef d’escadron en 18tG, nommé commandant de la compagnie de gendarmerie royale à Cherbourg, puis A la Rochelle, chevalier de Saint-Louis et de fa Légion d’honneur. Il quitta le service en i 83 o, et mourut À Montreuil-Bellay te : i mal 1845.

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en plaine la plus rase et la plus découverte ; je m’expliquerai sûrement mal : on devait prendre en ligne diagonale, c’est-à-dire que l’aile gauche donnerait la première, ensuite le centre, puis l’aile droite. Il parla longtemps sur ce projet. On a dit que c’aurait été très bien pour une armée de troupes de ligne, mais nos soldats, nos officiers, et môme notre généralissime, M. d’Elbée, ne sachant rien de la tactique, il fallait beaucoup mieux laisser disposer nos gens comme à l’ordinaire. MM. de Charette et de Lescure furent chargés de l’aile gauche, M. d’Elbéc du centre, MM. de la Rochejaquelein et de Marigny de l’aile droite, La déroute fut complète, par diverses raisons que je vais expliquer ; d’abord l’aile gauche se mit en ordre et se rangea en ligne le plus possible, suivant le plan ; mais le centre n’arrivant pas assez tôt, elle fut obligée de rester en panne deux heures, et Tuncq (t), qui commandait les patriotes, déploya infiniment d’habileté ; il comprit le mouvement et eut le temps de changer ses propres.dispositions. MM. de Charette et de Lescurc engagèrent le combat avec une impétuosité sans égale, renversèrent les ennemis, prirent cinq pièces de canon ; le centre aurait dû donner sitôt que les Bleus commencèrent à plier, mais au lieu de cela, le désordre le plus complet y régnait ; M, d’Elbée n’avait communiqué ic plan de la bataille à personne (c’était la première fois qu’il y en avait un), la plupart des officiers l’ignoraient* M. d’Elbée, dans tout ce combat, ne donna que ce seul ordre : « Mes enfants, alignez-vous par ici, par là, sur mon cheval », ce qu’il accompagnait de ses exhortations ordinaires sur la confiance en la Providence.

M. Herbault commandait une partie du centre ; il s’était

(i) Augustin Tuncq, né & Contcvülc, dan* le Pomhicu, le vj août 1746, soldat en 176a, capitaine de I* légion des Pyrénées en 1780, général de brigade en juin

  • 79 ’i général de division le 14 août ; suspendu dés le a 3 du même mois, puis

arrêté, la mort d’Hébert le sauva. Il fut remis en activité en 1796, et mourut d’une chute de voiture, à l’hôpital du Val-dc-Grûcc, le ao pluviôse an VIII, 9 février 1800.

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mis exprès k pied pour encourager sa troupe ; il avança le plus possible, suivant en cela l’ordre ordinaire, et ne sachant pas qu’il y en eût d’autre ; il se trouva en avant au milieu de la plaine, séparé de l’année avec sa troupe, ta cavalerie ennemie tomba dessus, cela commença le désordre. Pendant ce temps M, de Marigny, s’étant trompé de chemin et croyant le connaître, avait si bien égaré l’aile droite et Henri, qu’ils se trouvèrent & une lieue du combat et n’en furent que les spectateurs ; ils revinrent sur leurs pas sans avoir pu se battre. Quelques canonniers trahirent, ainsi que plusieurs soldats, et passèrent & l’ennemi ; enfin tout se réunit pour mettre l’armée dans la plus grande déroute. Nous perdîmes au moins deux mille hommes et presque tous nos canons. Je n’oublierai pas qu’au milieu de la confusion générale dtane armée indisciplinée et battue, quarante paysans de Courlay et de Saint-Michel, sans chef, se retirèrent en bon ordre ; ils firent d’eux-mêmes la manœuvre des troupes de ligne, présentant à genoux la baïonnette & la cavalerie qui les poursuivait dans la plaine, À cette affaire M, Baudry, non celui de l’armée de Royrand, mais celui de la première révolte (j), fut tué, ainsi que le commissaire des vivres de lu partie poitevine : ce jeune homme, de Châtilion, s’appelait Morinais.

M. de Lescurc eut son cheval traversé d’une balle ; il fut très blâmé d’avoir donné un plan de tactique à des gens incapables de l’exécuter, et c’était vraiment un tort, d’autant qu’il l’avait soutenu avec beaucoup d’entêtement, M. d’Elbée lui demanda pourquoi il n’avait pas tout disposé, puisqu’il avait tout conçu ; il lui répondit : « Une fois mon plan adopté par le conseil, ce n’était plus le mien, c’était le vôtre. Si vous m’eussiez imposé l’office de générai en chef, j’eusse tâché de m’en acquitter ; vous m’avez chargé de commander l’aile gauche avec M. de

(jj Gabriel Baudry d’Aaton.

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Charctte : nous avons battu l’ennemi ; ainsi, quant & nous, nous i

avons bien fait notre devoir. » M. de Charette retourna dans son pays, M. de Lescure me dit en revenant : « J’avais entendu parler de M. de Charctte, nous n’avons cessé de nous examiner tous les deux pendant la bataille ; nous nous sommes aussi bien battus l’un que l’autre, et nous nous sommes demandé notre amitié après le combat. »

J’avais envoyé un courrier attendre l’issue de l’affaire, pour m’apporter des nouvelles de M. de Lescure : il n’était pas là dans ce moment, ce fut M. de Charette qui m’écrivit ; sa lettre était charmante, et il prodiguait à M. de Lescure les éloges que celui-ci lui donnait de son côté. Nous ne perdîmes, comme on 1

voit, que deux officiers et n’en eûmes point de blessés, au lieu qu ü périt un grand nombre de soldats ; la raison en est que les paysans perdirent la tête, beaucoup moururent à force de courir. Les officiers firent l’impossible pour les sauver, plusieurs p

même descendirent de cheval et y chargèrent les blessés. C’est l’affaire où il a péri le plus de soldats, de toutes celles qui se sont données dans notre pays même ; elle se passa comme les autres de Luçon, entre cette ville et Saint-Hermand. Henri sauva bien du monde en faisant débarrasser le pont de Chantonnay, sur lequel était un canon renversé, et en rassurant les fuyards.

Peu de jours après, les Bleus occupèrent Chantonnay. Un jeune homme de la Rochelle vint nous joindre, M. Allard (i) ; 1

ma mère, [ touchée du contraste que présentaient la douceur ré- *

panduè sur ses traits et son ardeur pour la guerre, ] pria Henri de le prendre pour aide de camp ; il est devenu depuis son ami)

et son digne frère d’armes.

L’armée se rassemblait aux Herbiers ; on mit beaucoup de soin à la rendre nombreuse et à l’encourager ; on fit à Tuncq un

(O Henri-Marie Allard* né à Saint-Jean de Liversay, près la Rochette, le 18 décembre : 77t. *c battit jusqu’à la mort de Charette. Chevalier de Salnt-Uuis, retraite comme colonel, U mourut à Thouara le 6 mai 1843.

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honneur que n’a jamais reçu aucun général républicain de la part des Vendéens : ce fut de redouter ses talents et de s’informer du jour où il serait à Luçon, pour attaquer l’armée sans son chef. On prétend que cet homme était un simple huissier, et que, depuis, il s’est retiré sans emploi ; cependant il nous avait battus trois fois et avait paru fort habile. Je sais peu de détails de l’affaire qui eut Heu du côté de Chantonnay ; nos généraux firent filer les troupes derrière le camp des Bleus et les attaquèrent par Chantonnay au lieu des Herbiers : cela réussit de toutes manières ; outre que les patriotes furent saisis d’étonnement, ils ne purent s’échapper, puisqu’ils étaient obligés de fuir dans l’intérieur de la Vendée au lieu de retourner à Luçon, dont nos gens occupaient précisément le chemin. [L’arrière-garde républicaine était commandée par un général Lecomte (x), qui s’était fait une grande réputation en gagnant la première bataille de Clisson par une heureuse témérité et par une désobéissance formelle à son général en chef. Il voulut on faire autant cette fois et ne se replia pas sur Fontenay, comme il en avait reçu l’ordre, de sorte qu’il se trouva coupé, ] Peu avant ce temps, j’ai lu moi-même dans les gazettes que les républicains prétendaient avoir pris Mortagne, où ils avaient tué vingt mille brigands ; aussi les malheureux fuyards Bleus demandaient le chemin de cette ville, la croyant à eux ; on les y conduisait effectivement, mais c’était en prison. On tua et prit beaucoup de monde ; ils ne sauvèrent pas un seul des canons, des caissons ni des bagages d’aucune espèce ; notre victoire fut complète. Parmi les prisonniers se trouvèrent le chef et plusieurs soldats d’une troupe nommée les Vengeurs ; elle était organisée pour brûler et massacrer : ce fut le commencement des atrocités. On

(i) René-François Lecomte, né ù Fontenay le 14 mai 1764, d’abord marin, puis soldat, chef du bataillon des Deux-Sirre* le Vengeur, général de brigade, fut blessé le 11 octobre 1793 au bois du Mon 1 in*aux*Chèvres, près ChAtillon, et mourut k Bressuire»

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fusilla tous ceux de cette abominable troupe qu’on put prendre, et même le chef, quoiqu’il offrît quatre cent mille livres pour sauver sa vie(i). Le petit chevalier de Mondion se conduisit d’une manière surprenante pour son âge. Nous avions de très braves cavaliers, mais en général la plus grande partie de la cavalerie était médiocre ; comme il fallait nécessairement qu’elle fût quelque temps en panne, exposée au feu, ce qui ne lui arrivait pas souvent, on engagea beaucoup d’officiers à se mettre avec elle. Un officier très grand se trouva & côté du petit de Mondion ; au bout d’un instant il lui dit : « Je suis blessé, je me retire, -Je ne vois pas cela. Monsieur. — C’est une contusion. — Cela se peut bien, mais le sang ne coule pas ; si vous vous retirez, ne paraissant pas blessé, vous ferez prendre la fuite à la cavalerie.

Je m’en vais. — Si vous faites un mouvement, je vous brûle la cervelle, » lui dit le petit de Mondion en approchant de lui son pistolet ; le pauvre homme, qui savait l’autre bien capable de le faire, n’osa plus penser à la retraite.

M. de Lcscurc se rendit à l’armée pour se trouver à ce combat ; il était alors depuis plus de quinze jours & commander un petit camp, à Saint*Sauveur, près Bressuire, pour protéger le pays. Ce fut, je crois, dans ce temps qu’il lui arriva ce que je vais dire : je ne suis pas parfaitement sûre de l’époque, mais je me rappeile bien les faits.

Depuis longtemps on défendait, sous peine de confiscation, aux gens du pays, de rien porter à vendre dans les marchés et foires des villes patriotes ; beaucoup transgressaient les ordres, par opinion ou par désir de gagner. M. de Lescure entra & Parthcnay, où il n’y avait point de garnison, un jour de marché, prit tous les bestiaux qui s’y trouvèrent, les envoya à Châ-

(») Le gros des républicains, & l’affaire de Chantonnay, se sauva par Boumeaeau, qui était une très mauvaise retraite pour aller à Luçon. Comme l’affaire se passa le soir et un peu dans la nuit, plusieurs colonnes ennemies furent dans l’intérieur de la Vendée, où clics trouvèrent la mort. (Note du manuscrit.)

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tillon et les fit vendre au profit de la caisse de l’armée. Là U courut un grand risque : un gendarme, forcené dans son parti, se cacha dans une maison de républicain ; il en fit ouvrir la porte au moment où M. de Lcacurc passait dans la rue, causant avec M. le chevalier de Marsanges, il lui tira un coup de pistolet ; la balle passa entre ces deux messieurs, qui se pariaient presque à l’oreille ; le gendarme poursuivit son chemin au galop ; il fut attrapé et mis en pièces par les soldats. Il y avait trois mois qu’on avait fait une proclamation dans laquelle on annonçait aux patriotes la peine du talion pour tous les crimes qu’ils pourraient commettre ; depuis, les gens de Parthenay avaient brûlé notre château, sous le général Westermann. M. de Lcscure dit aux habitants : « Vous connaissez la proclamation ; je devrais, suivant nos lois, mettre le feu & la ville ; mais je suis ici le seul général, et vous ne manqueriez pas de croire que je le fais par une vengeance particulière ; ce serait le premier exemple de ce genre, je vous fais grâce. » Cependant il dit qu’il ne blâmerait personne de ce qui pourrait arriver ; aussi y eut-il quelques meubles cassés et des effets pillés. Dans le fait, on n’a jamais eu le courage de suivre la proclamation ; tous les cœurs se refusaient à imiter la barbarie des républicains. Je dirai à mesure et avec exactitude les dommages qui ont pu être causés par nos gens ; il y en eut si peu, que ce sera un sujet d’admirer leur incomparable bonté.

Une chose particulière fera juger l’esprit et la sagesse de M. de Lescure t un de ses fermiers vint lut dire, dans le courant de l’été, que plusieurs paysans voulaient lui payer ses rentes ; il lui défendit de les recevoir, disant que le peuple était assez malheureux ; qu’il ne cherchait pas à ravoir ses droits, c’était ce qui l’occupait le moins ; que, du reste, certaines rentes étaient justes, mais il n’en voulait le payement que si elles étaient rétablies dans toute la France, et ce n’étaient pas les braves paysans de la Vendée qu’il fallait fouler, tandis que ceux de la république

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ne donnaient rien, On approuva cette réponse généralement, et les rentes ne furent pas payées dans le pays.

Le lendemain, M. de Lcscure eut deux petits combats à soutenir : l’un contre les Bleus qui venaient de Saint-Maixent, et qu’il repoussa, l’autre contre ceux qui venaient de Saint-Loup près Airvault ; ceux-ci cédèrent d’abord, mais ensuite firent ferme et l’obligèrent à reculer à son tour ; il ne fut pas poursuivi. Ces deux affaires furent très légères ; on ne perdit presque personne de part ni d’autre. Le vieux M. Le Maignan, âgé de plus de soixante ans, du conseil supérieur, se rendit au camp de Saint-Sauveur (i) ; ce bon vieillard vint dire à M. de Lescurc qu’il voulait être un de ses soldats ; malgré toutes les instances, U ne consentit jamais à commander ; il était toujours le premier à cheval pour tout ce qu’il y avait à faire ; M. de Lescurc et les autres jeunes gens l’appelaient leur père.

Pendant qu’on était aux Herbiers, après la victoire, on établit un nouvel ordre dans l’armée, ou du moins on fît de nouvelles dispositions. On laissa entrer au conseil tous ceux qui y étaient auparavant. Il serait difficile de désigner comment il se formait, rien n’était fixé : il était composé de ceux qu’un nombre considérable de paysans suivaient, et d’autres officiers dont les talents obtenaient l’estime publique.

M. d’Elbéc fut toujours généralissime ; on divisa la Vendée en quatre généralats : du côté de la mer et de Nantes, M. de Charette ; du côté d’Angers, M. de Bonchamps ; pour la partie angevine de la grande armée, M. de la Roche jaquelein ; pour la partie poitevine, M. de Lescurc ; on y voulut joindre aussi l’armée de Royrand, c’est-à-dire la partie poitevine du côté de Chantonnay, mais comme c’étaient les paysans les moins braves

(i) À l’affaire de Saint-Loup, M. de Lescurc prit un caisson et le fit atteler sous le feu de l’ennemi. Le troisième Beauvollier se trouvait là et eut son cheval tue. M.Lc Maignan avait servi dans sa jeunesse, mais s’était retiré en se mariant ; à cette affaire il eut toute une cuisse meurtrie par un biscalen. (Note du manuscrit.)

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de la Vendée, M. de Lcscure n’en voulait pas. Gela, disait-il, gâterait ses soldats ; les paysans de ces deux parties ne s’estimaient pas entre eux ; d’ailleurs son commandement, avec seulement les Poitevins de la grande armée, était aussi fort que chacun des trois autres (environ vingt mille hommes), et U valait bien mieux laisser & M. de Royrand son généralat, ce qui en ferait cinq au lieu de quatre, À la vérité, le cinquième eût été plus petit que les autres, mais je crois que M. de Lescure fût venu à bout d’arranger cette disposition : cela resta incertain.

Mon père fut nommé gouverneur général de la Vendée pour le Roi, séant à Mortagne, avec autorité sur les généraux et sur le conseil supérieur, qui commençait & vouloir parler un peu en maître ; il en résulta quelques discussions avec les officiers, cependant ce fut peu de chose, quelques propos seulement, dont les généraux se moquaient, On fit M» de Royrand gouverneur en second ; mon père choisit MM, Duhoux d’Hauterive et de Boisy pour être sous lui : voilà l’organisation générale. Du reste, M. de Talmond fut toujours général de la cavalerie de la grande armée ; MM. de Marigny et de Perrault, généraux de l’artillerie, et Stofflet, major général. On décida aussi dans ce conseil de donner une espèce d’uniforme aux officiers des quatre divisions de la Vendée : une veste verte avec des collets verts, ou noirs, ou blancs. Chaque général devait tâcher de former un corps de douze cents hommes au moins, soldés et choisis parmi les plus braves, qu’on exercerait comme la troupe de ligne, et qui seraient toujours réunis ; mais ceci ne put s’exécuter ; les combats multipliés que nous eûmes à soutenir empêchèrent de suivre ces dispositions ; les Bleus ne donnaient pas un seul moment de répit aux Vendéens.

Ils vinrent nous attaquer du côté de Martigné et de Brissac ; on rassembla l’armée, M. de Bonchamps y joignit la sienne et s’y rendit en personne : c’était sa première sortie depuis sa blessure de Fontenay. Il faisait une chaleur affreuse ; MM. de Bon-

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champs et de Lescure voulaient que l’armée marchât de. nuit par le chemin le plus court, mais un vieux militaire de soixante-dix ans, M. de la Haye des Hommes (i), le même chez qui on avait volé 200,000 francs, après l’avoir laissé pour mort, criblé de coups de couteau, s’était rendu & t’armée pour la première et dernière fois ; Ü avait de la réputation, il demanda h toute force qu’on prît un autre chemin, mieux choisi, à son avis, pour surprendre avec avantage les Bleus : c’était possible, Le respect pour son âge fut cause qu’on lui céda ; mais la fatigue et la chaleur accablaient les hommes, ils eurent à faire trois lieues de plus et n’arrivèrent à Martigné, où se donna la bataille, que dans l’ardeur du jour. Les armées de part et d’autre étaient fort nombreuses. Le combat commença à notre grand avantage ; nous avions déjà pris cinq pièces de canon quand nos soldats, suffoqués par la chaleur, abandonnèrent le champ de bataille, emmenant cependant trois pièces de canon ennemies. Une heure de plus, et la déroute des Bleus était complète ; ils n’osèrent pas nous poursuivre, ils souffraient autant que nous (2). Une chose, prétend-on, contribua à faire retirer les Vendéens, qui ne se battaient qu’à contre-cœur, à cause de la fatigue : M. de Marigny se mit à la tête de plusieurs cavaliers pour tourner les Bleus ; il se trompa de chemin, fut obligé de revenir sur ses pas et arriva sur nos canons au galop ; la poussière empêcha de distinguer de quel parti était cette cavalerie ; nos gens s’ébran* lèrent et se retirèrent tranquillement. L’ennemi ne nous tua

(1) Jean» Baptiste-Antoine de ta Hsyc-Montbault, chevalier, seigneur des Hommes, près Coron en Anjou, né à Poitiers le ti juillet 17*5, avait fait la guerre de Sept ans comme capitaine au régiment de Flamarens ; couvert do blessures, U avait reçu ta croix de Saint-Louis, Détenu & Angers en juin X79B, il fut délivré par les Vendéens. Repris à Moxc, prés les Ponts-de»£é, U fut emmené A Angers et exécute te 9 brumaire an II, 3 o octobre 179 ? ; il périt en s’écriant : < Je meurs pour mon Dieu et mon Roi. »

(s) Ce combat de Martigné, et celui do Vihiera, le lendemain, eurent fieu, je croîs, plus tôt (Note de l’auteur.)

L’affaire de Martigné se passa avant celle de Luçon, dans le mois de juillet, (Note du manuscrit.)

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presque personne, mais la chaleur fit périr une cinquantaine de paysans. D’ailleurs il y avait des eaux malsaines dans cet endroit, elles firent mal à beaucoup de soldats qui en burent, malgré la défense formelle des chefs. M* de Lescure pensa y perdre la vie*, la poussière le suffoquait si fort, étant obligé de crier et de courir de tous côtés pour commander, qu’au milieu du combat, ne trouvant ni vin ni eau-de-vie, il but de l’eau d’une mare ; il continua de se battre, mais l’épuisement le fit tomber sans connaissance ; quand l’action fut finie, on le crut mon pendant deux heures, il n’avait aucun mouvement.

À ce combat, M. de Bonchamps fut blessé d’une balle qui lui emporta l’extrémité de l’os du coude. Vannier, valet de chambre de confiance de M. d’Autichamp, fut blessé grièvement ; c’était un très brave homme, qui se conduisait en héros depuis le commencement de la révolution ; il reçut, dans les deux premières guerres de la Vendée, douze ou treize blessures, et devînt un des meilleurs officiers de l’armée ; il a été tué en 1799. Chacun s’en retourna chez soi. MM. de Lescure et de la Rochejaquelein se trouvaient encore à Cholet ; ils apprirent que les Bleus, après leur demi-défaite, s’étaient portés à Vihiers et allaient marcher sur Cholet ; Santerre (1) les commandait. On promit cent louis à qui le prendrait.

MM. de Lescure et de la Rochejaquelein envoyèrent des troupes à la hâte, toute la journée, du côté de Coron ; à mesure que les paysans arrivaient, plusieurs officiers les conduisaient ; c’était heureusement de ce côté, vers Cholet, Coron, Vezins qu’étaient les meilleures paroisses angevines ; elles vinrent en foule pour défendre leur pays. On croyait ne se battre que le lendemain ; quel fut l’étonnement des deux généraux d’entendre dans l’a-

(1) Antoine-Joseph Santerre, né à Paris le 16 mars 175*, brasseur de bière, nommé, au mois do mal 179s. chef de la garde nationale, qu’il commandait lors de t’assaeslnat do Louis XVI. Il fut envoyé en Vendée, et ensuite tomba dans l’oubli. U mourut fou le G février 1809.

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près-midi, assez tard, les coups de canon) Ils montèrent à cheval à la hâte et arrivèrent &)a brune ; ils rencontrèrent une grande quantité de pièces, ils demandèrent ce que c’était. Les soldats répondirent à M. de Lescure : « Mon général, vous n’étiez donc pas à ce combat, comme nous le croyions ? Hé bien ! c’est donc M. Henri qui a gagné la bataille ? Voilé vingt canons que nous avons pris. » On dit la même chose à Henri pour M. de Lescure. Ils joignirent les officiers, ceux-ci leur racontèrent que, comme les soldats avaient l’habitude de les savoir tou* jours en avant, ils leur avaient fait croire, pour les encourager au moment de l’attaque, qu’en avançant ils trouveraient leurs chefs au milieu des ennemis. Il n’y eut que de jeunes officiers à gagner cette superbe affaire ; dans le nombre on distingua surtout MM. de Piron, Forestier, Keller, Herbault, Guignard, de Villeneuve, de Marsanges, Forest (i). Le général Santerre, placé prudemment dans un moulin pendant le combat, s’occupait du plaisir qu’il aurait & conquérir la Vendée, et ne faisait aucun doute du succès de ses armes ; on vint tout d’un coup lui dire que la bataille était perdue, il s’enfuit lâchement Forest ému, non par l’espoir des cent louis, mais par le désir de s’emparer de l’homme qui avait conduit le Roi à l’échafaud, et qu’on devait enchaîner dans une cage de fer si on l’eût pris, Forest, dis-je, se lança avec tant d’ardeur à sa poursuite qu’il pensa l’attraper ; Santerre lui échappa en faisant sauter un mur de cinq pieds à son excel-

(i) À cette affaire, M. de Villeneuve du Cazeau eut une grande influence sur l’armée ; il resta plus d’une heure presque seul en avant, sous le fou le plus vif de l’ennemi. Le curé de Ssint-Laud, qui se trouvait auprès de l’endroit ob $o donnait la bataille, s’entendit avec tes officiers pour persuader que les chefs étaient en avant, et avaient ordonné de marcher par tels et tels côtés pour arriver à prendre l’ennemi en flanc. Le succès fut complet. M. de Villeneuve poursuivit le représentant Bourbotte * qui, se voyant près d’être saisi, sauta de son cheval dans un enclos. Le cheval resta à M. de Villeneuve, mais Bourbotte échappa. (Note du manuscrit.)

  • Pierre Bourbotte, né k Vselt, prit A vallon, le 5 Juin 176$, d’une famille comblée de bienfaits

par M. le comte de Provence, devint un fougueux révolutionnaire ; db 1793, U demanda S le Convention Is mort du Roi et de la Reine. Commissaire prb des armées de l’Ouest, il fut dénoncé, condamné & mort le 5 o prairial tn III, iB Juin 179S, et guillotiné & Parle.

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« lent cheval. Furieux de sa défaite, il brûla en fuyant la ville de Vihiers, quoique toute patriote, ce qui fit grand plaisir aux Vendéens ; ils n’avaient jamais pu se décider à ce crime, mais ils le désiraient depuis longtemps ; par un singulier hasard, la seule maison royaliste de la ville fut conservée au milieu de l’incendie, ainsi que les deux voisines,

(Une nouvelle victoire de la division Bonchamps auprès des Ponts-de-Cé força l’aile droite des républicains à repasser la Loire et à se replier sur Angers.)

Reprenons quelques détails qui donneront de nouvelles no» tions sur l’esprit des Vendéens.

Après les batailles que je viens de décrire, beaucoup de sol* dats se trouvaient à Ghâtillon, revenant du combat de Coron ; deux meuniers de Treize-Vents avaient été arrêtés pour quelques fautes. Dans le moment du combat, les paysans, il est vrai, se laissaient corriger par les officiers sans murmurer ; mais il y avait si peu de discipline le reste du temps, que l’emprisonnement des deux meuniers pensa occasionner une insurrection à Chûtillon. C’étaient de bons soldats, je ne sais qui les avait mis en prison. Une quarantaine de paysans de la même paroisse voulurent se faire enfermer pour être avec leurs camarades ; ils murmuraient tout haut, sans cependant faire aucun rassemble* ment ; ils prétendaient qu’on les traitait avec trop de dureté. Je devais dîner à Ghâtillon, je faisais une visite ; le chevalier de

ip

Beauvollier vint me dire tout bas, de la part de M, de Lescure, ce qui se passait ; qu’il ne voulait pas avoir l’air de céder aux paysans, mais comme le château de la Boulaye, où je demeu* rais depuis la guerre, était dans la paroisse de Treize-Vents, il fallait que je prisse ce prétexte pour venir demander leur grâce ; mon mari m’attendait sur la place, afin que cela se passât publiquement. Je sortis sur-le-champ ; je dis à beaucoup de soldats, sur ma route, que j’allais trouver M. de Lescure et lui deman* der grâce ; ils me suivirent en foule. Il eut l’air très étonné de

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me voir arriver et fit semblant de ne céder qu’à mes sollicita* * tions réitérées ; alors j’invitai les paysans à venir avec moi délivrer les prisonniers ; je trouvai les soldats de Treize-Vents avec eux, je les fis tous sortir. Ils me dirent : « Madame, nous vous remercions bien, vous avez fait de votre mieux, mais cela n’empêche pas qu’on a eu tort de mettre les deux meuniers en prison, et c’est fort mal. » Chacun s’en alla tranquillement, mais cela donna lieu de connaître l’esprit qui régnait parmi les soldats et le degré d’autorité qu’on pouvait prendre pour se faire obéir sans les dégoûter. Il m’arriva aussi un incident particulier : deux hommes, assez en sous-ordre, pensèrent se battre devant moi ; je les séparai en tombant entre eux, saisie d’une attaque de nerfs, la première que j’aie eue de ma vie. Quand je repris connaissance, je les trouvai pleurant et nje tenant chacun une main ; ils me demandèrent mille pardons et se raccommodèrent,

Nous allons arriver à un cruel moment pour la Vendée.* elle se trouvait environnée de deux cent quarante mille hommes, tant troupes de ligne que gardes nationales. La première attaque fut donnée du côté de l’Anjou, à la Roche-d’Érigné ; MM. de la Rochejaquelein et Stofflet s’y trouvèrent seuls à commander ; les deux armées étaient peu considérables, les Bleus furent battus. Henri fut blessé d’une manière singulière : il parlait aux soldats qui étaient dans un champ, lui se tenait dans un chemin creux avec M. Allard et un domestique ; trois volontaires égarés sautent dans le chemin, l’aperçoivent et tirent en fuyant, Henri avait à la main un pistolet, il reçut une balle qui, sillonnant le pouce, le cassa en trois endroits et vint lui donner une contusion à la saignée ; sans quitter son pistolet il dit froidement à son domestique : « Mon coude saigne*til ?

Non, monsieur. — Je n’ai donc que le pouce cassé (i). »

(i) CVsst auprès de Martignè* que M. Henri fut blesse do cette manière par des

’ Ce corabst n’cit pat le mémo quo ]« grand combat de Martfgnl, ou M. de Bonchamm lut hlcKR«. (Nota de l’auteur.)

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Ce combat de la Roche-d’Érigné fut très avantageux & la Vendée, quoique peu considérable ; celui de Thouars, dont je vais parler, ne le fut pas moins ; ils tinrent les Bleus en respect (Je ces deux côtés et nous donnèrent le temps de battre trois autres armées qui s’étalent avancées jusque dans le cœur du pays ; sans cela, nous eussions été pris de tous côtés.

Je finirai ce chapitre en disant qu’il y a eu plusieurs combats de l’armée de Bonchamps, à différentes époques, contre les troupes venant d’Angers, et d’autres de M. de Charette contre celles de Nantes ; mais ils n’étalent jamais aussi considérables que les batailles de ta grande armée, et je n’en sais pas de détails,

Je n’ai aucune note de tout ce qui s’est passé dans la Vendée, pour me guider, je n’ai personne pour m’aider à me souvenir de rien. À la vérité peu de personnes se rappellent le passé comme moi ; tous ceux qui me connaissent affirmeront que j’ai une mémoire étonnante ; aussi, quoique je sois loin de répondre de ne faire aucune erreur dans ces Mémoires, je crois cependant pouvoir assurer qu’il y en aura très peu, je n’en ferai du moins pas une seule de volontaire ; je dis tout ce que je sais et comme je le sais, sans passion, sans déguisement, par le seul désir de me rendre compte moi-même de tout ce que j’ai vu et de tout ce qui m’est arrivé.

Bleus qui se glissèrent dans le chemin creux où U était occupé A tirer avec des fusils que lui apprêtaient les paysans ; l’avant-garde des républicains était pour * lors dans les vignes. (Note du manuscrit.)

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CHAPITRE XIV

DEPUIS LE SECOND COMBAT DE THOUARS VERS LA FIN DE SEPTEMBRE i 79 3

JUSQU’À LA SECONDE AFFAIRE DE CHATILLON (i) LES PREMIERS JOURS D’OCTOBRE

1 1. y avait à Thouars, Àirvauit et Saint-Loup beaucoup de troupes patriotes, presque toutes gardes nationales sédentaires, prises des réquisitions. Cela décida M. de Lescure, qui était retourné au camp de Saint-Sauveur, à aller attaquer Thouars avec deux ou trois mille hommes seulement. Il y avait à peu près trois mille patriotes dans la ville, en comptent des . renforts arrivés en grande hâte d’Airvault. Le combat commença. M. de Lescure avait déjà mis la déroute parmi le centre, quand on força les Bleus à retourner à la charge, en braquant des canons contre eux. Comme, en même temps, vingt mille hommes venant de Saint-Loup parurent de loin, nous abandonnâmes la bataille, après avoir fait tant de peur aux Bleus et les avoir tellement fait reculer, que nos soldats entendaient les cris des gens de la ville qui nous regardaient comme vainqueurs. Les patriotes n’osèrent poursuivre, à l’exception d’une centaine

(O 14 «ptembrc-io octobre.

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de gendarmes qui s’avancèrent. On fit retirer nos troupes : M< de Lescure et une douzaine d’autres, montés sur d’excellents chevaux, attendirent les républicains, qui s’arrêtèrent en leur criant de se rendre. Il y eut un colloque entre eux, les gendarmes n’osèrent avancer, et alors ces messieurs disparurent en sautant par-dessus les haies. M. de Lescure et les officiers descendirent de leurs chevaux et aidèrent eux-mêmes à porter les brancards des blessés ; il en était de même & presque tous les combats, ce qui les faisait adorer par leurs soldats. Nous perdîmes fort peu de monde et deux petites pièces de canon dont les alîûts s’étalent cassés. Toute cette armée de gardes nationales fut si effrayée d’avoir été si maltraitée et presque vaincue par deux mille hommes, qu’elle n’osa mettre le pied hors de la ville pendant plus de quinze jours, et nous laissa le temps de battre les Bleus des autres côtés (i).

Un mois environ avant ce combat, plusieurs soldats se rendant à l’armée étaient venus coucher À la Boulaye. L’un d’eux, m’abordant, me dit avoir un secret à me confier, et m’apprît qu’il était une füle. Elle me dit que n’osant se présenter pour avoir une.veste légère de siamoise, comme on en distribuait aux soldats pauvres, et mourant de chaud dans ses habits, elle se confiait & moi, me demandant le plus grand secret, car tous les généraux, et notamment M. de Lescure, avaient plusieurs fois déclaré qu’ils feraient tondre et chasser la première femme, déguisée ou

(») Ce combat a fait plu« d’effet que les Vendéen* n’ont cru ; n’ayant pas pria Thouars, beaucoup regardèrent l’entreprise comme manquée. Je me rappelle bion que M. de Lescure me dit en particulier, car sa modestie l’empêchait de so vanter, qu’il avait fait de grandes choses, bien avantageuses, et que les républicains do Thouars n’oseraient avancer. Effectivement, je viens de lire dans la nouvelle édition de V Histoire de France à l’usage des écoles militaires, que Af. de Lescure, avec deux mille hommes, en battit soixante mille, gardes nationales, qui se dispersèrent et ne repartirent plus. Donc je m’étais trompée, et les troupes de Thouars se débandèrent. Dans le fait, je ne sais pourquoi j’ai mis qu’elles restèrent renfermées pendant quinze jours, car le peu qui depuis sortit de Thouars, n’était rien, ce n’était plus une armée ; ainsi la peur les dispersa entièrement. (Note de l’auteur.)

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non, qui suivrait l’armée. Je demandai à cette fille son nom, sa paroisse ; elle me répondit qu’elle s’appelait Jeanne Robin et dtalt de la paroisse de Courlay. Je lui promis non seulement de garder le secret, mais encore de la prendre chez moi après la guerre, si elle était vertueuse ; au contraire, si c’était le libertinage qui la faisait suivre l’armée, je la dénoncerais moi-même ; je lui dis que j’allais écrire ù son vicaire, homme de mérite et frère des braves Tcxier (i), les héros de Courlay, pour connaître sa conduite ; elle m en parut fort aise, m’assurant qu’il savait qu’elle se battait pour son Dieu et son Roi. Je lui donnai une veste, j’écri» vis au vicaire ; à me manda qu’effectivement cette fille était à l’armée pour de bons motifs ; qu’il avait cependant cherché à la détourner de son dessein, mais, le jugeant pur, il y avait consenti, et elle avait même communié avant son départ ; depuis elle n’était jamais retournée & Courlay, et elle se cachait des soldats de cette paroisse. Je gardai le secret de cette fille, je confiai seulement à M. de Lescurc son histoire, sans vouloir dire son nom, ni sa figure, ni son pays.

La veille du combat de Thouars, Jeanne entra à l’état-major et dit : « Mon général, je suis une fille, M™ de Lescure sait mon secret, j’ignore si elle vous l’a fait connaître ; en tout cas, elle a dû prendre des informations sur mon compte, et elles auront été favorables. Je viens à vous parce que je n’ai pas de souliers et je dois me battre demain. Tout ce que je vous demande, si vous voulez me renvoyer, c’est d’attendre après le combat, et je m’y conduirai si bien que, j’en suis sûre, vous me direz de rester à l’armée. » Effectivement, pendant la bataille elle s’attacha à

(i) Pierre Tcxier, non le frère, mais te court n germain des braves Texlcr, naquit 4 Courlay, pm ta Forèt-sur-Sévrc. » épousa en 1781 Marte Oabillyj bientôt veuf sans enfont, it entra «u séminaire de la Rochelle, fut vicaire de Vernoux en Gàtine, refusa le serment et se réfugia k Courlay, où it exerça en secret le saint ministère, avec autant de zélé que de courage, il refusa constamment de reconnaître le Concordat, et mourut h Courlay, sans rtôtre rendu, le >5 ma» 1826, Agé de

® n# ; est le village de la Plainchiru, à ta tête

des dissident* de la petite Église.

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suivre M, de Lcscure et lui criait : « Mon général, jamais [vous ne me passerez, je serai toujours aussi près des Bleus que vous. » Elle fut blessée à la main, elle lui montra son sang qui coulait en lui disant : « Ce n’est rien que cela. » On la perdit de vue depuis, et comme on trouva le corps d’une femme parmi les morts, on a toujours cru qu’elle avait été tuée dans la mêlée, où elle se précipitait comme une furieuse : ce trait a donné lieu à l’histoire fabuleuse de Jeanne de Lescurc, qui n’a jamais existé, Une petite hile de treize ans était tambour dans l’armée de d’Elbéc et passait pour fort brave ; une de ses parentes était avec elle au combat de Luçon, où elles furent tuées.)

J’ai vu deux jeunes filles, l’une de quatorze ans, qui allaient & la guerre et se battaient avec un courage héroïque ; la petite était même assez connue. Un jour, à Maltièvre, allant rejoindre l’armée, elles furent arrêtées pour leur déguisement ; la petite vint me trouver ; ayant entendu parler d’elle, je la fis passer. Il y en avait trois ou quatre autres qui combattaient ; une de l’armée de Bonchamps suivait son père ; on prétend que l’ayant vu tomber dans une affaire aux Ponts-de-Cé, elle fut si animée à la vengeance qu’elle tua dix-neuf hommes de sa main. [Elle était d’une taille ordinaire et fort laide. Un jour, à Cholet, on me la montra : « Remarquez ce soldat qui a des manches d’une autre couleur que sa veste, c’est une fille qui se bat comme un lion» » Elle s’appelait Renée Bordereau, dite l’Angevin, et servait dans la cavalerie ; son incroyable valeur était célèbre dans toute l’armée, Elle vit encore et a fait les trois guerres avec la plus éclatante bravoure.) (i)

O) Cette fille courageuse était couverte de blessure» ; elle a été six ans prisonnière de Bonaparte, et même enchaînée au Mont-Saint-Michei ; elle n’a recouvré la iiberté qu’au retour du Roi, et s’est battue encore en iSt5. Nous l’avons pré* sentée au prince de Condé ; tout do suite elle l’embrassa en lui disant i « Avec votre permission, Monseigneur ; > après quelques paroles fort aimables, le Prince lui dit i « En entrant, vous m’avex embrassé de vous-même ; en bien, à mon tour, moi, je veux vous embrasser, » et il te fît avec sa grâce enchanteresse. Elle était à Paris, tantôt en homme tantôt en femme ; elle préférait beaucoup le costume

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À l’armée de Charotte, M'"’de Bruc (i) allait au feu avec son mari, et aussi une dame dii Fief (2), femme d’un émigré. Voilà, Je crois, toutes les femmes qui ont porté les armes. On a fait mille contes : on a beaucoup dit que moi-même je me battais ;

je conviens et j’assure que je n’en ai jamais eu la volonté ni le courage.

Les femmes ne suivaient pas l’armée, tant qu’elle fut dans la Vendée ; après le passage de la Loire, on ne les entendra jamais pousser un cri de frayeur ; on les verra rallier, encourager les soldats, mais point se battre ; cependant il est sûr que dans le Bocage, quand les Bleus en déroute passaient dans quelque village, les femmes et les enfants leur jetaient des pierres, et de cette manière plusieurs ont été pris ou tués. Gela est bien différent du bruit répandu par l’ennemi que, nouvelles Amazones, nous marchions à la guerre ; ils l’ont répété pour atténuer les horreurs qu’ils ont commises en massacrant tout impitoyablement. Quelques enfants aussi suivaient l’armée, mais en petit nombre ; on y a vu mêmeu» petit garçon de sept ans.

Quant au dire absurde, accrédité en France, que les prêtres se battaient, c’est absolument faux. Aucun prêtre de l’armée

«ï® U P com *î ode * E1, e r< * ut de Argent du Roi, des pria,

ces, U pweît quelle se confia trop 4 une personne méprisable qui la vola. Enfin

Ulc fût atteinte d’une longue maladie, et mourut vers 1824, après avoir souffert avec une résignation do sainte. (Note de l’auteur.) Renée Bordereau «tait née 4 Souiaines, présdes Pont^^Cé en Anjou, au moi. de Juin.770.

(t) Fille de messlre Danguy de Vue, «Ile avait épousé Claude-Louis-Ma rie comte de Bruc, seigneur du Ciéray, maréchal de camp, chevalier de Saint-Louis ! Elle fut tuée en combattant, le 14 février 1794, prés de Beaupréau

(a) Victoire-Alméc Libault de la Barossièrc, mariée en 1774 4 NicoIa^Henri

Ïïl/Æ 4 ? 1 “ rî 0 * h * Wt * lont Salirt-Colombin, près Nantes. Son.mari se battait 4 l’armée de Charettcj des soldats républicains vinrent ches elle, saisirent un de ms enfants au berceau et le coupèrent en quatre sous ses yeux. Exaspérée

ÏÏJÎf ! f Ct WOfttr *, Un cour ** e h *"*que. Le u 3 janvier 7 1798, le Roi lui Jc regr J cttc ^ uc lu8 règlements de l’ordre de Saint-Louis ne me permettent pas de vous donner cette croix, prix de la vaillance, mais j’ose, 4 la place.

l’orée P® ? 1 ?*’ot en, Ic P° mnt tttt# ché 4 un ruban semblable à celui de

I ordre dont je voudrais pouvoir vous décorer, il prouvera du moins et la nature

de vos services, et combien je sais les apprécier. * M- du Fief mourut vers 1830.

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catholique n’a jamais été au combat, si ce n’est pour confesser et exhorter les mourants ; si quelques-uns ont paru, en route, «armés, c’était pour leur défense personnelle. Outre que jamais un prêtre n’eut une pareille idée, opposée aux lois ecclésiastiques, les généraux ne l’eussent pas permis ; on mit en prison un' M. du Soulier, qui se battait depuis longtemps, sitôt qu’on apprit qu’il était sous-diacre. [On a aussi reproché aux prêtres d’exciter les Vendéens à la cruauté : rien n’est plus faux ; au contraire il serait possible de citer beaucoup de traits d’une humanité courageuse dont se sont honorés des ecclésiastiques ; une foule de personnes ont dû la vie aux instances qu’ils ont faites à des soldats furieux et animés au carnage. Les prêtres les plus ardents à exciter les paysans au combat étaient souvent les plus ardents aussi à les empêcher de répandre le sang des vaincus, M. Doussin (i), curé de Sainte-Marie de Ré, un des plus zélés ecclésiastiques de l’armée, sauva une fois la vie à un grand nombre de prisonniers, et arrêta le massacre par de vives et éloquentes représentations qu’il adressa aux Vendéens. Quelques années après, ayant été traduit devant un tribunal républicain, il fut acquitté en souvenir de cette action. Un vénérable missionnaire de la communauté du Saint-Esprit, M. Supiot (a), se plaça un jour, à Saint-Laurent sur Sèvre, devant la porte d’un dépôt de prisonniers, et déclara qu’il faudrait passer sur son corps pour arriver jusqu’à eux. U faut absolument ranger parmi les calomnies des gens irréligieux et prévenus, ce qui a été débité sur le fanatisme sanguinaire des prêtres vendéens.)

Je crois avoir ici oublié une affaire, et qu’avant les combats

(i) Jacques-Louis Doustin, ne n Saintes, docteur en Sorbonne, ancien professeur de l’université de Cahors, chanoine régulier de Saint-Augustin, de l’abbaye de Chancelade, prés Périgueux, prieur de Sainte-Marie de Ré ; il no reconnut pas le Concordat, resta dans le sein de la petite Église, et mourut à Cbsgnojlet, commune de Dompierrc-sur-Mer, le 16 mai 1843, à Pàge de quatre-vingt-neuf ans.

(a) René Supiot, né & Ancenis le a8 octobre 1731, fut élu en >792 supérieur général de U Compagnie de Marie, et mourut à Saint-Laurent sur Sévro le la décembre

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suivants, M. d’Elbéc battit Santerre à Vihiers très complettement (i),

Six mille hommes partis des Sables, le général Beysser venu de Nantes avec une autre armée, enfin quatorze mille Mayençais, venus aussi de Nantes, s’avançaient sur trois colonnes dans l’intérieur de la Vendée, après avoir battu quatre fois l’armée de Charette, un peu affaiblie par l’affaire de Luçon. Ce général arriva en déroute jusqu’à Tiffauges, suivi d’une multitude de paysans, de femmes, d’enfants, de bestiaux qui échappaient aux massacres et aux incendies, car c’est à cette époque surtout qu’ils commencèrent. Us petits corps de Chouppes (a), de Savin (3) et de Joly (4), ce dernier officier très estimé, qui étaient près des Sables, arrivèrent avec l’armée de Charette dont lis faisaient partie.

Les Bleus s’étalent emparés de Chantonnay par une autre colonne d’environ trois mille hommes, et ils étaient en plus grand nombre à la Châtaigneraie, Heureusement ceux d’Angers, Vihiers et Thouars étaient contenus ; je crois même me rappeler confusément qu’à cette époque, un chevalier de la Sorinière gagna une bataille contre les Bleus, du côté de Brissac(5). Nous

étions, comme je l’ai dit, cernés par deux cent quarante mille hommes.

Ce que j’appelle les Mayençais était la garnison de Mayence,

(0 L’auteur n’a point oublié le combat de Vihiers, mais ce serait Ici sa place (Note du manuscrit.) *

ci (3 ! ^ dor " ! er d’UM nobIc et «“tonne famille du pays de Mireboau en Poitou : "‘J <tîni J le Çharles-René, marquis de Chouppes, chevalier de Saint-Louis, et aAnne-Honnette de la Place de Torsac. Il avait épousé Marie-Anne-Êlisabeth de Tinguy de Nesmy. Il fut tué au mois de décembre î7q3.

(3) Jean-Rcné-Françols-Nlcolas Savin, né À Saint-Étienne du Bois, en bas Poil ° u » “ octobre 1765, fut un des officiers les plus vaillants de la Vendée. Après s’être distingué dans tous les combats, il fut surpris au village de ta Sauzaie, prés des Lucs-sur-Boulogne, au mois de juin 1796, conduit & Montalgu et fusillé.

(4) Jacques Joly, né au Cateau-Cambrésis, établi chirurgien A ta Chapetle-Hormier, prés les Sables-d’Otomie, fut massacré par méprise sur la ferme de Beauventre, prés Saint-Laurent sur Sévre, en juin 1794.

(5) Le 19 septembre, le chevalier Duboux, avec La Sorinière et Cady. battit les troupes du général Rossignol, au Pont-Barré, prés Saint-Lambert du Lattay.

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les troupes les plus aguerries de la république ; le roi de Prusse, ainsi que l’ont toujours fait les autres puissances, avait renvoyé les corps faits prisonniers, avec serment de ne point servir contre les souverains coalisés, sans parler des royalistes de France, et ces troupes étaient employées contre les pays insurgés. La garnison de Mayence était venue en voiture pour arriver plus vite contre nous ; on décida, vu les horreurs des patriotes, de faire très peu de prisonniers (on en gardait moins depuis quelque temps) et de n’accorder la grâce à aucun Mayençals.

Le conseil supérieur, dans le commencement, avait voulu imprimer les ordres : De par le Roi et Monsieur le Régent ; MM. de la Rochejaquelein et de Lescure l’empêchèrent, disant que la Reine existait, et devait naturellement être régente, que nous étions prêts à obéir aux ordres des Princes, mais que n’ayant aucune espèce de communication avec eux, ce n’était pas à nous à nous immiscer dans le gouvernement, et que nous devions seulement mettre : De par le Roi, en attendant des instructions.

L’épouvante était dans la Vendée, cependant la grande armée était animée par la gloire de sauver le pays. J’avais fait faire un beau drapeau blanc pour la troupe soldée que M. de Lescure devait former ; dessus il y avait une très grande croix en galon d’or, avec trois fleurs de lis, et ces mots écrits en grandes lettres d or * Vive le Rot ! Je le lui envoyai à Cholet, où l’armée sc rassemblait ; le curé de Saint-Laud le bénit à minuit, en même

temps il dit la messe et exhorta les soldats dans un superbe discours.

Du sort de ce combat dépendait celui de la Vendée. M. de Lescure et quelques autres officiers étaient décidés à se faire tuer sur le champ de bataille ; tous les chefs étaient au combat, excepté Henri, qui était blessé ; M. de Bonchamps s’y rendit, le bras en écharpe. Les troupes ennemies se rencontrèrent à Torfou, près Tiffauges, s’avançant en même temps l’une contre

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l’autre ; il y avait des soldats de toutes nos armées ; nous avions bien quarante mille hommes et les Mayençais n’étaient que quatorze mille. Mais au premier coup de fusil, les paysans prirent la déroute, et surtout le corps de Charette, qui donna l’exemple, étant le plus épouvanté. La vaillante paroisse des Échaubroignes, avec son digne chef Bourasseati (i), avait rejoint, au nombre de dix*sept cents hommes ; ces braves gens, qu’on regardait comme les grenadiers de l’armée, ayant avec eux à peu près autant d’hommes des paroisses des environs, les plus courageuses, firent ferme pendant deux heures et demie, exposés au feu de file le plus soutenu ; ils avaient à leur tète M. de Lescure, qui s’était mis à pied avec ses officiers. Heureusement le pays était très fourré, les Bleus n’aperçurent pas leur petit nombre. Pendant ce temps M. de Charette, les autres généraux et officiers rallièrent les soldats ; ils se donnèrent une peine extraordinaire, n’épargnant rien pour les ramener. Ils y réussirent et, rejoignant les paysans qui faisaient ferme, ils tombèrent sur les Maycnçais et les battirent ; on en tua environ quinze cents, on ne fit grâce qu’à trois ; nous perdîmes vingt hommes, dont dix-sept des Échaubroignes, et nous eûmes beaucoup de blessés, mais pas d’officiers.

Les Mayençais s’étaient retirés à Clisson ; ils n’étaient pas capables, comme les autres Bleus, d’abandonner si vite la partie ;. ils ramassaient des quantités de blés, d’effets, et voulaient au moins les ramener à Nantes. Tous nos généraux restèrent de ce côté, avec le projet de les attaquer quand ils se mettraient en marche avec leur convoi.

Le sur lendemain, MM. de Charette et de Lescure marchèrent contre le général Beysser ; ils devaient s’entendre le jour suivant pour assaillir le convoi des Mayençais d’un côté, tandis que MM. d’Elbée et de Bonchamps le prendraient de l’autre côté.

(t) Un Jean-Baptiste Bourtuscau, do Saint-Hilaire de» Echaubroignes. fut condamne à mort comme < Brigand de la Vendée >. & Nantes, le 1 3 nivôse an M, s janvier 1794,

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MM. de Charette et de Lescure se rendirent sans bruit près de Montaigu, y surprirent le général Beysscr, le battirent à plate couture et s’emparèrent de tous ses canons et bagages ; le succès fut bien plus complet que contre les Mayençais qui, étant d’excellentes troupes, disputaient le terrain pied à pied. L’armée de Charette prit encore la déroute et ne se rallia qu’au milieu du combat, grâce aux efforts de son générai et des officiers ; ceux-ci, et en particulier M. de Charette, payèrent très bien de leur personne ; ils étalent furieux de voir leurs soldats dans un tel effroi, mais les quatre déroutes éprouvées dans leur pays leur avaient fait perdre la tète ; au contraire, ceux de la grande armée, fiers de la victoire de Torfou, étaient devenus des héros. Ce fut, je crois, à ce combat, que M. de Lescure fut tiré à bout portant par un républicain qui te reconnut pour être général : le fusil rata et M. de Lescure, quoique ayant le sabre à la main, le prit ù bras-le-corps, sans lui faire de mal, en lui disant : « Je te fais grâce, » Il le confia à ses soldats, qui le massacrèrent ; cela lui fit tant de peine, qu’il jura pour la seule fois de sa vie. Ce fait est vrai, mais je ne suis pas très sûre qu’il se soit passé à ce combat.

Comme je l’ai dit, MM. de Charette et de Lescure devaient, le lendemain, attaquer les Mayençais, de concert avec M. d’EIbée, mais ils ne purent résister au désir de battre l’autre armée des Bleus qui, à Saint-Fulgent, au cœur même du pays, faisait mille dégâts. Nos soldats étaient pleins d’ardeur, ils crurent que les Angevins suffiraient à détruire le convoi ; Us dépêchèrent un officier de M, de Charette (celui-ci surtout désirait la marche sur Saint-Fulgent), pour prévenir les autres généraux de leur départ : on a toujours dit que cet officier, par négligence ou autrement, n’arriva pas & temps.

Je vais rendre compte de l’attaque du convoi près Clisson, et je parlerai ensuite du combat de Saint-Fulgent, donné le même jour, Les Mayençais emmenaient environ douze cents charrettes, ils les avaient divisées cent par cent, un bataillon

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était entre chaque centaine, la cavalerie de» troupes légères sur le» flancs. MM. de Bonchamps et d’Elbée, dit-on, chargèrent trop tôt, n’ayant laissé défiler que la moitié du convoi au Heu de l’attaquer en queue ; on prétend aussi qu’ils comptaient sur l’ar* rivée de MM. de Charette et de Lescure. Toujours est-il que les Mayençais se défendirent très bien et nos généraux ne réussirent pas selon leurs espérance» ; cependant ils eurent l’avantage ; ils prirent ou brisèrent une centaine de charrettes, mais comme on attendait un succès plus complet, on ne fut pas très satisfait (i).

Ce même jour on se battit à Saint*Fulgent : attaquer les six mille Bleus qui y étaient, les tailler en pièces, prendre tous leurs canons et bagages fut bientôt fait. Même mauvaise conduite de l’armée de Charette ; même courage, même ardeur dé son chef. Le brave Avril (2), paysan, officier de cavalerie de la paroisse du May en Anjou, près Cholet, y eut le bras cassé ; c’était avec Forest, Loiseau, Legeay (3) et les Godilion (4), les cavaliers paysans les plus estimés. Un jeune homme nommé Rinchs, musicien aux gardes suisses, charmant sujet, voyant les Bleus eh pleine déroute, tira sa clarinette de sa poche au milieu de la

(O M. do Bonchamps attaqua troîa fol* do sulto l’armée do Mayence ; mai* comme la diversion que devaient faire Ica deux corp» de Lcteure et de Charette n eut pas lieu, Il fut repoussé tes trots fois, après s’être battu avec un courage héroïque contre l’armée la plus aguerrie de la République. Il se retira sans être mi* en déroute et sans qu’on osAt le poursuivre. Cette afTairo commença & mettre du mécontentement dans l’armée ; jamais les Angevins do Bonchamps ne l’ont oubliée. (Note du manuscrit.) v

… <») J’^blement René Avril, né au May le ta juin tjG8, fils de René Avril et de iicncilc-Charlotte Deschamps, ancien maréchal-expert (vétérinaire) dans un régiment de cavalerie ; veuf de Louise David, il épousa Louise-Françoise Payncau, et mourut à Vihiers le a septembre 1833, *

(3) Pierre-André Legeay, né à Saint-HlIalre-du-Boîs près Vihiers, le a5 juin 1770. était tisserand. Louis XVIII lui donna le brevet de chef de bataillon et la croix dhonneur, et le nomma percepteur à Trémentincs. If donna sa démission en 1830, et mourut le 4 juin 1848 À Angers.

(4) Du village de la Babiniére, paroisse de Chanzcaux ; ils étaient cinq frères acddent Rf * ttdC 5 qU#tre furent en combattant, le cinquième périt par

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poursuite, et se mît à jouer, par dérision : Ait/ ça ira. Un boulet de canon vint fracasser la tête de son cheval ; Rinchs se releva en continuant à pied l’air et la poursuite.

Le chevalier de Beauvollier reçut une contusion à l’estomac, personne ne courut plus de risques. Le petit de Mondion et M, de Lescure s’acharnèrent tellement après les ennemis, qu’à dix heures du soir Us étaient encore à leurs trousses. Quatre soldats républicains vêtus de blanc s’étaient cachés derrière les haies et tiraient sur nos gens ; ces messieurs, croyant que c’étaient des Vendéens, leur crièrent î « Vive le Roi ! Ne tirés pas, ce sont vos commandants » ; ils répondirent : « Vive le Roi ! » et tirèrent encore. M. de Lescure leur dit : « Je vais à vous, ne tirez donc pas, » et en même temps, comme il était sur eux et avançait.le bras pour leur donner des coups de plat de sabre, ils firent une décharge à bout touchant ; ils avaient rempli leurs fusils de balles et de plomb de chasse. À la lueur du feu, les généraux reconnurent des soldats républicains. M, de Lescure eut sa selle et ses habits criblés, ainsi que ces messieurs ; mais il n’y eut que le petit de Mondion qui reçut huit grains de gros plomb dans la main ; il en fut très souffrant, vu la peine qu’on eut & les retirer ; il eut longtemps la main et le bras enflés.

Tous les paysans s’en retournèrent chez eux, célébrant leurs victoires ; on envoya à Mortagne une grande quantité d’effets d’équipement, canons, poudre, qu’on avait pris, et à Châtillon 7,000 livres en assignats trouvés dans la caisse. On chanta des Te Deum dans toute la Vendée ; il y en eut un très beau & ChÛtillon, où étaient l’évêque et le conseil supérieur ; M. de la Cassaigne, qui commandait la ville, vint les prendre à la tête des habitants ; il était vraiment excellent pour général d’une procession, aussi en fhisait-il sans cesse. Il faut convenir qu’il était bien dans cette place : il ne fallait s’occuper que du soin des prisonniers, qui y étaient en grand nombre, et de la police ; il

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avait beaucoup d’humanité et de zèle ; déplus, sa grande piété édifiait, et il était ainsi utilement employé. Je me trouvai, sans m en douter, au Te Deutn^ étant venue voir M. de Lescure ; pour lui, qui avait gagné toutes ces batailles et n’avait jamais eu un moment plus glorieux dans sa vie, c’était à qui lui rendrait hommage comme au sauveur du pays, mais il se refusait à tous les honneurs, et il se cacha, pendant l’office, derrière une colonne, uniquement occupé à remercier Dieu,

Le soir, j’eus grand’peur ï l’état-major se tenait dans une maison adjacente à l’abbaye, où étaient depuis longtemps les prisonniers patriotes, au nombre de dix-sept cents ; ce n’était pas une prison, aussi étaient-ils mal enfermés, Il y avait deux pièces de canon chargées à mitraille, toujours braquées contre la porte, une sentinelle et un corps de garde, mais le service n’était jamais bien fait. En ce moment, trois mille soldats environ occupaient la ville ; il était onze heures du soir, tous étaient couchés. Il y avait une trentaine d’officiers à l’état-major ; j’étais par hasard dans la cour, quand j’entendis crier : Aux armes ! les prisonniers se révoltent ; la frayeur me saisit, l’idée me prit qu’ils allaient se jeter sur l’état-major ; Châtillon n’était pas muré, le jardin de la maison donnait sur la campagne. Je pensais que ces messieurs pourraient tenir ferme jusqu’à ce que les paysans vinssent à leur secours : cette réflexion ne m’empêchait pas de voir les dangers qu’ils allaient courir. J’entrai tout éperdue dire ce que j’avais entendu ; ces messieurs sautèrent sur leurs pistolets et leurs sabres, coururent aux prisons, puis,

au bout d’un quart d’heure, revinrent en riant : c’était une fausse alerte.

Cela me rappelle quelques faits relatifs aux prisonniers : une fois on eut beaucoup d’inquiétude après la victoire de Châtillon. Comme nos soldats avaient toujours la rage de retourner chez eux, il n’en restait que quatre cents dans la ville, et il y avait dans ce moment plus de trois mille prisonniers. On dépêcha un

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exprès & la Boulaye & M. de Lcscurc, qui envoya toute la nuit des paysans des environs. Il y eut une autre fois une révolte des prisons & Châtillon ; on fut obligé de tuer un homme et d’en blesser quelques autres ; il se sauva dix-huit Bleus, dont deux avalent demandé avec instance de servir le Roi et avaient facilité la fuite des autres ; ils furent repris et ces deux traîtres fusillés. Il avait couru le bruit un instant que les républicains avaient massacré six cents prisonniers, on proposa des représailles, mais on ne put se déterminer de sang-froid & un tel carnage ; on fit bien, car deux de nos gens, pris à Luçon, s’échappèrent de la Rochelle, revinrent dans la Vendée, et nous apprirent qu’il y avait dans cette ville cinq cents royalistes enfermés. Jusqu’alors les Bleus ne tuaient pas encore tout ; ils faisaient sûrement bien moins de prisonniers que nous, les traitaient durement et n’accordaient la liberté à aucun ; ils guillotinaient déjà beaucoup, mais c’est à l’époque où j’en suis maintenant, ou plutôt un peu avant, qu’ils commencèrent le massacre générai et fusillèrent presque tous les Vendéens qu’ils retenaient captifs depuis longtemps.

Revenons à l’armée ; nous en sommes après la bataille de Saint-Fulgent. M. deCharette se tenait aux Herbiers ; j’étais à Châtillon le jour où il envoya un des messieurs de la Robrie demander le partage de la caisse de sept mille livres : cela fut fait sur-le-champ. Nous avions débarrassé le pays commandé par M. de Charette, il était juste qu’il nous aidât à son tour : les postes de Chantonnay et de la Châtaigneraie nous étaient fort incommodes, il était essentiel de les reprendre ; le premier était le plus gênant pour Charette, le second pour nous. M. de la Robrie insista pour attaquer Chantonnay d’abord : je vis moi-même la réponse faite par MM. de Lescure, de la Rochejaquelein, de Beauvolüer, des Essarts et de Baugé. Ils mandèrent à M. de Charette que leur avis à tous avait été d’attaquer ta Châtaigneraie comme plus essentiel, les patriotes y étant beaucoup plus nombreux ; mais que, persuadés de ses talents et se trouvant

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tous plus jeunes que lui, ils se rendaient à ses désirs par estime et par déférence ; que M, de Lcscurc allait rassembler sa troupe et serait le sur lendemain aux Herbiers» Qui n’aurait cru que M. de Charette devait être satisfait/ Cependant nous apprîmes le lendemain, avec beaucoup d’étonnement, son départ pour Mortagne, où il allait demander une partie des équipements pris ft Saint-Fulgent j ils consistaient en souliers, chemises, etc, ; il y en avait peu, les Bleus n’ayant presque rien apporté, Mon père était à l’armée & Clisson, et ne se trouvait pas à Mortagne au moment où on y avait conduit ces effets ; M, de Marigny, qui venait d’arriver, avait imaginé de tout distribuer aux soldats alors présents, et, comme ce qu’il y avait à donner était peu de chose, il ne restait plus rien. On n’avait guère pris que des canons et de la poudre, M. de Charette, sous prétexte de mécontentement, s’en alla dans son pays sans nous prévenir, mais, dans le fait, parce qu’il n’avait plus besoin de nous ; si bien qu’il nous laissa dans l’embarras dont nous l’avions tiré, À la vérité, peut-être ses soldats voulaient-ils s’en retourner ; au moins il aurait dû prévenir : il connaissait bien la générosité de la grande armée qui, plusieurs fois, lui avait donné des canons et de la poudre»

On peut juger de l’étonnement de nos officiers quand ils surent le brusque départ de M. de Charette : cela fit changer le plan, et M. de Lescure se décida & marcher sur la Châtaigneraie, mais il ne pouvait l’attaquer, n’ayant pas assez de forces. Outre que les paysans désiraient du repos, MM, d’Elbée, Stofflet en gardaient une partie du côté de Clisson, d’où les Maycnçais sc rapprochaient, après avoir fait entrer leur convoi à Nantes ; de l’autre côté, MM. de Tatmond et de Perrault imaginèrent de faire un rassemblement pour aller attaquer Doué (1). M. de

<0 L* rassemblement fait par M, de Talmond eu du 14 septembre. Le jour où M. de Lcscurc faillit prendre Thouara, MM. de Talmond et Stofflet attaquèrent Doue, (Note du manuscrit.)

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Tàlmorid notait pas fâché de commander en chef pour la première fois ; il fit donc un coup de tête, et, sans l’ordre de personne, n’étant que général de cavalerie, il fut se faire battre ; on ne perdit pas grand monde. La principale cause de la déroute fut que M, de Scépeaux et trois autres jeunes gens se défièrent â qui s’approcherait le plus près de l’ennemi. S’étant trop avancés dans leur bravade, ils revinrent au galop sur nos gens, ceux-ci crurent que c’étaient les ennemis et s’en allèrent. En tout, cette affaire ne fut pas grand’chose. C’est la première fois qu’il est question dans ces Mémoires de M. de Scépeaux (i) : beau-frère de M. de Bonchamps, il avait toujours servi dans son armée ; c’était un jeune homme de vingt-trois ans, brave, mais passant pour étourdi. Il s’est parfaitement conduit à l’affaire du Mans, comme je le dirai, et c’est la seule fois que, de mon temps, on ait parlé de lui.

M. de Lescure se tint plusieurs jours devant la Châtaigneraie à escarmoucher ; dans ces petites rencontres, nous eûmes presque toujours l’avantage, mais cela ne vaut pas la peine d’en parler. Westermann avait rassemblé des forces considérables, U vint occuper Bressuire ; M. de Lescure fut avec très peu de monde se camper près de là ; une fois même, il essaya la nuit de surprendre la ville et manqua le coup, cela servit à tenir un peu les Bleus en respect, comme c’était son projet. De part ni d’autre il n’y eut, je crois, personne de tué ; ce ne fut qu’une alerte et point un combat. On ne pouvait pas espérer davantage, Westermann ayant quatre ou cinq fois plus de monde que nous : le résultat fut de l’arrêter quelques jours.

Dans ce temps j’eus une cruelle inquiétude î maman avait une espèce de fièvre maligne et était en danger ; & minuit j’entendis arriver un courrier au grand galop, je descendis, j’appris que

(i) Alexandre-César, marquis de Scépeaux, né à Angers le tS septembre 1768, chevalier de Malte do minorité le 10 Juin 1769 ; nommé soua la Restauration maréchal de camp et chevalier do Saint-Louis, il mourut à Angers lo 38 octobre 182t.

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M. de Lescure s’dtait rendu de Saint-Sauveur à Châtillon ; il écrivait à mon père, le croyant & la Boulaye ; il avait donné l’ordre au courrier d’aller & bride abattue ; je cédai à mon inquiétude ; j’ouvris la lettre ; il mandait à mon père qu’il craignait d’être attaqué le lendemain, et que Westermann avait quatre fois plus de monde que lui ; qu’il était venu le consulter et l’attendait à Châtillon, où il avait espéré le trouver ; qu’il le priait d’envoyer sur-le-champ avis à tous les généraux de lui faire passer de la poudre. Je recachetai la lettre, le courrier fut trouver mon père & Mortagne, et moi je montai à cheval, fus secrètement voir M. de Lescure et lui dis l’état de maman. Pour veiller à sa sûreté, je retournai la nuit à la Boulaye, et M. de Lescure & Saint-Sauveur. Ce fut deux jours après qu’il fit la petite attaque de Bressuire, dont j’ai parlé, ce qui effraya les Bleus et les empêcha d’avancer aussi vite.

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CHAPITRE XV

DEPUIS LA BATAILLE DE CHATILLON

LES PREMIERS JOURS D’OCTOBRE (i)

JUSQU’AU 18 DUDIT MOIS

JOUR DU PASSAGE DE LA LOIRE

Nous étions aux prises de tous côtés. MM. d’EIbée et de Bonchamps étaient campés près de CUsson, où étaient les Mayençals ; Westermann pouvait s’avancer de Bressuire d’un moment à l’autre ; les Bleus de la Châtaigneraie, de Chantonnay, commençaient à faire des sorties ; Us vinrent jusqu’à Cerizay, mirent le feu dans plusieurs endroits, et notamment au château de Puyguyon, appartenant à M. de Lescure. Nous étions en danger à la Boulaye, et nous résolûmes d’en partir la nuit même pour Cholet. Il faisait un brouillard épais, qui tombait en une pluie fine, les chemins étaient affreux ; maman sortait à peine de maladie, elle ne s’était levée que deux ou trois fois, ses jambes étaient fort enflées, et depuis vingt ans elle n’était pas montée à cheval î elle s’y résolut cependant. Nous nous rendîmes, elle, ma tante, ma fille et moi, à Cholet, où était mon père. J’avais été obligée de faire sevrer mon enfant avant

(0 Le io octobre.

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venait de battre les Bleus du côté d’Angers, comme je l’ài dit plus haut ; il nous amenait des secours, il fut reçu à bras ouverts. M. de Talmond voulait & toute force que M. de la Sorinièrc fût au secours de M. d’Elbée et non de MM. de Lcscurc et de la Rochejaquelein (celui-ci était remonté â cheval, mais le bras en écharpe). M. de Talmond soutenait que ces messieurs avaient trente mille hommes : cela occasionna des difficultés entre lui et mon père. Pour M. de la Sorinière, il était prêt à faire tout ce qu’on voudrait. Il partit donc pour Châtillon. M. de Talmond avait la goutte, il resta à Cholet ; le retard dont il fut cause empêcha M. de la Sorinière d’arriver avant la déroute. MM. de Lescure et de la Rochejaquelein, n’ayant que six mille hommes au plus, furent attaqués et battus par vingt mille au bois du Moulin-aux-Chèvres, entre Châtillon et Bressuire. Cette première ville fut prise, nous ne perdîmes cependant pas grand monde, par le dévouement de ces messieurs ; étant parfaitement montés, ainsi que deux domestiques, ils firent courir pendant deux heures les hussards sur eux, en leur criant qu’ils étaient les généraux, se nommant, s’arrêtant dès qu’ils voyaient les hussards fatigués de les poursuivre ; pendant ce temps, les paysans se sauvaient par des routes obscures et tout opposées aux chemins qu’ils prenaient. Ils eurent la douleur de voir alors mettre le feu aux braves villages de Nueil, les Aubiers et Rorthaîs.

Stofïlet, qui s’était rendu à Châtillon, pensa périr à ce comptions 80 «ont distinguées dans les guerres de la Vendée : c’est que je n’ai jamais eu beaucoup de rapports avec l’Anjou. (Note de Vautour, i 838.)

Henrl-Charles-Qaspard du Verdier, chevalier, seigneur de la Sorinière, né & Chemiilé en Anjou, le 4 avril 178a, garde du corps do Monsieur^ d’abord enrôlé dans l’armée républicaine, avait rejoint les Vondéens. Arrête A Candé après le passage de la Loire, Il fut condamné et exécuté à Saumur le 4 brumaire an II, a 5 octobre 1 793. Sa mère, Marie de la Dlvc, née à Saînt-Craspln, pré* Cholet, Agée de soixante ans, fut guillotinée À Angora le 7 pluviôse an H, a 6 janvier 1794. Ses « urs, Catherine du Verdier de la Sorinière, Agée de trente-cinq ans, et Marie, âgée de vingt-huit ans, furent condamnées à Angers le 18 pluviôse, et fusillées ieaa, to février 1794, au Champ-des-Martyrs.

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bat ; lui, le chevalier de Beauvollier et un autre se trouvèrent si bien enveloppés par les Bleus, qu’ils eurent juste le temps, serrés dans un chemin creux, de monter sur la selle de leurs chevaux et de sauter par-dessus la haie dans le champ ; Stofflet laissa aux Bleus son habit, dont ils tenaient la basque. Quelques-uns des plus lestes s’élancèrent à leur poursuite ; heureusement le chevalier de Beauvollier avait pris ses deux pistolets d’arçon, et il tua raide les deux volontaires qui s’étaient le plus avancés ; cela dégoûta les autres de les suivre : ces messieurs avaient le sabre à la main et paraissaient vouloir vendre cher leur vie. M. de Lcscurc eut le pouce effleuré d’une balle, M. du Rivault eut son sabre cassé entre les mains par une balle qui lui entra dans la poitrine, mais seulement dans les chairs, et mourut sous l’aisselle, d’où on la tira ; elle n’avait point touché les os et avait filé le long des côtes ; il était fort gras, et, comme des morceaux d’habit et de bouton étaient entrés dans la plaie, la blessure était affreuse.

M. de Solérac (je crains de ne pas bien me rappeler ce nom) (i), chevalier de Saint-Louis, grand, maigre, avait l’air important ; il vivait du côté des camps de Lyrot et d’Esigny ; il était venu un jour à la Boulaye ; ayant déjà servi dans la maréchaussée, il proposait d’en former un corps dont il aurait été le chef : cela lui paraissait plus intéressant que toutes les batailles du monde. Il disait qu’Ü avait assisté à plusieurs affaires du côté de Nantes et avait commandé ; qu’il avait quitté l’armée pour aller aux eaux de Jouannet (s) ; c’était la première fois qu’il s’y rendait, et on lui avait ordonné de les prendre pendant vingt et un ans. Il se trouva, je ne sais par quel hasard, avec M. de la

(t) C’est bien son nom. (Note do l’auteur.)

Toussaint-Gabriel Gilbert, écuyer, sieur de Solérac, né à Signy-lc-Grand en Rétheloia, le 18 décembre *74®» «ncten lieutenant-colonel de cavalerie, chevalier de Saint-Louis, mort au Mans le 30 juillet *8*4’

(a) Jouannet, dans la commune de MartJgné-Briant, canton de Doué, prés de Chavagnes-let-Eaux, Maine-et-Loire.

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Sorinlèrc ; ü vit, en arrivant, que nos gens étaient en déroute, il se mit à crier : «Mes enfants, courage, ralliez-vous, retournez à la charge et laissez-moi passer, j’ai des affaires importantes. »

Tous ces messieurs arrivèrent à Cholet ; M, de Boïsprémi, aide de camp de M. de Taîmond, très brave, mais étourdi, était resté avec loi. Il entra pendant leur souper et voulut les plaisanter ; H leur dit en riant : « Eh bien, vous voilà donc battus ! » M. de Lescure lui répondit très sèchement : « Il n’est pas bien surprenant ni bien honteux que six mille hommes soient battus par vingt mille ; ce qui Test, c’est d’avoir retardé les secours envoyés par mon beau-père. » Le petit de Boispréau n’essaya plus de badiner, tourna les talons et alla retrouver son général.

On envoya aussitôt un courrier & MM. d’Elbée et de Bonchamps pour leur dire d’abandonner les Mayençais, qui ne paraissaient pas encore disposés & s’avancer, et de venir attaquer Westermann à Châtillon, pour l’empêcher de se mettre en marche sur Cholet. Maman, ma tante, ma fille et moi nous partîmes la nuit même pour Beaupréau avec M. du Rlvault ; je ne L’avais jamais vu qu’une fois, et, comme il n’avait point de parents dans la Vendée, M. de Lescure me pria d’en avoir soin comme s’il était son propre frère. Avant de partir de Cholet, je vis le brave paysan qui portait mon drapeau, il me montra une quantité de coups de sabre sur le manche ; cet homme s’était battu contre un Bleu avec la lance du drapeau ; heureusement un de nos gens, le voyant aux prises dans un combat si inégal, avait tué le volontaire d’un coup de fusil. Nous voyageons toute la nuit et nous nous perdons en route, ce qui allonge notre chemin ; à Beaupréau nous trouvons MM. d’Elbée, de Boisy et autres ; on y amenait les blessés de Saint-Laurent sur Sèvre et de plusieurs autres lieux, et aussi beaucoup de prisonniers ; on y conduisait aussi les canons, les poudres de Mortagne : ce fut

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M. de Saplnaud (i) qui en fut chargé ; il commandait à Mortagne, ayant accepté cette place, malgré sa jeunesse. Tous les autres commandants de ville étaient des vieillards, excepté M. Duhoux d’Hauterivc, frère de M WB d’Elbée, dont j’ai déjà parlé, et qui commandait Beaupréau ; il s’y donnait une peine infinie et venait môme d’établir un moulin & poudre ; c’était d’ailleurs un homme assez ûgé. M. de Saplnaud* après avoir conduit ses cations, n’avait plus rien & faire & Beaupréau, mais il y restait et nous accompagnait & la promenade, étant le seul officier qui y fût. Nous le renvoyâmes au bout de cinq à six jours, d’ennui de le voir si peu guerrier ; nous lui avions répété mille fois qu’il devait partir le soir pour se trouver au combat le lendemain, et nous lui donnions nos commissions pour nos parents.

M w « d’Elbée (2), femme d’esprit et de mérite, nous parla de l’évêque d’Agra ; elle nous dit qu’il était venu à Beaupréau et y avait mené une conduite fort différente de celle qu’il avait à Châtillon, où il paraissait tout en Dieu ; il était resté cinq semaines sans dire la messe et plus occupé de la société que de toute autre chose ; elle lui en avait fait des reproches et l’avait renvoyé à Châtillon, où il se conduisit toujours bien. J’ai oublié de dire que, les premiers temps de son arrivée dans la Vendée, il décidait tout ce qui regardait la religion ; mais MM. Bernier et Brin, grands vicaires, le trouvant trop faible vis-à-vis des prêtres assermentés, qu’il absolvait sans la moindre pénitence, revinrent là-dessus et mirent plus de discernement et de justice dans leur pardon. Cela diminua un peu l’autorité de l’évêque ; cependant il vécut avec ces messieurs en bonne intelligence, paraissant extrêmement doux et bon.

(») Charles-Henri Saplnaud de ta Ralric, ne au château du Sourdy, pria la Gaubretière, le 3 décembre 1760, ancien lieutenant au régiment de Foix, fit toutes les guerres do la Vendée. U devint, sous la Restaurution (lieutenant général, grand’croix de Saint-Louis, comte et pair de France. U mourut le : o avril i 8 ag.

(a) Marguerite-Charlotte Duhoux d’Hauterive, mariée en 1783, fusillée À Noirmoutier À la fin de janvier,794, vingt jour» après l’exécution du général d’Elbée.

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On avait apporté à Beau préau un jeune, officier de f armée de Bonchamps, nommé le chevalier du Brilloire ; il s’était blessé lui-même par mégarde et était à l’agonie depuis trois mois, I) allait un peu mieux, mais il ne pouvait marcher ou monter à cheval ; il avait intéressé tout le monde ; on ne put le sauver au passage de la Loire*

L’armée se rassembla à la hâte et fut attaquer Châtillon le sur lendemain de la déroute, le jour même où Westermann devait se mettre en marche sur Cholet* Le combat fut terrible ; M. de Bonchamps et Henri, celui-ci le bras en écharpe, s’y rendirent, ainsi que plusieurs autres officiers blessés ; nous reprîmes Châtillon, nous nous emparâmes de tous les canons et bagages. J’ai même entendu assurer que cette affaire fut la plus meurtrière pour les républicains, et que nous leur tuâmes douze mille hommes. M. de Lescurc et la plupart des officiers et généraux se mirent & poursuivre sur tous les chemins avec ardeur ; mais ce que c’est qu’une armée sans discipline 1 Nos soldats avaient enfoncé plusieurs barils d’eau-de-vie des Bleus et beaucoup s’étaient enivrés : c’est la première fois qu’on eut à se plaindre d’une pareille faute ; de plus on n’avait ni sentinelle ni garde dans la ville, chacun ne pensait qu’à se réjouir et à se reposer ; la plupart des officiers étaient à deux et & trois lieues à poursuivre l’ennemi, ceux qui restaient dans la ville n’avaient aucune espèce. d’inquiétude. M. Girard de Beaurepaire, de la Châtaigneraie, dont j’ai parlé à l’affaire de Parthenay, se lança trop loin sur le chemin de Bressuirc ; il n’avait plus qu’une douzaine de cavaliers, les Bleus revinrent sur lui, le frappèrent & la tête de douze coups de sabre, dont il mourut deux mois après.

Westermann, furieux de sa déroute, avait en fuyant fait cacher sur la gauche cent hussards avec cent grenadiers en croupe ; on ne s’en était pas aperçu, dans ce pays fourré et si propre aux embuscades. Vers les neuf heures du soir, ces deux cents hommes, intrépides et d’ailleurs presque tous ivres, entrè-

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rent dans la ville sans bruit et se mirent à tuer tout ce qu’ils purent trouver. Le brave Loisoau reçut trois coups de sabre à la joue et tua trois Bleus, dont l’un se disait M. de la Rocheja* quelein et appelait nos soldats. Le tumulte, la surprise et l’obscurité sc réunirent pour épouvanter nos gens, qui étaient au moins dix mille dans la ville ; tous s’enfuirent. Qu’on juge de l’étonnement de nos généraux qui virent arriver les fuyards ; ils sc décidèrent & laisser reposer leurs soldats, épuisés par une longue poursuite, chacun dans l’endroit où il se trouva ; le lendemain à la pointe du jour, ils rentrèrent à Châtillon, où les Bleus n’étaient restés que trois ou quatre heures, fort effrayés eux-mêmes. Ces monstres firent des massacres horribles ; ils tuèrent des enfants, des femmes, même patriotes qui, n’ayant pas peur d’eux, étaient restées 'lors de la prise de Châtillon depx jours avant ; et aussi des femmes dont les maris étaient dans leurs rangs. [Je citerai M me Tocqué (i) et sa fille âgée de six ans. M. Tocqué était pourtant payeur dans l’armée républicaine ; i ! était revenu avec les hussards pour les sauver toutes deux, et il les trouva égorgées.] (3) Ils mirent le feu ù la ville, & une partie des bagages qui leur avaient été pris, et enfin firent tous les dégâts possibles. Ce singulier événement diminua bien notre grande victoire, elle n’en était pas moins réelle, mais cela causa infiniment de consternation. Comme je ne sais pas au juste le nom des officiers laissés dans la ville, je ne jetterai le blâme sur aucun ; nous perdîmes fort peu de

(t) Maric-Row Paaquier, do Villogois, mariée en 1770 à César-Auguste Toc* que, slour d’Aubert, paroisse des Échaubroigrjca. Receveur des tailles à Châtillon, il avait etc emmené et enrôlé do force par les Bleus.

(a) U y a apparence que les hussards républicains qui revinrent dans Châtillon étaient ivres, car ils entrèrent chez M. Tocqué, dont la maison était apparente, descendirent de cheval, et trois ou quatre y pénétrant brusquement, fêtèrent le prince de Talmond sur un escalier sans la connaître ; ils furent du côté de la lu* mière, où était la maîtresse do la maison, la sabrèrent avec sa fille, quoique pa* triotes ; puis, en descendant la rue vers les halles, ils tuaient les gens i pied, et point les cavaliers vendéens qui étaient péle-méie avec eux. Aussi M. Allard leur tira des coups de pistolet de si près que la bourre brûlait dans leurs habits. (Note du manuscrit.)

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monde. On parla beaucoup dans cettc affaire de la bonne conduite et de la grande bravoure du jeune M. Duchaffault, auparavant officier de l’armée de Charette, resté avec nous parce qu’il avait été blessé dans notre pays. C’était un des fils de M. Ducliaffault, officier de marine, émigré avec les aînés de ses enfants. Il y avait encore en Vendée un autre de ses fils âgé de quinze ans ; il brûlait d’envie d’aller à l’armée, sa mère ne voulait pas le permettre ; il a rejoint depuis. Ces jeunes gens étaient très estimés, particulièrement l’aîné des deux (i).

Enfin les Mayençais s’avancèrent avec d’autres troupes de Nantes ; les généraux rassemblèrent les soldats, M. de Lescurc nous fit dire de nous rendre à Trémontincs, à une lieue de Cholet. Je laissai M. du Rivault, qui avait une grosse fièvre, et nous fûmes toutes par des chemins de traverse affreux ; nous nous perdîmes. Nous arrivâmes au May ; je reçus un billet que M. de Lcscure m’avait écrit le jour même, au moment du combat, pour nous recommander encore d’aller à Trémentines, de 1& à Vezins, Nous allâmes coucher le soir même dans cette première paroisse, nous apprîmes que nous avions été battus. On me cacha ce qui regardait M. de Lescure ; le bruit de sa mort était répandu, je ne m’en doutais nullement, au contraire chacun m’assurait que sa santé était bonne, mais que la déroute l’avait conduit vers Reaupréau et non à Cholet ; je ne pouvais donc en recevoir des nouvelles.

Ce combat se donna le 15 octobre ; M. de Lescure, suivant son ordinaire, était & l’avant-garde et le premier de tous ; les généraux, comme nous l’avons vu, étaient toujours obligés de payer de leur personne en enfants perdus. M. de Lescure savait les

(i) Alexis-Gilbert, officier de marine, qui avait eu la jambe cassée au combat d’Oucssant, et Honri-Barthclcmy, clerc tonsuré, qui avait fait ses preuves de noblesse pour te chapitre des comtes de Lyon *. quatrième et sixième enfants do François-Sylvestro, comte Duchaffaut, chevalier, seigneur de la Sénardlère, né à Montaigu le 5 décembre (734, émigré, officier dans l’armée de Condé, chevalier de Saint-Louis. Veuf en 1793 de Marie^Renée-Françoise Marin de la Ouignardière, ordonné prêtre en i 8 o 3, il fut curé de la Guyonnidre en Vendée, et mourut à Nantes le 9 juin 18aa. Ses deux fits avaient péri dans la déroute du Mans.

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Bleus tout près de lui ; H arrête les paysans et leur dit qu’il va reconnaître l’ennemi, Il monte, suivi du petit de Beauvollier, sur un tertre élevé, se trouve dans un champ et voit k quinze pas seulement un bataillon républicain ; il crie aussitôt aux paysans ; Avance^ leur faisant signe du sabre, et à ce moment il reçoit une décharge ; une balle lui traverse la tête entre la tempe gauche et les sourcils, et sort derrière l’oreille. Il tombé raide de cheval ; le petit de Beauvolliér, qui lui était tout dévoué, perd la tête et, au lieu de songer à le secourir, jfette son’sabre en poussant les hauts cris, parcourt toute l’armée en disant que M. de Lescure est mort, et jette ainsi l’alarme. Cependant l’avant-garde, au bas du tertre, entendant crier Avance^ s’était élancée dans le champ avec tant de fureur qu’elle passa sur son général sans le voir et fit d’abord reculer l’ennemi ; mais bientôt les Maycnçais reprirent le dessus, nous battirent et nous forcèrent à nous réfugier âCholet, Cette bataille se donna dans les avenues du château de la Tremblayc (i), entre Tiffauges et Cholet (a), Bontemps, domestique de M. dé Lescure, arriva deux minutes après qu’il fut blessé ; il le trouva baigné dans son sang et privé de connaissance. M. Re-

Jïï/i 4 c i ; udc. Am«ble. Fmçoi* Robin, chevalier de

. TH. d, d Jérusalem, frère du marquis de ta Tremblaye. Une croix

a été élevée 4 | endroit ou tomba te saint <tu Poitou,

Ui “S*”* rCfU, 1 M blea, ure dana, a P aroi8K de Saint-Christophe, non

cï meuteT ïî ? q “ T 8U f 1C chemin d0 Mom « né à Cholet ; on mit d’abord 7* S® ? n, f “ Itc », et A on no ht P oint attention à une colonne en réserve à un qusrt e lieue de là, qui, h son tour, donna la déroute aux Vendéens. D’ailleurs M. de

a rh r dU 4 tûmp * P° ur nou’courir, ce qui diminua nos

n^’/t iSf*.If Ch ° etf penwnt que, e * mcui pourraient y être rendus avant nous, il devait attaquer par le chemin de Tiffauges, pendant que M. de Lescure

E ?Sr 4 Tiffîr 1 ” d ° Mortagne ' Vo, là le commencement de cette affaire : n*mî. if* 4 T ff g ? 8 “ Vcc toute notre «rn»éc, oÙ nous croyions trouver Pcn-S SK ? T ‘ * rm *° rd P ub, c *, nc devait rendue à Mortsgno ;

MÜ, r q ü l M * d Bonch#m P* retourna sur ses pas, et M. de Lescure passa par

f* fri r cr dans cett<J » «pprit que l’ennemi « pomit M suivîmes U traverse pour les joindre auprès de la Tremblaye ;

d, ^ hamp8 amendant, a fusillade, pressa te plus qu’il put sa troupe, mais

— -w « ». * ; ; Pro.

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non (i), exposé à une grêle de balles, cherchait & arrêter le sang. Voyant cependant qu’il respirait encore, Bontemps le fit attacher en croupe derrière lui et soutenir par deux soldats ; il trouva le moyen de le sauver, par miracle, au milieu de la déroute. Ne pouvant aller qu’au pas, il le mena à Beaupréau, dont le hasard lui avait fait prendre le chemin, après avoir couru les plus grands dangers. [La blessure de M. de Lescure et le retard de l’armée de Bonchamps. avaient, dans le moment, ralenti l’ardeur de nos sol* dats et même de nos officiers ; l’affaire de la Tremblayc fut plutôt une retraite qu’une défaite.) Toute l’armée s’était réfugiée à Cholet ; comme on n’y avait pas vu arriver M. de Lescure, on ne douta plus de sa mort, annoncée par le petit de Beauvollier..

Les républicains entrèrent dans Cholet avec beaucoup de pré* caution, en tirant des coups de canon ; mais toute notre armée avait évacué dans la nuit sur Beaupréau sans qu’ils s’en dou* tassent. Il n’était resté que de la cavalerie et des artilleurs 4’che* val, comme M. de Perrault, qui retardèrent la marche de l’ennenemi en lui faisant croire Gholet bien gardé ; ils avaient mis quelques mauvaises pièces de canon sur les murs et tiraient pour leur en imposer ; ils s’enfuirent quand les républicains se décidèrent à entrer. Ce sont les coups de canon réciproques qui firent croire qu’il y avait eu bataille, mais ce n’était qu’une précaution de part et d’autre. Ainsi il n’y eut vraiment pas trois batailles de suite, mais une bataille, une canonnade et une bataille. M. de la Rochejaquelein et bien d’autres voulaient défendre Cholet ; les soldats s’enfuirent & Beaupréau, entraînés en partie par ceux qui désiraient passer la Loire, ou du moins qui avalent sur cela une arrière-pensée. Il est croyable qu’on eût pu garder Cholet, surtout les républicains ayant maladroitement choisi le côté le plus fort pour l’attaquer ; mais nous n’y avions plus que de la cavalerie.

(i) Louis Renou, quo son énergie fit surnommer Bras-de*Fer, était né k Lou* <tuii le a juillet 1766. Il reçut de la Restauration te brevet de lieutenant-colonel et la croix de Saint-Louis, et mourut & Loudun te il avril > 836,

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Nous avions couché tout habillées à Trémentines ; le matin, 16 octobre (i), nous nous rendîmes à l’église, où une infinité de femmes priaient Dieu au bruit effrayant du canon ; les Bleus attaquaient déjà Cholct, qui ne tint qu’environ une heure. Tout d’un coup quelques fuyards arrivent, le gros de 1* armée s’était précipité vers Beaupréau, tout le monde sort en foule de l’église. Je trouvai sur la place M. de Perrault, qui vint à moi et me prit les mains en pleurant. Il vit bientôt à ma figure que j’ignorais mon malheur ; il me dit qu’il répandait des larmes sur la perte de la bataille ; que M. de Lcscurc était à Beaupréau (il était bien loin de le croire), et qu’il fallait nous y rendre pour notre sûreté, car les hussards pouvaient arriver d’un moment à l’autre. On ne trouvait pas de bœufs pour atteler la voiture de ma pauvre vieille tante, elle resta & les attendre ; moi qui mourais de peur, je pris ma petite fille dans mes bras, je montai ù cheval et m’en fus à Chemillé avec maman ; ma tante nous y rejoignit, ainsi qu’un nombre infini de femmes, d’enfants et de charrettes. On nous dit, une heure après, qu’il était temps de quitter cette petite ville, située à trois lieues de Cholet, avec d’assez beaux chemins pour y arriver. Nous nous mîmes en route avec une foule de femmes qui se sauvaient comme nous, au milieu d’un encombrement de bagages. Maman était devant moi, je causais avec ma tante, restée dans la voiture avec ma fille, et nous étions encore à une vingtaine de pas de la ville, quand j’entendis crier dans Chemillé : Voilà les Bleus ; à la déroute ! Tout le monde se mit & courir ; pour moi, la peur me fit perdre la tête ; j’avais un excellent cheval, je pris le grand galop. Le chemin devenait étroit et était rempli de monde ; je montai sur un petit parapet, large de deux pieds ; à gauche il n’était élevé que d’environ autant ; mais je m’aperçus bientôt que le chemin allait en montant, le parapet se trouvait d’un côté à plus de dix pieds, et

(<) Jour do l’assassinat de la Reine Marie-Antoinette.

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la profondeur augmentait toujours. Je sautai dans le chemin entre deux charrettes, je grimpai sur le talus de droite qui était fort raide et me trouvai dans le champ. J’eus bientôt gagné la tâte de la colonne ; alors je m’arrêtai et la raison me revint ; je retrouvai ma famille et nous sûmes, un instant après, la cause de cette grande peur.

C’était une très mauvaise plaisanterie d’une vingtaine dç canonniers qui passaient par Chemillé pour joindre l’armée avec de l’artillerie} Us étaient pressés départir, et voyant que leurs pièces étaient embarrassées au milieu de tant de femmes et de bagages, ils s’étaient mis à crier : Voilà les Bleus ! sûrs que la ville serait bientôt déblayée. Nous continuons notre route ; je fais reprendre ma 611 e sur un cheval, la voiture de ma tante allait trop doucement. Nous voulions arriver à Beaupréau, mais nous nous égarons mille fois dans les bois, ne les connaissant pas, et d’ailleurs n’étant pas de sang-froid ; enfin nous nous trouvons la nuit dans le village de Beausse, à une lieue et demie de la Loire, à peu près en face de Montjean, où nous couchons comme nous pouvons ; la chambre fut, toute la nuit, remplie des soldats de Bonchamps qui allaient rejoindre l’armée.

Nous entendîmes à trois heures du matin tirer des coups de canon redoublés du côté de Montjean et de Saint-Florent : c’était un bruit horrible. On nous prévint qu’on allait dire la grand’messe et donner la bénédiction du saint sacrement, afin que les paysans de Beausse pussent y assister, à quatre heures du matin, avant de partir pour se rendre à l’armée. Nous y allâmes, toute la paroisse y était. Le curé les exhorta de la manière la plus touchante, la plus simple et la plus énergique, les engageant & défendre leur Dieu, leur Roi, leurs femmes, leurs enfants qu’on égorgeait, leurs propriétés qu’on incendiait ; il finit par donner l’absolution à tous ceux qui allaient se battre. Je ne puis rendre l’effet du discours de ce bon vieillard (curé breton venu pour desservir cette paroisse) au milieu du bruit du canon et

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dans notre affreuse position. Je voulus me confesser tout de suite après} on lui avait dit que j’ignorais la mort de M. de Lescure, on ne savait comment me l’apprendre et on le pria de m’y préparer. Ce bon curé, plein d’esprit, me fit un grand éloge de la piété de M. de Lescure, qui était pour ainsi dire prédestiné ; il ajouta qu’après m’avoir donné un pareil mari, Dieu ne se contentait pas d’être servi par moi comme une bonne chrétienne ; qu’il m’appelait à une plus grande sainteté ; qu’il voulait m’éprouver et me rendre martyre ; que je devais m’attendre aux plus grands malheurs, me résigner & tout et penser à la récompense qui m’était réservée. Il me parlait d’un ton prophétique, il me glaça d’effroi ; les coups de canon redoublaient, je faillis me trouver mal. Je sortis pleine de frayeur et toute tremblante ; je remontai à cheval ; les coups de canon nous faisaient craindre de voir arriver les Bleus de l’autre côté de la Loire. Quand nous eûmes fait une lieue, des personnes vinrent dia à M. Jagault que M, de Lescure était & Chaudron, blessé ; comme il le croyait mort, il s’écria : Quel bonheur ! et me répéta ce qu’il venait d’apprendre. Je sus alors le malheur qu’on m’avait caché et je courus à Chaudron, tout près de là, où je trouvai M. de Lescure dans un état affreux ; il pouvait h peine parler, tant sa figure était enflée ; tous les os de sa tête étaient fracassés ; il était, de plus, livré à l’inquiétude, me croyant prise ; il m’avait envoyé inutilement trois courriers qui n’avaient pu me trouver au milieu des bois où j’étais égarée. M. du Rivault était là aussi et d’autres blessés, avec beaucoup de canons.

La bataille se donna ce même jour, 1 7 octobre, entre Beaupréau et Cholet ; les Bleus de Bressuireet de la Châtaigneraie s’étaient réunis aux Mayençais et formaient une armée de quarante-cinq mille hommes ; nous n’en avions que quarante mille.* une grande partie des Poitevins n’avaient pu s’y rendre, ayant été coupés de toutes parts par les Bleus ; ainsi toute l’armée était principalement composée d’Angevins, surtout des bords de

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la Loire, & la vérité excellents soldats. De plus M. de Bonchamps, craignant l’issue du combat, avait donné h MM.d’Au* tichamp, de Talmond et Duhoux, environ quatre mille Bretons ou Angevins qui avaient traversé la Loire, des meilleurs soldats de son armée ; ils comptaient prendre Varades, en face de Saint-Florent, où étaient douze cents Bleus ; apparemment il avait le projet de faire passer la Loire & l’armée en cas de déroute : on verra quelles en furent les funestes suites (t).

Cependant, il faut rendre justice à M. de Bonchamps : s’il eût vécu, ses talents et surtout l’estime dont il jouissait de l’autre côté de la Loire, dans son pays qu’il connaissait parfaitement, eussent peut-être fait réussir un événement d’où au contraire sortit notre *pertc. Notre armée, inférieure en nombre et déjà battue deux fois, le fut une troisième. M. de Bonchamps fut blessé à mort, ainsi que M. d’Elbéc, qui cependant survécut plus longtemps. M. de la Roche-Courbon (2), jeune émigré, parent de mon père, nous avait joints la veille ; il fut blessé légèrement à la cuisse. Les fuyards arrivaient en foule à Chaudron, nous en partîmes la nuit pour nous rendre à Saint-Florent. On portait à bras M. de Lescure sur un lit couvert, avec tout le soin possible. Nous vîmes neuf hommes tués sur la route, c’étaient des prisonniers Bleus ; on avait rassemblé tous ceux qui se trouvaient enfermés, au nombre de quatre à cinq mille ; M. Cesbron d’Argonne (3), chevalier de Saint-Louis, commandant de Cholet,

(1) Voir & l’appendice, note IV.

(2) Charles-Renaud de la Roche-Courbon, né en 177$, avait servi dans Je» hussard» de Berchinl, à l’armée de Gondé, 11 était fil» de Sophie-Jacquot do Courbon, marquis de la Roche-Courbon, baron de Champdolent, maréchal de camp. H fut pria et périt après la déroute du Mans.

(3) Jean-Baptiste-GuUlaume Cesbron d’Argonne*, né te 1 5 octobre 1733, écuyer, second fils de Guy-Guillaume Cesbron, sieur d’Argonnc, lieutenant de la prévôté, et de Marie-Madeleine Tresse. Officier au bataillon des milices d’Angers en 17 60, sous-lieutenant aux grenadier» royaux du Poitou en 1771, et de la Touraine on 1778. Il obtint les Invalides comme lieutenant par retraite, en 1788, se retira à

  • Lee Cesbron «valent acquis en *670 la setgneuri* d’Argonne, dans ta paroisse de Joné-RtJaa

en An|ou, et l’avaient revendue en 1702, maie la branche aînée de la famille en avait gardé te nom.

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venait de les mener à Saint-Florent : c’<Staltun soldat fort exact et fort dur ; il avait fait tuer ces quelques hommes, ne pouvant

iea foire marcher ; doit-on l’en blîmer, dans la position où nous étions ?

Nous n’avions plus revu ma tante depuis Sainte-Christine, les bœufs qui la traînaient allant trop lentement. Nous arrivâmes tous au lever du soleil h Saint-Florent, dans le plus grand désordre, et moi dans la position la plus cruelle, à cause de Tétât de

M. de Lcscure et du mien propre, car j’étais grosse de trois mois.

Avant de terminer ce chapitre, je dirai d’où provenaient les coups de canon tirés du côté de Montjcan ; pour ceux entendus dans la direction de Saint-Florent, c’étaient nos g«»s qui prenaient Varades. En même temps les Bleus faisaient une incursion à Montjean où ils arrivèrent de nuit ; ils y prirent entre autres M M * de Beauvollier, sa fille et plusieurs autres personnes venues pour s’y réfugier, ainsi que M. Dury de Beauvais, bon sujet, secrétaire du conseil de guerre. M. de Beauvollier avait conduit sa famille dans cet endroit, il se sauva parle plus grand hasard.

Certaines personnes prétendent que le passage de la Loire s’est fait le 17, cependant je crois être sûre que c’est le 18 : sinon le combat de la Tremblaye, où M. de Lescurefut blessé, se serait donné le 14 et non le i 5 (1) ; car il est positif que les trois combats de la Tremblaye, Cholet et Beaupréau, se livrèrent les trois jours consécutifs, et le quatrième jour fut celui du passage de la Loire.

Angers, et fat chevalier de Saint-Louis en juin 1791. — Un Cesbron d’une autre famille, Jean-René, né à Neuvy, près Chemlllé, en 1759, fils d’un maçon mort régisseur du château de la Morosière, le u (et non le 7) novembre îSîy, à

L TrJîd ? £ ?* !*f hU | t T’aValt ** C ° loncI d * n * Vêrmé0 ^ndéenne et reput aussi a croix de Saint-Uuls. Sur sa tombe on a gravé ! « Fidèle & Dieu, fidèle au Roi

^combattit avec vaillance pour l’honneur et pour la défense de son pays et do sa Loire dC U TrCmbJayC ° Ut bien * * 5 et ta passage de (a

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I

Je puis assurer ici un fait : dans le grand nombre des villes prises avant ou après le passage de la Loire, et toutes de vive force, on n’a jamais fait la moindre insulte h aucune femme. Nous n’avons jamais mis non plus aucune espèce de contribution, ni sur les villes, ni sur les particuliers ; mais 11 serait impossible à la mémoire et & Hmagination de rapporter les crimes de tous genres commis par les Bleus.

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I

CHAPITRE XVI

DEPUIS LE 18 OCTOBRE JOUR DU PASSAGE DE LA LOIRE JUSQU’AU a ? DU MÊME MOIS, À LAVAL

h

J 'ai dit que le Jour de la bataille de Beaupréau, 17 octobre»

MM. de Talmond et d’Autichamp avaient été attaquer Varades ; ils en avaient chassé les Bleus. Après la déroute F

de Beaupréau, la plupart des paysans se trouvèrent à Saint-Flo- {

rent, bien avant les officiers, s’étant enfuis plus vite : la moitié de l’armée y arriva donc la nuit. Les quatre mille Bretons ou Angevins, habitants de la nve droite de la Loire, qui avaient suivi MM. de Talmond et d’Autichamp, emmenèrent les bateaux : ils appelaient à grands cris les Vendéens et leur répétaient : « Venez, mes amis, dans notre pays ; tout le monde y est aristocrate, vous ne manquerez de rien. » Nos gens, qui étaient tous saisis d’une terreur panique, se jetèrent en foule

dans les bateaux. Quand les officiers arrivèrent au point du jour, c’était un spectacle étonnant et qu’on ne reverra jamais. Nous.jj

étions à Saint-Florent, les uns disent cent mille, les autres,

soixantC’dix mille, dans le nombre environ dix mille femmes, dames ou paysannes, et & peu près autant d’enfants et de blessés ; 1

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tous ces gens s’échappaient du massacre 1 et de l’incendic : on voyait îa famée des maisons où les hussards mettaient le feu, à deux lieues de nous. À cet endroit, la Loire a une petite île, plus près de Saint-Florent que de Varadca ; il y avait une vin gtaine de bateaux ; les Vendéens se précipitèrent dedans ; d’autres passaient & la nage, ou sur les chevaux qu’un gué conduisait jusqu’à l’île. Cette île et les deux bords de la Loire étaient remplis de monde ; chacun s’appelait, se culbutait ; ceux qui étaient à Saint-Florent tendaient les bras aux autres ; il semblait que le fleuve, une fois passé, toutes nos peines seraient finies. La plupart des officiers étaient sur la rive, tâchant de retenir les soldats, mais eeux-ci n’écoutaient rien.

Les officiers poitevins surtout, désespérés, s’écriaient que l’armée était perdue ; M. de la Kochejaquelein était comme un furieux ; il voulait, avec beaucoup d’autres du pays, plutôt se faire tuer sur le bord du fleuve, ou du moins retourner dans la Vendée, au risque de ce qui pourrait arriver ; mais on finit par lui représenter qu’abandonner l’armée dans ce moment, ce serait assurer sa ruine ; qu’il fallait céder au torrent, et que peut-être les officiers rétabliraient le courage des paysans et les sauveraient d’une mort assurée. Henri vint, ainsi que beaucoup d’autres, dans la maison où était M. de Lescure et lui dit en pleurant de rage, ce qui se passait. M. de Lescure voulait absolument rester, se faire tuer dans la Vendée ; cependant, à force de lui représenter qu’il ne pouvait seulement pas se soutenir, il consentit à ce qu’on lui fit passer la Loire (i).

(t) U est certain que, si nous n’avions pas eu te moyen de pester la Loire, nous pouvions encore reprendre l’avantage ; U suffisait de battre une seule fois l’armée républicaine qui nous avait forcés à cette retraite ; les paysans ne tinrent pas autant qu’ils l’auraient fait, s’ils avaient su ne pouvoir pas traverser. D’ailleurs les républicains avalent coupé les routos h plusieurs petites troupes ou paroisses dont les officiers auraient rejoint le gros de l’armée vendéenne ; nous pouvions encore éviter l’ennemi, qui nous en donna le temps, et retourner dans l’intérieur de notre pays, où nous aurions trouvé beaucoup de soldats pour renforcer l’armée. (Note du manuscrit.}.

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Arrêtons-nous ici pour parler de ce fameux passage ï on n’en a jamais bien su les causes, en Europe, ni môme en France* On a cm que les Vendéens l’avaient entrepris témérairement et par leur propre volonté ; mais on voit bien par les détails précédents que ce fut uniquement l’effet d’une terreur panique, et les officiers, loin d’y avoir consenti, en étaient au désespoir. À la vérité c’était, paraît-il, le plan de M. de Bonchamps ; je ne dirai pas même que certains officiers, surtout MM. de Talmond et d Autichamp, n’aient vu le passage de la Loire avec plaisir et n’y aient contribué ; mais c’était le très petit nombre, pas la dixième partie ; ils furent en général entraînés par la nécessité, malgré les maux sans nombre qu’ils prévoyaient.

Comment retenir les soldats ? Ils avaient été battus trois fois, une grande partie avait déjà passé le fleuve, le reste regardait l’autre côté de la Loire comme le but de ses désirs ; les incendies qu on voyait de toutes parts augmentaient la confusion, et aussi le grand nombre de femmes et d’enfants ; l’armée victorieuse des républicains approchait. Comment était-il possible de remettre les têtes de cette foule égarée, éperdue ? Faire revenir ceux qui étaient déjà passés et leur donner sur-le-champ assez de courage pour livrer une autre bataille ? Cet effort était au-dessus du génie des hommes, et je suis persuadée que les plus grands capitaines, dans une pareille occasion, n’eussent pu réussir à calmer et à gouverner une armée indisciplinée comme la nôtre, et aussi épouvantée. Chacun traversa comme il se trouvait, sans provisions, sans paquets, les hommes portant seulement leurs armes. -Chose incroyable, dans cette bagarre il n’y eut aucune rixe entre personne ; en vingt-quatre heures tout fut transporté, une seule femme et trois chevaux furent noyés ; à la vérité, on passa également & Ancenis, comme on le verra bientôt.

Que faire de quatre à cinq mille Bleus prisonniers & Saint-Florent ? C’était la préoccupation des officiers ; j’étais présente, tous convinrent qu’il fallait les fusiller sur-le-champ, ce fut l’avis

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général, mais quand on demanda : « Qui ira en donner l’ordre ? # personne n’en eut le courage ; l’un disait que ces malheureux, pria la plupart depuis quatre à cinq mois, n’étaient pas cause des massacres ; que cette horrible boucherie, commise de sang-froid, . était au-dessus de ses forces ; un autre, que ce serait légitimer, pour ainsi dire, les horreurs commises par les Bleus ; que cela redoublerait la rage des patriotes et les empêcherait de faire grâce & aucune créature vivante dans la Vendée, où il restait encore plus de la moitié des habitants» Enfin personne ne voulut faire exécuter une résolution aussi barbare, et chaque officier se retira sans donner d’ordre» M. de Lescure n’avait pu prendre aucune part à la délibération, [il était couché par terre sur un matelas et moi assise dessus ; seule je pus l’entendre, quand on parla de tuer les prisonniers, dire entre ses dents : Quelle horreur l et ensuite : Ah % je respire ! quand on eut décidé la grâce.] (1).

On a dit plus tard, pour sauver M m * de Bonchamps (a), qu’elle avait empêché ce massacre par le moyen de son mari, mais je viens de dire la vérité, dont j’ai été témoin ; en outre, M we de Bonchamps m’a déclaré elle-même depuis, qu’elle n’avait pas revu son mari, qu’elle ne savait pas alors être blessé ; il était sans connaissance et mourut de l’autre côté de la Loire, sur le bord même, avant d’avoir pu être porté k Varades, Elle ne vit aucun officier que le vieux M. Cesbron d’Argonne ; à la vérité elle le trouva sur la place, échauffant les soldats pour cette boucherie, et l’exhorta & ne pas les animer, elle te décida même à se

(i) On fit grèco aux prisonniers républicains qui se trouvèrent & Saint-Florent ; quelques-uns auraient pu prendre parti parmi nous par reconnaissance, mais la majorité les empêcha et les menaçs. Bien plus» Il restait sur la place de Saint-Florent de mauvais canons sans affût ; ces républicains» auxquels on venait d’accorder la vie, eurent la déloyauté de poser ces pièces sur de petits murs qui dominent la !, oirc, tirèrent sur nos gens au passage et désarmèrent des paysans ; nous fîmes avancer une pièce do canon de Varades pour les chasser. (Note du manuscrit.)

(a) Marie-Marguerite-Renée de Scépcaux, née le 5 septembre {767» mariée k Angers le ro février 1789, morte è Paris te sa novembre 1845.

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retirer (i) ; mais ce qui a empêché le massacre, c’est vraiment la répugnance de tous les principaux officiers. [M. de Bonchamps en particulier avait toujours eu une grande réputation de douceur et de bonté* du reste toute l’armée était remplie de charité chrétienne, de générosité, d’humanité. Si quelques milliers de Vendéens ont pu être égarés un instant et poussés par leur affreux désespoir au désir de massacrer des prisonniers, il devait être facile de calmer une ardeur de vengeance si opposée à leurs sentiments.)

Enfin on emporta M. de Lescurc, enveloppé dans des couvertures (car on ne pouvait même l’habiller, tant il était faible), sur une espèce de matelas placé dans un fauteuil de paille ; nous descendîmes au rivage, accompagnés de beaucoup d’officiers ; j’étais avec ma fille, on arrêta un moment sur la plage. Je vis k vieille M me de Mesnard (3), qui venait de se casser la jambe en se rendant la nuit en charrette à Saint-Florent ;, elle mourut à Varades, sa fille était près d’elle. Beaucoup de dames me priaient de les prendre dans mon bateau, c’était une foule. Pendant ce temps, maman, à cheval, passait à gué dans nie, sans que nous nous en apercevions ; nous la retrouvâmes à Varades, et, pour nous avoir quittés, elle courut beaucoup de risques. On promena un peu M, de Lescurc sur la plage, pour

(0 On voit dans la Vie de M, de Bonchamp », parue après mes Mémoires, une quantité de certificats établissant que ce générât apprit sur son lit de mort, pen* dant la délibération du conseil de guerre, te danger où se trouvaient les prison* nim d’être massacres par une émeute de nos soldats, et qu’il fit aussitôt crier ([race en ton nom ! tl leur sauva ainsi la vie. Je n’ai aucun doute sur ce fait, si conforme au caractère héroïque, généreux et plein de douceur du général de Bon* champs et à l’amour des Vendéens pour lui. Mais Je l’avais ignoré, chose toute naturelle au milieu de l’affreux désordre de notre armée à ce moment et des soins qu’exigeait l’état de M. de Lescurc. (Note de l’auteur, 16 »,)

(a) Marie-fcléonorc-Élisabeth de ta Boucherie du Margat avait épousé successi* vcment deux membres de la famille de Maynard-Mesnard, en bas Poitou ï i* Jac* ques-Germanicus de Maynard, de la branche ainéc, chevalier, seigneur dePassy ;

  • , * P* r c ° n, trat du 11 mai *7 6 4i Alexandre-Bonavemure, comte de Mesnard, chevalier

de Saint-Louis, mort à Coblent* en tyga. Sa fille, Marie^lconore-Désiréc, épousa Pierre*Honoré-Victor de Conrard de Mahé.

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éloigner la foule, et, dans le moment où elle était moins nombreuse, une quarantaine d’officiers mirent le sabre en main et formèrent un cercle ; par ce moyen, on l’embarqua facilement. M. du Rivault, ma fille, mon père et moi, avec nos domestiques, nous sautâmes dans le bateau, M u * de Mesnard aussi} mais le bateau dtant très petit, nous lui dîmes que nous ne pouvions y prendre sa mère, couchée sur un brancard, et elle redescendit à terre.

Nous voilà donc partis ; un matelot en chemise, tout en sueur, nous conduisait ; mon père lui dit de nous faire contourner Hic et de nous mener jusqu’à Varades, pour éviter & M. de Lescure le danger et la fatigue d’un double débarquement. Jamais on ne put l’y faire consentir par promesse, ni. par menace ; enfin mon père tira son sabre, alors cet homme lui dit : «Monsieur, je vous avoue que je ne suis pas marin, je suis un prêtre ; la charité me fait passer ces pauvres gens depuis huit heures sans relâche, faute de matelot, mais je n’ose traverser que ce petit bras peu profond, et je risquerais de vous noyer si je vous faisais faire le tour de llle, » Nous fûmes contraints d’y débarquer ; il y avait une quantité prodigieuse de soldats, de femmes, de blessés, de chevaux ; tout le monde criait, appelant des bateaux ; nous en prîmes un et nous gagnâmes la rive droite de la Loire.

Une grande foule était assise sur l’herbe, chacun attendant ses amis ; sur le bord de la rivière un hameau brûlé, puis une plaine, et Varades à un demi-quart de lieue. Ma fille resta là, on s’occupa de lui procurer un peu de lait ; mon père cherchait maman, nos domestiques faisaient passer les chevaux à la nage (1). M. de Lescure désirait aller tout de suite à Varades,

(1) J’ai toujours ont*dire que nous «rions emmené trente canons. M. Crétineauautres historiens disent que nous étions cent mille, je crois qu’il y a exagération ; du reste on n»a jsmsis fait un recensement réel. Ce que J’ai entendu répéter constamment depuis, c’est que nous étions quatre-vingt mille, dont dix

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pour être à l’abri ; le temps était très beau» mais il régnait un vent froid et fort. Nous nous mîmes en marche ; quatre soldats passèrent deux piques sous le fauteuil de M. de Lcscurc et le portèrent ; ma femme de chambre et moi tenions une serviette sur laquelle étaient appuyés ses pieds, M. du Rivault nous suivait. Telle était notre triste position : nous étions seuls dans la plaine. Un jeune homme à cheval passu près de moi, il se rendait à Varades, il se nomma ; c’était M. d’Autichamp ; je ne l’avais pas revu depuis Paris. Il me raconta qu’il allait prendre trois mille hommes et attaquer aussitôt Ancenis, à trois lieues de Varades ; qu’il y avait un gué en face pour faire passer nos canons et caissons. Je lui dis que nous étions perdus ; il chercha à me rassurer.

À peine nous avait-il quittés (nous étions à moitié de la plaine), j’entendis crier à Varades : Aux armes, vive te Roi t La charge commença, les coups de fusil, le tambour ; jamais je n’avais vu un combat de si près, et dans quel moment nous attaquait-on ! La peur me saisit, j’arrêtai ; M, de Lescure, alors presque sans connaissance, revint à lui au bruit du combat ; il demanda ce que c’était, je le lui dis et le suppliai de se laisser porter dans un bois voisin ; il m’assura que les Bleus lui rendraient un grand service de l’achever ; qu’il avait plus peur, dans son état, du vent froid que des balles, et que d’ailleurs, si vraiment on était battu, nous étions tous perdus de toute manière. Je ne voulus rien entendre et le fis transporter dans le bois ; beaucoup de personnes y vinrent, on y apporta ma fille.

Enfin, au bout d’une heure, on apprit que les Bleus étaient déjà bien loin ; une centaine de hussards étaient venus attaquer,

mille femmes, autant de vieillard* et d’enfant» ; H restait donc soixante mille homme* armé*. Un grand nombre d’entre eux étaient blessés, d’autres ne s’étaient jamais battus, ou du moins rarement, ou étaient accablés du soin de leur famille ; ainsi le nombre des combattants pleins de courage et affrontant tou* les dangers ne dépassait guère quarante mille hommes et n’atteignait pas cinquante. Tel est le souvenir qui m’en est resté. (Note de l’auteur.)

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sans se douter que nous eussions passé la Loire, et eurent grand’peur en trouvant Varades si bien occupé. Nous nous remîmes en marche de la môme manière ; M. de Lescurc était très futigué du froid. En entrant à Varades, un paysan vint à moi, suns me connaître, et me serrant la main, me dit ; « Nous avons quitté notre pays, nous voilà tous frères et sœurs, nous devons nous défendre jusqu’au dernier soupir ; ne nous abandonnons pas, nous mourrons tous ensemble, »

Varades n’est qu’un gros village ; on coucha M. de Lescurc dans une très petite chambre. Ma tante l’abbesse vint nous retrouver avec sa voiture. C’était une confusion terrible, une foule innombrable et nulle ressource. Je découvris des patates dans un jardin, je dis à des paysans d’en arracher, ils n’osèrent pas, sans en demander la permission au propriétaire, tant ces pauvres gens étaient éloignés de l’idée de vouloir piller] Heureusement l’armée de Lyrot venait de traverser la Loire  Chantoceaux et s’était emparée d’Ancenis avec un courage extrême ; quand M. d’Autichamp y arriva de Varades, il trouva la besogne faite.

On profita du gué pour faire passer nos trente-six plus belles pièces de canon, des caissons, des bœufs et beaucoup de monde resté sur la rive gauche ; on jeta les autres canons dans l’eau. Nous couchâmes sur des matelas ou sur la paille, presque tout le monde dehors. Le lendemain on enterra M. de Bonchamps ; les Bleus le déterrèrent et envoyèrent sa tête à Paris. Pour M. d’Elbée, nous ne sûmes pas alors ce qu’il était devenu, mais seulement qu’il était blessé à mort. J’appris depuis qu’il s’était caché dans des champs ; le plus jeune frère de Cathelineau et quinze cents Angevins de la grande armée vinrent & bout de le sauver, ainsi que sa femme, MM. dé Boisy et Duhoux d’Hauterive. Ils rejoignirent l’armée de Charette à Noirmoutier, y laissèrent ces messieurs et retournèrent dans leur pays, où ils entreprirent la petite guerre ; Cathelineau fut tué plus tard.

Il y avait à Varades des combattants de toutes les armées,

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excepté de celle de Charette, et peu de soldats du pays de Bressuirc, mais presque tous les officiers de cette contrée, beaucoup de dames et de bourgeois ; l’armée n’avait plus de général en chef. M. de Lescure envoya chercher plusieurs des principaux officiers et les pressa d’en élire un ; ils répondirent qu’il était généralissime de droit et qu’ils espéraient bien le voir se rétablir et les commander. Alors il leur dit ; « Je me crois blessé à mort, mais quand même j’en reviendrais, je serai longtemps hors d’état de servir ; la position de l’armée exige sur-le-champ un chef, il en faut un, connu et aimé de tout le monde, surtout des paysans des différentes armées, pour réunir ta confiance de tous ; c’est le seul moyen de nous sauver. M. de la Rochejaquelcin, outre ses droits après moi, est le seul ici qui soit connu de toutes les armées ; mon beau-père, n’étant pas du pays, serait moins bien y accepté. Il faut ranimer sur-le-champ les soldats ; je donne ma voix à M. de la Rochejaquelein, et je vous prie de le nommer, si vous êtes tous du même avis. Quant à moi, si je réchappe de ma blessure, vous pouvez être certains que je n’aurai jamais aucun désaccord avec Henri ; c’est mon ami, et je vous déclare que je ne voudrai qu’être son aide de camp. » Ces messieurs allèrent tenir conseil de guerre et nommèrent Henri généralissime ; on parla d’en choisir un second ; il dit que, si on le forçait à commander, il se regarderait comme le second de mon père, qu’ainsi il était inutile d’en nommer un autre.

Henri avait fait l’impossible pour ne pas être élu ; il avait représenté qu’à vingt et un ans, il n’avait ni assez d’expérience, ni assez de talents ; de bonne foi, il ne désirait pas être généralissime. Comme nous le verrons par la suite, sa jeunesse a, dans le fait, nui à l’armée, non pas au combat, car c’était un dieu dans l’action, mais au conseil : ayant presque toujours les meilleures idées, en grande partie par modestie, un peu aussi par abandon, il se laissait gouverner par tous les ambitieux de l’armée ; il disait aux autres officiers : « Ils n’ont pas le sens commun, üs veulent

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tous gouverner, mais nous sommes trop jeunes, laissons-les faire, nous commanderons assez au combat ; alors ils se jetteront ô nous (i) et ce sera à qui prendra nos ordres. » Il se laissa ainsi dominer, après la mort de M. de Lcscure, par MM. de Talmond, . Stofiflct, de» Essarta, le curé de Saint-Laud et autres. Nous verrons tous ces détails par la suite et on admirera les qualités héroïques de ce jeune homme, qui annonçait tous les talents* réunis, mais était encore trop jeune. Sans contredit cependant, c’était le seul à l’armée dans le cas d’Ôtre choisi.

On proclama M. de la Rochejaquelein généralissime, aux applaudissements universels des troupes, que cela parut ranimer. Mon père en fut très aise ; il ne se souciait pas de la charge pénible de conduire des corps indisciplinés et errants ; n’dtant pas du pays, il était beaucoup plus connu des officiers que des soldats ; il aimait infiniment Henri, les paysans avaient d’ailleurs plus de confiance dans les jeunes gens que dans les personnes âgées.

M. de Lcscure me dit d’aller chercher Henri ; je le découvris caché, pleurant à chaudes larmes ; il vint se jeter au cou de M. de Lescure, lui répéta qu’il n’était pas digne d’être général ; qu’il prévoyait que bien des ambitions chercheraient à traverser ses desseins ; il voulut lui faire promettre de reprendre, sitôt guéri, son commandement. M. de Lescure lui répondit qu’il n’avait plus d’espoir ; qu’en tout cas, s’il se rétablissait jamais, il ne voudrait être que son aide de camp, mais avoir l’autorité de faire que tous lui obéissent, comptant le premier en donner l’exemple ; qu’il lui jurait d’abattre et de contenir avec rigueur tous les ambitieux et mauvais esprits ; qu’il lui inspirerait de la fermeté ; que, d’ailleurs, il ne lui manquait que de donner l’essor à son énergie naturelle.

M. de Lescure et ces messieurs parlèrent de la marche à faire prendre à t’armée ; l’avis d’Henri était de se diriger sur

(t) Locution toujours en usage dans ta Vendée pour : demander aide à quelqu’un.

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Angers ou sur Nantes, de faire une brusque attaque dans le moment môme où ces places dtaient ddgarniesde troupes, toutes leurs garnisons étant réunies dans la Vendde et nous ayant forcés de passer la Loire. Il dit que cette attaque ne pouvait manquer de réussir et nous rendrait notre pays ; que la prise de Nantes surtout serait plus avantageuse, plus importante et nous rapprocherait de l’armée de Charcttc, si elle existait encore, comme c’était probable ; cependant nous n’en avions aucune nouvelle depuis plus de quinze jours. Enfin, si on ne prenait pas un de ces deux partis, qui paraissaient à Henri les meilleurs, pour préparer le retour dans la Vendée, i ! lui semblait n’y en avoir point d’autre que la marche sur Rennes ; on avait l’espoir, en prenant la capitale de la Bretagne, de faire révolter cette province, où il y avait déjà eu plusieurs insurrections, et qui pensait, en général, comme la Vendée, On alla tenir conseil ; je ne sais pas quelles raisons furent données, mais il fut décidé que l’on irait à Rennes.

Un jeune homme des environs proposa à M. de Lescure de le cacher, avec ma tante, ma fille, maman et moi ; M, de Lescure n’y voulut jamais consentir, de peur de ne pouvoir rejoindre I armée, s il réchappait de sa blessure. Je ne voulus pas le quitter, ma mère refusa de se séparer de mon père, et ma tante de ma mère. Quant à ma fille, je désirais depuis longtemps la cacher, mais la crainte de l’exposer à être abandonnée, portée peut-être aux enfants trouvés, pour devenir mauvais sujet, me plongeait dans l’incertitude/ d’ailleurs elle se portait bien et on courait beaucoup de risques en se cachant. Je me décidai à la garder ; les périls étaient presque égaux, nous ne voulûmes point nous séparer. Après tous ces événements, l’agitation éprouvée par M. de Lescure redoubla ses douleurs, que la tension de son esprit avait suspendues, et il retomba dans l’état le plus affreux.

Vers l’aprèa-dînée, les Bleus restés prisonniers à Saint-Florent, joints à une autre troupe républicaine, commencèrent à tirer sur nous avec de petits canons, Les boulets, de toute volée.

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tombaient sur les premières maisons de Varades, cependant personne ne fut blessé. Comme on craignait de voir* d’un moment à Pnutre, l’armée entière des républicains passer la Loire, nous nous mîmes aussi h canonner, et on résolut de faire partir M. de Lescurc pour Ingrande, où l’armée devait se rendre le lendemain 19.

Nous partîmes à la brune ; on mit M. de Lescure dans un lit fait sur une charrette couverte : comme cette manière d’aller, la seule qu’on pût lui procurer, l’avait toujours incommodé, il souffrait le martyre ; il poussait des cris douloureux, et arriva presque sans connaissance à Ingrande. Nous n’entrâmes point dans la ville ; nous restâmes dans une grande maison, à la croisée des chemins de Nantes et de Laval. On lui procura un mauvais lit ; nous couchâmes sur le foin à peu près sans souper ; depuis trois jours nous n’avions, pour ainsi dire, pas de vivres, dans cette grande confusion ; elle était telle que, pour faire panser M. de Lcscure, il fallait à chaque fois battre la caisse pour avoir un chirurgien. On avait envoyé le chevalier de Beauvollier attaquer et prendre Ingrande ; il vint nous trouver. Ayant saisi les lettres à la poste, il nous apprit queCharette s’était emparé de l’îlede Noirmoutier : c’était la première nouvelle que nous ayons de lui depuis longtemps.

Le lendemain, de grand matin, l’armée commença à arriver et à défiler sur Candé, passant par Segré. Nous étions fort embarrassés pour savoir comment emporter M. de Lescure ; il lui était impossible de supporter la charrette, on nous faisait espérer une voiture, mais c’était fort incertain. J’allai à Ingrande avec MM. de Baugé et de Mondion, chercher un brancard ; nous en fîmes établir un avec un fauteuil de paille et des cerceaux soutenant des draps pour garantir de l’air. Je me décidai à suivre le brancard à pied, accompagnée d’Agathe (1), ma femme de chambre,

(i) Agathe-Gcnovlèvc Gi ngrcau.de Boismé.prés Breisutre, épousa Pierre-Joseph Couct, régisseur du château de Clisson, et mourut A Orléans le a octobre 1831, si Pftge de soixante-quatre ans,

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et de plusieurs domestiques ; je donnai mon cheval à l’abbé Pierre Jagault. Un accident horrible me fit perdre en ce moment tous mes diamants, bijoux, dentelles, deux cents louis en or et trois mille livres en argent blanc, pour ainsi dire tout ce que je possédais. Tout cela était dans des bougettes (1) et avait été attaché sur le cheval de maman, à Trémentines. Dans nos courses & travers les bois de Chemillé et Sainte-Christine, le poids de cet argent blanc fatiguait beaucoup le cheval ; vingt fois je voulus faire un trou dans la terre et enfouir les écus, toujours on m’en empêcha ; enfin mes valeurs arrivèrent à Varades, Dans le moment de mon départ de ce bourg, M. de Lescurc jetait des cris si douloureux, pendant son transport dans la charrette, que j’oubliai tout ; cependant, mon» tant à cheval, je demandai les bougettes ; on me répondit que, pour ne pas fatiguer mon cheval, on les avait mises derrière celui de Paynot, vieux paysan, valet d’écurie à Clisson depuis longtemps » Je lui dis simplement qu’il portait des choses précieuses et d’en prendre soin. Je me remis tout de suite à m’occuper de M. de Lescure…

Au milieu de mes Mémoires, je suis obligée inopinément de les laisser en dépôt et de partir, je n’ai même pas eu le temps de les relire. Je crois avoir mis la vérité, au moins la bonne volonté n’y manquait pas ; mais, ne les ayant pas relus, il doit y avoir natu* Tellement des fautes, des oublis ; peut-être même quelques tournures de phrases, quelques mots trop forts ou trop faibles, quel-

<0 S*c de voyage en cuir.

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AUTOGRAPHE

DU

la Marquise de Lescure Depuis Marquise de La Rochejaquelein

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que sens obscur ont pu altérer en bien ou en mal les caractères de quelques individus. Mon projet est d’achever un jour ces Mémoires qui sont tout au plus à moitié, sans compter ce qui pourra m’arriver par la suite, puisque je n’ai que 27 ans.

J’ai écrit le commencement de ces Mémoires en Espagne, en 1799 et 1800. C’est avec un sentiment douloureux que je les reprends ; cependant une force irrésistible m’entraîne. Oui, j’aurai le courage de les achever. J’ai remis mon manuscrit en Espagne & des mains sûres. Ce que j’ai laissé n’est qu’un brouillon comme ceci et a besoin d’être corrigé, même peut-être pour quelques faits et caractères. Non que j’aie voulu rien omettre ou altérer ; mais il m’est impossible de rien écrire sur ma vie sans un serrement de cœur inexprimable, aussi je me presse  le faire comme par effort. De plus, mon étonnante mémoire n’est pas infaillible, et je puis m’être trompée sans le vouloir, n’ayant ni notes, ni personne à consulter.

Je ne sais si je reprendrai bien au juste à l’endroit où j’en suis restée. J’en étais, je crois, au 19 octobre, à l’histoire de la perte de mes diamants. Mes soins pour M. de Lescure m’occupèrent à Ingrande toute la nuit et le matin. Je sortis vers dix heures pour aller en quête de Paynot, & qui je n’avais pas pensé depuis la veille ; comme j’étais hors de la maison, je vis passer à pied un pauvre prêtre qui tomba sous les roues d’un canon et eut les deux cuisses cassées. Je rentrai si fort saisie, pour tâcher de lui trouver de l’eau-de-vie, que j’oubliai tout ; enfin je pensai & Paynot, je retournai le chercher, on me dit qu’il venait de partir avec M u * Gérard, ma femme de charge, à la suite de maman et de

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toute notre société. Dès le principe on s’était formé par groupes de famille et de gens de connaissance, qui marchaient, s’arrêtaient ensemble. Dans le nombre étaient des officiers, des soldats : ceux* lù allaient se battre, retenaient les logements et recevaient le reste de leur compagnie, femmes, blessés, prêtres. Ma pauvre tante, l’abbesse, avec ma fille et autres femmes, étaient parties dans notre calèche allemande, où M. de Lescure n’eût pu tenir corn* modément.

Je me mis en route, suivant à pied le brancard porté par des soldats ; M, de Lescure jetait des cris qui me déchiraient le cœur. J’avais des bottes trop courtes : au bout d’une demi-heure, je ne pus plus marcher ; je priai te brave Forest de me prêter son cheval ; il était resté, avec plusieurs officiers, à l’arrière-garde et empêchait d’aller plus vite que le brancard, afin de protéger M. de Lescure, Il y avait de chaque côté une file de cavalerie, dans laquelle se trouvaient des femmes ; deux files d’infanterie et beaucoup de soldats derrière le brancard, qui faisait halte à chaque instant. Je commis lè une singulière imprudence : un soldat k moitié ivre voulut dépasser les rangs, malgré la défense ; il chercha à sortir de mon côté, je m’y opposai ; comme il ne s’effrayait guère des paroles d’une femme et ne s’arrêtait pas, je me jetai sur lui, j’attrapai son fusil, il le retint pourtant, nous étions à nous

disputer. Des officiers accoururent au galop, la querelle fut finie.

Une bonne berline nous rejoignit enfin à une demi-lieue d’ingrande ; M. de Beauvollier l’aîné l’avait prise ; on avait cassé un canon pour y atteler des chevaux. Nous espérions bien la voir arriver, mais, dans l’incertitude si on aurait le temps de la raccommoder, nous étions partis ; Bontemps, le domestique de M. de Lescure, excellent postillon, la conduisait. Nous portâmes dedans ce pauvre blessé sur des matelas, nous lui fîmes un lit ; il était en chemise, enveloppé dans des draps et des couvertures ; je montai dans le carrosse avec M. du Rivault et Agathe. Celle-ci se

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mit à côté de M. de Lescure pour lui soutenir là tête, mais nous ne pouvions aller qu’au pas ; la moindre secousse lui faisait jeter les hauts cris ; il avait à tout moment des douleurs, des crises, des serrements de tête, et tout d’un coup la plaié rendait avec tant d’abondance, que les gouttes tombaient pressées sur ses habits et sur ceux d’Agathe. Ah 1 que tous ces tristes détails me font de peine à rapporter ! Dans les moments où le sang coulait, il souffrait moins, on en profitait pour avancer, ensuite on faisait halte ; tantôt nous dépassions les canons du centre, tantôt on était obligé d’arrêter l’arrière-garde, qui sans cela nous eût dépassés.

M, de Lescurc ne paraissait avoir que le sentiment de la douleur, il semblait agonisant ; de plus, il s’était enrhumé, et cela augmentait son mal ; sa blessure avait un peu dérangé sa tête, ou plutôt il raisonnait juste, mais il était devenu violent, impatient, lui dont jusqu’alors la douceur inaltérable et le sang-froid avaient été merveilleux. Nous passâmes à Segré, où on avait fait un grand feu des papiers du district, de ceux de la municipalité et de l’arbre de la liberté, suivant le goût invariable des paysans. À une lieue de Gandé j’étais remontée à cheval, pour je ne sais quelle raison, nous entendîmes le bruit d’une bataille dans cette ville ; mais déjà nous en étions maîtres, et ce n’était que la fin du combat. Nous nous trouvions à peu près seuls dans cette partie du chemin, l’arrière-garde était assez éloignée. M, de Lescure avait presque perdu connaissance, quand on se mit ù crier : Voilà les hussards par la gauche. Que fussions-nous devenus ? Mon premier mouvement fut de fuir, mais à l’instant je me retins, je me dis que M. de Lescure ne se sauverait pas aussi facilement que moi ; que si je voyais arriver les hussards, il me serait impossible de rester près de la voiture et que ma peur me ferait l’abandonner. Sur cette pensée, je montai vite dans le carrosse, sans en expliquer la raison, je voulais être tuée avec lui. Les cris répétés de ; Voici les Bleus ! le tirèrent de son état cruel. Il appelle les cavaliers, se met û la portière, veut qu’on le pose à terre, qu’on lui donne un

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fusil, qu’on le soutienne sur ses genoux. Nous lui représentions qu’il était en chemise et hors d’état de se tenir ; rien ne l’arrêtait, il voulait, disait-il, mourir en se battant et commander une dernière fois ses soldats ; sa faiblesse seule l’empêcha de descendre, car on se refusait à l’aider.

Beaucoup de cavaliers arrivèrent successivement au galop ; il les appelait par leur nom, les encourageait, mais presque tous les officiers s’étant rendus au combat étourdiment, il n’en était plus resté à l’arrière-garde, Enfin Forest, qui se trouvait derrière, arriva ; M. de Lcscurc lui dit ; « À présent que tu es ht pourront* mander, je suis tranquille. » Il ne parla plus de descendre pour se battre et ne nous entretint que de la bravoure de Forest et de la poltronnerie du grand M."*, dont j’ai déjà parié ; celui-ci était près de nous quand on cria : Voilà les Bleus, il se cacha vite derrière la voiture, pour ne pas aller se battre. Heureusement cette alerte était fausse ; c’étaient trois hussards qu’on avait vus sur la hauteur s’enfuir de Candé. Là je demandai inutilement où étaient Paynot et M u * Gérard ; quelqu’un dit leur avoir parlé à trois lieues d’ingrande ; je fis battre la caisse et je n’en eus aucune nouvelle. Je perdis ainsi tout ce que j’avais, à l’exception de soixunte-cinq louis en or qui étaient dans ma poche, de quatre à cinq mille francs d’assignats à l’effigie du Roi, d’autres de quatre cents francs de la république, contresignés par le conseil supérieur, quelques bijoux et dentelles en très petite quantité.

Nous trouvâmes passablement de vivres à Candé ; nos soldats, comme à Varades, n’osaient pas arracher des patates dans le jardin de la maison où nous étions : je leur disais de le faire, ils me prièrent d’en demander la permission au maître.

Au petit combat qui eut lieu à la prise de Candé, M. Després (de la Châtaigneraie) reçut une blessure grave à la cuisse, on fut obligé de le mettre sur une charrette. Le matin, une dame de la ville vint proposer de cacher M. de Lescure, ma tante et nous, dans

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un souterrain où un gentilhomme du paya s’était retiré depuis six mois ; les mêmes motifs, qui avaient déjà fait refuser à ma tante et à M. de Lcscurc de prendre ce parti, les empêchèrent d’accepter.

Tout le monde marchait pêle-mêle à plein chemin. Quel moyen de mettre en ordre une armée encombrée de femmes et d’enfants ? On faisait passer en avant la moitié des hommes ou à peu près, quelques canons et caissons ; le reste de l’artillerie venait avec la foule ; on avait soin de garder une grande partie des soldats pour fermer la marche. On devine le désordre inévitable d’une telle armée : quantité d’hommes chargés de leurs enfants, de leurs pères infirmes, ne pouvaient se battre et augmentaient la confusion ; nous tenions trois et quatre lieues de terrain. Combien de fois la nuit, à cheval, ai-je été obligée de nager pour ainsi dire des deux mains pour éviter les baïonnettes t II faut avoir vu tout cela pour s’en faire une idée. Les commandants avaient beau faire, ils ne pouvaient que bien peu remédier à cette confusion ; un ange n’en fût pas venu à bout ; il est singulier qu’il soit arrivé si peu d’accidents.

Les républicains n’ont jamais bien su nous attaquer : Us venaient toujours nous prendre en tête ou en queue : or là étaient nos meilleurs soldats. Ils auraient dû nous harceler continuellement par les flancs avec des hussards, puis se retirer et revenir, et toujours de même : ils nous auraient fait ainsi de grands dégâts. Il y avait toujours au milieu delà marche, quand elle était bien tout en train, pris d’une lieue remplie de canons, de relais, de charrettes, de femmes ; les Bleus auraient donc pu nous tuer beaucoup de monde. Le peu de soldats, qui se trouvaient dans la masse, souvent chargés de leurs enfants, n’auraient pas eu la force de résister, et, avant l’arrivée de tout secours, les hussards auraient eu le temps de faire bien du mal et de s’en aller. Les républicains, au contraire, nous attaquant en tête ou en queue, nous les battions toujours. J’ajoute que nous n’avions point d’éclaireurs sur les côtés, mais seulement

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des soldats en tenaient lieu, quand, pour chercher du pain, ils s’écartaient dans la campagne ; beaucoup ont été tués alors, mais nous aurions dû en perdre bien davantage,

L’armée partit le matin de Candé, et nous fûmes coucher à Château-Gonticr, 6 neuf lieues de 16. On laissa dans l’hôpital de Candé une trentaine des plus blessés ; nous apprîmes dès le soir que les volontaires avaient commis l’atrocité de les massacrer, et toujours depuis ils achevèrent les malheureux que nous ne pouvions emporter, à cause de leurs blessures trop graves. [Jamais les Vendéens n’ont usé de représailles). Nous fîmes ce jour-16 une très longue route, il pleuvait. Dans cette saison, il y a des piles énormes de pommes dehors, à la porte des maisons, dans toute la Bretagne ; elles sont destinées à faire du cidre ; nos soldats se jetaient dessus et en mangaient en quantité, plus par faim que par gourmandise, car nous n’avions que les vivres trouvés dans les villes où nous entrions. Presque tous les pays où nous passions étaient aristocrates, mais ils n’osaient le témoigner ouvertement, de peur du ressentiment des patriotes, et cela n’étonnera pas, si

l’on pense à la quantité de gens qu’on a fait périr comme nos partisans.

Il y eut un petit combat 6 Chûteau-Gonticr, pour s’emparer de la ville, où nous arrivâmes très tard. Je mourais de faim, j’avais oublié de manger le matin, à cause de l’état de M. de Lcscure, et j’avais donné mon pain à des blessés, qui m en demandaient. Je n’avais pris en tout que deux pommes jusqu’6 minuit, car nous étions dans les derniers. M. de Marigny, apprenant qu’un fameux scélérat, juge de paix, était caché dans une cave, l’en tira et le tua sur place, sans autre forme de procès : c’est la première fois qu’on expédia ainsi un patriote ; on en a tué quelques autres en route, mais peu, et tous insignes terroristes. C’était toujours M. de Marigny qui, de son chef, faisait ces expéditions ; il était fort dur pour les républicains. C’est le seul officier de l’armée qu’on pût taxer de cruauté ; mais cela venait en lui d’opinion : c’était & ses

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yeux le seul moyen de réussir, et il le disait à tous ceux qui le lui reprochaient, C’était bien vraiment sa manière de voir, car naturellement il était très compatissant et était cité partout pour son bon cœur. Entre mille preuves, je n’en rapporterai qu’une ; sa' mère fut six mois, avant sa mort, dans un état affreux, paralysée et souvent frappée d’attaques d’apoplexie. Il la conduisit à Barèges et ne la quitta ni jour ni nuit pendant ces six mois ; même, pour être sûr que le sommeil ne l’empêcherait pas de la soigner, U avait attaché son bras à celui de sa mère, et il resta ainsi tout le temps ; il était forcément réveillé par le moindre mouvement, quand il s’était endormi, accablé de fatigue. Cet homme si tendre* si sensible, était devenu sanguinaire. Telle est la force, la frénésie des guerres civiles : il y a de quoi en frémir.

On fusilla un soldat allemand de notre armée, parce qu’il avait donné un léger coup de sabre à une femme de la ville, pour prendre son argent ; on a exécuté ainsi en route plusieurs Allemands pour faits de pillage ; il était défendu de voler personne. On pouvait prendre ce qui appartenait à la république, ou à ses soldats, mais rien aux particuliers, excepté les armes et les vivres. Cependant, vu la nécessité, comme nous n’avions aucun bagage, il était permis à tout le monde de changer de linge en laissant le sale, après avoir demandé honnêtement aux bourgeois du mauvais linge propre ; moi-même, j’ai changé ainsi plusieurs fois,

M. le chevalier Duhoux, adjudant général, commandant l’arrière-garde, vint prendre les ordres de M, de Lescurc pour ne partir qu’après lui. Nous restâmes douze heures à Château-Gontier, et de là nous nous rendîmes à Laval ; il y eut en entrant un léger combat, on y avait rassemblé environ quinze mille gardes nationaux, gens du pays, qui prirent la fuite.

Il se passa là une singulière aventure : Henri avait encore le bras en écharpe ; il allait au feu sans armes, mais il était si téméraire, que rien ne l’empêchait d’être toujours en avant. Il se lança à la poursuite des Bleus, au point qu’il se trouva seul dans unche-

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min, en face d’un fantassin ennemi. Henri se jeta sur lui, le prit au collet ; il était d’une adresse remarquable à manier son cheval ; cet homme et lui restèrent plusieurs minutes à se débattre ainsi, Henri avec un seul bras. Il faisait si bien pirouetter son cheval avec ses jambes, que le Bleu ne pouvait s’en débarrasser ; nos soldats arrivèrent et voulurent le tuer ; Henri le défendit et lui dit j « Retourne vers les patriotes, dis-leur que tu t’es colleté avec le général des Vendéens, sans armes, n’ayant qu’un bras, et que tu n’as pas pu le tuer. » Rien n’égale l’étonnement de cet homme, en apprenant à qui il avait eu affaire.

Nous eûmes deux hommes tués, on les regretta beaucoup : l’un, le jeune M. de la Guérivière ; l’autre, le garde-chasse de M, de Bonchamps, Nous fûmes très bien à Laval ; cette ville est grande, les habitants nous firent bon accueil. Beaucoup de paysans vinrent nous rejoindre ; j’en vis moi-même arriver une troupe, au cri de Vive le Roi ! avec un mouchoir blanc au bout d’un bâton. Nous reçûmes, tant & Laval qu’à Fougères, six mille Bretons environ, Tout le pays était aristocrate, cependant il ne se soulevait pas, les jeunes, paysans seulement venaient à nous. On appela ces recrues la petite Vendée ; on les reconnaissait à leurs habillements noirs, ou en peau de chèvre, le poil en dehors ; ils portaient les cheveux très longs sur les épaules. Ils se sont fort distingués

par leur bravoure, mais beaucoup nous quittèrent successivement.

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CHAPITRE XVII

DEPUIS LA PRISE DE LAVAL, LE *3 OCTOBRE

JUSQU’À LA MORT DE M. DE LESCURE

LE 4 NOVEMBRE

L es Mayençais et autres troupes qui nous avaient battus dans la Vendée, ayant passé ta Loire, vinrent nous attaquer, deux ou trois jours après notre entrée à Laval. Plusieurs officiers étaient jlans ma chambre. Sur les huit heures du soir, nous entendîmes crier : Aux armes ! Nous croyions que ce n’était rien, cependant ces messieurs sortent, et bientôt nous reconnaissons leurs voix appelant, encourageant tes soldats (i) ; aussitôt on bat la générale. M. de Lescure était mieux, on vint te supplier de se rendre en voiture à l’autre bout de la ville, ce que firent aussi beaucoup de femmes, d’enfants et de blessés. Nous ne

(i) Ce fut M. Forestier qui, avec quelque» camarade», partit à dix heures du soir pour savoir si l’ennemi n’arrivait pas. Il revint à une heure, annonça que les républicains quittaient Chàteau-Gontior pour s’avancer sur Laval. Aussitôt MM. de la Rochejaqueiein et StofHet envoyèrent quelques cavaliers commandés par M. Martin (de la Pommoraye), de l’armée de Bonchamps, connu août le nom de Martin le Gendarme, pour s’assurer plus particulièrement do la marche de l’ennemi, de ses forces, de sa direction. M. Martin fit cette reconnaissance en peu de temps et avec une extrême habileté} il revint faire son rapport au conseil qui donna l’ordre du combat et prit ses dispositions d’après ses renseignements. L’armée sortit de Uval et rencontra les républicains sur la route d’En trames. (Note du manuscrit)

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pouvions sans crainte nous voir attaquer de nuit à l’improviste, par cette même armée* ces Mayençais, qui nous avaient chassés de notre pays ; de plus* il fallait se battre en plaine* chose que nos paysans redoutaient* n’y étant guère accoutumés. Cependant les républicains furent repoussés avec perte ; le combat dura une heure et demie (i). M. de Lescure coucha dans une maison du faubourg ; il se trouva beaucoup mieux et revint à cheval à son logement ; mais ce mieux n’était qu’une lueur.

Le lendemain on fut tranquille ; le jour d’après, dès le matin, nous sûmes que toute l’armée des républicains s’avançait en bon ordre pour nous attaquer. Tout ce que nous avions de bons soldats sortit de la ville ; le combat commença sur les onze heures : c’est certainement une des batailles les plus mémorables et les plus étonnantes qui aient été livrées par les Vendéens. Les patriotes avaient beaucoup de troupes de ligne* ces fameux Mayençais* et l’ardeur que donne de précédentes victoires. Ils étaient bien trente mille hommes, nous en avions au moins autant. Lés républicains, uniquement acharnés à notre poursuite* avaient laissé peu de monde pour arrêter M. de Charette ; ils regardaient ce générai comme perdu et trop faible pour les occuper : cela le sauva et il eut le bonheur de surprendre Noirmoutier.

Nous restâmes à Laval dans une inquiétude mortelle,

(i) Lot Vendéens se battirent dans la nuit contre un corps de troupe qui se croyait assex fort pour les écraser ; le chef républicain ne voulait pas partager la gloire avec les autres généraux de son parti. U s’avança en effet très brusquement et soutint un moment l’effort des nôtres, qui n’étaient pas tous sorti» de Uval ; mais il dut céder devant eux, et les Vendéens dépassèrent même les colonnes républicaines, de telle sorte que, réciproquement, le feu des uns «t des autres éclairait leurs positions. Plusieurs prirent des cartouches dans les caissons de l’ennemi, qui en fit autant de son côté. Kellcr donna la main à un républicain pour gravir le terrier d’un fossé ; Payant reconnu à son habit, à la lueur du mousquet, U le tua de peur d’être tué lui-même, Il se passa réellement des choses singulières è ce combat. Les autres corps ennemis l’avançaient A m arches forcées ; le Jour vint, nous vfmes que nous avions affaire k Une armée nombreuse ; nous la battîmes complètement. (Note du manuscrit.)

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quoique l’avantage remporté l’avant-vcülc eût ranimé nos troupes à un point extraordinaire ; Dès midi, tes Bleus commencèrent à plier, mais en bon ordre, faisant face k tout,

moment ; on se battit jusqu’à Château-Gontler, où l’année coucha ; après avoir tué six mille hommes, pris tous les canons, caissons, et enfin avoir donné une déroute complète (r). Le combat dura plus de douze heures et les républicains disputèrent toujours le terrain pied ù pied ; nous perdîmes peu de monde, nul officier de marque ne fut blessé (a)»

(i) Le Jour do cotte grande bataille, M. do Lescuro, oubliant sa blessure et sos douteurs, voulait monter À cheval et aller au combat ; on eut toutea loa peines A l’arrêter. Voyant qu’on ne lui permettait pas de se joindre à l’armée, il resta plus d’une heure A le fenêtre, encourageant les soldats de la main et de la voix A bien faire leur devoir ; 11 on lût tellement fatigué, que depuis il ne s’est’point relevé, et sa blessure efet toujours allée en empirant. (Note du manuscrit.)

(a) Ce fut À ce combat quo M. de Royrand fut frappé d’une balle À la tête ; il mourut de cette bjessuro. Il se trouvait À côté de M. de Baugé, qui manoeuvrait une pièce de canon ; à manquait de gargousses, M. do Royrand courut au galop en cherchor ; au moment où U revenait, il fut atteint d’une balle. M, de Baugé rem» plaçait M. de la Marsonnièro, qui venait d’être blessé en dirigeant cette batterie ; une balle amortie lui était entrée dans l’estomac, y enfonçant sa chomlse sans la déchirer, de aorte qu’en retirant la chemiae, il fit sortir la balle. U voulait néanmoins continuer A so battre, mats ses douleurs devinrent si fortes, qu’il Ait obligé dose retirer. MM. do la Roche Jaqücleln, d’Autichamp et de Baugé restèrent presque continuellement À cette même place, eoua le feu le plus vif de l’ennemi. Cela décida en grande partie lo gain de la bataille, qui fut totalement assuré par l’action de M. de Hargues.

U ville do ChAteau-Gontier semblait devoir servir de refuge À l’armée moyen* çalse : ils avaient placé deux pièces de canon sur le pont pour défondre l’entrée de la ville. M. de la Rochejaqueleln dit aux soldats s « Mes amis, les victorieux coucheront-ils dehors et tés vaincus dans la place ? > Aussitôt les Vendéens se précipitent avec fureur sur tes canons, s’en emparent et entrent dans la ville. Les républicains paraissent vouloir te réformer par derrière, M. de la Roche jaquelein envole en hAte chercher du canon ; le retour de ses officiers au galop fait croire qu’on est battu et occasionne du désordre ; mais bientôt on rassure nos gens, et Us poursuivent l’ennemi jusqu’à l’embranchement des routes de Segré et du Liond’Angers. Dans ce tumulte, il y eut une vingtaine d’hommes étouffés.

C’est peut-être À cette ‘affaire que M. de la Rochejaqueleln a déployé le plus de talent. U marcha constamment À la tête de l’armée, dirigea toutes les colonnes avec un sang-froid qui étonna ceux qui connaissaient son audace ordinaire A se précipiter au combat. Continuellement sur toute la ligne, 11 fit marcher ceux qui retardaient, modéra ceux qui se laissaient entrain or A dépasser les rangs, de sorte que l’armée vendéenne serra toujours les républicains en masse. D’habitude, À ce moment, les plus Intrépides seuls avançaient, et cela occasionnait des déroutes

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A ce combat, M. Stofflet dit à un émigré qui venait de nous rejoindre près d’Entrâmes : « Vous aile/, voir comme noua prenon » les canons »\ et s’adressant à M. Martin (de la Pommeraye), Angevin, ancien gendarme, un de nos braves officiers, il lui commanda î « Prenez cette batterie qui nous incommodé. » M. Martin, avec douze cavaliers, se mit au grand galop, tua les canonniers et dirigea les pièces contre l’ennemi 5 M. de Hargues, à la tète d’une colonne, tourna les bagages, et, par ce mouvement, décida le gain de la bataille.

Il nous arriva quelque chose de bizarre, causé par le défaut de discipline, au milieu de la plus éclatante victoire, & Château* Gontier même. Une terreur panique s’empara un instant d’une partie de nos gens et les fit refouler les uns sur les autres dans les rues, de telle façon que plusieurs furent écrasés. M, Stofflet eut son cheval étouffé entre ses jambes ; cependant ce fut vite calmé, les Bleus étaient en pleine débandade, notre cavalerie les poursuivit encore deux lieues.

® on eût profité de cette déroute, peut-être se fût-on emparé, la même nuit, du Lion-d’Angers et du pont de cette ville sur la Maine ; de là on eût fait dire à tout ce qui était resté à Laval, de venir joindre l’armée ; elle eût tout de suite, et avec la plus grande facilité, attaqué Angers ; cette ville était peu défendue de ce côté et livrée à la plus grande frayeur par la déroute totale des républicains. Nous rentrions dans notre pays, plus brillants que jamais. Mais peu d’officiers principaux étaient arrivés jusqu’à Château-Gontier ; M. de la Rochejaquelein n’était entouré que de jeunes gens, il n’osa prendre sur lui une telle détermination et nous obliger tous à venir rejoindre la tête de l’armée ; de plus, les soldats étaient harassés du combat et il y avait quatre lieues jusqu’au Lion-d’Angers. Il craignit d’y arriver avec trop peu de lui ?*’ " r Arrêtaient pour foire volte-face, quand iU

critO X pourauivia que par un petit nombre de brave», (Note du manu»-

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monde ou trop tard, et de trouver les Bleus assez, remis de leur terreur pour défendre le pont, qui est difficile à forcer ; alors il eût fallu recommencer un combat, malgré l’épuisement de nos troupes ; enfin peu avaient été jusqu’à Château-Gontier, ' une grande partie étaient rentrés successivement II se décida donc à ramener nos troupes triomphantes à Laval par Craon, où il défit un corps ennemi ; là, il pensait tenir conseil et prendre tin parti définitif.

On a toujours cru que ce fut très malheureux. À Laval nous espérions bien qu’on allait s’emparer facilement du Lion«d’Angers, et nous attendions le moment de partir. On ne doit pas faire de reproches & Henri : son extrême jeunesse lui donnait tant de défiance de lui-même et de modestie, qu’il ne voulait rien décider, malgré son caractère résolu. Heureusement dans le combat il faisait à sa tête, et nous gagnions la victoire ; mais nous allions tout de travers dans les marches, toujours réglées par le conseil.

Ce fut surtout alors que commencèrent à se développer l’ambition, les manœuvres secrètes qui nous ont perdus. Mon pèrè, n’ayant nulle prétention, se contentait dé lever les épaules à toutes les sottises qu’on faisait ; il ne pouvait s’accoutumer au peu de discipline de l’armée, au ton d’insubordination des jeunes gens ; ne voulant ni ne pouvant les réprimer, il se tenait à l’écart, admirait leur bravoure, mais plaignait leur inconséquence. Ce fut le rôle qu’il garda presque constamment, mais surtout à la fin de notre séjour à Laval, et plus encore par la suite ; le conseil s’était toujours tenu chez lui dans cette ville.

M. de Talmond avait pris de l’influence ; son frère était seigneur de Laval, cela lui avait donné du relief ; il s’était logé au château, avait régalé tous les officiers, avait trouvé là beaucoup d’argent à son frère, et avait reçu les comptes des régisseurs ; il jouait le prince. Certainement il était d’une bien illustre maison, mais & l’armée il ne fallait pas s’en prévaloir. Sa position s’accrut encore par l’arrivée de six mille Bretons, presque tous vas-

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« aux de sa famille* ou du moins voisins de ses terres ; ils lui rendaient de grands respects ; il avait un parti* M, Stoffict était à la tôte, il traitait le prince presque en souverain ; en revahcHe, le prince le regardait comme l’appui de l’armée. Ils voulurent engager Henri à tenir le conseil au château ; mais il représenta â mon père qu’on devait se réunir cHeis le président ou chez le général en chef* ët rien ne fut changé pour le moment ; plus tard H n’en fut pas de même, ,

Déjà M. de. Talmond introduisait au conseil ses aides de camp ; Henri laissait faire, disant toujours que, si jeune, à devait s’en rapporter aux autres, qu’en revanche au combat on lui obéirait ; effectivement, il y avait des coteries, de petites intrigués, mais criait-on ï Aux armes, chacun aussitôt se jetait à Heftri. S’il eût eu dix ans de plus ou plus d’amour-propre, les choses he se fussent point passées ainsi, ou si M, de Lescure se fût guéri* car il était très ferme et fort respecté. Un jour que ce dernier était un peu mieux, M. de BeauVoIlier l’aîné sortit furieux du coriseil et vint lui dire que tant que lui* M. de Lescure, n’y serait pas* la plupart des officiers, dégoûtés de ces menées, ne voulaient plus y aller ; le pauvre M. dë Lescure, qui avait la tête 'un peu dérangée par sa blessure, voulait absolument 1 s’y rendre. Combien de fois ai-je vu Henri lui parier avec douleur de toutes ces intrigues, et M, de Lescure l’encourager & la fermeté, à décider et à soutenir son avis î

J’ai dit que M. de Lescure avait la tête dérangée, il faut que je m’explique : il raisonnait très juste, mais il était devenu aussi violent, que naturellement il était doux» Trois jours, avant sa mort, il reprit son caractère angélique ; sa blessure. lui avait ébranlé le cerveau, [Les événements de la guerre, la mésintelligence des chefs, la situation de l’armée étaient aussi pour lui des motifs continuels de souffrance.) Je parlerai en détail par la suite de son cruel état et de sa mort ; je reprends ce qui concerne l’armée.

Henri eut une discussion avec M. de Talmond dans le conseil.

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Celui-ci dtait fort brave et 'en a donné des preuves éclatantes/ mais il pouvait rarement aller au combat, sa goutté le rendait souvent impotent. Il ouvrait au conseil je ne sais quel avis et voulait surtout l’appuyer, sur l’esprit de l’armée, disant qu’à la tête des. colonnes il avait souvent entendu parler les- paysans ; Henri répondit : « Prince, quand il sera question de l’esprit des femmes, je crois que vous le connaissez mieux que-moi ; mais quand il s’agit de la tête des colonnes dè nos paysans, je les connais beaucoup mieux que vous » (i). *

Du reste, M« de Talmond était incapable d’aucune action mau* yaise ; il était loyal, trèsdévoUé, il n’avait même pas le caractère ambitieux que les intrigants cherchaient & lui donner, espérant le gouverner, parce qu’il était faible. Ce que j’ai dit ne doit en rien faire tort à la noblesse de son âme ; il avait de l’amour-propre* jouissait des hommages des flatteurs, mais il n’avait que du laisser-aller et aucune vue calculée et méditée de nuire aux autres.

Pendant le second combat de Laval, on apporta à M. de Lescure une lettre adressée à MM. les généraux de l’armée royale ; il l’ouvrit, elle était d’un style fort ampoulé, et, après les plias grands éloges donnés à notre armée et à ses commandants, elle leur apprenait que ceux qui l’écrivaient étaient : des généraux royalistes

(i) Le conseil était en générai une réunion do conversation ; on était toujours guidé par le hasard dans les marches, on no pouvait arrêter aucun plan (j’entends après le passage de la Loire). M. do Talmond voulait se diriger ver* Paris, et si on ne pouvait réussir à -10 prendre, le tourner pour allér joindre los Autrichiens, qu’il supposait déjà en Picardie. Henri combattait ce plan à cause de l’hiver, des femmes et des enfants à la suite de l’armée, et voulait qu’on retournât dans la Yen* déc, ou qu’on prît Rennes pour insurger la Bretagne. D’autres enfin, coimfcc forme moyen, proposèrent de S’emparer d’un port de.jner pour déposer les femmes, les enfants et les blessés.

Dans ce conseil, H s’agissait donc de faire rétrograder l’armée ou d’avancer sur Paris. M. de Talmond insistait sur ce dernier parti ; M. de la Rochejaquelein, qui savait combien tes paysans poitevins étaient attachés à leur pays, soutenait le sien. Ce fut alor» que M. de Talmond lui dit s «.Je connais mieux l’esprit de vos paysans que vous. » Celui-ci répondit qu’effectivement, il pouvait mieux.connaître l’esprit des filles tic Paris, mais il croyait à son tour connaître mieux l’esprit des paysans du Poitou. On rit, et la plaisanterie finit iè.-(Note du manuscrit.).

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des environs de Rennes, et commandaient cinquante mille hommes prêts à se révolter ; ces commandants étaient, en attendant, cachés dans des greniers, et demandaient des sauf-conduits, pour venir nous trouver et concerter un plan avec nous. Cette lettre était signée par plusieurs personnes, je ne m’en rappelle pas les noms, l’un comme général, l’autre major, l’autre adjudant j on demandait une prompte réponse. La plupart des généraux n’étaient pas revenus du combat, M, de Lescure montra cette lettre ô quelques officiers.., ,

L’idée de cette armée de cinquante mille hommes invisibles, dont les généraux se tenaient dans des greniers, sans avoir tiré un coup de fusil, était vraiment comique ; on crut voir le une invention des républicains pour introduire des espions dans nos conseils. Je pense plutôt aujourd’hui que M. de Pulsaye (i) ou un autre, cherchait ainsi à se faire valoir, en annonçant une armée qui n’existait pas ; sûrement la Bretagne était bien disposée, mais à cette époque il n’y avait pas encore de Chouans. ML de Lescure dit donc à celui qui lui donna la lettre et qui ne voulut ni lui nommer la personne qui l’avait apportée, ni qu’il lui parlât : * Si ces messieurs ont cinquante mille hommes, qu’ils les mettent en mouvement, ils n’ont pas besoin de se concerter avec nous ; nous ne sommes qu’à douze lieues de Rennes, ainsi ils peuvent bien se révolter ; si, du reste, ils veulent venir nous parler, qu’ils viennent, ils n’ont pas besoin de sauf*conduit ; on a bien apporté la lettre sans cela, on n’empêche personne d’approcher les généraux ; ainsi, qu’ils se présentent » Nous n’en avons plus entendu parler.

On choisit à Laval les meilleurs canons qu’on avait pris, on en garda en tout trente-six et on cassa le reste.

(0 Joseph, comte do Puiaaye, né à Mortogne-sur-Hulsnc to 6 mars iy 55, député aux Etau généraux, maréchal de camp. Général de la chouannerie en Bretagne. U pam en Angleterre pour préparer l’expédition de Qulberon, puis 11 se retira, et tut accutéde trahison. Pendant l’Empire, il se fit naturaliser AAglalt, et mourut à flammersmith, pré* de tendres, le *3 octobre 1897.

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M. du Ri vault était couché dans un cabinet j>rès de M. dé Lescure ; Agathe* Bontemps et mol reposions tout habillés par terre, sur des matelas, auprès d’eux. En arrivant à Laval, M. du Rivault était dans un trfete état. Il était tort gras et malsain, ce qui, joint à la fatigue de la route, avait envenimé sa blessure ; la gangrène menaçait, on l’arrêta, mais l’odeur de sa plaie était Insupportable, M. de Lescurc ne pouvait souffrir une fenêtre ou une porte ouverte, le moindre air lui causait des douleurs aiguës j aussi notre chambre infectait, au point que bien des personnes ne pouvaient y rester. ‘

M. de Lescure était mieux en arrivant à Laval, surtout le lén* demain de la première bataille ; cependant on tirait de sa plaie une quantité d’esquilles. Dans le désordre de la route il changeait forcément tous les jours de chirurgien, exigeant toujours qu’on le pansât à la minute où H le voulait ; avec cela il refusait tout remède, et ne mangeait que du riz au lait et des raisins. Il avait tout l’os du front fêlé, on ne s’en était pas d’abord aperçu ; il souffrait des douleurs horribles et parlait guerre toute là journée, avec une. vivacité que je cherchais en vain à calmer, en priant tout le monde de ne pas le mettre sur ce chapitre.

Un jour, Bourasseau, ce brave paysan qui commandait la paroisse des Echaubroignes, lui dit qu’avant le passage de la Loire, U avait perdu cinq cents tués ou blessés, car ses hommes s’exposaient sans cesse en héros ; M. de Lescure ne fit que parler de cela toute la journée. Le lendemain du premier combat, il était mieux ; il eut cependant un peu de fièvre le soir, mais le jour suivant, se trouvant assez bien, il se leva et voulut être pansé sur-le-champ. On n’avait pas là de chirurgien ; Agathe, qui est fort adroite et soignait toute la journée les blessés, s’en chargea ; il se plaignit beaucoup de se sentir la tête dans un état affreux ; effectivement, on lui avait coupé quelques cheveux autour de ses plaies, mais tous les autres étaient mêlés, collés ensemble par le sang, pleins de poussière. Je lui proposai de lui en ôter un

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peu ; il 'saisit cette Idée, mais il voulut absolument les faire couper ras ; H.en espérait du soulagement, j’ai toujours pensé que cela avait hâté sa mort ; il passa cependant bien cette jouïnée ; c’est alors même qu’il voulut descendré au conseil Le lendemain la fièvre le prit et le dérangement d’entrailles ; je fis venir M. Desormeaux 0), très bon chirurgien, qui ne me quitta plus ; j’en avais

déjà pris d’autres, niais toujours quelque accident m’en avait Privée.. *… '…

Nous restâmes neuf jours ô Laval ; l’avant-veille de notre départ, le matin, M. de Lescure paraissait assoupi ; je reposais sur un matelas, tout le monde, môme M. du Rivault* était sorti.de la chambre ; II m’appelle et me dit, avec cette douceur qu’il reprit de ce jour-là î « Ma chère amie, ouvre les rideaux ; » je les ouvris. « Le jour est-il clair ? —.Oui, » lui répondis-je. «J’ai donc un voile sur les yeux, je n’y vois plus distinctement ; j’ai tôujours cru être blessé à mort, je n’en doute plus maintenant, je

vais te quitter. Je ne regrette que toi et de n’avoir pu remettre le

Roi sur le trône. Je m’afflige surtout de te laisser à l’armée, dans une guerre civile, grosse et avec un enfant ; tâche de te sauver, déguise-toi, cherche à gagner l’Angleterre. » Comme il vit que je fondais en larmes, il me dit : « Ta douleur seule me fait regretter la vie ; pour moi, je meurs tranquille ; sûrement j’ai péché, cependant je n’ai rien fait qui trouble ma conscience et me donne des remords. J’ai toujours servi Dieu avec piété, j’ai combattu pour Dieu, j’espère en sa miséricorde, j’ai vu souvent de-près la mort et je ne la crains pas. Je vais au ciel avec confiance, je n’ai de regrets que pour toi. J’espérais foire ton bonheur ; si je t’ai jamais manqué, pardonne-moi. » Il me parlait avec un visage serein, il semblait qu’il fût déjà au ciel..Cependant à chaque fois qu’il me

T Π? U fl ?*^, *î£ Etlennc Baguenter des Ormeaux, né & Chamme», pris 7 à U, 1, et B *« uenfer 01 de Charlotte Provost, fut reçu

ÎÆSJSJJ. *“ <hî ’u ï«f n /79°» s’attacha 4 l’armée vendéenne, et organisa L hÔ K mm ? 1 f û<Un, Ia forôt de Maulevrier, pria Cholet. Il s’établit ensuite à Maulevrier, où U exerça la médecine, et mourut le »3 août 1836.

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répétait qu’il né regrettait que moi, ses yeux’se remplissaient de larmes ; il me disait encore : « Console-tol par l^idée que je serai au ciel, Dieu m’inspire cette confiance ; oui, je ne pleure que sur, toi. » Il me fut impossible de résister plus longtemps, je me sauvai dans le cabinet ; M. du Rivault entra, M.dôLcscure lu idit d’aller me chercher et de me ramener. Il* me trouva fi genoux, pleurant ù chaudes larmes ; U me parla, chercha à me donner du courage, et enfin me ramena près dcM. de Lescurc, . sJ.

.. Celui-ci m’exhorta avec tendresse, avec piété ; il finit ; par me dire, voyant mon accablement, que peut-être il se trompait, èt dé faire une réunion de médecins. Je la fis tout de suite, il leur dit : « Messieurs, je ne crains point là mort, ; avouez-moi la vérité ; j’ai des précautions à prendre. » Il voulait faire «es ; dévotions, s’étant déjà confessé à Varades, et renouveler son testament en ma faveur, sachant l’autre perdu ; H me le fit entendre cent fois, les trois derniers jours de sa vie ; mais j’étais 1 trop affligée pour m’occuper de mes intérêts et j’éloignai toujours cette Idée avec horreur. Les médecins donnaient de l’espoir, M. de Lescurê leur disait tranquillement : « Je : crois que vous vous trompez, mais avertissez-moi quand vous verrez le danger. »

Il y eut un grand conseil à Laval pour savoir où l’armée se porterait ; on se décida pour Vitré et Rennes ensuite, c’était la seule chose raisonnable, et je ne concevrai jamais comment on alla à Granville : on disait que c’était pour être secouru des Anglais. Il arriva dans ce temps & l’armée un M. d’Obenheim(i), ' il s’annonça comme le second du général Wimpffen (a), qui

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(») Alexandre-Magnus, né à ReveL en Languedoc, la ta juillet 1753, fils légitimé du baron d’Obenhehn, lieutenant générai français, d’origine saxonne, lf entra dans.le corps du génie militaire en 1770. Ayant rejoint les Vendéens, il Ait pris par les Illcus, chargé de travaux de fortification dans la Manche, puis bientôt destitué. En 1801, U fut nommé professeur l’École d’artillerie de GhAIons, de Metz, et en 1808 de Strasbourg, fl prit sa retraite le 1er janvier * 835.

— (2) Félix do Wimpffen, né à Minfold sur le Rhin, le 5 novembre 1744, maréchal de camp en <787, commandeur de Saint-Louis, fut député de la noblesse de Caen aux titats généraux. Ayant prit parti pour tes Girondins contre la Montagne, ' U

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3 oo —

avait été & la tête d’une insurrection du Calvados. Je ne sais s’il était porteur de papiers capables de le faire connaître ! tou* jours est-il qu’on l’admit au conseil de guerre ; tout fait croire cependant que c’était un traître. Je vais de suite achever ce qui le regarde : grand, gros et bel homme, d’environ cinquante ans, officier du génie, instruit et. spirituel. Il persuada que nous prendrions Granville facilement ; il s’exposa très bravement à l’attaque de cette place, mais, quand on lui reprocha l’échec éprouvé, il dit qu’il aurait cru nos gens en état de faire un siège de huit jours au plus. Il aurait bien dû voir que nos soldats, incapables de faire des tranchées, n’étaient bons qu’aux coups de main ; du reste, ce M. d’Obenheim a disparu à la bataille du Mans, et nous avons appris que lui-même, un an avant, étant officier républicain, avait fortifié Granville. Je ne sais pas du tout ce qu’il est devenu, on n’en a pas parlé depuis ; était-il vraiment espion ? C’est probable (r)«

Nous aurions dû marcher à Rennes par Vitré, pour faire révolter la Bretagne ; cependant il fut convenu, en partant de Laval, qu’on s’y rendrait peut-être de Fougères ; je dirai.les raisons qui en ont empêché, U aurait mieux valu y aller tout de suite. Plusieurs personnes prétendent que Stofflet, toujours le premier en marche avec les drapeaux et tambours, prit, de sa propre autorité, le chemin de Fougères ;

Partis le a novembre de Laval, nous couchons à Mayenne ; en route, M. de Lescure apprend une nouvelle que j’étais parvenue è lui cacher. La voiture arrêtée, quelqu’un se met à côté à lire tout haut la gazette avec les détails de la mort de la Reine ; on sait combien il lui était dévoué, il s’écrie : « Quoi, les monstres l’ont tuée ! Je me battais pour la délivrer, ce sera, si j’en réchappe, pour la venger ; plus de grâce 1 s Depuis ce moment,

put se soustraire aux recherches des terroristes. Il fut août l’Empire inspecteur général des haras, et mourut à Bayeuxle a ? février 1814.

(1) M.de Miasy, ancien camarade de M. d’Obenheim, m’a dit depuis qu’il pensait qu’il était venu k l’armée vendéenne comme espion de la Convention et de l’Angleterre. (Note de l’auteur.)

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AUTOGRAPHE

DR

Anne de La Rochéjaquelein D. P ui, comtesse de Beaucorps

Arc hiv. Nation, C ti. i«îo*p*» Musée N* 1337.

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il ne parlait plus que de la mort de la Reine, nuit et jour. Le lendemain nous couchons à Emée, où il y eut un petit combat avant d’entrer.

Le soir, je ne croyais pas M. de Lescure si mal, je me jetai accablée de fatigue sur un matelas près de lui. À neuf heures, tout d’un coup on s’aperçut que la mort approchait ; vers minuit il fut à l’agonie, il demanda son confesseur, mais U ne put lui parler, en reçut l’absolution et l’extrême-onction. On ne voulut point me réveiller, ce ne fut que vers une heure que je me relevai ; il n’avait pas perdu connaissance, car il me regardait et levait les yeux au ciel en pleurant ; il me serra même plusieurs foislaniain. Il fallut quitter Emée(i) sur le midi, je voulais y rester avec lui au risque de me faire prendre, ainsi que le chevalier de Beauvollier, mais on me représenta que, si je ne voulais pas faire tomber son corps même au pouvoir des républicains, il fallait se décider à partir. On mit un matelas dans la voiture, oh l’y coucha, on fit l’impossible pour m’empêcher d’y monter avec lui ; j’y entrai d’abord, mais H se plaignait, le chirurgien s’approcha, je vis que lui et ma femme de chambre étaient plus utiles que moi, et nous n’y pouvions tenir tous ; je me jetai à bas de la voiture ; pressée par tous mes amis ; ils me représentaient que le chirurgien était nécessaire, que je l’empêchais de porter secours et que j’exposais la vie de l’enfant dont j’étais grosse. Je montai donc à cheval ; MM. le chevalier de Beauvolüer, Jagault, deMondion, du Rivault, le principal de Thouars (s) me soutenaient, avec des domestiques

(i) Ce fut entra Ernée et Fougère* que M.de la Rochejaquelein aperçut un drapeau bleu, brodé d’or, aux arme* de la maison de La Trémollle, qu’on portait à ta tête de ta cavalerie. M. de Talmond levait trouvé au château de Uval ; c’était vraisemblablement l’ancienne bannière de sa maison. M. de la Roche caquelon lui dit s « Prince, nous ne connaissons que les fleurs de lys, » et il fit retirer te drapeau. (Note du manuscrit.)

(s) Le principal du collège de Thouars, M. Dallai», prêtre de mérité, périt dans i» Bretagne après l’affaire du Mans. (Note du manuscrit.)

François Dallais, du diocèse de Poitiers, ordonné prêtre le a3 mars ty€5, appelé au principaiet le sa août suivant par le duc de La Trémollle et de Thouars, fut pris et fusillé près de Nantes.

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.qui.m’entouraient ; j’étais presque toujours dans Un état d’anéantissement, pleurant a chaudes larmesi… ,

J’avoue que plusieurs fois, ce jour-lù, rencontrant dés Bleus morts, une rage intérieure me prenait, et, sans rien dire, je, poussais mon cheval avec violence pour le faire marcher sur ceux qui avaient. causé la mort de mon mari. Ap bout de trois-quarts d’heure je vis arrêter et ouvrir la voiture, j’entendis des gémissements, je voulus : m’y précipiter, onia referma ;, on me dit, ’que M. dç Lescure était, dans le même état, je n’osai insister, car depuis le commencement de sa blessure, le moindre air. lui faisait mal, et moi-même je n’avais plus de forces. Je me doutais ;4e mon malheur, pétais dans un état affreux ; j’ai su depuis que.dans ce momeht-là M. de Lescure venait de mourir ; le chirurgien : était descendu de la voiture, Agathe avait voulu. en faire autant, mais* : me voyant au moment d’y. entrer, elle s’y ; était, renferr mée ; elle eut le courage d’y rester neuf heures, elle n’çn’sprtit qu’à Fougères et. fut plus de deux heures évanouie* Elle. avait pour, ainsi dire été élevée avec M. de Lescure et lui était -très attachée. Pendant sept heures j’escortai la voiture à cheval, par la pluie.

En approchant de Fougères, nous trouvons la ville prise ; on y avait tué six cents hommes. Il y avait des retranchements très forts, faits avec des arbres et du gazon, nos gens avaient pratiqué à la hâte une brèche pour le passage de la voiture. Nous étipns partis d’Eméeles derniers, tous les chariots, canons, caissons sfe trouvaient devant nous ; la nuit était très obscure ; au milieu de I, a foule, de tout cet encombrement de monde et.de, bagages, nous voyons que nous serons arrêtés plus de deux heures ; M. deBeauvollier, moi et deux autres avançons pour voir. ce, qui obsr truc le chemin et si nous pouvons faire faire place à la voiture : nous en reconnaissons l’impossibilité. Le chevalier de Beauvoilier aperçoit une ouverture étroite, basse, pratiquée par les Bleus dans le retranchement pour le défilé des fantassins ; ij me prié

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de laisser nos chevaux au principal de Thouars, qüi propose de s’ef» charger ; tous deux m’engagent à me rendre par ce passage à Fougères, dont les premières maisons étaient à cent pas ; ils se servent, pour me Convaincre^ du désir que j’avais de conserver mon enfant, ce moyen leur avait déjà réussi ; je souffrais des douleurs de reins insupportables, je me. laissai persuaderez exigeant du chevalier sa parole d’honneur de me mener près de M.de Les cure, s’il respirait encore, à Fougères, malgré l’opposition de maman. qui avait voulu, depuis le commencement de son agonie, m’èn arracher plusieurs fois.

Je Cherchai à marcher ; j’étais si souffrante et si fatiguée, que j’étais absolument courbée ; M. de Beauvollier voulut m’emporter, mais, épuisé lui-même par la douleur, 11 n’en eut pas la force, quoique naturellement un des plus robustes de l’armée. Nous arrivons, en nous traînant, dans la première maison de Fougères ; nous y trouvons une foule de braves soldats qui s’empressent- de me faire chauffer, de me donner du vin, ils voulaient même me faire coucher. Au bout de cinq minutes ma mère nous envoya chercher pour être conduits à son logement ; je. trouvai mon lit fait, un bouillon préparé, mais je ne voulus jamais me coucher ; je restai sans rien dire au coin du feu, demandant seulement si la voiture arrivait. Tout le monde savait la mort de M. de Lcscure et n’osait m’en parler ; le chevalier de Beauvollier et moi étions seuls dans le doute. Quand j’entendis la voiture, je renvoyai tout le monde et lui rappelai sa promesse ; il sortit, revint l’instant d’après fondant en larmes, me serra la main en me disant de sauver mon enfant ; alors tous rentrèrent, et l’on nie mit au Ht.

C’était le 4 novembre ! On petit aisément imaginer quelle fut ma nuit. Ma chambre servait de passage ; cela, je crois, me sauva ; c’était pour moi une distraction forcée ; tout en causant mon supplice, elle me fit le plus grand bien ; sans qu’on m’adressât la parole, ce mouvement me dissipait malgré moi, L’après-dînée,

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MM. 4e la Rochejoqueicin, dé Baugé, des Essatts et le chevalier de Beauvolller entrèrent dans ma chambre ; ils pleuraient amère* ment et s’assirent loin de moi en silence ; au bout d’un quart d’heure, Henri vint m’embrasser ; je lui dis ; « Vous avez perdu votre meilleur ami, -vous étiez ce qu’il avait de plus cher au monde après moi. » Il riic répondit avec un accent de douleur que je n’oublierai jamais i « Ma vie peut-elle vous le rendre ? prenez-la. » Il sortit ensuite avec les autres, qui aussi m’embrassèrent, fondant, en larmes, sans rien dire ; M. d’Auzon vint me voir après, je lui recommandai mes enfants ; il était désespéré,

tout le monde pleurait : jamais homme n’a été si universellement regretté,

(La Vendée n’eut pas de chef plus doux, plus réfléchi, plus chrétien. M. de Lescure a toujours été de la plus grande piété, soit à l’École militaire, soit au régiment ou à la cour ; il se livrait même à de grandes austérités. La sagesse, l’absence de tout orgueil étaient le fond de son caractère. Il a toujours été un saint, il a été de bonne heure un savant, il est devenu un héros. Il m’a laissée remplie d’un profond respect, d’une complète admiration, qui dureront autant que ma vie.]

  • horriblement depuis trente-six heures ; enfin les

douleurs furent si violentes, que je criais ;, je fus au moment de foire une fausse couche, un médecin fut appelé et dit que je la ferais avant un quart d’heure, si l’on ne me saignait à l’instant. M.. Allard se trouva là ; ne sachant où les chirurgiens étaient logés, il se mit à courir en criant dans la rue : «Au secours, pour une femme qui se meurt ; » il se présenta tout de suite un chirurgien, et il l’amena. Je n’oublierai jamais cet homme, dont je n’ai pas su le nom ; il ne me connaissait pas ; il était jeune, avait près de six pieds, quatre pistolets à la ceinture et un grand sabre. J’avais la tête perdue, je lui dis de prendre garde, que je craignais la saignée : « Ah bien, moi, répondit-il, je n’ai pas peur ; j’ai tué plus de trois cents hommes & la guerre* et j’ai coupé

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encore ce matin le cou à un gendarme ; je ne crains pas de saigner une femme ; donnez votre bras, » Je le tendis sans répliquer ; il eut bien de la peine à faire venir le sang ; avant que la palette fût pleine, je me trouvai mal, on me fit prendre pendant toute la nuit des potions extrêmement fortes. Nous logions chez M. Putod, médecin, qui me traitait : j’y reviendrai dans la suite.

Ma douleur me portait & parler sans cesse de M. de Lescure, à vouloir me rapprocher de tous les objets qui lui étaient chers ou lui avaient servi ; j’ai toujours conservé ce sentiment, il me dominera toute ma vie. Je ne voulais pas laisser son corps en proie aux républicains ; je savais qu’ils avaient déterré M. de Bopchamps, inhumé & Varades, et qu’on lui avait fait mille outrages. Je voulais le faire embaumer et l’emporter avec moi en voiture ; on eut bien de la peine à m’en empêcher ; on me représenta que je risquais de faire une fausse couche ou de mettre au monde un enfant monstre ou imbécile. Je passe mille cruels détails, comme de rapporter qu’on trouva sur son corps la marque de cilices portés dans sa jeunesse. Je fis donner parole d’honneur à M. l’abbé Jagault de faire embaumer le corps ; les entrailles furent enterrées & Fougères (i).

Le principal se chargea de le faire emporter ; on nf assura & Avranchesque les personnes qui devaient y veiller s’étaient cachées et avaient disparu : j’en fus inconsolable. J’ai toujours soup* çonné que mon père, après avoir tenté l’impossible pour me décider à le laisser enterrer, le fit faire secrètement ; en effet, c’était plus raisonnable, mais je n’ai jamais pu savoir la vérité malgré toutes mes recherches, et ta perte de son corps sera toute ma vie le sujet d’une douleur amère. Je suis certaine du moins

(O Après un service, on le mil dans un cercueil disposé en forme de caisson qui suivit le train d’artillerie & Avranches. M. Jagault étant tombé malade, on profita de sa position pour faire enterrer le corps sans qu’il en eût Connaissance, il n’a jamais su comment cota s’était passé, malgré l’engagement qu’il avait contracté. C’est lui qui fit la sépulture des outrai lie* A Fougères. (Note du manuscrit.

so

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que les patriotes ne Pont point trouvé [et cela ne pouvait guère manquer d’arriver, sans les sages dispositions de mon pèrc|. Ils mirent dans les gazettes que les Vendéens conservaient son corps, dans l’espoir d’inspirer ainsi aux soldats cette môme ardeur qu’il leur donnait pendant, sa vie. Je restai six mois malade d’une fièvre lente, et je fus réduite à un état d’étisie.

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CHAPITRE XVIII

DEPUIS LA MORT DE M. DE LESCURE LE 4 NOVEMBRE

JUSQU’À NOTRE RETOUR À DOL (i)

A Fougères on voulut établir quelque ordre et régler les commandements ; vingt-cinq personnes furent nommées ou plutôt confirmées pour former le conseil de guerre ; je ne sais si je me les rappellerai toutes.

M. de la Rochejaquelein, généralissime.

Mon père» toujours gouverneur générai (s).

M. Stofflet, major général de l’armée.

M. de Talmond, général de la cavalerie.

M. de Hargues, adjudant général.

M. le chevalier Duhoux, adjudant en second (non pas le frère de M“ a d’Elbée, qui était resté dans la Vendée).

M. de Beauvollier, l’aîné» trésorier général.

M. d’Obenheim, chef du génie.

(i) Lcao novembre.

(a) Quand M. de Donniasan fut nommé gouverneur pour le Roi du paya consul

  • » on attacha & cette place la présidence du conseil de guerre. (Note du manuscrit.

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308 —

M. des Essarta, général divisionnaire de l’armée* grade qu’avait M. de Lcscurc ;

M. le chevalier de BeauvolUer, commandant en second»

M. le chevalier de Fleuriot, général de l’armée, remplaçant M. de Bonchamps ;

M. d’Autichamp, en second.

M. de Piron, général de la division angevine (i) ;

M. de Baugé, en second.

M. de Royrand, générai de sa division, dont très peu de soldats avaient passé la Loire,

M. de Marigny, général de l’artillerie ;

M. de Perrault, en second.

En voilà dix-sept, cependant ils étaient vingt-cinq ; je ne puis les désigner tous avec certitude. J’ai l’idée que MM. de Lyrot et d’Esigny (a), qui commandaient chacun un corps séparé, postés du côté de Nantes et sous les ordres de Charette, mais avaient passé la Loire, étaient aussi du nombre ; MM. de Rostaing (3) et de Villeneuve du Cazeau, le premier, vieux militaire, assez médiocre ; l’autre, très estimé et très brave, jeune homme angevin ;

(i) C’est M. de Villeneuve du Caaeau qui eut ta division de M. de la Rocheja* quelcin, dont H avait été le second ; M. de Baugé devint son second. {Note du manuscrit.

U) Gabricl-lsIdorc-Mathicu Blond in, écuyer, sieur d’&igny, né à Abbeville en Picardie, le et septembre 1734. Capitaine de cavalerie, * l’un des deux cents gens d’armes du Roi », chevalier de Saint-Louis ; Il reçut en 178g des lettres de noblesse pour ses services.lt avait épousé, par contrat du 39 août 1769, Marie-Françoise de la Vieuville, née 4 Nantes en 1734, fille de René-François de la Vîeuvlllc, écuyer, maître des comptes de Brotagne, et veuve de Jacques-Nicolas de GuedevlUe, écuyer, sieur de Moral nval en Bcnuvoisis. lis eurent pour fils Charles-Gabriel Blondln d’Esigny, sieur de la Varnnnc, né 4 Morainval le 3 juillet 1770, gendarme de la garde, officier dans l’année vendéenne. Tous trois furent arrêtés dans leur chéteau de la Varannc en Mésanger, près Aneenis.et condamnés & mort par le tribunal révolutionnaire de Nantes, le $*pluviôse an II, 30 janvier 1794.

(3) Jean-Antoine-François Brun, chevalier de Rostaing, né 4 la Canourguc, dans le Gévaudan, le as août *743, fils de Guillaume Bran de Rostaing et d’Anne d’André. Cavalier dans RoyaJ-Normnndic en 17C1, lieutenant au régiment de Qucrcy en 1787. Il fut retraité en 1816 comme maréchal de camp et chevalier de Saint-Louis, et mourut 4 Tours le as novembre 18as.

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peut-être aussi M. de Lacroix. Je crois que M. Forestier, h cette époque, «‘était pas du conseil ; je suis sûre au moins qu’on le nomma par la suite adjudant général en second, quand M. de Hargucs eut péri ; mais je sais qu’il ne voulut jamais, môme à cette époque, entrer au conseil, se disant toujours trop jeune. Je pense aussi que MM, Berrard et Tonnelet étaient majors en second et entraient au conseil ; le premier était un bourgeois angevin, l’autre un garde-chasse de M. de Maulévricr (i) et camarade deStofflet, tous deux estimés ; enfin M. de Beauvais (a), un des chefs de l’artillerie, compléterait les vingt-cinq.

Il fut décidé que les généraux du conseil porteraient tous des ceintures blanches avec quelque différence ; ainsi celle de M. de la Rochejaquelein avait un nœud noir, celle de mon père à peu près pareille ; celle de M. de Marigny un nœud bleu, etc, et que tous les officiers auraient une écharpe blanche au bras gauche ; on cherchait de cette manière à faire reconnaître les commandants.

Tout ce monde, rassemblé au hasard après le passage de la Loire, qui a’était effectué en masse par une terreur panique, était dans un plus grand désordre que jamais ; au début chacun connaissait ses chefs, mais depuis il se trouvait des soldats et des officiers de toutes les armées. Tous les habitants d’une paroisse et, même les femmes étaient ensemble, il ne s’y mêlait pas un seul homme d’une autre.

Il arriva à Fougères une histoire fort comique ; la sœur de

(1) Édou«rd-Vlctuniion-Charlc6-Ren 6 Colbert, corato do Mau lévrier, né le 1 5 décembre 1754, marié en 1782 À Anne-Marie-Louise de Quengo de Crénoiie. Mestre de camp, chevalier de Saint-Louis, ministre plénipotentiaire ; il émigra, fut maréchal de camp & l’armée des princes, et mourut le 8 août i 83 g.

(2) Jean-Bertrand Poirier de Beauvais, né & Richelieu en Touraine le *8 novembre 1750, ancien conseiller du Roi, commanda l’artillerie dans les armées de la Vendée. Il fut condamné par contumace comme conspirateur par le tribunal révolutionnaire de Paris le a 3 brumaire an H, i 3 novembre 1793. Chevalier de Saint-Louis, il mourut le 3 avril 1827, en son château de Beauvais, commune de Ligré, prés Chinon. Il a écrit sur la guerre de la Vendée des Mémoires dont II a publié des fragments.

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— 3io —

M. de Bonchamps (i) suivait l’armée ; comme elle était brouillée avec la veuve de ce général, elle restait à peu près seule, ou du moins avec des personnes indifférentes. Elle entra, pour une affaire, avec d’autres dames, à l’état-major ; tout en causant, ces dames dirent combien les femmes qui n’avaient point d’officiers pour parents, étaient à plaindre, abandonnées pour les logements et le reste ; on observa en badinant qu’il leur était aisé d’en avoir, qu’elles pouvaient se marier, qu’il ne manquait pas de jeunes gens. M lt * de Bonchamps répliqua en riant que le conseil était excellent, mais que les femmes ne devaient pas faire d’avances et que c’était à ces messieurs à se proposer. Alors M. de la Salmonière (a), officier du corps de Bonchamps, lui demanda si elle parlait sérieusement et si elle accepterait une proposition. Cela dépendrait, répondit-elle, de celui qui la ferait. M, de la Salmonière lui dit : « Eh bien, Mademoiselle, me voilà, je me propose et serai fort heureux si vous voulez de* moi. » M 11 * de Bonchamps était jeune et, comme je l’ai dit, se trouvait isolée, elle accepta sur-le-champ j ils se marièrent le lendemain ; M. de Talmond, toujours prêt & s’amuser, leur donna des fêtes.

Nous devions de Fougères aller à Rennes, c’était le meilleur parti, et on était au moment de le prendre ; la marche sur Granville n’avait jamais plu à Henri ; mais deux émigrés^ envoyés par l’Angleterre, vinrent nous annoncer, et cela était vrai, qu’il y avait des troupes à Jersey, prêtes & nous seconder ; il fallait donc prendre un port de mer, et alors les Anglais nous fourniraient tout ce dont nous aurions besoin. Nous nous décidâmes surtout par l’espérance d’avoir une place de sûreté où l’on pourrait laisser femmes, enfants, vieillards, blessés et hommes inu-

(i) lîmiHc-Loui$e*Charlottc de Bonchampa, née en 1773 è la Chapelle-Saint-FJorent, fille de Charlcs»Artus de Bonchamps, chevalier, seigneur de la Baronnién». et de Renée-Louise Dubois de Maquillé.

(a) Charles-Mario Goguet, chevalier, seigneur de la Salmonière, né te t 5 oc» tobre 1764 « Port-Saint-Père, près Palm bœuf ; il servit d’abord dans un corps d’émigrés, et passa en Vendée au mois de mai 1793, Il se battit jusqu’en 1800, et fut, sous la Restauration, capitaine de la garde nationale de Châteaubriant

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tîles ; tout cela formait environ vingt mille personnes, qui incommodaient beaucoup l’armé et étaient elles-mêmes fort à plaindre. Tous les avantages sé trouvaient réunis en apparence.

J’ignore les noms des deux émigrés qui vinrent à Fougères ; ils étaient déguisés en paysans bretons, et l’un d’eux était du parlement de Bretagne (i) ; ils tirèrent d’un bâton creux les dépêches des Anglais. Ceux-ci demandaient aux Vendéens, après les offres les plus avantageuses, quel Gouvernement ils voulaient établir en France. On répondit à cette demande que nous ne voulions que remettre le roi sur le trône, sans nous inquiéter des lois qu’il établirait après, que ceci ne nous regardait pas, Quand ces messieurs eurent fait la commission des Anglais, 1 ils cassèrent leur bâton dans un aiitre endroit, et en tirèrent une petite lettre de M. du Dresnay (2), un des principaux émigrés bretons ; ils nous mandait que tous des émigrés à Jersey brûlaient de nous rejoindre, mais qu’on leur avait ôté leurs armes et toute possibilité de passer, que les princes n’étaient point en Angleterre, et les émigrés craignaient que les Anglais ne trahissent les Vendéens, en ne leur* donnant point les secours qu’ils leur offraient. Il est beau de retrouver toujours dans les Français envoyés par l’Angleterre» cette défiance des Anglais et ce sentiment patriotique pour la France. On n’accepta donc les secours de l’Angleterre, que déterminés par un besoin absolu ; notre position désespérée nous forçait à essayer cette voie. Les dépêches furent lues en petit comité chez mon père, mais on fit signer les réponses par tons les membres du conseil de guerre.

On se décida à. aller à Granville, et, dans le fait, ce parti se

(»)M. de frcslon’et M. Btintlif, .

(a) Louls-Maric-Ambroisc-Rcéc ; foarquîs du Drwnny, ni h Saint-Pol-da-Lcon lo tû novembre 1741 ; colonel de-cavelcrlc, émigra, eut un commandement dans Par* mée de Comté, pul* * Jersey, où U organisa l’expédition de Qulberon 5 U fut rappelé on Angleterre avant Je débarquement, et mourut à Londres le à février 1798.

Mem-Emmannel-Vlncent-Maria de Freslon de Ssînt-AuUn, né 4 1 Jf\££SÏ*

le 19 juillet 17(56, reçu ou parlement le s 1 février 1785, président eux requête*, deccde à Renne*, le f novembre tSîp, .

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trouvait sage alors ; les Anglais avaient promis de nous aider à prendre la ville ; il fut convenu que, si nous en étions maîtres tout de suite en arrivant, ce que M, d’Obenheim assurait être facile, on hisserait un drapeau blanc entre deux drapeaux noirs.

Nous partons de Fougères le 8 novembre, nous allons coucher à Antrain, de là à Dol, Pontorson et Avranches ; on ne sc bat que pour prendre cette dernière ville, et encore l’affaire est-elle peu de chose ; nous y délivrons une énorme quantité de gens du pays, retenus prisonniers. Comme nous étions restés un jour à Dol, nous n’arrivâmes à Avranches que le 12 novembre ou le 13. Plusieurs de nos gens, en passant, furent au Mont* Saint-Michel rendre la liberté aux prêtres, qui s’y trouvaient dans un état affreux. Cependant, malgré leur grand nombre, peu nous suivirent, la plupart étaient infirmes ou malades et hors d’état de quitter leur prison» Le lendemain on laissa dans Avranches tous ceux qui ne se battaient pas, avec les bagages ; les soldats allèrent attaquer Granville.

Qu’on se figure trente mille hommes, pleins d’ardeur, mais sans nulle discipline, sans la moindre tactique, partis pour investir une place fortifiée, n’ayant en tout qu’une échelle de six pieds pour escalader les murs. Telle est la vérité, et, chose plus surprenante, cette ville fut au moment d’être prise ; le combat commença à neuf heures du soir ; nos soldats s’élancèrent dans les fortifications avec tant d’impétuosité, grimpant à la fois de tous côtés, à l’aide de piques, de baïonnettes, qu’ils passèrent tous les ouvrages, les fossés, et plusieurs parvinrent sur les remparts. Comme c’était la nuit, les Bleus, épouvantés d’une si étonnante furie, abandonnaient les fortifications en désordre ; mais plusieurs traîtres, un surtout, déserteur reconnaissable à sa veste et culotte blanche, se mirent à crier : Fuyons, nous sommes trahis ! Cela donna un moment de découragement à nos gens ; les Bleus, revenus de leur première frayeur, culbutèrent le peu de nos soldats déjà sur les remparts, et les jetèrent les uns

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sur les autres. M, Forestier avait grimpé jusqu’en haut, à fut renversé et tomba dans le fossé* où il resta trois heures évanoui» ou milieu des morts et des mourants.

Comme notre succès n’avmt tenu qu’à un mouvement inouï de fougue, nos braves ne purent pas escalader de nouveau, ils virent la difficulté de l’entreprise ; en vain M. Allard, d’un coup de pistolet, cassa ta tête à ce déserteur, qui criait j À la déroute ; en vain les commandants firent des prodiges de valeur, ainsi que tes Suisses, dont vingt furent tués à cette affaire, il fut impossible de recommencer. On se battit cependant encore tout le jour et la nuit du lendemain, espérant que les Anglais viendraient nous secourir ; non seulement ils ne vinrent pas, mais ils laissèrent arriver deux petits bâtiments français de Saint-Malo, contre nos gens qui attaquaient du côté de la mer, sur une plage de sable, restée & sec à marée basse (1).

Beaucoup de nos troupes étaient retournées dans la journée à Avranches ; le soir on donna une fausse alarme dans la ville, espérant faire sortir ceux qui étaient revenus, mais ils ne voulurent pas aller à Granville, où les autres se battaient encore. Les soldats étaient dégoûtés ; ces retranchements, qu’ils n’avaient eu ni le temps, ni la possibilité d’examiner à la première attaque de la nuit, les effrayaient ; d’ailleurs ils n’étaient jamais bons que dans leur premier mouvement, et le talent pour les commander était surtout de leur donner l’impulsion et d’en profiter ; en outre, la grosse artillerie de la place les déconcertait, ils n’en avaient jamais vu de semblable. De leur côté, M. de la Rocher) Nous «prions un moment prendre cette ville du ôté de In mer à marée b«w, ce que nous aurions fiait effectivement sans deux cbstoupes canonnières très bien servies ; elles démon tèrént à peu près tous les canons que nous trions de ce cfoe-lft. Nous y renonçâmes pour plusieurs raisons : il nous fallait des victoires non interrompues, nous n’avions rien pour vivre, nous ne pouvions donc pas rester nssex longtemps pour faire un siège. J’ai remarqué souvent aussi que le premier coup de collier était vigoureux, et *1 l’ennemi soutenait ce premier élan, c en était fait de nous ; on se reprenait bien quelquefois, mais pas souvent. (Note du manuscrit.)

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jaquelûin et les autres officiers (comme les Anglais entendaient parfaitement de Jersey la canonnade, et loin de venir à notre secours, malgré le beau temps, n’empêchaient pas la sortie des bâtiments de Saint-Malo) prirent le parti de se retirer ; les Bleus n’osèrent pas faire contre eux la moindre sortie»

À cette affaire, MM. de Perrault, Roger*Moulinier et le chevalier de Beauvollier furent blessés tous les trois au pied ; les deux premiers très grièvement, surtout M. de Perrault ; le respectable M. Le Maignan eut le bras cassé d’un biscaïen ; tous les quatre des meilleurs, des plus braves de l’armée, et ce fut un véritable malheur. Nous avions peu de bons officiers et surtout très peu de connus et aimés des soldats, car il ne suffisait pas d’avoir du mérite, il fallait par plusieurs belles actions inspirer de la confiance aux paysans ; mais ces messieurs avaient vraiment un dévouement pur et entier. Il y eut aussi un officier tué, M. de Royrand (i) ; il fut blessé d’une balle à la tête, il mourut treize jours après, fort regretté. Sa troupe passait pour la moins bonne de l’armée, mais lui pour très brave et très habile ; il était fort estimé. M. de Villeneuve du Cazcau fut blessé à cette affaire ; il était excellent officier sous tous les rapports.

Le brave M. de Saint-Hilaire (2), émigré, nous avait rejoints au passage de la Loire ; il avait apporté un bref du Pape, en latin, le curé dé Saint-Laud le lut à Varades au conseil de guerre, où

é,

il fut appelé à cet effet. Ledit bref portait que le soi-disant évêque d’Agra, prétendu vicaire apostolique du saint-siège, était un imposteur : cela confondit les généraux d’étonnement ; on se

(O C’est au combat de Chàteau-Gontier qu’il avait été blessé mortellement.

(a) Probablement. Lquis-Joseph-Bénigno de la Haye de Saint-Hilaire, né te t r dé* ccmbre 17G6 au château de la Haye, paroisse do Saint-HUalrc-dos-Landes en Bretagne. Nommé en 1785 sous-lieutenant de remplacement dan* le régiment de Penthiévre-infanterie» U fut réformé en 1788. U aurait alors navigué. U rentra au régiment comme sous-lieutenant en pied en 179t. et donna peu apréssa démission. Il fit la correspondance entre les émigrés en Angleterre et l’armée vendéenne, et commanda ensuite une division en Bretagne. U mourut au château de la Haye le »8 Janvier « 836.

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décida cependant, avec beaucoup de prudence, à tenir la chose secrète î un scandale affreux en fût résulté dans toute l’armée. Comme l’évêque ne faisait plus rien du tout, c’était sans inconvénient, on n’en parla pas ; il s’aperçut de la manière froide dont on le traitait, et il resta dans une parfaite et profonde nullité. Le secret fut si bien gardé, que je l’appris seulement à Pontorson ; M. de Baugé me dit que l’abbé Guillot avait été reconnu à Dol pour y avoir été vicaire, avoir prêté puis rétracté le serment. Il me fit sentir combien il était important de taire toutes ces choses ; qu’on devait, si l’on prenait Granville, l’embarquer tout de suite et le faire disparaître,

Quoique l’évêque sût une partie de tout cela, il alla à Granville, chercha vainement à s’y faire tuer en s’exposant témérairement ; il parut toujours triste, mais calme, et ne se mêla de rien ; de cette manière on le laissa suivre l’armée ; peut-être même quelques personnes soupçonnaient-elles le curé de Saint-Laud d’avoir pu, par jalousie, cherché à le desservir. D’ailleurs il était bien inconcevable que cet homme fût un imposteur après avoir voulu signer la lettre écrite aux Princes, portée par le de Tinténiac, et en outre lui avoir donné une lettre pour M Ue " de Folleville, dont il se prétendait le frère. Cette aventure sefa & jamais un mystère. Enfin l’évêque, toujours nul, suivit l’armée jusqu’à Ancenis, s’y cacha, fut pris, guillotiné, et, dans les journaux du temps où son interrogatoire fut rapporté, il est dit à la fin : « Ainsi a péri cet homme également traître aux deux partis, et dont l’histoire paraît inconcevable. »

J’ai déjà, je crois, suffisamment établi que ce n’était point une invention des chefs de notre armée ; sa fin prouve aussi qu’il n’était point espion. À la vérité, sous le règne de Robespierre, on pouvait bien faire périr ceux dont on s’était servi, cela s’est vu souvent dans l’histoire, et par des gens moins scélérats que ce monstre ; cependant M. Guillot n’avait point assez d’esprit, ni de ruse, ni d’audace, pour jouer fin rôle pareil. Qu’était-il donc ?

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- 3iC «

Fou ? On le penserait assez, mais il avait plutôt un esprit borné et calme qu’exalté ; bien des gens l’ont cru, en effet, un peu fou, ou du moins persuadé que, par les services rendus à l’armée, il ferait excuser et légitimer son épiscopat. Mais ce calcul est si faux par lui-même, il l’a si mal soutenu, au bout de six semaines de séjour dans la Vendée il est devenu si plat, que cette hypothèse est tout aussi peu probable. Je le répète, l’évêque d’Agra sera toujours l’objet de conjectures vaines ; j’en ai parlé mille fois pendant la guerre et depuis à tous ceux des prêtres et des officiers que j’ai vus, aucun n’a pu éclaircir le fait. Ce que je rapporte est le résultat de nos conversations ; le tout est couvert d’un voile impénétrable : plus on cherche à le lever, plus il s’obscurcit.

Les soldats revinrent de Granville à Avranches ; il y eut là une espèce de révolte, au moins beaucoup d’attroupements, de propos séditieux. Ils demandaient à cor et à cri d’être ramenés dans leur pays, disaient qu’ils prendraient Angers quand même les murs seraient de fer. Plusieurs personnes voulaient aller en avant dans la Normandie ; je ne sais quel effet nous aurions produit alors, mais la volonté prononcée de l’armée, jointe à ce que les Anglais ne nous avaient pas secourus, fit décider de s’en retourner, à la grande satisfaction de tout le monde. La veille de notre départ, pour tromper l’ennemi sur notre marche, Henri fut, avec huit cents hommes, prendre Villedieu, sur le chemin de Caen ; il n’y avait pas de garnison. Les habitants, patriotes forcenés, se défendirent, les femmes attroupées jetaient des pierres aux assaillants. En vain Henri leur criait de se retirer, que ce n’était pas leur métier* de se battre ; comme on ne tirait pas sur elles, leur audace était plus grande. Les hommes prenaient déjà la fuite, elles continuaient toujours ; enfin Henri fit tirer un coup de canon et les mit en déroute. Comme la défense avait été si opiniâtre et faite par les seuls habitants, le pillage fut permis pour cette unique fois ; encore ne fit-on aucun mal au peu de gens restés qui mirent bas les armes,

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é l y — *

Le lendemain, 18 ou 19 novembre, nous partons pour Pontoraon ; nous avions coupé les ponts derrière nous en arrivant à Avranches, nous sommes obligés de les raccommoder. Nous trouvons des troupes à Pontorson, Henri les bat à plate couture ; 11 en fait un massacre énorme. Dans cette ville on ne voyait que morts, ma voiture passait dessus, il était nuit, nous sentions les secousses, et les roues cassaient les os de ces cadavres j ce bruit horrible ne me sortira jamais de la tête. Comme le combat était à peine üni, on n’avait pas eu le temps de ranger les cadavres ; quand je fus pour descendre de voiture, on fut obligé d’en retirer un, sans quoi je mettais le pied sur sa poitrine ; dans un seul pré, ù droite, il y en avait cent soixante. Le chevalier de Beauvollier, blessé, était alors dans ma voiture, ainsi que M. du Rivault, une femme de chambre de maman, ma pauvre petite fille, dont elle avait soin, et moi ; une partie de l’armée, encore à Avranches, arriva le lendemain matin.

Il se répandit le bruit que M. de Talmond et M. de Beauvollier l’aîné avaient voulu abandonner l’armée et s’embarquer secrètement pour Jersey ; voilà comme cela se passa : il est très sûr que, dans la nuit, ces deux messieurs, avec une dizaine de cavaliers et le curé de Saint-Laud, se rendirent sur le bord de la mer ; ils forent environ trois heures absents et revinrent assez vite, au moment d’être poursuivis par les hussards ; ils trouvèrent en arrivant M. Stofflet occupé à disposer de leurs chevaux ; il avait forcé la caisse de l’armée pour voir si elle était encore pleine, avait également ouvert et bouleversé tout ce qui était à ces messieurs, les croyant partis.

Ccia est singulier de la part de Stofflet : il avait toujours été partisan de M. de Talmond, surtout depuis Laval, l’accablait de respects pour deux raisons : d’abord il était bien aise de l’opposer à Henri pour le contre-balancer ; puis il trouvait M* de Talmond plus facile à gouverner. Il est étonnant, dis-je, que Stofflet se soit conduit ainsi à son égard ; du reste je ne l’ai jamais compris, mais

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c’est un fait* Cas messieurs reprirent leurs chevaux, leurs effets, se plaignirent hautement de cette injustice, racontèrent pour leur justification que] M m * de Cuissard, femme d’émigré, sa fille de Fay, aussi femme d’émigré, sa belle-sœur Sidonie (i) avaient voulu s’embarquer et avaient prié M. de Talmond, qui passait pour très occupé de ces dames, surtout de Sidonie, de leur en procurer les moyens* M. de Talmond avait fait marché avec un maître de barque, qui lui avait promis, à force d’argent, de les mener à Jersey ; en conséquence il les avait accompagnées au bord de l’eau, ayant prié plusieurs personnes de le suivre. La marée étant basse, le bateau n’avait pu s’approcher du rivage ; le matelot avait crié à ces dames de venir jusqu’à lui à cheval, qu’elles ne couraient aucun risque ; mais comme il y avait près d’un mille à faire dans l’eau, elles n’avaient jamais osé se déci» der. Le jour approchait, chacun était revenu à Avranches par crainte tant des hussards que des barques françaises, qui auraient pris le marin gagné et l’auraient immanquablement. fait périr.

Cette histoire me paraît naturelle ; d’ailleurs on ne trouva rien de dérangé dans la caisse de l’armée, et ces messieurs n’avaient pas même emporté leurs porte-manteaux (2) ; M. de Beauvollier l’aîné, que je connaissais beaucoup, me disait : « Je ne suis pas du tout l’ami de M. de Talmond, il m’a prié de le suivre, mais sûrement nous ne sommes pas assez bien ensemble pour faire le projet de nous en aller de compagnie. Ayant la caisse, je l’aurais au moins confiée à quelqu’un. » La raison la plus forte et sans réplique est que M. de Beauvollier adorait sa femme (3) et

(tj Auguste-Sidonic de Fay, baptisée À Salnt-Mscairc-du-Bois en Anjou le G novembre 1767, tille de Louis-Eléonor de Fay, chevalier, seigneur de la Maison-Neuve, et de Céieste-Marie de Bloncfti. Elle n’avait qu’un frère, Loutt-Joseph-Frcdérie, ne le 34 novembre 1758} c’est lui sans doute qui, rentrant d’émigration, fut tué à Saint-Suipice, en Vendée, io >3 mars 179G. M** de Fay fut noyée À Nantes.

(2) Cinq À six jours auparavant, tous les officiers de l’arméo avaient promis de ne point s’abandonner, quels que fussent tes événements. (Note du manuscrit.)

(3) Marie-Julie Rolland, née À Moncontour en Poitou, avait été arrêtée À Mont-Jean au mois d’octobre 1793, et enfermée au Calvaire À Angers ; elle avait qua-

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— 3 iy —

»a fille, elle étaient prisonnière» à Angers, il ne cessait de faire tousses efforts pour qu’on allât attaquer cette ville* était-ce dans le moment où on y retournait qu’il aurait quitté l’armée ? Enfin il y laissait deux frères, dont l’aîné, qu’il aimait h la folie, devait se marier avec sa fille ; ce jeune homme, blessé, était parti avec moi. pour Pontorson ; PeÛt-il abandonné aussi ? Ne l’eût-il pas au moins retenu pour l’emmener avec lui ? Comme il me le disait encore î « Que serais-je allé faire en Angleterre ? Mc déshonorer, arriver sans le sol, laisser en péril tout ce qui m’est cher ! » Ces raisons nie paraissent décisives. Toute cette histoire ne se disait qu’ù l’oreille, chacun en parlait tout bas ; bien 4es personnes continuèrent à accuser ces messieurs d’avoir voulu nous quitter, cela fit tenir beaucoup de propos pour et contre et laissa une impression défavorable ; cependant tout reprit son cours ordinaire, et M. Stofflet même fut plus que jamais l’adulateur du prince.

Je dirai à ce propos que la caisse était en partie composée de billets faits au nom du Roi Louis XVII et de l’armée catholique et royale, signés par mon père, M. de Talmond, Henri et autres. On en donnait à ceux qui en avaient besoin pour acheter dans les villes les choses nécessaires ; on forçait à’les prendre en payement, ils étaient certes aussi bons que les assignats, car la multiplicité de ceux-ci assurait bien que la République, même triomphante, ne les payerait jamais, comme cela est en effet arrivé.

Je veux raconter ici une bien petite chose, mais elle peut servir à convaincre qu’il existe des répugnances naturelles, indépendantes du courage, et point du tout imaginaires, comme bien des gens le prétendent. M. Jagault aîné (t) avait pris dans la chambre

rente ans. Interrogée le S pluviôse, «4 janvier, elle fut désignée pour un jugement public et marquée pour la guillotine. Maie après un nouvel interrogatoire subi le »5 pluviôse, elle Ait oubliée ou épargnée.

(t) Jean-Baptiste-Marie Jagault, né à Thouars le 34 avril procureur, puis avoué, officier municipal ; il resta au Mans après la déroute de l’armée vendéenne,

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d’un officier patriote un charmant petit animal qu’il m’apporta, je ne b&is pas son nom ; il était de la grosseur et de la forme d’un écureuil et avait toutes ses manières ; mais sa fourrure était aussi extraordinaire que belle. Son poil était long, bien fourni ; toute sa tête, son corps et sa queue étaient également rayés de blanc gris et de noir ; je n’ai jamais vu un plus joli petit animal, il était privé et prenait à manger dans la main. Je jouais avec lui depuis le matin, H y avait beaucoup de monde avec moi ; Henri vint me voir ; sitôt que je lui fis remarquer cette petite bête, il devint pâle et me dit qu’il pouvait bien convenir de l’horreur involontaire que lui faisaient les écureuils ; il en riait lui-même, mais cependant, pour se résoudre à lui passer la main sur le dos, il prit tant sur lui-même qu’il en était tremblant, Henri pourtant était connu pour le plus brave des hommes ; aussi avoua-t-il très simplement l’effet qü’il éprouvait, sans embarras comme sans jactance, car il avait autant de modestie et de simplicité que de courage.

À Pontorson, je vis par hasard trois Bleus qu’on menait fusiller, Maycnçats ou tondus ; le premier était un grenadier, il marchait à la mort d’une contenance si fière, que je ne l’oublierai jamais. Je cédai la chambre où j’avais couché à une famille très respectable, un père avec ses cinq fils, tous soldats paysans, Angevins ; un d’eux blessé était porté par ses frères ; je leur donnai aussi des bas de laine, nousen avions enlevé beaucoup aux Bleus. Tout ce qui était à la république ou aux volontaires était de bonne prise, et, si t’on s’emparait de quelque magasin, on en distribuait vite le contenu aux soldats. De cette manière je fus sans chambre ; au reste, comme l’armée devait se mettre en marche à minuit, nous couchions tous par terre avec beaucoup d’officiers, entre autres M, de Talmond ; il me dit qu’il partirait

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vers minuit, à la tête de l’avant-garde, Quand j’arrivai à une demi-lieue de Dol, sur les huit heures du matin, je le vis passer au grand trot ; je lui demandai d’où ilVcnait ; il me répondit en riant, qu’il était entré en route dans une métairie où il s’était endormi ; il avait oublié qu’il commandait l’avant-garde, et arrivait avec les bagages, II savait, il est vrai, ne pas trouver d’ennemis à Dol, et que la ville était abandonnée ; s’il eût cm le contraire, il se fût conduit différemment, car sa bravoure est connue ; mais enfin il pouvait y avoir quelque surprise, et il avait négligé son devoir,

Nous arrivons à Dol d’autant plus fatigués que nous avions manqué de vivres à Pontorson. J’étais dans une chambre au rez-de-chaussée, près de mon blessé, le chevalier de Beauvollier. Agathe entre en pleurant, me dit que, dans la cuisine & côté, il y a un jeune homme condamné & être fusillé et ne paraissant pas coupable ; elle me prie de le laisser entrer, je le permets. Il portait vingt ans, était petit et d’une figure très douce ; il se jeta à mes pieds et me conta ainsi son histoire : il s’appelait Montignac, on l’avait forcé de servir contre nous ; son bataillon était à Dinan, il avait trouvé le moyen de se rendre k Dol, où il espérait pouvoir nous rejoindre. À l’arrivée de l’avant-garde, il avait été forcé de fuir du côté de Dinan, avec deux ou trois gendarmes, poursuivis par des cavaliers ; il s’était rendu à celui qui était le plus avancé, se disant royaliste et demandant à servir parmi nous, II me dit que c’était un grand jeune homme en redingote bleue avec une ceinture noire et blanche, blessé & la main gauche et très bien monté ; je reconnus M, de la Rochejaquelein. Il ajouta que ce jeune homme, après l’avoir interrogé, l’avait recommandé à un cavalier, en lui ordonnant d’en avoir soin ; celui-ci l’avait amené & Dol. Le cavalier entra dans une maison, y prit sans payer du pain et du vin ; après ce repas, le jeune déserteur l’avait prié de le faire habiller, n’ayant qu’une veste et des culottes d’uniforme et point d’habit. Ils étaient allés chez-un

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tailleur, et, après être convenus du prix, le cavalier lui dit d’aller chercher du drap ; il entra seul dans une boutique, y trouva plusieurs de nos gens qui pillaient, il demanda de quoi se faire un habit ; les soldats lui dirent de prendre une pièce de drap, il sortit en remportant. Alors il rencontra un officier qui l’arrêta, car il était défendu de voler les particuliers, sous peine d’être fusillé. J’ai déjà dit qu’on ne pouvait prendre sans payer que des vivres, des armes, puis échanger son linge sale contre du blanc. On ne pouvait fusiller une trentaine de nos soldats qui pillaient ce marchand de drap, mais on voulait faire un exemple, et Montignac étant encore en habit de volontaire, l’officier le battit rudement, le conduisit à notre maison et fit son rapport. Mon père et d’autres le condamnèrent h mort i dans le fait, c’était juste, maiB d’un autre côté, ce jeune homme assurait avoir ignoré qu’il faisait mal et avoir suivi l’exemple des autres, croyant le pillage permis ; il avait de l’éducation et parlait bien.

Au moment où il achevait son récit, Agathe rentra en criant : «Madame, les Allemands viennent chercher le prisonnier» : c’étaient eux qui fusillaient ; Montignac se jeta encore à mes pieds, je résolus de le sauver, je lui dis de rester avec M. de Beau, voilier. Je traversai la cuisine, je montai l’escalier, j’entrai dans la chambre où étaient mon père et beaucoup de commandants ; il me demanda ce que je voulais, je n’osai pas m’expliquer et je dis que je venais prendre un verre d’eau ; je le bus, redescendis dans la cuisine, et, d’un ton de commandement, je dis aux Allemands, dont j’étais connue : « Retirez-vous, M. le chevalier

de Beauvollier est chargé du prisonnier. » Les Allemands m’ayant

vue sortir de la chambre où était mon père, crurent bien que je donnais cet ordre de sa part ; ils se retirèrent et j’en portai la nouvelle à Montignac. Alors j’envoyai chercher M. Allard, je lui remis ce jeune homme, lui contai son histoire et lui dis qu’il s’était rendu à M. de la Rochejaqueiein ; je le priai de lui parler de cette affaire et de le lui recommander de ma part.

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Je remontai ensuite et j’allai me coucher, sans avoir presque mangé de la journée*, nous manquions de nourriture î c’était l’époque de la disette générale de la France, causée par les Jacobins ; avec cela, les Bleus faisaient tout leur possible pour nous couper les vivres. Ce n’était pas dans notre armée comme dans les guerres ordinaires, où l’on a derrière soi des pays amis et des magasins. Nous ne pouvions avoir que ce que nous prenions ; on emmenait bien des bœufs, on emportait des farines, mais on allait toujours de l’avant, et quand nous arrivions, quatre-vingt mille à la fois, dans de petites villes, où il n’y avait pas assez de pain cuit pour tous, nous avions bien le temps de souffrir de la faim avant qu’on eût boulangé et couru la campagne pour y chercher du pain, J 'en manquais comme les autres, ou je distribuais ce que j’avais aux blessés et aux enfants ; je n’avais pas le courage de leur refuser. On a beau faire î quand il s’agit de manger, on ne saurait, malgré tous les soins, empêcher chacun de prendre ce qu’il peut. Il y a longtemps qu’on a dit : « Ventre affamé n’a point d’oreilles. » La plupart du temps les blessés, attendant que le pain fût cuit, demandaient de toutes leurs forces à manger et tâchaient d’attendrir chacun ; ils étaient & plaindre î comment leur refuser ? Nous avons donc tous souffert de la faim ; aussi chacun se jetait sur les tas de pommes à cidre, comme je l’ai déjà raconté, malgré la défense des officient ; cela occasionna des dyssenteries qui se sont répandues dans toute L’armée ; cette maladie» jointe aux pluies continuelles et au pain bouillant dont on se nourrissait, a fait périr beaucoup de monde et affaibli la santé de la plupart des soldats. Ce fut une des causes essentielles de notre perte.

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CHAPITRE XIX

DEPUIS NOTRE RETOUR À DOL

JUSQU’À LA LEVÉE DU SIÈGE D’ANGERS <i)

Nous voici arrivés à une des époques les plus fameuses, aux célèbres batailles de Dol. Cette ville est petite et ne consiste guère qu’en une large rue, qui va toujours en descendant du côté de Dinan ; en haut est un grand chemin partagé en deux branches, dont l’une mène à Pontorson et l’autre à Antrain et Fougères. Nos canons et caissons occupaient en file tout le milieu de la rue, surtout dans la partie haute de la ville, et allaient jusqu’aux premières maisons. Il était impossible d’avoir des sentinelles, principalement la nuit ; outre que tout le monde était accablé de fatigue, on ne pouvait y astreindre nos gens ; à la vérité, comme ils couchaient tout habillés, ils étaient bientôt sous les armes.

Vers les neuf heures du soir, des hussards en patrouille vin* rent jusqu’aux premiers canons ; aussitôt les cris : Aux armes I furent répétés mille fois. En un clin d’œil, les soldats sortirent en foule des maisons, les hussards s’enfuirent avec précipitation s cela me réveilla. Maman me dit qu’on avait soupé, et que je

<t) »o novembre-4 décembre.

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trouverais à manger dans un grand seau plein d’eau ; effectivement, on avait fait cuire des pommes de terre et des morceaux de mouton ensemble ; on s’était si fort pressé, qu’on y avait jeté par distraction une telle quantité de poivre, qu’on fut tout simplement laver le ragoût à la fontaine. Je péchai dans le seau avec mon couteau, tantôt du mouton, tantôt des patates, le tout sans pain ; tel fut mon souper, et souvent j’en aurais désiré un pareil,

Vers minuit les cris : Aux armes / recommencèrent ; les per* sonnes envoyées à la découverte, c’est-à-dire des officiers de bonne volonté, car il était difficile de décider nos gens à foire des patrouilles, et la moitié du temps l’infatigable M. Forestier les faisait seul, des personnes donc prévinrent que toute l’armée des Bleus arrivait sur deux colonnes, d’Antrain et de Pontorson, pour nous attaquer ; ils étaient plus de trente mille hommes. Il semble incroyable qu’ils aient pu faire le trajet aussi vite ; mais les patriotes mettaient en réquisition toutes les charrettes, sous menace d’incendier les villages ; ils se rassemblaient de toutes parts à notre poursuite, se relayant pour marcher les uns après les autres et dormant dans les charrettes.

Le combat commença à la tête de la ville, à l’endroit où les deux chemins se réunissent ; je n’ai jamais rien vu de plus beau et de plus effrayant : le bruit de la générale et les premiers coups de fusil s’entendirent en même temps. Comme on prévoyait une affaire terrible, les femmes montèrent & cheval ; nous étions rangées avec les hommes qui ne se battaient pas et les blessés, sur quatre ou cinq lignes près des maisons, des deux côtés de la rue ; nous avions aussi avec nous ceux qui suivaient l’armée à pied. Au milieu étaient les canons et caissons de rechange, et, des deux côtés, entre les femmes et les canons, se prolongeait la cavalerie, sabre à la main. Comme la rue est très large, tout était disposé avec ordre, et il y avait de la distance entre ces cinq files.

La cavalerie était restée là, pour plusieurs raisons ; d’abord

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le combat se passant dans le faubourg, elle ne pouvait donner ; en outre, peu nombreuse, elle était composée d’assez mauvais chevaux et de gens moins braves, excepté environ quatre cents hommes qu’on regardait comme des héros ; de plus, nos cavaliers ne sachant pas manœuvrer, ne pouvaient guère charger, mais seulement, dans la déroute, se battre corps h corps. Pour tous ces motifs notre cavalerie, en général, ne se présentait pas en ligne et ne se portait au combat qu’au moment où tes Bleus commençaient à plier ; l’ordre de la faire avancer était donc comme l’annonce de la victoire. Le plus grand silence régnait dans la ville, chacun était dans l’effroi et l’attente ; on entendait les cris des soldats, les coups de canon et de fusil et le bruit éclatant des obus dont les Bleus se servaient contre nous pour la première fois. Pour animer davantage les soldats, on fit partir vingt tambours du bas de la ville, qui la remontèrent et se rendirent au combat en battant la charge. Qu’on se figure cette position ï le morne silence des habitants, le bruit de la bataille, la vue du feu continuel et l’odeur de la poudre ! Rien ne peut être plus majestueux et plus terrible.

Au bout d’une demi-heure de cette cruelle attente, on entendit crier à la tête de la ville : En avant la cavalerie ! Vive le Roil Ce cri fut répété à l’instant avec enthousiasme par cent mille voix, hommes, femmes, enfants ; tous les cavaliers partirent au grand galop, en répétant avec ardeur : Vive le Roi ! Leurs sabres brillaient comme des éclairs, par la réflexion du feu du combat. Quel moment 1 L’espérance ranima tout le monde, les cris de : Vive le Roi ! 'se prolongèrent plus d’une demi-heure, et toutes les femmes rentrèrent dans les maisons. Un moment après, je vis arriver M. du Rivault, sabre à la main, me disant que les Bleus prenaient la fuite et qu’il était revenu, trouvant que c’était assez pour un blessé de les avoir vus reculer. Effectivement, il était encore fort malade, et c’était une grande imprudence de s’être laissé entraîner par son courage.

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Nous passâmes toute la nuit sans dormir, écoutant le feu, pour juger de l’éloignement des Bleus ; Us se ralliaient à chaque instant et disputaient le terrain pied à pied* Le matin, il y avait du brouillard, on nous disait que les Bleus avaient déjà reculé de deux lieues, cela était vrai ; tout à coup, un domestique de mon père arriva à la hâte et nous dit de sa part qu’il y avait déroute et de monter à cheval ; il avait ordre de ne le dire qu’à nous. Nous sautâmes à cheval ; j’avais un domestique très expéditif, il me mit sur ma selle en une seconde ; les portes de ia cour étaient ouvertes, je sortis, suivie de maman et de tout notre monde, sans trop savoir ce que je faisais ; mais dans l’instant, je fus enveloppée par une foule immense en fuite et descendant la ville. Je me trouvai au milieu de plus de quatre cents cavaliers, tous sabre à la main et criant : À la mort, les braves, à la mort ! cris affreux répétés par des voix lugubres et sans nombre. Je ne sais quelle idée ils avaient de crier comme cela, car c’était un triste cri de ralliement, plus capable de décourager que de toute autre chose, et en outre, tout en disant : À la mort ! ils s’enfuyaient.

Depuis la perte de M. de Lescure, une fièvre lente, causée par le chagrin et par la fatigue, me consumait ; j’étais excessivement changée, Je portais des habits de paysanne angevine, pour remplacer le deuil et aussi pour me sauver plus facilement ; je pensais que, si j’étais prise, je courrais moins de risques. Dès le passage de ta Loire, M. de Lescure m’avait engagée à me déguiser, je ne l’avais jamais voulu, décidée à périr avec lui ; je lui avais caché cette raison. Comme j’étais toujours enfermée dans une chambre ou dans la voiture, mon nouveau costume, joint au changement de ma figure, faisait que personne ne me reconnaissait. J’étais la seule femme à cheval au milieu de ces cavaliers, mon trouble et mes mauvais yeux m’empêchaient de les reconnaître ; j’aperçus dans la foule seulement un de nos domestiques, mais nous ne pûmes nous rejoindre. Un des

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hommes me dit : « Ah ! poltronne de femme, tu ne passeras pas ! » et il me menaça de son sabre ; je lui répondis : « Monsieur, je suis grosse et mourante, ayez pitié de moi. * Il reprit : « Pauvre malheureuse, que je vous plains 1 passez. » Beaucoup d’autres juraient après moi, mais ne m’arrêtaient pas.

Dans les déroutes, on perd si bien la tète, que les soldats, en s’enfuyant, trouvaient mauvais que les femmes fissent de même. J’arrivai au bas de la ville : M, de Perrault, blessé, était au pont, près des canons qu’il avait fait poster ; rendons*lui justice, ! ne quitta cet endroit que l’affaire terminée ; avec un sang froid et une bravoure admirables, il ne cessa d’exhorter les canonniers, et de tout disposer pour arrêter les Bleus par l’artillerie, s’ils prenaient la ville. À quelques pas de là était M. Duchesne de Denant (i), jeune homme de seize ans, aide de camp du prince de Talmond ; il criait à haute voix aux fuyards d’arrêter ; me voyant paraître, il ordonna sans me reconnaître : « Que les femmes s’arrêtent aussi, qu’elles empêchent les hommes de fuir. » J’obéis aussitôt et lui promis de rester auprès de lui, ce que je fis trois quarts d’heure ; pendant tout ce temps, il ne cessait de rallier les soldats, il les exhortait, les menaçait, les battait à coups de plat de sabre ; il faisait tout ce qui dépendait de lui avec une ardeur incroyable. Quelques-uns retournaient sur leurs pas, de ce nombre fut Montignac ; il était resté enfermé dans la chambre de M. Allard ; quand celui-ci vint chercher à la hâte ses armes pour aller se battre, Montignac lui dit : « Monsieur, que voulez-vous que je fasse ? » L’autre lui répondit : « Va te battre, » et s’en alla. Montignac était revenu à la maison, s’affligeant de n’avoir point d’arme, il me reconnut auprès de M. Duchesne ; il prit la bride de mon cheval en

(O Jacques-Joseph-Florent Duchesne de Denant, né au château de Denant, près Fontenay-lc-Cotmc, le 10 septembre 1777, breveté lieutenant-colonel sous la Restauration, chevalier de Saint-Louis, mort à la Wchonnièrc, prés Brîssnc, le 19 Janvier 18G8.

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s’écriant : «Vous ôtes ma libératrice» jo ne vous quitte plus» nous périrons ensemble, » Je ne me souciais pas de cette compagnie » n’étant pas encore sûre de son opinion ; je lui dis : « Si vous n’ôtes pas un traître, ce n’est pas près de moi que vous devez rester ; trop de nos soldats jettent leurs armes, prenez un fusil, et faites votre devoir. » L’instant d’après, je le vis avec d’autres, tenant un 1 fusil ; il l’éleva d’un air content, en passant près de moi. Ce jour môme, il tua deux cavaliers, prit leurs armes, leurs chevaux ; il se trouva dès lors dans notre cavalerie, tout équipé.

Tandis que j’étais avec M. Duchesne, qui ne me reconnaissait pas, on ne peut décrire la foule immense qui passait, de soldats, de malheureux blessés, de femmes ; remplis d’effroi, tous prenaient le chemin de Dinan, ils se répandaient dans les prairies ; maman avait suivi sans que je la visse ; un jeune enfant pris d’égarement» avait voulu l’arrêter et lui couper le col. M. de Marigny la fit passer ; elle se trouvait aussi perdue dans la foule, son cheval était extrêmement adroit, elle fut bientôt à la tête de la déroute. Quel fut son étonnement, en voyant un seul cavalier plus avancé qu’elle, de reconnaître M. StofHet qui, hors de lui, était le premier des fuyards ! Elle lui témoigne sa surprise, car sa bravoure était connue ; il parut fort honteux de se trouver là, et retourna sur ses pas avec elle. On vint me dire que maman était en avant, je quittai M. Duchesne et cherchai à percer la foule pour la retrouver ; j’eus beaucoup de peine, à cause de la grande quantité de monde et du nombre des blessés qui, poussés par la crainte, avaient fait l’effort de se traîner jusque-là et étaient étendus par terre.

Les commandants, les prêtres, les femmes qui, ce jour-là, firent des merveilles, ralliaient les soldats, les battaient, désarmaient ceux qui ne voulaient pas retourner, les exhortaient, leur représentaient que Dinan était notre seul asile, ou que nous étions acculés à la mer ; que cette ville était fortifiée, défendue

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par des troupes, que notre perte était certaine ; qu’il fallait, au lieu de continuer à fuir, tâcher de rétablir le combat, d’autant plus que les Bleus avaient été battus toute la nuit. Presque toute l’armée se répandit dans les prés ou sur le grand chemin : on était là arrêté, mais plein d’une terreur panique ; les uns disaient que les Bleus étaient déjà à la tête de la ville, d’autres assuraient qu’ils étaient encore loin ; enfin, après plus de deux heures, on commença à crier î Silence, écoute * le canon. Le tumulte cessa, et nous écoutâmes avec attention. Il parut que le feu était éloigné, cela redonna du courage ; on remarqua aussi que M, de la Rochejaquelcin n’était pas revenu du combat, on se mit à répéter qu’il tenait ferme devant les Bleus. Abandonnerez-vous votre général ? disait-on ; tous crièrent : Vive le Roi ! Vive M, de la Rochejaquel ei n / et l’espérance rentra dans les coeurs. Alors beaucoup de soldats commencèrent à retourner ; quelques-uns, mais en petit nombre, l’avaient déjà fait, Bu reste, dans la ville et sur le chemin d’Antrain, il y avait aussi nombre d’hommes que ralliaient les commandants ; mon père, entre autres, était en avant et barra aux fuyards la route d’Antrain. Les officiers avaient enfin arrêté en partie la déroute : de ce nombre étaient MM. d’Autichamp, Stofiflct, de Marigny ; celui-ci, le sabre à la main, avec l’air d’Herculc, haranguait les soldats dont beaucoup le suivaient, et sûrement ces messieurs firent grand bien, en agissant ainsi ; cependant, on trouva qu’ils auraient mieux fait de ne pas aller si loin à la recherche de leurs hommes. On dit que de Bonchamps rallia dans la ville et mena sur le chemin du combat des soldats de l’armée de son mari. Ce que j’ai vu, c’est une femme de chambre de M me de la Chevailerie (i), pleine d’ardeur, prendre au galop, un fusil à la main, le chemin de la ville, en criant : « En avant ; au feu, les Poitevines 1 » Quoique

(i) Marie-Geneviève Jouhaut 4 e» Touche» de Fougère, nco en 1758, avait épousé en 1776 René-Gérard Hunault de la Chevailerie, né en 1754. qui mourut en 1817, Elle suivait l’armée.

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je ne sois pas brave, mon premier mouvement fut de pousser mon cheval ; mais fêtais si malade, que, ne me sentant nulle force, je restai sur place, pouvant à peine me soutenir. Pendant ce temps, j’étajs toujours à peu près seule, c’est-à-dire sans personne des miens ; j’en voyais une partie et ne pouvais aller à eux ; je n’osais remuer, de peur de faire reprendre la fuite ; on criait partout de s’arrêter, et il fallait ou retourner, ou demeurer immobile.

On a toujours dit en France que les prêtres fanatisaient l’armée : cela n’est pas, U est néanmoins sûr qu’ils cherchèrent à soutenir le parti, une fois entrepris ; mais il n’est point vrai qu’ils menassent nos gens au combat, le crucifix à la main ; beaucoup de soldats seulement, d’eux-mêmes, en route disaient le chapelet et se le répondaient ; on en voyait sans cesse en file, chapeau à la main, marchant de cette manière. À Do ! seulement, j’ai vu un prêtre fanatiser l’armée, comme disaient les républicains ; et, si on réfléchit que nous n’avions pour asile que la mer ou Dinan plein de Bleus, que nous périssions tous par conséquent, en cas de déroute, on conviendra (et même les plus grands patriotes) que c’était à la fois un acte d’humanité et de religion, dans un moment si désespéré.

Lors donc qu’on était parvenu à faire un peu de silence, pour écouter le canon, et qu’on commençait à être rassuré par son éloignement, un prêtre, curé de Sainte-Marie-dea-Mines, ou bien de Saint-Martin, dans l’îlc de Ré (i), monta sur un tertre à côté de moi ; il éleva un grand crucifix. C’était un homme d’environ quarante ans, il avait une voix de stentor, il fit un discours énergique aux soldats, parlant k la fois en prêtre et en militaire, leur représenta qu’eux, leurs femmes, leurs enfants, périraient infailliblement, si l’on ne courait au combat, au lieu qu’on pouvait espérer se sauver, en le rétablissant ; il leur cria :

(0 C’ctalt Je euro de Saint*Martir» de l’îlo de Ré, (Note du manuscrit.) L’abbé Dousein, curé do Sainte-Marie de Rc.

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« Mes enfants, je marcherai à votre tête avec la croix ; que ceux qui veulent se battre se mettent à genoux, je vais donner l’absolution aux braves ; s’ils tombent, ils iront en paradis, mais pour les poltrons, qui abandonnent leur Dieu, leur famille, point d’absolution, ils mourront également, ils iront en enfer. » Plus de deux mille hommes se mirent ù genoux avec enthousiasme, l’absolution fut donnée A haute voix, les soldats se relevèrent en s’écriant : à Allons en paradis, Vive le Roi I » Ils partirent pleins d’ardeur, le prêtre à leur tête, qui ne cessait de les exhorter.

Nous restâmes encore tous pêle-mêle dans les prés, plus de deux heures ; on apportait à chaque instant de bonnes nouvelles du combat, mais la terreur avait été si grande, que les femmes et les blessés n’osaient rentrer dans la ville ; enfin, on fut assuré que M. de la Rochejaquelein était vainqueur. Tout le monde regagna Dot ; les rues étaient pleines de gens qui revenaient, les uns de la déroute, les autres de la victoire ; on ne voyait que personnes s’embrassant et se félicitant ; les officiers complimentaient les femmes d’avoir contribué puissamment & arrêter la fuite. Le curé de Saint-Martin, toujours la croix À la main, précédait une troupe nombreuse ; il chantait je Vexilla Regis, tous se mettaient À genoux sur le chemin de la procession. Du reste, il n'&lla pas à plus d’une lieue, la bataille était gagnée, il rencontra nos soldats victorieux, et tous rentrèrent dans la ville.

Il est temps d’expliquer cette singulière déroute et les circonstances d’une lutte où le prince de Talmond se couvrit de gloire et sauva Henri et l’armée. Le combat commença, je l’ai dit, vers minuit, contre les forces réunies des patriotes venus de Pontorson et d’Antrain. Nos soldats se battirent avec fureur ; au bout d’une heure, les Bleus reculaient, disputant le terrain pied À pied ; toute la nuit, la rage transporta les deux partis, au point qu’on vit les soldats se colleter et se déchirer avec les mains. La mêlée était si forte, que, des deux côtés, on prit des

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cartouches aux mêmes caissons ; enfin, dans un moment où la nuit était très obscure, plusieurs de nos soldats se trouvèrent si avancés, que les canonniers républicain» leur dirent, les prenant pour des Bleus : « Camarades, rangez-vous, pour nous laisser 1 faire notre décharge. » À la lueur du canon, les nôtres reconnurent les patriotes, ils en massacrèrent beaucoup sur les pièces ; les ennemis prirent la déroute par les deux chemins, et, sur les sept heures du matin, ils étaient à environ deux lieues et demie de Dol. Henri suivit ceux de Pontorson ; quand il les eut mis en pleine défaite, il prit la traverse pour rejoindre les combattants, vers le chemin d’Antrain, où 11 entendait encore un feu très animé. Il avait avec lui peu de cavaliers, de ce nombre MM. des Essarts’et Allard, le reste poursuivait sur Pontorson. Quelle fut sa douleur, en approchant, de ne voir que des fuyards, dans le moment où la victoire paraissait certaine I 11 avança toujours, et son premier mouvement fut de se faire tuer, croyant tout perdu ; il se mit en avant, entre les deux troupes, et y resta plusieurs minutes, attendant la mort ; M. Allard le supplia de ne pas se sacrifier ainsi. Enfin, il trouva le prince de Talmond, soutenant le combat avec huit cents hommes, et c’est en cela que M. de Talmond se conduisit si bien, car, s’il n’avait pas tenu ferme, avec intrépidité, tout était perdu ce jour-là.

Voici, paraît-il, ce qui avait causé la panique : la poudre manquait, on envoya des cavaliers en chercher ; un brouillard épais empêchant de distinguer, les soldats les prirent pour des ennemis. La peur les saisit, quelques officiers partagèrent cette crainte et reculèrent, mais la plupart se mirent à courir pour arrêter les fuyards ; les huit cents hommes [ou plutôt quinze cents] qui étaient en tête, les plus braves par conséquent, ne s’aperçurent point de la débandade, à cause du brouillard ; M. de Talmond se conduisit en héros et resta, je crois, le seul à peu près à les corn* mander. Henri, une fois arrivé, soutint la lutte avec lui, résolu à vaincre ou à périr ; des soldats revinrent les joindre. Les Bleus

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avaient’vraiment perdu la bataille et reculé de deux ou trois lieues ; le brouillard les empêchant de voir notre armée en faite, et les huit cents hommes continuant à résister, ils prirent le parti de se retirer ; le désordre de l’armée ne permit pas de les poursuivre plus loin. Je ne veux pas oublier que M. de la Marson* nière resta toujours près de M. de Talmond, servant seul une pièce abandonnée par les canonniers.

Nous perdîmes, ù cette affaire, plusieurs officiers qui prirent la fuite et ne revinrent pas, entre autres le brave Relier ; tout le, monde en fut étonné, tant il est vrai qu’une terreur panique entraîne parfois ceux sur qui l’on compte le plus. C’était un officier très courageux et très estimé ; il a péri misérablement, treize mois après, à son retour de Paris, où il avait été caché ; il voulut se joindre aux Chouans, qui le fusillèrent, le prenant pour un espion. M. Putod s’en fut aussi (1), C’était un médecin de Fougères qui nous y avait rejoints ; il avait été officier de la garde constitutionnelle du Roi, et s’était rendu célèbre à Paris par la quantité de Jacobins qu’il avait tués en duel en 179a. On lui avait donné le commandement des Bretons des environs de Fougères, marchant avec nous ; on le regardait comme une bonne acquisition ; il se battit bien à Granville et à Pontorson ; il était armé jusqu’aux dents, chargé de pistolets, et parlait beaucoup de sa valeur ; c’est que les duellistes et les fanfarons sont presque toujours de faux braves. Il fat, dans la suite, pris et guillotiné à Rennes. M. le chevalier de Baillehache, Nantais, officier de l’armée de Charette, disparut, ainsi que M. Paillou et beaucoup d’autres ; je n’ai jamais su ce qu’ils étaient devenus. Quant au poltron M. ***, il trouva le moyen de passer en Angleterre, où il a été, dit-on, généralement méprisé.

T ^ AI ^ n 1 r ^ Hy ^ ftthe * Dé » iré né * Besançon en i 7 53, ancien

capitaine dans la cava cric de la garde constitutionnelle du Roi ? fut pris par les

Bleus, condamné par la commission révolutionnaire À Rennes et exécuté to* frimaire an II, sa novembre 1793, 8

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À cette époque, j’avais grande envie de m’y réfugier ; je pris plusieurs informations, mais d’après toutes, je ne pouvais espérer traverser qu’en restant cachée quelques jours dans la campagne ; je n’osai jamais m’y décider. Je ne connaissais pas assez les gens à qui je parlais, pour m’y confier ; j’avais l’espoir qu’on prendrait Angers et que nous retournerions dans notre pays ; d’ailleurs, les Bleus massacraient impitoyablement les femmes et les enfants de notre armée ; je pris donc le parti de renoncer à ce projet.

Après la bataille, la nuit fut tranquille, mais nous sûmes bientôt que les deux armées républicaines, repoussées et non complètement battues, qui, peut-être d’ailleurs, avaient appris notre panique de la veille, revenaient nous attaquer. Le combat commença vers dix heures du matin et dura plus de quinze heures ; la ville resta dans le plus grand calme et sans la moindre alarme ; on envoya des patrouilles nombreuses du côté de Dinan, d’où les Bleus, apparemment peu forts, ne firent aucune sortie. Nous eûmes la faiblesse ou la prudence, maman, moi et cinq femmes, de sortir de la ville & cheval de ce côté ; nous trouvâmes le chevalier de Concize qui en faisait autant que nous ; M. de Saint-Hilaire, au contraire, revenait de patrouille avec de la cavalerie, il apportait beaucoup de pain, qu’il donna aux blessés. J’ai dit que le combat dura quinze heures, ainsi on doit juger de son oplni&treté ; on poursuivit les Bleus sur les deux routes au delà d’Antrain et de Pontorson ; ils se ralliaient à chaque instant, on en tua énormément, surtout dans Antrain ; les rues en étaient encombrées ; il en périt tant, que le reste se dissipa, et de longtemps ils n’osèrent, plus nous attaquer.

Nous perdîmes à ce combat un de nos meilleurs officiers, le brave M. de Hargues, par un accident cruel, à deux lieues et demie de Dol, sur le chemin de Pontorson ; il voulut, dans un moment où M. de la Rochejaquelein était de ce côté, charger la cavalerie ennemie alors ralliée ; j’ai déjà dit que la nôtre n’était

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pas très bonne, elle abandonna son chef ; il se trouva, lui septième, près des Bleus, Il avait un cheval fougueux qui le mena fort en avant et s’abattit des quatre jambes au milieu des hussards ; il »c trouva dessous ; eux alors se précipitèrent sur lui, le lièrent, rattachèrent derrière un des leur». Ainsi fut pris ce vaillant officier, un des hommes les plus forts de l’armée, sans être blessé et sans pouvoir se défendre.

M. de La Roche-Saint- André (1) éprouva le môme accident auprès de M. de la Rochejaquelein, qui fît tout son possible pour le sauver, mais, entouré par les hussards, il fut obligé de l’abandonner, son cheval ayant reçu un coup de sabre. Il revint chercher la cavalerie, se mit & charger et parvint à reprendre M. de La Roche-Saint-André, qui avait reçu plus de douze blessures à la tête ; il en mourut, m’a-t-on dit. Hénri battit les cavaliers ennemis et les poursuivit jusqu’au delà de Pontorson, pour tâcher de reprendre M. de Hargucs ; mais, voyant à sa ceinture blanche, que c’était un de nos généraux, on l’avait fait enlever au galop par douze hussards ; sur le champ il fut conduit à Rennes et guillotiné ; il sut mourir avec le plus grand courage, il criait encore î Vtvele JRoif quand le couteau tomba sur lui.

La cavalerie battue, Henri retourna du côtéd’Antrain, achever la déroute des Bleus ; les femmes, les bagages et tout ce qui était resté à Dol, rejoignit le lendemain ; les rues étaient si encombrées de morts, qu’il fallait sauter par dessus, pour passer : c’était un spectacle horrible, le sang coulait partout. On mourait de faim à Antrain ; pour moi je vécus d’oignons, que j’allais arracher dans

0) Augustin-Joseph de U Roche-Salnt-Andre, ne & Nantes le 6 novembre 17SG chevalier de Malte, page de la petite écurie en 1771, sous* lieutenant à la suite du régiment de Bourgogne-cavalerie en 1774, démissionnaire en 1779 lors de son mamgo avec Ursule-Suzannc-Véronique de Régnon. Blessé & Dol le 30 novembre Ï793, il mourut dans la paroisse de Coulans.dans le Maine.— Son frère aîné, Louis* Marie, marquis de La Roche-Saint-André, né le »3 mars 1751, au château de la Salle, près Machecoul, était en 1766 sous-lieutenant à la suite du régiment du Rot* infanterie, et en 1769 dans Royal-étranger-cavalerie ; il se retire en 177*. Il avait épousé, en 1789, M-* Brigard du Martray, née de Cargouct, et habitait les Planches, prés la Gamache. Il périt à Suvenay, le a 3 décembre 1793.

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un jardin. De là, nous allons à Fougères, où nous entrons sans résistance ; nous y restons un jour franc, et l’après-midi on chante un Te Deum dans l’église, pour remercier Dieu des victoires signalées de Dol : c’était aussi touchant que possible dans notre cruelle position. De Fougères, nous repassons à Ernée, nous séjournons deux jours à Laval, de là à Sablé, puis à la Flèche, sans trouver d’autres obstacles, sur notre chemin, que des abatis d’arbres auxquels on avait mis le feu, particulièrement du côté de Laval ; mais personne ne défendait ces espèces de retranchements et ne s’opposait à nous ; les Bleus étaient consternés de leurs défaites et s’étaient enfermés dans Angers, fortifié à la hâte, et dont ils avaient terrassé les murs.

Nous eûmes la douleur de trouver, dans toutes les villes, des traces encore fumantes du passage des républicains ; tous nos blessés, les femmes, les enfants restés derrière, les habitants mêmes du pays, qui avaient paru témoigner quelque joie de notre arrivée, avaient été massacrés. Nous ne voyions plus que la mort autour de nous ; ces barbaries donnaient une horreur secrète, qui tenait du désespoir.

Nous couchons dans les maisons ou dehors, pêle-mêle, à deux lieues d’Angers. On nous fait entrer dans une chambre dont s’étaient emparés quatre jeunes officiers, ils nous la cèdent et veulent se retirer ; comme il pleuvait à verse, nous leur disons de rester à se chauffer, car ils n’avaient pas trouvé d’abri. Ils étaient fort gais, malgré notre affreuse position ; l’un d’eux nous dit : « Je m’appelle de Boispréau, j’ai vingt ans, je suis de Paris ; je me suis engagé dans les hussards, exprès pour passer aux royalistes ; le régiment partait pour marcher contre eux, on me fit brigadier ; à peine arrivés à Saumur, nous fûmes avec l’armée à Doué. On se mit en bataille, on disait qu’on allait être attaqué. Les hussards furent placés en avant, sur les flancs ; je ne voyais ni n’entendais aucun ennemi, je demandai comment on pouvait croire les brigands Vendéens si proches ; on me répondit : «c Ils

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nous entourent, ils sont derrière les haies, dans les chemins creux, et prêts h noua attaquer ; fixez attentivement cette haie si près de nous, vous vous apercevrez qu’il y a quelques mouvements dans les branches ; ch bien, derrière, il y a des brigands, » Je me mis à faire des rodomontades, j’agitais mon sabre et je disais que je voulais tous les tuer, je m’avançais insensiblement ; quand j’eus franchi la moitié de l’intervalle, je mis mon bonnet au bout de mon sabre, en criant : Vive le Roi ! Je traversai in -haie, et derrière je trouvai une centaine de paysans.

« Le combat commença aussitôt ; sur leur invitation, je mis mon habit à l’envers, c’était l’usage imposé aux déserteurs, et me battis, je tuai deux hussards ; la bataille fut gagnée. J’avais été fort étonné de l’équipement des hommes avec lesquels j’étais, de leur ignorance de toute chose militaire ; je me figurais que je n’avais autour de moi que des éclaireurs, des enfants perdus, Après le combat, je fis mille questions :

« Quel est votre général en chef ?— Il n’y en a pas. — Quel est le major général ? — Il n’y en a pas. — Combien de régiments ? — Il n’y en a pas. — Mais vous avez des colonels ? -Il n’y en a pas. — Qui donne le mot d’ordre ? — On n’en donne pas. — Qui fait les patrouilles ? — On n’en fait pas. -Qui monte la garde ? — Personne. — Quel est l’uniforme ? -Il n’y en a pas. — Où sont les ambulances ? — Il n’y en a pas. — Où sont les magasins de vivres ? — Il n’y en a pas, — Où fait-on la poudre ? — On n’en fait pas. — D’où la tire-t-on ? -On la prend aux Bleus. — Quelle est la paye ? — Il n’y en a

pas. — Qui vous fournit les armes ? — Nous les prenons aux Bleus…

« J’allais d’étonnement en étonnement et je me disais : il n’y a rien ici de ce qui constitue une armée, mais je ne puis douter que nous venons de bien rosser les républicains, qui l’avaient été hier à Vihiers. Toutes ces merveilles me confondaient. Dès le lendemain nous les battîmes à Montreuil, puis à Saumur, A pré*

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sent, je me suis accoutumé à cette façon de faire la guerre. » II disait tout cela de la manière la plus comique ; le sur lendemain il fut tué.

Le 3 décembre nous arrivons & Angers de bonne heure ; le combat venait de commencer, mais les Bleus se gardaient bien de sortir de la ville : s’il» l’avaient tenté, ils auraient été taillés en pièces ; au lieu de cela, ils restent barricadés, tirant de tous les côtés. Ils nous tuent des hommes, sans que nous puissions les atteindre ; on s’efforce seulement de faire brèche aux murs avec les canons. On n’avait jamais pu décider nos soldats à essayer un assaut. Chose incroyable, ces gens demandaient à grands cris depuis Granville, l’attaque d’Angers, pour rentrer dans leur pays ; ils avaient forcé les généraux & suivre cette route ; tout le chemin, ils ne parlaient que de prendre Angers, les murs fussent-ils de fer ; maintenant ils ne voulaient plus attaquer, malgré tous les efforts des officiers.

Dans cette occasion, l’artillerie se conduisit bien, la cavalerie mit pied à terre pour combattre. Qu’on se figure notre position : nous arrivons, tous comptant sur une pleine réussite ; alors on s’aperçoit que les soldats ne veulent pas donner l’assaut et on est obligé de battre en brèche : tous les bagages restent dans le chemin, k un quart de lieue de la ville au plus, et même une partie à portée du canon. Sans vivres, sans rien, presque toutes les personnes qui ne se battaient pas cherchent des asiles dans les faubourgs et les maisons des environs ; les patriotes en avaient fait sortir tous les habitants, sous peine d’être fusillés, et on n’avait laissé absolument que les murailles ; tout était démeublé (i). Nous portons de la paille dans une grande chambre ; accablés de lassitude, nous dormons dessus pendant neuf heures, maman et moi, au bruit du canon ; la pièce était remplie des personnes qui avaient pu y entrer pêle-mêle.

(i) Los patriotes avaient même brûlé le faubourg de Bressigny, le plus considérable d’Angers, (Note du manuscrit,)

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Le lendemain matin, je montai à cheval toute seule. Au désespoir de voir que les soldats ne voulaient pas marcher, on imagina de faire publier au son du tambour qu’on permettrait le pillage ; cette promesse, inouïe pour les Vendéens, non seulement ne les encouragea pas, mais scandalisa la plupart ; ils disaient que Dieu punirait d’une telle horreur. Quelle preuve plus touchante de la moralité et des vertus qui régnaient encore à l’armée, malgré sa terrible position et les cruautés des Bleus ! Rien ne pouvait déterminer les soldats, quoique beaucoup de personnes, qui ne combattaient pas ordinairement, fussent dans la mêlée ; nous y eûmes des domestiques blessés légèrement.

J’étais si hors de moi, que sans rien dire je voulais aller au feu ; je trouvai sur le chemin le chevalier des Essarts, blessé au pied ; il me dit que le canon ayant fait une petite brèche, lui, MM. de la Rochejaquelein, Forestier, Rinchs et de Boispréau s’y étaient jetés ; ces deux derniers avaient été tués, lui blessé, les deux autres s’étaient sauvés avec peine, personne n’ayant osé les suivre. Je m’avançai davantage ; mon père, qui se trouvait plus en avant, m’aperçut de loin, me cria de m’en retourner, je m’arrêtai indécise ; alors il m’envoya un cavalier, qui prit mon cheval par la bride et me fit revenir sur mes pas ; il faut être franche, je n’en fus pas fâchée. J’allai chercher maman ; il y avait deux cents pas au plus de sa maison au grand chemin ; à peine j’arrivais, le postillon de la voiture où était ma tante l’abbesse, qui avait eu la fantaisie de rentrer avec sa femme de chambre, ma fille et sa bonne, vint en courant nous crier : « Nous sommes attaques par derrière, sauve qui peut ! J’ai coupé les traits des chevaux. — Que sont devenues ma tante, ma fille ? — Je ne le sais pas, elles sont descendues de voiture. » Comme j’étais encore à cheval, je pris le galop, je trouvai à dix pas mon enfant, dans les bras de sa bonne qui se rendait à la maison pour prendre un cheval. Je lui demandai où était ma tante, elle ne

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Al TOGKAPHK

hk

Henri de La Rochejaquelein

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put me le dire ; l’arrivai à la route, nos voitures étaient entre Ica combattants et les bagages, en face du petit chemin de notre maison, séparée des autres et plus rapprochée, Je vis le flot des gens, des bagages, arriver des derniers rangs de l’armée ; mais quand je fus aux carrosses, il n’y avait encore personne à plus de deux cents pas tout autour ; cependant je ne trouvai pas ma pauvre tante, les voitures étaient dételées ; bientôt la foule approcha et s’arrêta, car les boulets d’Angers nous atteignaient. Je vis passer M, Forestier se rendant à l’arrière-garde ; il me dit avec un sang-froid que je n’oublierai jamais : « La cavalerie va vous défendre sur les derrières, par malheur les soldats ne veulent pas donner l’assaut à Angers. » Il avait sa redingote et son chapeau percés de balles : ce L’une, me cria-t-11, est celle qui a tué Boispréau ; une autre, Rinchs. »

Peu d’instants après passèrent beaucoup de cavaliers ; ils battirent les hussards et chasseurs venus avec de l’artillerie volante. À ce combat fut blessé au bras, d’un coup de sabre, et pris, M. Richard, ce brave qui avait déjà eu l’œil crevé ; te général de la cavalerie des Bleus, Marigny (i), fut si charmé de son courage, qu’il le renvoya sur-le-champ, à la vérité sans armes et à pied. Le soir même M. de la Rochejaquelein rendit deux dragons tout équipés, qu’on venait de prendre ; il fît dire à Marigny qu’il le remerciait, que s’il avait eu plus de prisonniers, il les eût renvoyés tous ; qu’il eût bien donné cent hommes pour M. Richard, et que, si les patriotes voulaient, on échangerait dorénavant dix Bleus contre un de nos gens. Nous avons su depuis que ce général avait été tué à cette affaire ; nous en étions fâchés, ce fut le seul qui parut vouloir agir loyalement contre nous ; aucun autre n’a jamais mis en liberté un prisonnier, on

(i) Jean-Fortune Bouin de Marigny, né À Clifttelierault le 6 mai 1766, AU d’un co «ciller du Rot, président à l’élection de Chàtcllcrault. Élève pensionnaire A l’École militaire de Vendôme, sous-lieutenant de cavalerie en 1788, capitaine en 179s, générai de In République en octobre 179 ?, Il fut tué le 5 décembre, dans ce combat, près de Pellouailles.

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les massacrait tous impitoyablement) sans vouloir entendre à aucune espèce d’échange.

On annonça peu après que nous allions abandonner Angers, les soldats ne voulaient absolument pas se battre, nous n’avions pas de vivres. On se retira sur les quatre heures du soir, aucun Bleu n’osa sortir des murs pour nous poursuivre. Pendant les préparatifs du départ, comme nous croyions laisser nos voitures, ce qui ne fut cependant pas, je voulus prendre quelque chose dans la mienne ; un boulet et un biscaïen passèrent & un pied tout au plus, pendant que j’y étais, aussi je n’y demeurai qu’un instant. Nous avions cherché ma tante pendant plus de six heures, nous en informant auprès de tout le monde, mais inutilement. Mon père, resté jusque-là au combat, vient nous rejoindre} quand il apprend sa disparition, il est désespéré ; il la fait demander dans toutes les maisons des environs, par plus de cinquante personnes ; lui-même les visite toutes. Nous restons jusqu’à la nuit à la chercher ; nous n’avons jamais conçu comment nous l’avions perdue, il faut certainement qu’elle se soit cachée à dessein. D’abord, pendant six heures, clic eut bien le temps de retrouver les voitures ; puis, elle marchait très lentement à cause de son grand âge, et sûrement nous avons visité tous les endroits où elle pouvait être, appelant à haute voix sa femme de chambre, car ma tante était fort sourde. Il faut qu’elles aient cru être mieux en se cachant, beaucoup de personnes effrayées firent de même. Nous étions tous au désespoir de sa perte, maman était inconsolable, elle laissa depuis sur la route de l’argent à des personnes qui lui promettaient de le lui faire passer et de tâcher de la sauver, si elle était prise ; du reste elle n’en manquait pas, car maman lui en avait toujours fait porter sur elle, et beaucoup, en cas de séparation imprévue.

J’arrivai à deux lieues d’Angers, où nous devions coucher ; j’étais presque évanouie de froid sur mon cheval ; les soldats étaient à plein chemin, nous avions peine à nous garantir des

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baïonnettes dans les yeux. Nous n’avions plus d’espoir de salut, le découragement était dans l’armée, la dyssenterie attaquait tout le monde ; plus de possibilité de rentrer dans le pays ; nous étions venus à Angers uniquement pour cela, les soldats n’avalent pas voulu s’y battre ; où aller ? Tout le monde était hurassé de fatigue, on ne savait que devenir ; U n’y avait nul plan & faire pour l’armée. Ajoutez à cela les cris des gens blessés à mort qu’on était forcé d’abandonner, la faim, le froid, et on jugera de notre position : elle devint tous les jours plus cruelle. Nous étions couchées, maman et moi, sur un matelas, dans une chambre remplie de monde ; presque toute l’armée resta dehors.

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CHAPITRE XX

DEPUIS LA LEVEE DU SIEGE D’ANGERS VERS LE DECEMBRE

JUSQU’À NOTRE TROISIÈME ENTREE À LAVAL (Q

D ‘Angers nous allons à Baugé. M. de Royrand meurt en route des suites de sa blessure. Nous entrons à Baugé sans résistance} le jour même ou le lendemain, nous sommes attaqués par les troupes légères avec l’artillerie volante, qui s’était postée dans un petit bois, au bout d’une plaine qui entoure la ville. De mes fenêtres, au second étage, on assiste au combat, et de si près, que les boulets de toute volée tombent dans le jardin de notre maison ; c’est un spectacle curieux, de voir courir nos soldats en foule, traversant la plaine à toutes jambes, pour attaquer les Bleus ; ceux-ci prennent bien vite la fuite et sont poursuivis deux lieues, sur la route d’Angers, jusqu’à un très beau château dont j’ignore le nom. Nos gens ayant appris qu’il avait été acheté révolutionnairement par le commandant de la garde nationale de Nantes, y mettent le

<0 4 décembre-ï3 décembre.

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feu (i), dans l’animation du combat ; c’est la seule fois que les Vendéens aient commis un tel désordre. Nous n’avions perdu personne à cette légère escarmouche ; nous eûmes à regretter seulement M. Roucher (a), très brave homme, commandant de la paroisse du Pin, près Bressuirc, qui se blessa lui-même en tirant sur les Bleus, son fusil ayant éclaté ; il a continué à suivre l’armée ; depuis la bataille de Savenay, on n’a plus entendu parler de lui, il a sûrement été* massacré ; il n’avait aucun os cassé, mais absolument toute la chair de la main déchiquetée, c’était une chose horrible & voir*

On tint conseil sur le parti que nous avions à prendre, et certes, rien n’était plus embarrassant. Le chevalier des Essarts se battait avec une très grande valeur et avait de l’esprit ; mais croirait-on qu’il s’était persuadé être un Turenne ? Il s’entêta longtemps ô soutenir qu’il fallait aller sur la levée, entre Saumur et Angers, la couper, laisser couler la Loire dans la vallée, et passer ensuite le lit de cette rivière devenue guéable ; quelle proposition ! surtout au milieu de l’hiver, où les eaux sont si grosses, avec une armée sans provisions.

On désirait aller à Saumur ou à Tours, mais ces deux villes étant de l’autre côté de la Loire, on jugea, et sans doute avec raison, la chose impossible ; on prît donc le seul parti qui restait, celui dose rendre au Mans ; on se promettait d’y trouver des ressources, car les paysans du Maine étaient en générai très royalistes, comme la Bretagne, dont nous nous rapprochions ainsi. Nous nous mettons en marche pour le Mans, en passant par la Flèche. Comme nous étions déjà en voiture, M. de Beauvollier

(i) C’e$t une erreur. Le château de Jarre* fut incendié par Ica républicain»} le» Vendéens cherchèrent à l’éteindre. (Note du manuscrit.)

(a) Roucher, de la Brechattléro, paroisse de Cirières, né & ta Cousaaye du Pin, prés Ccriray.

Bât ! an xy* siècle, il avait été vendu en 1799 par le marquis de Foucault à M. Pitre Beurbroucq, fils d’un riche armateur, d’origine hollandaise. Colonel delà garde nationale de Nantes, sdiiiaant général de l’armée de l’Ouest, M. Beurbroucq arracha de la prison la baronne de Lares, née Teinturier des Essarta, et l’épousa. Il devint sous l’Empire député, baron, président du Conseil général, et reçut de Louis XVHI la croix de Sslnt-Loul*.

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l’aîné vint demander ù son frère de ses nouvelles ; il me remercia, les larmes aux yeux, des soins que j’avais de lui, il ajouta : « Pour moi, je suis le plus malheureux des hommes ; ma femme, ma fille vont périr ; j’espérais que nous prendrions Angers, et les délivrerions ; on m’a accusé bien injustement à Avranches ; depuis ce temps, malgré mon innocence, la plupart me voient de mauvais œil ; j’éprouve mille désagréments, je suis trop ù plaindre ! » Il nous dit adieu et s’éloigna, en me criant d’avoir soin de son frère ; depuis ce jour là il ne reparut plus à l’armée. Il m’a dit depuis qu’il n’avait pas encore un plan bien arrêté de nous quitter ; en effet, il ne remit point à son frère ses effets et son argent ; il les laissa dans le chariot de la caisse militaire, et même il n’a jamais pu les ravoir ; mais il était incertain, il s’écarta pour chercher des vivres avec deux autres ; quand ils voulurent rejoindre le grand chemin, ils furent coupés par les hussards, alors ils se cachèrent (1).

On s’attendait ù être attaqué par derrière ; on confia l’arrière garde, plus nombreuse qu’à l’ordinaire, à l’habile M. de Piron ; mais quelle fut notre douleur, en arrivant à la Flèche, de trouver le pont coupé et la ville défendue par trois mille hommes ! Ils faisaient un feu continuel. Nous voilà donc arrêtés ; la nuit arrivait, que devenir ? On commençait en outre à apercevoir les hussards qui s’approchaient de la queue de l’armée. Jamais position ne fut plus cruelle, plus désespérée : M. de la Rochejaquelein nous en sauve par la plus belle action de sa vie, et digne d’être immortalisée*

Il ordonne de soutenir le feu des deux côtés, prend quatre cents cavaliers choisis, fait monter derrière eux autant de fantassins des plus déterminés, se met à leur tête, les conduit en

(1) U «*en fut avec Langlois*, son beau-frère, commissaire aux vivres ; celui-ci fut pris et guillotiné. (Note du manuscrit.)

  • Laurent-François Langlois, né è Varennc*, pri* Mirabeau, ancien procureur du Roi aux

aanx et forfca de Chinon, fut condamné et exécute À Sautnur, le 34 frimaire an U, [4 décembre 1793.

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silence à une chaussée de moulin ou à un gué, je ne sais lequel des deux, à trois quarts de lieue de la Flèche, les fait traverser la rivière, arrive à la brune aux portes de la ville, fait mettre pied à terre aux fantassins, leur ordonne, ainsi qu’aux cavaliers, de crier Vive le Roi de toutes leurs forces, se jette dans la ville comme un furieux. Les trois mille Bleus épouvantés s’enfuient au Mans ; ML de la Rochejaquelein fait raccommoder le pont & la hütc et revient sur les derrières soutenir nos gens, qui se battaient contre les hussards. Il était neuf heures, l’armée pénètre dans la ville ; cependant, à cause de la difficulté du passage du pont coupé, les bagages n’entrèrent qu’au jour. Le matin, les hussards et autres troupes légères recommencent l’attaque ; Henri la soutient, jusqu’à ce que toute l’armée soit en sûreté (i) ; alors il fait ôter les bois qui avaient servi à raccommoder le pont, pour nous assurer vingt-quatre heures de repos, sans nulle inquiétude, ce dont nous avions grand besoin.

Legeay me racontait un jour plusieurs anecdotes, entre autres, sur cette affaire de la Flèche, quand Henri fit charger les troupes légères qui attaquaient les derrières de notre armée. Il me dit dans son style de paysan : « M. Henri nous encouragea à tomber sur ces coquins-là, fit un grand signe de croix et fonça dessus, à Je lui demandai : « Est-ce que M. Henri faisait comme cela le signe de croix au combat ? — Oh 1 oui, madame, quand il y avait du risque.

Pendant mon séjour à la Flèche, je cherchai vainement à cacher ma pauvre petite fille ; malgré tout ce que j’offrais, elle était si jeune, qu’on ne pouvait l’empècher de crier, par conséquent de se faire découvrir. Les gens chez qui je demeurais m’assuraient qu’ils seraient guillotinés ou obligés de porter l’en-

(t) M. do la Rochejaquelcin se trouva presque seul exposé au feu des républicains, les officiers restèrent à la Flèche ; 11 leur en fit, en plein conseil, les plus vlfe reproches, et 11 leur dit : Vous me contredises su conseil, et vous m’abandonnes au coup de canon, » (Note du manuscrit.)

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faruàltt municipalité ; qu’alors die serait mise aux enfants trouvés, si on ne la massacrait pas, M. Jagault put confier sa fille à une demoiselle (i) qui, à cause de cela, faillit périr ; cependant l’enfant, égée de quatre ans et déjà fort spirituelle, était aisée à instruire sur les moyens de se cacher et pouvait sentir le danger qu’elle courait

Nous partons pour le Mans, où nous attendaient trois mille hommes, ils sont culbutés en un clin d’œil ; le pont n’était pas coupé, mais on y avait fait beaucoup de petits fossés et mis ce qu’on appelle, je crois, des chevaux de frise. C’étaient de gros bois ronds, percés et garnis de pieux dans tous les sens : cela se trouvait élevé de plusieurs pieds et tout hérissé de pointes (2). L’armée était très fatiguée, la dyssenterie attaquait violemment le plus grand nombre, on se procurait des vivres en abondance. On résolut de donner un peu de repos et de rester deux jours entiers ; nous avions fait de suite dix lieues, de la Flèche au Mans. On nomma dans cette ville M. Forestier pour remplacer le chevalier Duhoux, et ce dernier à la place de M. de Hargues. M. Forestier ne voulut jamais accepter, disant qu’il était trop jeune pour entrer au conseil de guerre, et n’avait pas assez de talents pour être général. Il était cependant désigné par le vœu universel et on ne voulut pas en choisir un autre.

Nous voici arrivés h notre plus grand désastre : notre position doit faire sentir qu’une bataille perdue entraînait notre ruine. Depuis le passage de la Loire, nous n’avions eu qu’une suite de victoires, car si nous fûmes obligés d’abandonner Granville et Angers, ce ne fut point par une sonie des assiégés ; au

(0 Maric-Pcrme- Victoire Jagault, née fi Thouar* le 29 avril 1780, ftit confiée

  • Salm t on ’ < ! ul ! « >nduUit cher son pérc, M. Thoré, fi Bottet, prés Sablé :

clic y reçut les soins les plus tendres, surtout de la part de Jeannette Thorc, qui poussa Jusqu à l’héroïsme le zélé qu’elle mit fi secourir les blessés et les réfugiés.

ChfiteuSault^ POUM,8 * 2 ’ * Poitîcr *» Jacques-Antoine de la Fouchardlèrc, de

la ^ de * chau * se’trfl P c * de planches percées, avec des clous

la pointe en 1 air. (Note du manuscrit.)

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contraire, aucune des deux garnisons n’osa môme essayer d’inquiéter notre retraite.

Il y a au Mans trois grandes et superbes routes, elles se réunissent à un chemin magnifique, long au plus d’un petit quart de lieue, et au bout, le large pont du Mans ; la route de la Flèche est celle du milieu. Après les ponts est une grande place, et ensuite une autre plus petite, la place de l’Éperon ; j’étais logée sur celle-ci. Au milieu de cette place est une large rue, la route d’Alençon, et au coin une autre rue fort petite, en pente, qui conduit à un petit pont très étroit : c’est le chemin de Laval. Non seulement nos troupes étaient fatiguées, mais officiers et soldats, tous également découragés, avaient perdu l’espoir de retourner dans la Vendée ; errants, vagabonds au milieu de l’hiver, sans autre perspective, s’ils étaient blessés, que d’être abandonnés et massacrés, ils désiraient la mort, et la crainte de n’être que blessé intimidait les plus braves.

Le second jour (i) nous sommes attaqués vers une heure par tous les chemins, les Bleus reviennent trois fois à la charge et trois fois ils sont repoussés. Nos soldats, fatigués, étaient presque tous rentrés dans la ville, ainsi que les officiers, croyant l’afaire finie ; très peu poursuivaient les Bleus, déjà rendus à près d’une lieue et demie, quand les généraux républicains décident leurs troupes à se rallier et à faire une quatrième charge sur les deux routes latérales : nous n’y avions presque plus personne ; sur celle du milieu étaient tout au plus quatre cents hommes, harassés, avec MM. de la Roche jaquelein, Forestier et Allard.

Henri voulut aller chercher les troupes et changer de cheval, le sien étant à moitié mort de fatigue ; n’ayant pas là ses domestiques avec ses relais, car chacun dégoûté ne faisait plus son devoir, il dit à MM. Forestier et Allard de tâcher de soutenir la lutte, qu’il allait appeler les soldats. Il entre dans la cour de la

(i) U veille de la bataille du Mens, on avait été attaqué par le* homme* do la levée en masse, qui furent bientôt dispersés. (Note du manuscrit.)

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maison qu’il habitait, sur la grande place en avant. Une partie de ceux qui formaient la déroute, arrive en même temps ; le soleil se couchait, la brume commençait, les Bleus poursuivaient l’épée dans les reins ; le désordre, les cris, le tumulte étaient à leur comble. Malgré tous ses efforts, Henri est plus d’une heure sans pouvoir sortir de la cour ; enfin, il s’élance au milieu de la foule, des femmes, des soldats, des bagages, et, désespéré, la tête per* due, au milieu de l’obscurité, 11* suit comme les autres la route de Laval, après avoir vainement cherché à se faire entendre des soldats pendant plus de trois heures (i). On a dit qu’il eût dû se faire tuer ; cependant, au milieu d’une combustion pareille, 1 ! est difficile de juger ; on est porté par la foule, et que foire, quand on ne peut ni distinguer aucun objet, ni se faire reconnaître et que lescris étouffent la voix ? On est généralement d’accord qu’il lui fut impossible de rallier les soldats. Soit regret d’avoir survécu & cette déroute, soit douleur de la perte de son parti, il n’a pu se consoler de n’avoir pas péri au Mans ; depuis, 11 a foit tous les jours des actions plus téméraires, jusqu’à ce qu’il ait été tué, après des prodiges de valeur.

Dès le commencement de la bataille, nous en craignions l’issue, le manque d’ardeur était généralement trop visible. Nous étions logés chez une M m ® Thoré (s), extrêmement patriote et fort riche ; elle était mère de sept enfants, tous petite, elle les adorait ; elle paraissait humaine et avait une très bonne éducation ; j’ai su depuis qu’elle avait fait des actions de cannibale, lors de notre déroute. Quand je la priai instamment de se char-

(0 M. de la Rochejaquelein ne rentra dans la ville qu’après avoir été troit fols abandonné au milieu des ennemis ; là déroute était complète sur la grande route ; il ne descendit point de cheval, n’entra pas môme dans la cour, donna quelques ordres et retourna au grand galop, pour tâcher de tenir contre les républicains. (Note du manuscrit.)

(a) Mario-Antoinette Cohendet, de Reims, mariée on ijB 5 k Plerre-Lou fs-Joseph Thoré, négociant honorable et estimé, plus tard président du tribunal de commerce, décédé à l’Epau, commune dYvré-l’llvéque, le 18 juin 1829. Sa femme mourut au Mans, te 3 octobre 1794. maison était celle qui porte le 0*14 sur

ta place de l’Eperon.

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ger de ma fille, elle me refusa et me répondit cependant une chose qui me donna bonne opinion d’ollc ; l’ayant assurée que je lui demandais seulement d’avoir soin, de mon enfant et de l’élever en pauvre paysanne ; pourvu qu’elle fût vertueuse, c’était tout ce que je voulais ; que si un jour elle retrouvait sa fortune, tant mieux, mais que, si elle devait rester misérable, il me suffisait d’être sûre qu’on lui donnerait des sentiments honnêtes : elle me répondit : « Madame, si je me chargeais de votre fille, j’en aurais autant de soin que de mes enfants, et & cause de cela surtout, je ne veux pas la prendre. » M. Thoré, fort honnête homme, était absent.

Au moment où l’on crie : Déroute ! je descends, et, prenant ma fille, je la cache sans rien dire dans le lit de M mfl Thoré ; je regardais comme impossible de la sauver ; je pensais que, trouvant cette pauvre petite créature, elle en prendrait soin, et n’aurait pas la cruauté de l’abandonner. C’était & la belle*s<»ur de cette femme, mais elle royaliste, que M"° Jagault (i) avait donné sa fille. Alors je descends et on me met à cheval ; on ouvre les portes de la cour : au moment même, je vois devant moi les porte-drapeaux et M. Stoffiet s’enfuyant ; la place était comble de monde. Je ne saurais dire comment je me trouvai seule contre le mur de notre maison, au coin de la petite rue menant à Laval ; un espace de six pieds de large à peu près était Tunique endroit où 'il n’y eût personne. J’étais morte de fatigue, l’inquiétude m’avait empêchée de rien prendre de la journée, je ne savais où aller ; on distinguait encore un peu les objets, ; je voyais tout le monde se jeter dans la rue, je voulais suivre, je n’avais pas la force de conduire mon cheval.

Il y avait au coin une borne et deux chevaux attachés, ils se

(») Gabriel le- Renée* Victoire Frouin de la Godiniire, née à Thouars le 5 juin 1753, avait épousé à Poitiers» le 8 juin 1788, Jean-Baptiste Jagault Elle suivit son mari pendant la guerre, fut prise avec lui et enfermée au Calvaire d’Angers. Le 18 ventôse an II, 8 mars 1794, elle fut Interrogée» et, étant grosse, obtint un sursis J la chute de Robespierre ta sauva. Elle mourut k Thouars, le a octobre i 8 » 5.

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séparaient chaque fois que je voulais avancer» je me trouvai prise entre eux et la borne ; on vain je criai à des soldats, qui sautaient par-dessus, de les détacher et de fc’en servir ; ils avaient perdu la tête et ne m’écoutaient pas. Enfin, je vois un jeune homme h cheval près de moi ; il avait l’air très doux, je lui prends la main et lui dis : « Monsieur, ayez pitié d’une pauvre femme grosse, qui ne peut mener son cheval, » Il me serre la main, se met è pleurer et me répond ; « Je suis moi-même une femme, nous allons périr ensemble ; je ne puis vous être d’aucun secours, je ne puis, non plus que vous, conduire mon cheval, » Nous restons là à nous désoler.

Cependant Bontemps, ce domestique si fidèle de M, de Lescurc, ne voyant ma fille dans les bras de personne, la cherche par toute la maison, croyant que la peur l’a fait oublier ; il la trouve et l’emporte ; au milieu de la foule, il me reconnaît de loin, il élève ma fille en l’air, et me crie : « Je sauve l’enfant de mon maître, — Ohî mon Dieu, me dis-je, c’est votre volonté », et je le perds de vue. Enfin je reconnais assez près de moi, Richard, un de mes domestiques ; je l’appelle, il vient prendre mon cheval par la bride, et, se faisant place à coups de plat de sabre, il suit la petite rue. Nous arrivons au pont, nous avons beaucoup de peine à passer ; outre qu’il est très étroit, un canon, l’affût cassé, est renversé dessus ; nous parvenons cependant à nous dégager, et nous nous trouvons sur le grand chemin de Laval qui tourne un peu. On n’y voyait plus, les commandants faisaient tous leurs efforts pour retenir les fuyards ; je m’arrêtai ainsi que beaucoup d’autres.

Dans ce moment, les Bleus, apercevant apparemment que nous fuyions de ce côté, tirèrent leurs canons sur nous du haut de la grande place, un boulet passa à deux pieds au plus au* dessus de ma tête ; l’instant d’après, voyant le feu d’une nouvelle décharge, je me baissai sur mon cheval, mais sans faire un pas ; un officier qui me vit et n’avait garde de me reconnaître

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dans cette obscurité, me reprocha en jurant d’avoir peur ; je lui dis : « Il est bien permis à une femme de baisser la tête, quand vos soldats s’enfuient » ; effectivement plus de cinq cents, arrêtés ' comme moi, recommencèrent à courir. La fuite fut plus de dix fois interrompue et reprise ; s’il avait fait jour, nous serions retournés, mais la nuit rendait impossible le ralliement. Dans la foule, je trouvai M, de Sanglier ; il était malade, sa femme était morte la veille ; sur son cheval étaient ses deux filles, l’une devant lui, l’autre derrière ; elles avaient huit ans et étaient malades aussi (i) ; la bête n’avait pas même de bride. Quelle position I II m’apprit que nous étions sur le chemin de Laval, Je retrouvai successivement une partie de nos domestiques, puis mon père ; M. de la Rochejaquelein nous joignit à trois lieues de Laval ; jusque-là il avait cherché à rallier.

Henri vint à moi en me disant : à Quoi, vous êtes sauvée 1 » Je lui répondis : « Je vous croyais mort, puisque nous sommes battus !» Il me serra la main en me disant : à Ah, je voudrais bien l’être 1 » Il me quitta, les larmes aux yeux. Je mourais de fatigue ; Richard tenait toujours la bride.de mon cheval. Pour me soutenir, les soldats me faisaient boire de l’eau-de-vie à la bouteille, je n’en avais jamais jusqu’alors goûté de pure ; je demandai de l’eau, mais nous ne trouvions que celle des ornières, Mon père, heureusement pour moi, ne me quitta plus, une fois retrouvée, et me fit arrêter à douze lieues du Mans ; il faisait tellement nuit, que nous faillîmes périr là, en passant sur une chaussée de moulin, ou une planche, pour arriver à une maison ; à peine avions-nous traversé, une femme qui venait

(>) Jean-René de Sanglier, ni à Chaud gne pria Loudun, te 10 avril 1750, ancien sous-lieutenant de grenadiers au bataillon de Touraine, mort à Saint-Flo* rent-ic 'Vieil, après la déroute du Mans. Il avait épousé Suranné de Mondion, Ses Mes étaient nées à Glcnouxe, pris Loudun, le 29 août 1785 ; l’une, Adélaïde, mourut après son père, dans uno ferme prés de Saint-Florent ; l’autre, Joséphine, fut recueillie & Ancenis, puis mise en sûreté par un jeune officier républicain, qui est devenu le général Noury ; elle épousa, le 26 juin 1807, Jean-Henri deGruanime et mourut, te 27 mai i 85 G, à la Tour-Salnt-Gélin, dans Indre-et-Loire.

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derrière nous à cheval culbuta dans l’eau ; j’ignore si on réussit à la sauver.

Beaucoup de gens couchèrent dans ce village ; M me de Bonchamps se réfugia dans la môme maison que nous ; le lendemain matin nous nous remîmes en route, par une pluie battante ; tout le chemin était plein de gens épuisés de fatigue, une grande partie, vaincus par le sommeil, dormaient dans la boue, malgré la pluie et la peur. Quel affreux spectacle l Tout le monde était anéanti de chagrin et de lassitude ; cinquante hussards auraient pu, je crois, dans ce moment, massacrer toute l’armée. Mon père me fit arrêter & trois lieues de Laval, dans une métairie où on * eut grand soin de moi ; les gens de la maison voulaient même me cacher, je l’aurais accepté, si j’avais été avec ma mère et ma fille ; je savais l’une et l’autre sauvées, mais nous ignorions si elles étaient en avant de nous ou en arrière ; nous les avons retrouvées à Lavai.

La mjit, qui mettait tout en désarroi, permit alors de sauver une grande partie de l’armée ; les Bleus parvinrent sur la petite place, mais là ils furent arrêtés par la multitude des bagages ; huit cents de nos gens, cantonnés dans les maisons, tirèrent sur eux et les firent reculer. Ces huit cents braves, à la tête desquels était M. de Scépeaux, ignoraient leur nombre, et les Bleus de même ; si la nuit nous empêcha de nous rallier, elle empêcha aussi les patriotes de connaître l’étendue de leur victoire. Pendant ce temps, tout n’évacuait. Les coups de canon et la cohue firent périr une multitude de personnes, femmes, enfants et blessés. La grande place était pleine de sang ; des personnes culbutées les unes sur les autres, les canons, chariots et voitures tout attelés augmentaient le désordre : on avait tout renversé, les conducteurs abandonnaient leurs chevaux, d’autres s’en emparaient, et cette confusion fit plus de mal que tout le reste, car il y eut surtout une quantité de gens écrasés.

Le matin, ceux qui s’étaient défendus jusque-là prirent le chemin de Laval ; les Bleus ne poursuivirent pas loin, accablés

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eux-mêmes de fatigue et occupés à se saisir de leurs victimes ; on compta quinze mille personnes, dont très peu de combattants, tuées à la déroute du Mans, Dans ce nombre une partie périt à ' Alençon, dont ils avaient pris le chemin, par la grande rue dont j’ai parlé, entre autres M. Jagault ; H avait appelé ma mère de loin, lui criant qu’elle prenait la mauvaise route ; heureusement elle fut empêchée par la foule d’écouter son conseil $ il fut guillotiné. Pour sauver sa femme, il la déclara grosse, cependant elle ne l’était pas ; après. avoir traîné un an dans les cachots, elle en sortit et retrouva sa fille, À ce combat fut tué le chevalier Duhoux d’Hauterive ; M. Herbault, ce vertueux et vaillant homme, y fut blessé dangereusement ; on le pressa de se sauver, il dit tranquillement : « Je suis trop blessé pour en revenir*, que personne ne s’expose pour moi, qu’on me porte dans l’ambulance, à côté de M. ic Maignan, » Leurs amis firent atteler des chevaux et les emmenèrent à quelques pas, mais la foule arrêtait partout ; ils voulurent qu’on renonçât à un projet trop difficile, forcèrent tous ceux qui les entouraient à les laisser, attendirent et reçurent la mort en chrétiens et en héros.* les Vendéens les pleurent encore. MM. de l’Infernat et Couty, auparavant blessés, furent tués aussi, On perdit de vue M. d’Autichamp et on le crut mort pendant longtemps ; mais, sauvé par je ne sais quel miracle (i), car il y a mille versions là-dessus, il trouva le moyen de s’engager dans les troupes républicaines, servit à l’armée du Rhin, puis reparut à la grande amnistie ; on dit qu’il avait été reconnu et protégé par un républicain de ses amis,

M. de Talmond se distingua à ce combat par un trait de bravoure et de force : un hussard républicain, le reconnaissant à son écharpe pour un de nos généraux, le défie ; M. de Talmond lui

O) M. d’Autichamp ayant ôté pria, M. de Saint-Gcrvaift, son parent, officier républicain, le reconnut et l’habilla en hussard, ainsi que M. de Bemctt. Ces mouleurs se trouvèrent donc enrôlés parmi les républicains ; Us firent ta guorre comme soldats, pendant un an, à l’armée du Nord. Ils ont ensuite reparu dans ta seconde insurrection. (Mémoires, G* édit, 1848.)

I il 8

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cric : Je t’attends ; le hussard arrive sur lui au galop et reçoit un coup de sabre qui lui partage la tête en deux jusqu’au bas. Un paysan raconta qu’il s’était battu dans la ville jusqu’à huit heures du matin, Henri l’embrassa.

Beaucoup des nôtres furent pris, on les fusilla tous ; cependant, plusieurs femmes enfermées dans un couvent s’échappèrent par le tour ; M Uo de Denant, en se sauvant, perdit un buse et fit découvrir le secret. On m’a raconté, mais je ne le donne pas pour certain, la manière dont s’enfuit M. de Solilhac, ce chasseur de la légion du Nord, qui était venu nous joindre à Amailloux, et le môme, je crois, qui, à la grande pacification, s’est trouvé commander les Chouans, en second, sous Cormatin (i). On prétend que les Bleus, fatigués de tuer, l’enfermèrent, lui quatorzième, dans un corps de garde, pour être fusillé le lendemain ; il décida ses camarades à se sauver ou à mourir bravement, en se jetant sur leurs gardiens ; sept périrent et sept s’échappèrent. Le chevalier de Beauvollier dut son salut à Agathe, ma femme de chambre, qui le prit en croupe. Montignac, que j’avais délivré à Dol, avait eu l’avant-bras cassé d’une balle au commencement du combat ; il s’était fait porter chez moi, et on venait de le panser ; il entendit la déroute, tout le monde l’oublia, il descendit, ne vit plus personne dans la maison, trouva encore un cheval dans l’écurie, vint à bout de le seller, brider et de se sauver. Beaucoup se cachèrent sur la route du Mans & Laval, presque tous les paysans étaient royalistes secrets.

Nous arrivons à Laval, épuisés de fatigue, de chagrin, ayant perdu tous nos bagages et presque tous nos canons ; nous trouvons la ville sans défense, nous y restons un jour franc. J’ai déjà

(t) Pierre Désoteux, fil* d’un commissaire des guerres en Bourgogne, nd & Pari* le a 3 novembre 1753, servit en Amérique sous Vioménil et Lamcth, fl dpouct MU* Verne de Cormatin, fut lieutenant-colonel, chevalier de Saint-Louis, adjudant* générai de l’armée de Bouilté, puis émigra. Il devint major-général sous M. de Pulsaye en Bretagne, fut plus tard employé & la manufacture des tabacs & Lyon, et mourut le 19 juillet 1812, U avait pris te titre de baron de Cormatin.

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dit que les Bleus ne nous poursuivirent pas, apparemment parce qu’ils étaient trop fatigués et ivres de carnage. On perdit alors MM. de la Roche-Courbon, Franchet et les deux la Bigotière : ils ont été pris peu de temps après en Bretagne, je ne sais comment.

Tel est le récit de la fameuse déroute du Mans ; il est facile de juger que, par suite, notre perte était inévitable, elle aurait dû même arriver plus tôt. Les pays que nous traversions ne s’insurgeaient pas, et notre armée, épuisée de fatigue et de faim, toujours combattant, traînait avec elle, au milieu de l’hiver, une foule de blessés, de femmes et d’enfants ; ainsi, cette déroute ne fut que la suite nécessaire de notre position ; nous l’attendions depuis Angers, comme une chose inévitable. Le découragement, porté à son comble, augmentait encore la certitude de notre perte.

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CHAPITRE XXI

DEPUIS NOTRE TROISIÈME ENTREE À LAVAL (i) JUSQUE VERS LE i w JANVIER 1794

ous étions logés, à Laval, dans la même maison qu’à l’ordinaire, chez M. de Monfrand, gentilhomme fort riche, mais cette fois i) n’y était pas : il avait été arrêté avec sa mère, ils furent guillotinés peu après, malgré les efforts de sa jeune femme pour le sauver ; le prétexte en fut qu’il nous avait reçus chez lui* II allégua vainement la vérité, qu’une armée entrant dans une ville, les habitants n’étaient plus les maîtres ; sa maison étant la plus belle, il avait logé alternativement les généraux des deux partis ; on le fit périr (a) comme royaliste : dans le fait, il l’était, mais d’une manière très passive,

O) »3 décembre.

(a) M. de Monfrand ne périt point ; il est resté longtemps en prison et il vit encore. (Note du manuscrit.) v

Nicole» Rousseau de Monfrand, né le *7 janvier 1765, est mort le 10 septembre i«40. Il avait été emmené de Laval avec sa mère et une bande de prisonniers, uu moment du retour des Vendéens, Enfermé À Angers, il fut épargné, grâce aux démarches de sa femme, Marie-Margucrltc-Louisc Dumans, et élargi par arrête du t a ventôse an il, a mars 1794, Ce môme jour mourait dan» la prison de» Carmé-Utc », 4 Chartres, sa mère, Marie Duchemln, Agée de Si ans, veuve de Jean Rousseau de Monfrand. Elle était détenue comme suspuctc, pour avoir logé M. de Lcscure dan* sa maison 4 Laval, 3, place du Gast.

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ayant, quoique jeune, des infirmités ; assurément il n’avait rien fait en notre faveur.

Comptant mourir, je fis demander un prêtre, le matin vers dix heures ; comme il achevait de m’entendre en confession, on vint m’appeler en criant : À cheval, à cheval, voilà les hussards ! Je pris vite, avec les débris de l’armée, la route de Craon ; à quelques pas de Laval, je trouvai M. de la Rochejaquelein, qui retournait à la ville ; il me dit qu’il venait d’arrêter cette espèce de déroute, qu’il n’y avait pas apparence de hussards, qu’il allait déjeuner tranquillement à Laval, faire ensuite l’arrière-garde, et que nous pouvions, sans.alarme, continuer notre chemin. C’est la dernière fois que je lui ai parlé.

À Craon, nous apprîmes par les gazettes, que ma malheureuse tante l’abbesse et sept cents autres personnes avaient été fusillées è Angers ; ma mère en conçut une douleur qui durera toute sa vie ; elle se reprochait d’avoir été cause de sa mort, parce qu’elle l’avait attirée en Poitou. Ainsi périt & quatre-vingts ans la plus pieuse et la plus aimable des religieuses.

Notre marche de Laval à Àncenis par Craon et Saint-Mars n’offrit rien d’intéressant, nous ne fûmes point attaqués ; il pleuvait à verse, nous marchions jour et nuit, espérant pouvoir passer la Loire à Ancenis ; cette ville nous offrait des ressources, nous voulions donc la surprendre ; les bourgades que nous traversions pouvaient à peine nous nourrir et point nous mettre & l’abri. Nous suivions des chemins affreux, livrés au désespoir, cherchant à emporter les blessés ; nous vîmes un prêtre en charger un sur ses épaules. Ma petite fille, accablée de fatigue, avait en outre la fièvre de dentition ; je montai avec elle pendant six lieues dans l’ambulance du trésor de l’armée, la seule qu’on eût sauvée. Enfin, nous arrivâmes à Ancenis, vers le tfi décembre, de grand matin ; Henri y était entré des premiers ; le peu de patriotes qui s’y trouvaient se jetèrent aussitôt dans des bateaux et s’éloignèrent. Henri apprit que les Bleus étaient maîtres de

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Saint-Florent, mais on lui assura que M. d’Hauterivc avait encore des troupes dans notre pays, et que môme il était venu jusqu’au bord de l’eau l’avant-veille, en chassant une patrouille républicaine. Il n’y avait plus qu’un seul batclet à Ancenis, Henri résolut de s’en servir pour chercher du secours et ramener des barques ; il s’y mit avec MM. Stofïiet, de Baugé, de Beaurepaire et quinze soldats (i), Arrivés à l’autre bord, ils firent trois quarts de lieue le long de l’eau, sans rencontrer ni habitant ni bateau ; enfin, Us apprirent qu’on leur avait dit la vérité à Ancenis, mais que c’était Gathclincau, le frère cadet du général, qui commandait. Ce jeune homme, revenu de Noirmoutier avec sa troupe et un officier nommé Biret (a), courait les environs de Beaupréau. Tout le pays était brûlé, occupé par les Bleus ; les habitants, cachés dans les bois, faisaient de temps en temps des incursions, mais sans moyens et sans forces.

Ayant vu une grande barque chargée de foin et amarrée, Henri se mit à la débarrasser pour revenir chercher du monde à Anccnis, lorsque les Bleus tombèrent sur lui ; il échappa par miracle, tous les siens furent dispersés ; il resta seul avec M, de Baugé. Ils tâchèrent de rejoindre Cathelineau, mais, toujours errants dans des déserts et poursuivis sans relâche par les Bleus, ils ne purent ni le trouver, ni regagner le bord de l’eau, malgré tous leurs efforts. Voilà ce que nous avons su depuis, et moi en particulier par M. de Baugé ; mais alors nous ne connaissions rien de cela, si ce n’est qu’Henri avait été nous chercher du

(0 Quand nous fûmes & Saint-Mars, M, de la Rochejaquelein pensa qu’on ne trouverait aucun bâtiment ni bateau à Ancenis ; U en prit un petit qui se trouvait sur un étang et qu’on mit sur une charrette. Arrivé & Ancenis, il s’en servit avec MM. StofBet et de Baugé, tandis que M. de Langoric monta dans un autre avec dix-huit H* cherchèrent à dégager quatre grandes barques chargées de foin

qui te trouvaient sur la rive insurgée, mais les républicains survinrent et les forcèrent a s’éloigner. {Note du manuscrit.)

itatt l Un des wcréwim du conseil supérieur. — Un Jean Biret, * de Laréole, district de Choiet s (probablement Us Réoiles prés Vihicrs) fut condamné à Savenay, comme s brigand de la Vendée », le 4 nivôse an II, 34 décembre 1793.

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secours ; depuis nous n’en avons pas eu la moindre nouvelle. M. Allard, arrivé après lui à la Loire, désespéré de n’avoir pas suivi son général, passa, je crois, deux jours après, je ne sais comment. Je reprendrai par la suite l’histoire de M. de la Rochejaquelein, mais seulement quand j’en serai il la pacification, car nous avons alors appris ce qui le concernait, ainsi que beaucoup d’autres dont je rapporterai les histoires intéressantes,

Je reviens pour le moment au reste de notre armée à Anccnis, Chacun regardait le rivage et se désolait de manquer de bateaux ; beaucoup faisaient des radeaux, on attachait des barriques ensemble, plusieurs se hasardaient sur ces frêles embarcations ; la plupart ne savaient que faire. Par des prédications, le curé de Saint-Laud occupait les paysans. Enfin, il arriva des patrouilles républicaines de Saint-Florent, en face d’Ancenis, et une chaloupe canonnière se mit à tirer sur les radeaux, ils furent en partie submergés ; la rivière était rapide, environ six cents hommes s’étaient risqués, peu revirent leur pays ; U fallut donc renoncer au passage. Les troupes légères de la république arrivèrent aux portes de la ville ; les trouvant fermées, elles n’osèrent pas nous attaquer, elles n’étaient pas en nombre, mais elles se mirent à tirer à toute volée sur la ville ; les boulets tombaient sur les toits, cassaient les tuiles, plusieurs atteignirent la maison où nous étions. C’était un bruit continuel, mais il ne nous causa ni peur, ni mal ; cela dura toute la nuit. Que faire ? M. de Beauvais trouva, avant le jour, le moyen de passer avec un batelet, il supplia qu’on l’attendît vingt-quatre heures, et promit au conseil de revenir donner des nouvelles de ce qui se passait de l’autre côté de la Loire, si du moins c’était possible ; on comptait l’attendre, mais l’armée des Bleus avançait, les soldats ne pouvaient plus tenir. Enfin, vers le soir, nous partons tous, la mort dansTàme ; bien des soldats se débandent, les uns pour se cacher, le pays étant très propre à cela, d’autres pour se rendre, sur le bruit d’une prétendue amnistie, d’autres pour tâcher de passer la

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Loire plus haut ou plus bas ; je crois bien que nous notions pas dix mille en tout, nous n’avions plus d’espoir,

Sitôt que les Bleus eurent pris Anccnis, ils firent publier que ceux qui cacheraient des Vendéens seraient fusillés avec eux. Cadet, ce brave déserteur qui nous avait joints à Amailloux avec M. de Solilhac, était horriblement blessé : ses hôtes auraient voulu le garder, mais, quand il entendit la proclamation, il se traîna malgré eux dans la rue pour ne pas les compromettre, et il fut massacré.

Cependant, nous ne pouvions avoir quelques ressources qu’en cherchant à nous enfoncer en Bretagne, dont les habitants étalent royalistes ; nous suivîmes la route de Nort ; ma petite Hile était très malade, une personne m’offrit de la cacher chez d’honnêtes paysans, à un quart de lieue d’Ancenis ; je m’y rendis avec elle et des cavaliers, je l’habillai en paysanne, je remis de l’argent aux gens à qui je la confiais et leur promis douze cents livres de pension, s’ils la sauvaient ; puis je repris le chemin de l’armée. Nous arrivons de nuit à Nort et y restons un jour franc. Comme une dissolution prochaine était inévitable, des officiers se par* tagent la caisse ; je n’en accuserai aucun nommément. Nous étions dans nos logements, mon père, ma mère, le chevalier de Beau* voilier et moi : M. de Marigny entre, nous raconte ce qui se passe, et qu’il a pris le parti de se retirer, après avoir fait des repré* sentations inutiles ; il était furieux et jurait comme un démon. Mon père, M. de Beauvollier et lui se mirent & déplorer cette conduite et notre cruelle position ; d’autres peut-être ont été aussi innocents, je l’ignore.

L’instant d’après on cric : Aux armes, voilà les Bleus ! Nous étions dans une espèce de maison de campagne, un peu éloignée de Nort ; nous vîmes tout le monde se sauver, nous en fîmes autant. Nous n’attendions que le moment de notre destruction totale, on ne songeait pas & se défendre ; beaucoup de braves officiers ne pensaient qu’à fuir : MM. Forestier, Dupérat, du

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Ghesnier, Jarry, coururent jusqu’à la Vilaine, tuèrent leurs chevaux, traversèrent la rivière, se cachèrent, et de là rejoignirent M. de Puisayc, près de Rennes. [ On ne blâma pas précisément ces braves jeunes gens d’avoir quitté l’armée, car ils ne pouvaient la sauver ; elle était désorganisée, sa perte était inévitable ; cependant ils auraient mieux fait d’y rester jusqu’à la fin. Certainement ce ne fut pas par crainte qu’ils s’éloignèrent, leur bravoure et leur dévouement n’ont jamais été mis en doute, et tous ont repris la guerre avec la plus grande valeur, ]

Cent cinquante cavaliers se rendirent à Nantes : de ce nombre étaient nos domestiques, excepté les deux femmes de maman ; à Ancenis ils avaient demandé nos ordres, notre réponse fut que nous les laissions libres, que chacun devait chercher à sauver sa vie individuellement et prendre le parti qu’il croirait le meilleur. Ils furent déterminés par la promesse d’une amnistie pour ceux qui viendraient armés et s’engageraient dans les Bleus ; ils nous en avaient parié, et de l’espoir de déserter ensuite pour joindre les émigrés. Nous leur avions observé que nous croyions à un piège, mais, sur leur demande très honnête, si nous les soupçonnions d’avoir changé d’opinion et si, sous ce rapport, nous nous y opposions, nous les assurons avec vérité que nous craignons seulement que l’amnistie ne soit pas sincère, mais que, dans tous les cas, nous comptons sur eux. Nous n’en reparlons plus, Us partent ; c’étaient, pour la plupart, des gens pleins de courage ; je raconterai plus loin leur triste fin (i).

(i) Quand no# domestiques nous quittèrent & Nnrt, dans la fausse alarme qui amena une espèce do déroute, nous n’avions plus nos porte-manteaux ; nous ouvrons ceux d’Henri, dont les serviteurs étaient venus se ranger auprès de nous, à Ancenis, depuis que leur maître avait passé la Loire. Nous n’y trouvons & peu prés que des équipages de chevaux et quelques mouchoirs rouges de Cholet ; quand je me déguisai en paysanne ù Savenny, je mis un de ces mouchoirs sur mon cou, ctdepuis je le portais le dimanche, car tes Bretons me disaient qu’it était trop beau pour tous les jours. À l’amnistie, me rappelant qu’il avait appartenu & Henri, je le gardai avec soin, et Sors do mon mariage, je te donnai & M. de la Rochejaquelcin ; il le fît marquer tout de suite avec mes cheveux ; il se plaisait parfois h

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Tandis que tout ccci se passait* le chevalier des Essarts et Moulin, jeune cavalier de dix-sept ans» au lieu de se sauver» étaient allés reconnaître l’ennemi, qui consistait en quatre hussards, ils les mirent en fuite, et vinrent rassurer l’armée : «Tranquillisez-vous, disait Moulin ; sabre û la main, M. des Essarts et moi avons gogné la bataille, l’armée peut rentrer h Nort. » C’est ce que nous fîmes (t). Le lendemain on se rendit à Blain, M, de Fleuriot y fut nommé général ; M, de Talmond s’en alla, soit parce que chacun prenait un parti, soit qu’il fût piqué de s’être vu préférer M. de Fleuriot. Celui-ci fit préparer des moyens de défense, braquer des canons, faire des ouvertures dans la muraille ; cela nous fut utile, et l’on chassa les troupes légères qui voulurent nous attaquer. Nous restâmes à Blain deux jours à peu près ; on avait envie d’aller à Redon, mais on dit qu’il y avait une chaussée très étroite et très longue pour y arriver, et que nous la trouverions sûrement coupée : cette crainte était raisonnable, cependant nous avons su depuis qu’elle était mal fondée, qu’on n’avait pas songé à ce moyen facile de défense. Nous prenons donc au milieu de la nuit le chemin de Savenay, par une pluie battante. Rien ne peut exprimer notre triste situation ; nous étions tous mourants de fatigue, de faim et de chagrin, tous enveloppés de la manière la plus grotesque, et pour en donner une 'idée, voici la description de ma toilette :

J’étais vêtue et coiffée en paysanne angevine, garantie du froid par un capuchon de laine violette ; j’avais une couverture de lit en laine, pliée en double, attachée au col par une ficelle ; parie mettre quelques instants sur sa tâte et sur celle de notre fils Henri. Toutes ces raisons réunies font que mon petit-fils doit y attacher un grand prix. (Note de l’auteur. G* édit.).— Ce mouchoir est précieusement conservé.

(t) À peine étions-nous à Nort qu’il arriva une trentaine de hussards républicains ; beaucoup de nos gens prirent la fuite ; mais M. deDonnissan et quelques autres sortirent & cheval et se firent suivre par une pièce de canon. Au moment où ils se trouvèrent en présence de la troupe républicaine, Us s’écartèrent de chaque côté ; le canon tira ù mitraille, tua neuf à dix hussards, et les autres se retirèrent ; on rentra à Nort, où l’on passa tranquillement la nuit. (Note du manuscrit.)

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dessus* une autre couverture de drap bleu, attachée de môme ; point de gants, trois paires de bas jaunes, de» pantoufles vertes fixées par des ficelles, Le chevalier de Beauvollier avait un chapeau de femme, par-dessus un bonnet de laine, et un manteau de procureur (i). Chacun était à l’avenant. Nous manquons d’ôtre pris, maman, le chevalier de Beauvollier et mot, nous étant arrêtés pour manger dans une maison, et nous sommes obligés de fuir au galop jusqu’à Savenay ; on ferme les portes de la ville presque sur nous, et, dans le moment, les coups de fusil commencent, Accablée de fatigue, je me couchai tout habillée et m’endormis, nous n’avions encore été poursuivis depuis longtemps que par des hussards, mais l’armée ennemie arriva vers le soir ; les coups de canon et de fusil continuèrent toute la nuit, l’ennemi différa l’attaque jusqu’au matin.

C’était le sa décembre, nous étions assurés de notre perte pour le lendemain*, vers les neuf heures du soir, je ne sais pourquoi, on nous fit monter à cheval ; comme nous en descendions, j’entendis la voix de M. de Marigny, je l’appelai en allant à lui, et je demandai des nouvelles du combat ; il prit la bride de mon cheval, sans proférer une parole, me mena à l’autre bout de la place, et une fois seuls, il me dit à voix basse ; « Nous sommes perdus, il est impossible de résister ; sitôt que l’attaque du matin aura lieu, l’armée sera anéantie, j’espère être tué en défendant votre drapeau. Adieu, puissiez-vous vous sauver ! Tâchez de fuir dans la nuit ; adieu, adieu. » Il me quitta brusquement, et je l’entendis encourager les soldats et ranimer leur ardeur.

Je rentrai, le cœur navré, et racontai à maman ce que M. de Marigny venait de me conseiller ; elle était à causer avec M. Pierre

{«) Toute la famille d’Armallld était enveloppée dan* une tenture de dama» jaune à grands ramages. (Note du manuscrit.)

Pti# on rtt*.PrancoiM-Antie Gonmcu de la Blanehardifcre, mariée «n 1769 * Augustln-Médard de la Forest ?Armalllé, chevalier, sclgnei ur de la

ancien officier se régiment Roy al-marlne, qui périt dan* l’armée vendéenne, ne avawm enfante, trois Allés furent noyées à Nantes avec leur mère.

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Jagautt ; il lui proposait de se cacher, par le moyen d’un habitant de la ville, qu’on disait sûr, et qui nous mènerait dans la campagne chez de bons paysans. Ce que je lui dis acheva de la décider ; mon père, la tête appuyée sur ses mains, était plongé dans une profonde douleur, U ne disait rien ; enfin, Interrogé par nous, il nous engagea à nous sauver, mais il ne voulut pas venir avec nous, disant que son devoir était de rester à l’armée, tant qu’elle existerait (i). Nous nous habillons en paysannes bretonnes, nous embrassons mon père en silence, il me dit seulement : « Ne quitte jamais ta malheureuse mère. » [ Ce sont les dernières paroles que j’ai entendues de lui.)

Nous partons vers dix heures avec M. Jagault et M, ,# Mamet (a), la jeune femme de chambre de ma mère, qui voulut nous suivre ; nous n’avions pas même un mouchoir à changer, nous possédions environ soixante louis et mille francs en assignats, signés du conseil supérieur, par conséquent inutiles.

Nous sortons par une petite porte, notre conducteur nous fait prendre le chemin de Guérandc, nous entendons les coups de fusil et même le bruit des chevaux, nous frémissons à chaque instant de rencontrer des patrouilles, et, chose extraordinaire, nous ne voyons personne, ni amis ni ennemis, pendant plus d’un quart de lieue ; à tout moment notre conducteur nous arrête avec ce mot : Écoute % Nous tremblions comme la feuille ; il se remettait en marche tranquillement en disant : Ils se battent. Nous nous apercevons bientôt qu’H est ivre ; il avait déjà voulu nous

(i) M. do Itonnimn dit k M. Pierre Jagault qu’il lui confiait m femme et ta fille, qu U le conjurait de ne point le* abandonner et de chercher tou* les moyens de le* sauver. * Pour moi, dit-H, je suis obligé de rester ; je ne sais ce que jo deviendrai ; tâche* seulement de me faire connaître où elles seront, afin que fe puisse avoir quelquefois de leurs nouvelles. » M. Jagault partit donc avec elles, à minuit, croyant pouvoir revenir le lendemain : mais la déroute eut Heu dès le matin et le força lui-même à se cacher au milieu de ces bons paysans qui ne craignaient

pas de s’exposer & la mort pour sauver les malheureux débris de la Vendée (Note du manuscrit.)

(a) Françoise Mamct, née & Paris, décédée à Orléans le iG mai 1846. h l’âtnt de soixante-quinze ans. * ’m

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faire rester dans une ferme, au bas de Savenay, maman ne l’avait décidé à aller plus loin qu’en lui donnant sa montre ; à force d’instances, U consentit à quitter un peu la grande route, il nous faisait marcher dans des fossés pleins d’eau. Maman et moi avions des sa ? bots, pour la première fois de notre vie, nous tombions à chaque instant ; enfin, mourantes de fatigue, nous entrons dans une maison à trois quarts de Heue de Savenay. Notre guide se couche et s’endort si profondément qu’on n’en peut rien tirer ; il nous dit seulement, en fermant les yeux, que nous étions bien là ; nous n’avons jamais depuis entendu parler de lui. Nous voici donc cher, des paysans, mais nous ne tardons pas à nous apercevoir que nous sommes près de la grande route et que ces gens-là craignent de nous garder tous les quatre. La fille de la maison s’offre à nous conduire dans un château dont les maîtres étaient exilés à Blois ; elle nous fait l’éloge des régisseurs qui étaient paysans ; c’était plus loin, nous acceptons, la maîtresse paraît

consentir à garder M u# Mamet.

Nous partons, M. Pierre Jagault, maman et moi, pour le château de l’Escurays(i), paroisse de Prinquiau ; il était deux heures du matin quand nous y arrivons ; on nous fait attendre longtemps à la porte. Maman me dit j « Je mourrai ici, si on nous refuse l’entrée, je ne puis aller plus loin » ; j’étais dans la même situation. Enfin on vint nous ouvrir : « Tenez, dit notre conductrice, voilà des Brigands qui se sont réfugiés chez nous, mais nous sommes trop près du grand chemin. — Ah ! pauvres gens, s’écrièrent Ferré et sa femme (s), entrez, tout ce qui est ici est à votre service. » Ils nous font chauffer, nous étions mouillées jusqu’aux

/i) Le château de l’Escuray* appartenait à Dcnia-Jean Eapivent, «elgneur do la viiblumT mort le 7 acpïembre 1808, à l’âge de «ol»nte-quin*e an., * marié ft D.oguy, nîoru 1. a. dta*».*».

Uur Ml. Aimée dpaun «on >u»ln Frtnpol. Eipivent de Permn, dont le fil» “‘‘trfPtoS Ferré^arde-régtaKur, mnrld » Uu«n« JUi U. mourut nu vlUngn

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genoux ; ils nous donnent à manger et veulent nous faire déshabiller pour nous coucher, mais nous refusons absolument.

Ils nous parlent du désir du pays de se révolter ; bien des habitants avaient couru tout de suite, armés, à Savenay, pour se joindre à nous, beaucoup plus devaient s’y rendre dans la journée du lendemain. Ils nous demandent pourquoi nous nous sauvons ; nous n’osons leur confier que nous sommes perdus ; nous nous bornons à dire que nous quittons l’armée, étant malades ; nous leur avouons pourtant que nous ne sommes pas sans crainte sur les suites de la bataille du lendemain ; nous en avions dit autant à notre premier guide et dans l’autre maison, craignant que, notre position connue, ils ne nous livrent. Nous nous jetons sur un lit, où la fatigue nous endort, quoique bien mouillées ; Ferré et sa femme étaient transportés de joie de nous avoir chez eux, et de la présence des Vendéens à Savenay.

Vers les huit heures du matin, les coups de canon fort rapprochés nous réveillent, et, en même temps, la Ferré entre dans notre chambre en disant : « Mon Dieu, qu’est-ce qui arrive ? Des gens vêtus de toutes couleurs courent dans la lande, on tire des canons sur le chemin de Guérande, tout près de nous. » Nous nous écrions : « Nos gens sont perdus, sauvez-nous, au nom de Dieu ! » Effectivement, les Vendéens étaient en déroute de ce côté, ils avaient emmené quelques canons, s’en servaient dans leur fuite, se battaient en désespérés ; la prise de ces dernières pièces et la fin de la défense n’eurent lieu que dans le moment où nous nous étions réveillés. Cette femme nous dit : « Voilà des gens à cheval qui accourent de ce côté, ils vont entrer dans le château, mon mari va vous mener à une métairie dans le bois, c’est moins en vue qu’ici. » Nous nous sauvons par une porte dérobée, à l’instant où les hussards frappent au portail. Nous faisons plus d’un quart de lieue pour arriver à la métairie de la Grée, lieu écarté, près des bois : « Tenez, dit Ferré, voilà des pauvres gens que j’ai sauvés, je vous les amène. » Nous trouvons là une quan-

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tité d’habitants du pays* éplorés de notre déroute ; deux ou trois» armés, nous disent qu’ils allaient nous joindre, que» si nous avions pu tenir un jour» tous les habitants s’insurgeaient avec nous, Ils fondaient tous en larmes et cherchaient à nous consoler» Nous avions dit nos noms à Ferré, nous lui demandons le secret et nous nous annonçons comme marchandes de Châtillon ; il nous quitte pour aller veiller au château, rempli de soldats î les hussards se répandaient partout.

La métayère (i) décida que M, Jagault irait travailler avec des paysans ; il avait l’air d’un spectre, il avait marché la plus grande partie de la route et ses pieds étaient tout en sang. La Ferré établit maman h tricoter auprès du feu dans un coin obscur, et me mena dans un moulin à vent isolé ; elle dit au garçon meunier : « Renaud (a), tiens voilà une Brigande, je te l’amène jusqu’au soir ; s’il vient des Bleus, tu leur diras que tu mouds pour elle. » Je m’assis sur un sac et, pendant quatre heures, nous entendîmes à chaque instant des coups de fusil et des cris : Arrête. brigands, tue, tue ! Pub, d’autres fois, c’étaient des soldats qui appelaient le meunier et lui demandaient : « As-tu vu passer des Brigands ? As-tu de quoi nous donner à boire ? Peux-tu nous donner à manger ?» Il répondit qu’il n’avait que du grain, que la maison de son maître était à un village qu’il montrait ; j’étais dans le moment plus morte que vive. Il cherchait à me rassurer, il me demanda qui j’étais ; je me dis fille d’une petite marchande, j’ajoutai que nous avions tout perdu ; il me parla beaucoup de notre armée, et, à la nuit, il arrêta son moulin et me reconduisit à la Grée. Je m’y couchai avec maman, tout habillées, ce que nous avons continué de faire pendant un an.

Les maisons des paysans bretons sont toutes à peu près pareilles : c’est un carré long ; au fond est une grande cheminée,

(x) Pdrine Guéri f, femme de Jullon Hoguot.

(a) René, fils de Pierre Lanott et de Marie Desmars, né à is Joghelais, paroisse de Camphon, le 8 octobre 1770, mort A Berné, pris PonfrChiteau, le 19 mai 1845.

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dans laquelle on ne by ûlc guère que de la tourbe ; de choque côté est un coffre, puis un lit très élevé ; U y a de la paille ou une espèce de paillasse remplie de balle d’avoine, un mauvais lit de plume, de petits rideaux verts sans ciel, des draps juste de la grandeur du Ut, point de traversin et, pour couverture, de la toile & torchon, piquée bien serré et pleine de filasse. Au pied des lits sont des cotises à grain, et plusieurs l’un sur l’autre ; deux portes se font face, celle de derrière donne sur un jardin ; plus une séparation en planches, avec des trous pour que les boeufs et les vaches passent leur tête, de sorte qu’ils mangent dans la chambre. Il y a une ouverture sans porte, pour aller dans l’étable, au bout de laquelle est une sortie pour le bétail ; la chambre est très basse, point de fenêtres, les soliveaux peints en noir ; au-dessus, un grenier à foin, où l’on monte par une échelle. Les Bretons furent tous, s’éclairent avec de la résine ; ils sont vêtus de noir, surtout l’hiver ; les femmes sont coiffées avec un capuchon 'de grosse toile. Ils sont sales, n’ont ni verres, ni assiettes, ni fourchettes, seulement des écuelles et des cuillers de bois ; ils boivent à la cruche, vivent de soupe aux choux et au lait aigre, et dînent toujours avec un plein chaudron de bouillie de blé noir, également au lait aigre ; ils ont beaucoup de bon beurre, c’était notre ressource (i). Le bruit des cornes du bétail contre les planches et les mugissements nous réveillaient mille fois en sur saut : pendant longtemps nous croyions toujours qu’on frappait aux portes.

Le lendemain 24, la métayère me mena passer la matinée chez le maire ; en revenant nous eûmes grand’peur. Nous trouvâmes deux cavaliers qui vinrent à nous, bride abattue, mais les haies de deux champs les arrêtèrent. Ils nous firent crier Vive la république l nous dirent d’avertir ceux qui les poursuivaient

(1) Ils se chauffent avec de la tourbe de terre qui, en brûlant, répand une lueur verd4tre sur les figures : on peut juger de l’effet que cela produisait, principale* ment sur le visage fantasmagorique de M, Jagault (Note du manuscrit.)

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qu’il» étaient de» cavaliers patriotes, et non des Brigands, nous demandèrent les chemins de Pont-Château, de Savenay, et prirent au galop une route opposée, en criant t Vive la république ! Alors nous vîmes bien, surtout à leur habillement, que c’étaient des Vendéens.

L’après-dînée, la métayère me dit d’aller garder les moutons du procureur de la commune (t), car les municipaux étaient les meilleurs royalistes. Nous trouvâmes sa femme près de sa maison, et, quand on lui eut expliqué qui j’étais, elle me dit ; e Je vais vous envoyer avec ma fille, » Je lui témoignai ma crainte d’aller avec un enfant : « Ohl n’ayez pas peur, elle est grande. » Effectivement, elle revint avec une fille de vingt ans, brune, forte, très grande ; elle avait un bâton à la main s jamais homme ni femme en Bretagne ne sort du seuil de sa porte sans en avoir. « Tiens, voilà la Brigande », lui dit Périne ; elle me fixa et répondit : « Ne craignez rien, ma mère, je périrai à côté d’elle ; s’il n’en vient qu’un, je le tuerai », ajouta-t-elle en agitant son bâton. J’allai donc avec cette brave personne nommée Marianne Billy (a). Combien de fois depuis nous a-t-elle secourus I Le soir je retournai à la Grée, nous y restâmes quelques jours, nous y étions très mal. Le procureur de la commune voulut nous prendre chez lui, il était un peu plus & son aise, quoique pas mieux logé, mais il n’avait que deux filles, dont Marianne était la cadette, et nous y étions beaucoup mieux.

Nous fûmes très longtemps sans changer de linge, nous sentions des démangeaisons horribles sans en savoir la cause, au point d’en avoir le corps tout rouge. Nous le confions & Périne, notre hôtesse ; nous pensions que c’était une ébullition, elle nous dit : « N*auriez*vous pas des poux ? — Oui, beaucoup à la tête, mais on ne peut en avoir autre part. » Nous le croyions ; elle se

(0 Pierre BiUy, époux de Périne Morand.

(*) Marie-Anne Billy, née le ag septembre 1773, mariée le 7 juillet 1795 à Jacques Macé, mourut à 1* HcnnetaU le 5 octobre 1807.

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mit à rire et visita nos chemises, elles en étaient couvertes. « A.h î dit-elle, vous les avez pris à la Grée, U y en a tant. » Elle nous changea de tout pendant plusieurs jours de suite et nous débarrassa ainsi de ce supplice. Nous fûmes bien heureuses qu’on nous prêtât les chemises les plus grossières que j’ai vues de ma vie ; mais nous ne pensions ù rien de tout cela, la douleur et le danger nous rendaient insensibles à tout. On appelait maman Marion, moi Jeannette, et M. Jagault, Pierrot ; il travaillait toujours dehors, mangeait avec nous, couchait dans différentes maisons ; nous gardions les moutons avec notre fidèle Marianne. Le procureur de la commune demeurait au village de la Hcnnetais, dans une métairie qu’il affermait ; toute cette paroisse de Prinquiau, d’environ quatre cents âmes, était royaliste, et presque toutes celles des environs ; dans celle-là surtout, il n’y avait qu’un seul paysan douteux ; les jeunes gens requis dans le pays s’étaient cachés au lieu de partir ; il n’y avait de patriotes que les communes de Donges et de Montoir, sur le chemin de Guérandc, à gauche, et d’autres de ce côté ; tous ceux de nos gens qui cherchèrent par là des asiles périrent. Les demi bourgeois étaient aussi patriotes en général.

Au bout de trois jours nous retrouvons M, , a Mamet, et, au bout de huit, M w# Carria, l’autre femme de chambre de maman, qui avait, pendant toute notre campagne, servi de bonne à ma famille. Nous avions laissé, comme je l’ai dit, M, ,# Mamet dans une maison près de la grande route, les fuyards et les vainqueurs prirent ce chemin ; les gens de la maison, effrayés, ne voulurent pas la garder et lui dirent de s’en aller ; elle se mit à courir avec les fuyards, au milieu des coups de fusil ; elle prit heureusement sur la gauche, dans la paroisse de la Chapelle-dés-Quatre-Évangélistes (i), et, arrivant hors d’haleine chez un paysan, elle lui cria : « Ayez pitié de moi 1 » Elle avait perdu la tête au point de

(1) La Chapello-Laonay, près Savenay.

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lui raconter que son mari et ses enfants venaient d’être tués à côté d’elle. Cet homme, nommé Laurent Cochard (i), la cacha sous son palier, dans une niche qu’il avait faite pour serrer des navets ; aussitôt les Bleus arrivèrent, fouillèrent partout, enfoncèrent leurs sabres, leurs baïonnettes dans le palier ; elle voyait arriver les pointes, mais aucune ne la toucha. Quand les Bleus furent partis, Cochard fut la chercher, l’habilla en bretonne, et, à peine était-elle déguisée, un volontaire entra ; Cochard prit le haut ton, lui permit de fouiller, en lui disant toutefois de ne rien prendre, car il saurait se défendre contre un homme seul ; cette fermeté lui ht peur, il se retira après une légère visite.

Depuis ce temps, M, !o Mamct resta tout l’hiver fort tranquille chez ce brave homme. Elle nous retrouva facilement, n’étant qu’à une demi-lieue de nous ; elle venait nous voir souvent et rencontrait quelquefois les Bleus ; mais comme elle avait du sang-froid et que, petite et jeune, elle avait l’air d’un enfant, ils ne faisaient pas attention à elle. Quant & M u * Carria, elle prit la fuite avec la cavalerie, qui gagna Crossac et ensuite la forêt du Gavre ; mais, la plupart quittant le gros de la troupe à mesure, il en arriva très peu ; Carria, & raison de son extrême fatigue, s’arrêta chez des paysans qui la cachèrent, et, dans l’espérance de nous retrouver, elle s’avança petit à petit du côté où nous étions, à trois lieues de Crossac ; elle nous arriva avec son cheval et resta cachée dans la même paroisse que nous.

(O Laurent Cochard n 'avait alors que dja-sept ans ; c’était sans doute ehex son père, Roland Cochard, au hameau de Pibois. Laurent y est mort le 17 novembre ' 847 -

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CHAPITRE XXII

DEPUIS LE i" JANVIER 1794 JUSQU’AU îo MAI SUIVANT

L es paysans bretons étaient accoutumés à cacher beaucoup de monde : presque tous leurs prêtres, les requis et ceux qui avaient marqué dans l’insurrection ; une quantité de Vendéens vint s’y joindre. Les patriotes, n’ignorant point l’opinion du pays, faisaient des fouilles continuelles. On peut dire qu’à cette époque les volontaires tuaient qui ils voulaient, et sans jugement ; ils rapportaient les oreilles d’un Brigand, et, sans s’informer de la vérité, on applaudissait. Ils tiraient sur les gens du pays qui, à leur approche, cherchaient à s’enfuir, et il fallait s’arrêter ou risquer de recevoir des coups de fusil. Qu’on ne croie pas que nous nous étions mis dans des caches, nous étions au contraire toujours dehors, tout le pays étant bon ; cependant il y avait à craindre les bavardages et des dénonciations de quelques habitants des bourgs, où l’on reconnaissait facilement les étrangers. Beaucoup de nos gens se faisaient des loges dans les bois pour y coucher, surtout les hommes, qui trouvaient plus difficilement asile que les femmes.

Comment ne pas admirer, cependant, l’hospitalité et la bra-

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vourc de ces pauvres Bretons) Plusieurs fois on a fusillé ou emprisonné les maîtres de la maison où l’on prenait des gens cachés, les autres n’en continuaient pas moins & nous rendre service. Il n’y avait pas un être souffrant qui ne pût venir demander à manger & toutes les portes, on les recevait bien, on leur donnait du linge ? enfin ces paysans étaient la bonté même ; jusqu’aux enfants qui venaient nous avertir de l’approche des Bleus.

Je ne concevrai jamais comment une petite sourde-muette de sept ans avait deviné les risques que nous courions et allait prévenir, par ses cris et ses gestes, tous les gens cachés. Une chose & remarquer aussi : les chiens, battus souvent par les volontaires, les avaient pris en grippe et ne cessaient d’aboyer sitôt qu’ils se mettaient en marche ; Ils caressaient au contraire les pauvres Brigands qui passaient pendant la nuit. Ces chiens nous servaient de sentinelles, ils nous ont à nous-mêmes sauvé la vie une fois, comme je le dirai.

Vers le i* r janvier nous eûmes une grande peur : trois hommes armés vinrent demander le soir Marion, Jeannette et Pierrot ; c’étaient M. Boisgauthier, commissaire des vivres, et deux hommes du pays. Il connaissait M. Jagault et venait nous proposer de traverser la Loire avec lui ; il avait un batelet, il voulait tenter le passage. Il y avait tant de risques pour arriver au bord et tant d’incertitude de ce qu’on trouverait de l’autre côté, que nous refusâmes. Il passa avec sa femme ; après mille dangers et après avoir erré, mourants de faim, sans guide et toujours au moment d’être pris, ils retrouvèrent les royalistes.

Nous avions fait connaissance avec deux prêtres du pays, le jour des Rois ; ils étaient avec nous quand il arriva une cruelle histoire à notre bourg de Prinquiau : les paysans, quoique aucun prêtre n’osât se rendre à l’église, s’y rassemblaient les dimanches et les fêtes pour prier Dieu en commun ; les volontaires arrivèrent à la porte et, voyant tous ces gens à genoux, ils firent une décharge dans l’église. Par hasard ils ne tuèrent que le seul

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patriote de toute la paroisse ; U se rendait à l’église uniquement pour foire comme les autres ; les Bleus furent très fâchés d’avoir atteint leur seul partisan ; cela consola les habitants de la peur qu’ils avaient eue, mais ils n’osèrent plus se rassembler.

M. des Touches, cordon rouge, vieillard de quatre-vingt-dix ans (i) qui suivait notre armée, se trouva caché près de nous, Al. Jagault alla le voir et adoucit ses derniers moments en te faisant administrer ; il laissa beaucoup d’argent & son fidèle domestique, nommé Charles, et en outre cent louis, qu’il pria ce jeune homme de conserver pour son fils émigré ; Charles, n’osant pas toucher k ces cent louis et ne sachant qu’en faire, voulait les enterrer avec son maître. Comme nous avions peu d’argent et plus d’espoir de nous sauver que lui, si ardent pour la guerre, M. Jagault l’engagea à nous les confier ; il le fit de grand cœur ; nous écrivîmes une reconnaissance sur des feuilles de plomb, Charles trouva moyen d’aller joindre Charette, 11 fut tué l’année d’après, laissant la réputation d’un brave, et nous avons eu depuis la satisfaction de rembourser M. des Touches, qui en avait grand besoin.

M. Jagault était fort malheureux ; malade, exténué de fatigue, il ne pouvait avoir de repos, il lui fallait souvent coucher dehors, La femme Ferré imagina de le cacher k Nantes ; dix bouviers devaient partir de Prinquiau pour le marché de cette ville ; elle eut le courage de monter sur une des charrettes et de se faire mener par lui. Il ne craignit pas de se mettre en chemin sans passe-port et ne sachant pas mener les bœufs ; en route il se coucha sur la charrette, les neuf bouviers conduisaient les dix voitures, il y avait un laissez-passer simple pour les dix hommes. M, Jagault arriva, grâce à son sang-froid et à celui de la Ferré,

(0 il était loin «Titre aussi Agé que sans doute 11 lo paraissait. Charlet-Rcné-Dombique Sochet, chevalier, seigneur des Touches, «hait né à Luçon la 7 août 17*7 ; garde de marine en 1743, capitaine de frégate en 1750, commandeur de SainlLouU en 178», chef d*escedre en 1784, il avait été nommé contre-amiral le i w janvier 179a.

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qui disait que son imbécile de métayer Vêtait entêté à venir, relevant à peine de maladie ; elle le cacha à Nantes chez une blanchisseuse.

Nous passâmes tout l’hiver à garder les moutons, presque toujours dans la même ferme, quelquefois cependant obligés de changer ; différents événements troublèrent notre existence tou* jours bien malheureuse : les Bleus ne passaient guère de jour sans faire la fouille, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Les villes mouraient de faim, mais les campagnes avaient beaucoup de blé : quand on leur en demandait, elles disaient n’en avoir pas non plus, et, comme tout le pays pensait bien, personne ne dénonçait. Les Bretons se nourrissaient très mal, nous tâchions de vivre autrement qu’eux ; mais il fallait beaucoup de précautions, pour ne pas nous trahir par nos provisions ; d’ailleurs on n’osait pas acheter à la ville, de peur de faire naître des soupçons ; à peine pouvions-nous avoir de temps en temps un quarteron de cassonade. Le vin était détestable, nous ne buvions que de l’eau ; nous mangions toujours à la hâte, de peur d’être surprises. Un autre embarras pour nous était de ne rien savoir en fait de cuisine ; aussi dînions-nous souvent avec de la bouillie ; nous ne vivions guère que de laitage, d’oeufs et de choux.

Un jardinier des environs nous vendait quelquefois des

légumes ; nous croyant pauvres, cet homme, la première fois

qu’il vit maman, lui mit un petit écu dans la main, aumône

énorme pour un ouvrier ; un prêtre du pays voulut aussi lui

donner douze francs. Au bout de quinze jours, nous décidâmes

Laurent Cochard à aller près d’Ancenis (i) savoir des nouvelles

de ma fille ; nous le désirions vivement, dans l’espoir que mon

père y aurait peut-être envoyé de son côté, et que par là nous

pourrions avoir des indicés de son existence. Mais personne

n’était venu s’informer de l’enfant ; elle était morte au bout de

(t) À la ftougeaudlcre, paroisse de Seint-Gcnion, che* Renée Baudouin, femme de René Trimorcau.

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six jours (1), des fatigues de la guerre, malgré les soins des bonnes gens à qui je ravala confiée. Je pleurai beaucoup & cette nouvelle, sans pouvoir m’empêcher de penser que c’était le plus grand bonheur qui pût lui wriver.

Nous entendîmes un jour fusiller un Brigand h qui nous venions de parier. Notre hôte, le procureur de la commune, mourut en nous recommandant à ses enfants. Un soir, comme nous venions de nous coucher, on frappa à la porte à coups redoublés : Ouvres au nom de la loi, criait-on. Nous nous crûmes perdus ; il se trouva que c’était un volontaire ivre, qui demandait le chemin de Savenay. Une fois les Bleus arrivèrent ; j’étais malade, couchée et endormie, on fit sauver maman, les Bleus entrèrent ; heureusement le bruit ne me réveilla pas, ils ressortirent sans que je m’en doute. Un autre jour, lis viennent en foule, nous voulons gagner le pays, mais ils semblent suivre nos pas ; enfin, nous nous jetons dans un champ et, au milieu des paysannes qui cherchent à nous sauver, nous arrachons l’herbe dans le froment, h genoux, suivant l’usage du pays ; les Bleus passent assez près, sans faire attention à nous. Il nous arriva ainsi mille petits événements ; ma mère était sans cesse livrée aux inquiétudes, mais dans le danger elle avait plus de courage que moi. J’étais dans une espèce de marasme, je dormais presque toujours et quand on venait nous dire ; Sauvez-vous, voilà les Bleus t ce qui nous arrivait souvent, vrai ou faux, je me mettais à courir machinalement, souvent sans m’informer de quel côté ils venaient.

M. de Marigny s’était chargé d’une très jeune personne, M l, # de Rechignevoisin (a), qui avait perdu sa mère à l’armée, à

(t) te 34 décembre 1793.

(a) Rose-Putchéric, fille de Pierre-Gabriel de Rechignevoisin, seigneur de Guron, et d’Hclène-Pulchérlc de 1 « TuHaye, était née à la Bourcière, paroisse d’Antigriy, pris la Châtaigneraie, le i 3 octobre 1776 ; elle épousa k Jallais, prés Beaupréau, le 14 septembre 1796, Jacques-Philippe de la Béraudlire, qui fut colonel et chevalier de Saint-Louis. Elle mourut le 3 o avril 1847, au château de Beauvais, commune de Saint-l&tienne-de-Chigny, Indre-et-Loire.

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la déroute de Savenay ; U la cacha chez un homme de Donges, lui donna de l’argent pour la sauver, et le menaça de venir le tuer, s’il la dénonçait. Cet homme se trouva être un patriote, mais, soit qu’il eût peur de la vengeance de M. de Marigny, soit' humanité, il la cacha dans un lit. Son (Us s’était (oint aux Bleus, et arriva avec beaucoup d’autres pour manger et se reposer ; il venait de poursuivre nos gens. Le père lui dit : « La fièvre vient de prendre ta sœur. — Ma sœur ? » fit-il étonné (car il n’en avait pas), à Mon Dieu, oui, la voilà couchée », dit le père en lui serrant la main ; le garçon, revenu à lui, fut voir sa prétendue sœur ; les Bleus et tous les gens de la maison passèrent la nuit à se réjouir de leur victoire.

Le lendemain, le maître dit à M“* de Rechignevoisin : à Je vous ai sauvée, mais je ne puis vous garder, je vais vous envoyer du côté de Prinquiau » ; elle ne demandait pas mieux que de quitter cette maison, elle arriva par hasard dans le même village que nous, elle prit le nom de Rosette ;, elle gardait les moutons ; petite et délicate, elle avait l’air de n’avoir que douze ans, et elle en avait seize. Elle avait beaucoup de courage, d’esprit, mais l’étourderie de son âge, et nous la vîmes le moins possible.

M. de Marigny, quoique très grand, d’une tournure remarquable, connu à Nantes et même dénoncé, y allait sans cesse, ainsi qu’à Savenay, à Pont«Château ; il avait le talent de se déguiser, parlait toutes sortes de patois ; d’ailleurs sa témérité, que rien ne pouvait déconcerter, le faisait passer partout. 11 conduisait tantôt des cochons, tantôt des oies ; il courait tout le pays pour chercher à le faire révolter, et pour connaître la force des garnisons. Au bout de deux mois, il revint à Donges et demanda ce qu’était devenue M u< de Rechignevoisin ; le patriote lui dit qu’elle était vers Prinquiau ; il y vint et, sachant notre présence, il passa deux heures avec nous, nous annonça qu’il allait soulever le pays, et nous dit la nuit et l’heure du rassem-

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Moment avec lequel il comptait surprendre Savenay, Nous ne fûmes que médiocrement effrayées de ce plan, nous étions si malheureuses, nous courions tant de risque», un changement quelconque nous paraissait avantageux. Il nous apprit que tous nos domestiques, qui s’étalent rendus à Nantes, avaient péri comme les autres ; on les avait noyés deux à deux ; ainsi attachés, Bontemps et Herlobig, domestiques de mon père, deux braves rendus furieux, avaient saisi, au moment où on les précipitait, deux volontaires, et les avaient noyés sous eux.

La nuit fixée pour la révolte, les paysans, au nombre de six cents, se rendirent successivement, mais la peur les affola, et, se prenant les uns les autres pour des Bleus, ils s’enfuirent ; presque aucun n’arriva au rendez-vous. M, de Marigny ne put donc rien entreprendre, et les patriotes, informés de cette tentative, furent plus enragés que jamais contre les gens du pays. Le maire de Prinquiau, malgré sa vieillesse, était un des plus ardents à la révolte. Les Bretons sont braves individuellement, mais, quoique généreux à l’excès pour les malheureux, l’attachement à leurs intérêts leur ôte l’envie de s’insurger ; la peur des incendies abat leur courage : c’est pour cela, je pense, que jamais les Bretons n’ont pris les armes en masse, comme les Vendéens ; aussi braves qu’eux au combat, ils ne se sont point décidés à se lever avec le même ensemble.

Le rassemblement de M. de Marigny manqué, les paysans eurent beaucoup d’effroi, surtout ceux de la paroisse de Prinquiau, dont le maire était obligé de se cacher. Nous allons ainsi que d’autres, dans celle de Pont-Château, au village de la Mélinais, à une demi-lieue. Nous arrivons le soir dans la maison de Julien Riallot ; Rosette s’y trouve ; nous nous jetons tout habillées sur une couette dans le grenier ; vers minuit, le hurlement des chiens nous réveille ; Julien entrouvre la porte,

U voit passer une troupe de soldats. Il avait sa femme et plusieurs filles ; H dit qu’avec nous en plus, cette quantité de

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femmes trouvées dans sa maison ne manquerait pas de nous exposer, qu’il lui paraissait prudent de nous enfuir» Il nous fait en conséquence traverser le village, heureusement les Bleus n’y avaient laissé aucune sentinelle ; de là nous gagnons un petit ' bouquet de futaie, tout voisin et dépendant du château de Besné. Maman dit & Rosette qu’elle avait bien assez de mol à sauver ; qu’il fallait qu’elle choisît, ou de rester là, ou d’être conduite par Julien à Prinquiau, et que nous prendrions l’autre parti ; Rosette préféra s’en aller, Nous restons dans le trou d’un arbre arraché, je mets ma tête sur les genoux de maman et m’endors, suivant ma coutume.

Les Bleus avaient pris trois Brigands près d’un village, dans un cabaret où ils avaient mis le feu, et emmené la maîtresse en prison. Au nombre des trois était un Allemand, déserteur blessé, que j’avais rencontré une seule fois par hasard ; j’aurais désiré le panser tous les jours, maman m’en empêcha heureusement, elle avait peur qu’il ne devînt un traître ; en effet, cette imprudence nous eût perdues, car, pour racheter sa vie, il se fit conducteur des Bleus ; il ne sut pas où nous logions. Comme on avait dénoncé un prêtre caché dans une maison, au bout du village où nous étions, les républicains y avaient tous couru sans mettre de sentinelle : autrement nous étions prises. Ils manquèrent aussi le prêtre qui se sauva, ils trouvèrent son lit encore chaud et ses vêtements ; ils firent toute la nuit un train infernal dans le village, tirant des coups de fusil, fouillant partout ; nous n’étions pas à deux cents toises d’eux.

Au point du jour, Julien paraît, nous nous levons, il nous fait signe de rester à terre, et vient à nous. Gomme le bois était très clair et que nous étions près du château, maman lui dit ; a La place n’est pas tenable, nous serons prises, conduisez-nous où vous voudrez. — J’ai six enfants, il fait jour, je n’ose pas », répond-il, et il s’éloigne. « Eh bien, à la garde de Dieu, mon enfant », dit ma mère ; elle ramasse des jonquilles sauvages en

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me disant : « Mets ce bouquet, comme un jour de fête, j’ai un bon pressentiment. » Son air de confiance me rassure et me fait une révolution qui me rend le courage ; nous nous mettons à marcher, sans connaître ni suivre aucune route, nous n’y pensions même pas ; nous ne savions que celle de Prinquiau, que nous n’osions prendre. Nous cherchions les endroits les plus reculés, nous allions de champ en champ, traversant les haies d’épine, les fossés pleins d’eau, entendant toujours les coups de fusil et les cris des Bleus répandu» dans le bois que nous venions de quitter ; ils brisaient tout dans le château, quoique inhabité. Après une longue course, tant que nos forces purent nous le permettre, nous nous asseyons dans un champ d’ajoncs, dos à dos pour nous soutenir, et restons là, mourantes de faim et de froid ; nous y sommes jusqu’à midi, ne sachant que faire. Enfin arrive notre fidèle Marianne ; ayant appris ce qui sé pas* sait à la Mélinais, elle venait savoir de nos nouvelles, et, d’après les informations qu’elle eut de Julien, elle se mit à nous cher^ cher, portant de la soupe dans un pot, et nous ramena chez elle ; c’était assez loin.

Quelques jours après, M. de Marigny vint noua dire adieu ; voyant qu’il ne pouvait insurger le pays, il avait pris le parti de repasser la Loire. L’Allemand dénonça tous ceux qu’il put, notamment Rosette, comme femme de M. de Marigny ; on se mit à la chercher ; elle se trouvait notre voisine, cela augmenta nos dangers ; heureusement l’Allemand ne nous connaissait pas ; elle parla plusieurs fois aux Bleus, mais j’ai dit qu’elle avait l’air

d’un enfant de douze ans, ils ne purent deviner que c’était elle qu’ils cherchaient.

Cependant Rosette voulut traverser la Loire avec M. Dargent (i), médecin dé Charette, et dont le fils (a) était officier

r. J r “ n ' V "lî ? ©argent, sieur de Kerbiguet, ancien contrôleur des actes à Pont-Croix, près Qu Imper, marié en t 7 53 à Péri ne Riou de Pencsquin.

(a) Pierre-Olivier Dargent de Kerbiguet, né à Pont-Croix le a8 mai 17 * 7, « ci-

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dans son armée, sa femme, ses deux filles (j) et trois soldats vendéens. Ils firent ce qu’ils purent pour nous décider à partir, je le désirais, maman ne le voulut jamais, ne me trouvant pas en état de faire des marches forcées, et c’était bien vrai. Ils partirent ; nous avons au qu’après mille dangers, de l’autre côté de la Loire, les soldats de Charctte les prirent pour des espions, fusillèrent les trois hommes ; M. Dargentfutau moment de l’être aussi, il ne dut la vie qu’aux cris de sa famille et surtout h son âge ; on le mena enchaîné àCharette, qui le reconnut et fit cesser le carnage que ses gens faisaient journellement des malheureux Brigands venus pour le rejoindre : ainsi avaient péri les deux jeunes Duchaffault, dont on ne peut assez regretter la déplorable fin.

Je ne sais plus quelle aventure nous obligea de retourner à la Méünais, dans une autre maison ; l& on voulut nous séparer, maman et moi, nous n’y consentîmes jamais, décidées plutôt k coucher dehors. Je me rappellerai toujours que, dans ce moment, nous entendîmes de nombreux coups de canon, notre courage se ranima. Cela se répétait souvent, soit du côté de l’armée de Charette, soit du côté de la mer : ce bruit nous donnait l’espoir que les royalistes se battaient et pourraient nous délivrer. On s’accroche & tout dans le malheur. Les gens de la maison, touchés de notre résolution, se décidèrent à nous faire coucher chez eux. Qu’on ne croie pas que tes Bretons nous rendaient service pour de l’argent ; nous n’en dépensions guère que pour nous nourrir toutes quatre et nous habiller ; nous leur donnions très peu, et ils ne nous demandaient jamais rien ; ils avaient

devant homme do loi ». On a publié, on 1798, des extrait*, sans doute apocryphes, des * Mémoires ou Journal d’Olivier d’A rgens, gentilhomme breton, trouvés sur lui-même, après sa mort dans un des combats qui ont précédé la prise de Charctte en 1796. Mais Le Bouvier-Desmortiers raconte que Charette avait donné À cet officier une mission pour l’Angleterre, et c’est sans doute en s’y rendant, qu’il mourut À Hennebont en Bretagne, le 39 décembre 1795.

(0 Marie-Noéle, Agée de trente-neuf ans, et Marie-Jean ne-OUve, Agée de trente-deux ans.

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môme l’air fâché qu’on mît leurs services & prix. Je devenais énorme et nous commencions à nous occuper de la manière dont je pourrais accoucher tranquillement ; deux ou trois Brigandes paysannes venaient d’être sauvées par la déclaration de leurs hôtes, qu’ils voulaient les épouser ; cela donna à maman l’idée de faire semblant de me marier, pour le temps de mes couches. Nous avions fait connaissance avec Pierre Riallot (i), frère de Julien, homme veuf avec cinq enfants ; il était secrétaire de la commune ; maman pensa à lui et le lui proposa, il y consentit. On avait mis alors garnison dans tous les bourgs, et, chose étrange, nous étions plus tranquilles ; les Bleus soupçonnaient moins qu’on osât se cacher près d’eux ; de plus, les municipaux passaient leur vie avec eux, leur faisaient mille contes, les menaient où à n’y avait pas de Brigands. Riallot entre autres allait régulièrement s’enivrer tous les jours avec eux ; il était devenu leur ami et par ce moyen savait toutes leurs démarches. Il est étonnant que lui et les autres, dans le même état d’ivresse, n’aient jamais dit un mot compromettant ; les Bretons dans le vin sont dissimulés, d’une manière qui fait mentir le proverbe. Riallot fut parler du projet de mariage à l’officier public, qui l’approuva, à condition que nous aurions des extraits de baptême ; il voulait même hardiment faire la noce en public, y prier les volontaires, mais ce plan nous fit peur ; nous ne pensions qu’à éviter la publicité ; l’officier municipal dit qu’il déchirerait la feuille du registre quand nous voudrions. [ Cela était facile, car les registres n’étaient ni cotés, ni cousus.]

Comment avoir des extraits de baptême ? La Ferré était des environs de la Roche-Bernard ; clic avait eu une sœur dont on n’avait pas entendu parler depuis vingt ans, qui avait été demeurer dans la Vendée avec une nièce, petite alors. Elle nous offrit de nous faire avoir ses papiers, et, si ensuite on nous découvrait

(i) Le» Riallot étalent du village de Clae, en Prinqulau. Pierre est mort au chà* teau de Citran, en Mddoc, le 37 septembre 1838, à l’Âge doquatre>vingt*quatre ans.

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pour être des Brîgandes, nous nous trouverions une foute de parents, tous bien pensants et elle-même, prêts à nous réclamer. Rial lot fut donc chercher ces papiers ; il eut beaucoup de peine & se les procurer, tant il fallait que ce fût secret ; U les obtint enfin, mais j’accouchai comme 11 les apportait : ainsi notre mariage n’eut point lieu.

Vers le 10 avril nous eûmes de nouvelles inquiétudes, on fut môme jusqu’à dire que nous étions dénoncées pour être ensemble ; on força maman et mol à nous séparer momentanément, M n ‘ Mamet l’emmena chez Laurent Cochard, son hôte, et on me conduisit chez un nommé Cyprien (i), dans la paroisse de Besné, au village du Bois-Divet ; maman vint m’y rejoindre au bout de trois jours. Dans cet intervalle il m’arriva une aventure pénible ; j’étais sur un Ht, Cyprien, charron, faisait une roue dans sa chambre dont U avait fermé les portes. Il s’entendit appeler par un fameux patriote de Donges, pour qui il travaillait ; il me dit de me cacher et pensa que je sortais par l’autre porte ; au lieu de cela, je m’étais tapie sur mes talons au coin du lit, dont les rideaux n’étaient fermés qu’à moitié. Ce patriote resta une bonne heure ; Cyprien me croyait partie, et, comme l’autre témoignait son étonnement de l’avoir trouvé enfermé, il causa très longtemps avec lui pour lui ôter tout soupçon ; je n’osais remuer, je souffrais si péniblement dans la position où je fus forcée de rester, que U sueur m’inondait : je n’ai jamais de ma vie ressenti une gêne si cruelle.

Le 19 avril on vint nous avertir qu’on allait faire la fouille au Bois-Divet : Cyprien nous mena à un village de Prinquiau, où nous n’avions jamais été, nommé la Bonnciière, chez son beau* père, Julien Gouret (2), municipal. Nous y arrivâmes le soir,

(t) Cyprien Lesage, charpentier, décédé le %3 novembre 1847, à quatre-vingt-trois ans, veuf de Ûothon (Marguerite) Gouret, morte k Besné le g mai 18s6, à soixante-six «ns,

(a) Julien Gouret, né le 18 janvier 1768, décédé te 16 floréal en Vil, 5 mol 1799.

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j’avais beaucoup de peine & marcher ; quel fut notre embarras, quand Gourct nous annonça, pour cette nuit môme, une grande fouille générale à Prinquiau ; les Bleus l’avaient prévenu comme municipal : c’était du reste chose nouvelle, car ordinairement les Bleus se méfiaient. Gouret nous offrit de nous faire mener chez Laurent Gochard, mais il y avait une mortelle lieue ; maman vit bien que je n’étais pas en état, et décida de coucher dehors. Nous choisîmes un champ de blé, il était encore bien bas, & cette époque ; nous nous mîmes chacune dans un sillon à Gouret et sa famille nous quittèrent en pleurant, c’était pourtant la première fois que nous voyions ces bonnes gens. Le sommeil nous prit, quoiqu’il plût un peu ; maman, vers une heure du matin, fut à moitié réveillée par du bruit, sans pouvoir se rendre compte d’où cela provenait, mais elle se sentit une oppression affreuse, comme le cauchemar. C’étaient les Bleus qui passaient, le hasard les fit suivre un petit chemin, à cinquante pas de nous, par lequel on ne pouvait s’attendre à les voir venir ; s’ils avaient eu un chien, comme il leur arrivait souvent, ils nous auraient trouvées.

Quand ils eurent fouillé le village, Gouret et son fils vinrent nous chercher, et nous firent coucher dans une chambre & eux, abandonnée depuis plusieurs années (i) ; elle était en face de leur maison, de l’autre côté du chemin ; nous nous endormîmes toutes mouillées sur un grabat. Vers les cinq heures du matin, je me t’éveillai avec de violentes douleurs, mais comme je ne me croyais pas à terme, je pensai que cela venait de la fatigue ; mon mal augmentait toujours, et maman voulait envoyer chercher la sage-femme du pays. C’était une paysanne demeurant assez loin et habile par habitude ; mais on nous avait averties qu’elle était bavarde, et comme je croyais toujours voir cesser mes douleurs, je ne voulais pas qu’on la fût chercher ; enfin on

(t) Actuellement habitée par François David et Jeanne Morand, sa femme, au hameau de la ÇonneJiére.

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  • 'y décida sur les huit heures, M"“ Carria et Mamct venaient

d’arriver. Il n’y avait dans le village que deux filles de Gouret, une vieille femme de quatre-vingts ans, presque en enfance, et ' une jeune qui, étant accouchée une seule fois et évanouie, n’y entendait rien du tout.

Les souffrances, vers neuf heures, devinrent si violentes, que je dis ï « Je vais accoucher dans un moment. » Maman, toute hors d’elle, sortit en criant : Au secours/ et tomba sans connaissance dans un champ ; pendant ce temps, on fut chercher au Bois-Divet une femme qui, ayant eu beaucoup d’enfants, devait savoir me secourir i toutes les filles m’entouraient en pleurant. Pour moi j’avais un courage de nécessité ; d’ailleurs, la vie m’était ù charge, je les exhortais à ne pas se désoler et je les encourageais. J’accouchai d’une fille ; personne ne sachant la prendre, elle resta là un quart d’heure ; enfin la femme du Bois-Divet arriva et la reçut. Je souffrais toujours beaucoup ; peu de minutes après, j’eus une seconde fille. Cette femme me dit : « Eh, mon Dieu ! voilà encore un enfant. — Eh bien, lui répliquai-je, prenez-le. — Ahî celui-ci est mort, dit la vieille » ; l’enfant se mit à crier. « Mais non, lui dis-je, ce n’est pas. » Je fus délivrée tout aussi heureusement. La vie active que je menais, ou plutôt la bonté de Dieu, contribua sûrement au peu de douleurs que j’éprouvai, car je n’ai jamais eu de couches aussi heureuses. La sage-femme arriva une heure après, visita mes enfants, trouva toute la besogne bien faite et s’en retourna.

Que faire de ces enfants ? Ne comptant que sur un, et dans six semaines au plus tôt, je n’avais rien de préparé pour les recevoir ; chacun chercha des guenilles pour les couvrir comme on put. Notre bonne Marianne arriva, car elle courait toujours après nous ; j’avais désiré nourrir, mais ma mère m’en avait démontré l’impossibilité et le danger, tant pour nous que pour mon enfant. Nous n’avions point pensé à chercher de nourrice, on m’en trouva une pour la petite Joséphine, au Bois-Divet ; elle était laide et

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vieille, nous étions encore trop heureuse» de la trouver ; pour mon autre fille Louise, M Ho Mamet la porta d’abord au village de Glas, à une jeune femme qui n’osa ta garder qu’une nuit Le lendemain, on la remit à une pauvre femme de Camphon ; mai» on dit qu’elle était malsaine, alors maman fut décider une cousine de Marianne à la prendre ; elle (t) demeurait & la métairie de la Pilais, en Prinquiau. C’était une bonne nourrice, son enfant avait un an ; elle alla trouver l’officier public et fit enregistrer mon enfant sous son propre nom.

Trois jours après, un prêtre vient baptiser les deux jumelles dans ma chambre, nous prenons quatre témoins : Ferré, Gouret, Pierre Riailot et Henri Morand, On fait les extraits de baptême sur des assiettes d’étain, on écrit avec un clou les noms des père et mère ; nous promettons à chaque témoin mille écus de dédommagement pour tous leurs frais, au cas où ils seraient obligés par la suite de chercher à faire légitimer la naissance de ces pauvres enfants ; tout le monde signe sur les assiettes, qu’on enterre (a). Ces précautions nous rassurèrent sur leur sort, s’il nous arrivait d’être prises.

Je n’eus d’autre tisane que de l’eau panée, ma santé fut bonne. La maison où nous étions était censée abandonnée, on n’ouvrait que la porte du côté du jardin, nous ne sortions pas du tout, tandis que jusque-là, à la moindre alerte, on trouvait plus prudent de nous cacher en plein air. La Providence m’avait heureusement conduite dans cet asile pour mes couches ; nous restâmes ainsi un mois fort tranquilles ; ce n’est pas que souvent ou n’eût des sujets d’inquiétude, mais ces bonnes gens nous les

(i) Marie MoBnard, femme de Charles Tessier.

(a) Ce* assiettes, déterrées depuis, sont gardées par la famille avec un soin religieux. Sur l’une sont tracés les noms de Joséphine-Ame-Marie-Perrine-Julienne de Leseure. Parrain Cyprien le Sage et marraine Perrine Morand, qui ont dédard ne savoir signer. P. Moysan, vicaire de Cordemais. En dessous de cette assiette il est écrit s Joséphine de Leseure, morte le 2 de may 1 794, George Morand.

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Assiette d’étain

Otl PUT ORAVÉ L*ACTR DR BAPT^MK DR LoüIRR DR LkSGURK N&t À |A BpNNRMÎtRR KH PrINQWAÜ LK 30 AVRIL «794

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cachaient, surtout à moi, On s’aperçut au bout de trois jours que Joséphine avait le poignet estropié, peut-être par la faute de ceux qui l’emmaillotaient ; la nourrice consulta un chirurgien, il promit d’y remédier quand l’enfant serait plus âgée. Telle était notre déplorable situation, que je fis le projet, et cela me parut simple, de la porter à mon cou à Barèges, en demandant l’aumône, car je songeais que nous finirions par manquer d’argent, quoique nous en dépensions le moins possible, nos assignats n’ayant pu nous servir. Au bout de douze jours, Joséphine mourut, je l’appris à la manière des paysans ; une des Üllcs de Gourct entra dans ma chambre et me cria de la porte : « Mauvaise nouvelle ; votre fille du Bois-Divet est morte. — Elle est bien heureuse et plus que moi », lui répondis-je. Je ne pus m’empêcher de pleurer, je sentais pourtant que c’était un grand bonheur pour elle.

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CHAPITRE XXIII

DEPUIS LE »o MAI 1794

JUSQU’À LA FIN DE DECEMBRE SUIVANT

4

À l’époque de mes couches, ma mère avait reçu une lettre d’une écriture inconnue et non signée ; elle venait par des paysans sûrs. On y témoignait un grand désir de nous être utile, on nous offrait de nous procurer un asile ; maman espéra que mon père ou quelque personne de nos amis nous cherchait, elle répondit avec beaucoup de reconnaissance. On lui apporta une seconde lettre de la même écriture : la personne offrait de venir nous prendre, maman accepta. Nous vîmes arriver, le 19 mai, une jeune personne de vingt-trois ans, nommée Félicité des Ressources (1), conduite par une vieille fille de Camphon. Cette demoiselle des Ressources était la cinquième enfant d’un vieux bourgeois ruiné qui demeurait au bourg deGuenrouét, à cinq lieues de Prinquiau ; sa famille pensait bien, mais était fort peureuse ; la jeune fille ne s’occupait qu’à rendre service, et presque toujours à l’insu de ses parents.

On lui demanda comment elle nous avait découvertes et qui

(1) Félicité-Victoire Garnier de* Ressources, née à Ancenis le a 7 juin 1766, fille de « noble homme Julien Garnier des Ressources, contrôleur et receveur dos de* voir* », épousa Gilles-Hector Lctclllcr, et mourut eu Croisic le 6 octobre 11*45.

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l’avait engagée à s’intéresser à nous ; elle dit avoir entendu parler de nous par bien des Brigands, et que le désir de nous trouver occupait son cœur depuis la déroute de Savenay, Elle n’avait cessé de nous chercher, avait été fort longtemps sans noua découvrir, à cause des précautions que sa prudence lui faisait prendre pour nous ; elle demandait où était une femme grosse avec sa mère. Enfin cette fille de Camphon nous avait rencontrées, nous avait fait passer ses lettres ; elle venait nous offrir de nous conduire à trois lieues de chez elle, chez M m * Dumoustiers, paroisse de Fégréac : c’était son amie intime, elle en faisait l’éloge le plus mérité. Nous étions à Prinquiau depuis longtemps, nous commencions à être très connues ; de toute manière, changer d’asile nous était nécessaire ; de plus, nous ignorions tout au milieu de nos bons paysans ; nous avions su pourtant la prise de Noirmouticr, racontée dans le seul bulletin qu’on nous eût prêté par hasard. Nous n’avions pas la moindre notion de rien, ni aucun moyen de nous procurer quelque information.

Nous acceptons donc, mais nos bons hôtes, ainsi que des prêtres, vinrent donner & maman de nouvelles inquiétudes dont elle me cacha une partie ; on lui dit qu’il y avait cent cinquante Bleus en garnison à Guenrouüt ; que les officiers logeaient chez M. des Ressources ; que Félicité allait nous livrer ; qu’il fallait plutôt rester chez nos bons amis de Prinquiau. M Ufl des Ressources devina ce qu’on disait & maman, elle se mit à pleurer, lui confirma qu’elle avait des officiers logés chez elle, avoua même qu’un d’eux s’était avisé de tomber amoureux d’elle, qu’il viendrait au devant de nous, mais elle espérait nous sauver ; ses larmes et l’extrême douceur de sa figure décidèrent maman. M™ Dumoustiers et la fille de Camphon étaient bien connues pour leur royalisme ; d’ailleurs, ma mère fit cette réflexion sage, que M“° des Ressources, sachant où nous étions depuis un mois, nous aurait fait prendre si elle eût voulu, sans y joindre la barbarie de venir nous chercher pour nous livrer.

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Le meunier chez lequel on m’avait cachée le jour de la déroute était venu me voir quinze jours de suite assidûment ; U me faisait la cour ; tout d’un coup il cessa ses visites, et quand nous le rencontrions, il se bornait à nous offrir ses services de l’air le plus respectueux ; il chargea la fille de Camphon, sa cousine, qui lui avait appris notre prochain départ de Prlnqulau, des paroles suivantes : à Vous présenterez mes respects à M mM de Donniasan et de Lescure ; vous leur direz que j’ai su leurs noms quinze jours après la déroute, c’est ce qui a causé mon changement de conduite ; voyant qu’elles craignaient d’être connues, j’ai voulu leur éviter l’inquiétude qu’elles auraient pu avoir, me sachant au courant de leur secret. » Quelle délicatesse dans un paysan de vingt-trois ans ! (i)

Les bons municipaux de Prinquiau nous donnèrent des passeports sous de faux noms : à maman, de Jeanne Jagu, et & moi, de Marie Jagu ; nous prîmes les extraits de baptême, la Ferré nous promit encore de nous réclamer, elle ou sa famille, si jamais nous étions arrêtées. Nous devions partir de bonne heure, mais on vint dire qu’ordre avait été donné aux environs d’amener tous les chevaux pour choisir ceux propres à la réquisition ; nous risquions de rencontrer tant de monde, qu’il fallait attendre l’heure où chacun serait rendu à Savenay.

<0 Vcr8 »8a$* reçu do Renaud Lanoê uno lettre en ces terme si simple» j « Madame, Je suie le garçon meunier qui, le jour du combat de Savenay, vou» al gardée dan» le moulin & vent. J’ai quatre enfant». J’ai eu l’idée de bâtir un moulin à vent, ce qui m’a fait faire de grandes dette» ! mon deuxième fila, Jean-Baptiste, vient de te vendre comme remplaçant, 1830 franc». Pour en payer une partie, il m’a donné tout, excepté 30 franc» qu’il a gardés. On l’a fait partir pour son régiment, qui est à Niort ; mais j’ai dans l’Idée que vous avec un fils au service, et je voudrais que Baptiste entrât dans le même régiment. » Je courus ehe* M. de Clermont-Tonnerre, alors ministre do la Guerre. Il fut al touché de la conduite du père et du fils, qu’il ordonna de diriger Baptiste Lanoô, dès son arrivée à Niort, au » 8 * régiment de chasseurs. Mon fils le présenta au colonel et aux officiers, 11 fut comblé d’éloges et do bontés. Mon excellente mère envoya sur-le-champ *,400 francs â Renaud Lancé, à ta condition de faire un acte par lequel Baptiste devenait propmtah ^ti miNilla, le père n’en conservant que la jouissance durant sa vie. (Note

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Je sortais de ma chambre pour la première fois ; nous par* tons à onze heures, M u * des Ressources à cheval, conduite par Pierre Riallot, d’autant plus courageux en cela, qu’il avait écrit et signé nos passeports comme secrétaire de la commune ; la ' fille de Camphon & pied, maman et moi sur un petit cheval sans selle, en très pauvres paysannes. Nous nous arrêtons pour embrasser ma fille à la Pilais ; nous faisons une lieue paisiblement, nous ne voyons des soldats que de loin ; mais dans la paroisse de Camphon, en quittant les landes, près d’un village et par conséquent du pays cultivé, nous nous trouvons dans un chemin étroit, entouré de haies. Nous apercevons dix Bleus qui,

& notre vue, reviennent sur leurs pas et se rangent au bord du chemin pour nous regarder passer ; ils étaient la plupart en chemise et avaient l’air de furieux. M u * des Ressources, avec une tranquillité admirable, lève son voile, Riallot salue, et nous avançons. Ma mère eut, dans ce moment, une grande présence d’esprit ; deux paysannes qui nous étaient inconnues nous croisèrent, elle leur fit un air de connaissance, et ces femmes lui rendirent de même le bonjour ; peut-être cela contribua-t-il à faire croire aux Bleus que nous étions du pays.

À peine avions-nous échappé & ce danger, qu’un petit garçon de douze ans, neveu de la fille de Camphon, passa sans s’arrêter en nous disant : « Une troupe de Bleus fait la fouille dans le village que vous allez traverser. » Que faire ? Félicité se retourne en regardant d’un air incertain maman qui lui crie : <t En avant, mademoiselle, nous sommes perdues si nous reculons. » Nous renvoyons Riallot, que nous aurions exposé inutilement, la fille connaissant bien le chemin. Ce fut dans ce moment qu’il me donna, en pleurant, une bague de paysanne, que j’ai toujours portée depuis et que je ne quitterai Jamais. Félicité se met à chanter ; « elle a peur », me dit maman. Nous arrivons au village, il y avait une sentinelle ; M lt * des Ressources la salue et lut dit : « Voilà un superbe temps pour faire la fouille. — Oui, citoyenne,

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lui répond le soldat, J’ai l’honneur de vous saluer, » Nous allons ainsi sans voir les troupes ; elles étaient dans les maisons à fouiller avec acharnement. Nous arrivons & une lieue de Guenroutt ; l’officier amoureux de Félicité paraît, elle m’en avertit ; j’avais mis pied & terre, dans le moment je devins très pâle ; j’eus le temps de me rassurer, du reste M Uo des Ressources n’oublia rien pour cela. « Eh bien, lui dit-il en l’abordant, me voilà sans arme avec un bâton ; vous l’exigez, vous ne voulez pas que je me promène armé avec vous ; je m’expose à être assassiné par les Brigands répandus dans les bois ; je crois que cela m’arrivera quelque jour ; pour vous, cela vous sera fort égal. — Ohl non, lui répond-elle, vous savez que les Brigands sont mes amis, je vous défendrai. » Un instant après, il s’approche de maman, la fixe, prend son cheval par la bride, puis revient offrir son bras à Félicité, « Je crois, dit-il, que je suis avec quatre Rrigandes, — Non, répond-elle, mais quatre royalistes. » Cet homme, moins méchant que les autres, ou plutôt très amoureux, ne s’aperçoit de rien, ou n’en fait pas semblant. Félicité me voyant fatiguée dit, peut-être imprudemment : «c Marie, prenez l’autre bras du citoyen. » Mes mains étaient très blanches, malgré tout ce que je faisais pour les gâter ; j’avais, peu de jours avant, essayé une teinture qui me les avait noircies d’une manière ridicule et bizarre. L’officier me prend la main : « Nenni, nenni, lui dis-je en patois, j’irai bien de même » ; il me regarde et me laisse.

Nous étions convenus que nous irions coucher au bourg, chez un paysan ami de la fille deCamphon ; nous quittâmes, près du bourg, Félicité ; il était nuit, le maître de la maison (1) se trouva près de là, nous fit entrer dans son écurie et nous dit qu’il venait d’arriver de la troupe de plus, et que quatre dragons logeaient chez lui et y soupaient ; il nous demanda ce que nous voulions faire. Maman, qui se croyait toujours déguisée à pas-

(i)Jean Lord, fermier de la famille Garnier des Ressources, habitait derrière l’église une maison où se trouve actuellement le bureau de tnbnc,

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ser pour une femme du pays, voulait souper avec eux ; moi, qui avais l’idde contraire, je n’osai jamais. Enfin il nous fit monter dans une chambre, séparée de celle où devaient coucher les dragons par une cloison de bois et une porte qui ne fermait pas. Le maître rentra dans la sienne, en bas, en disant & sa femme :

« Voilà les cousines arrivées. — Ah ! je vais les aller embrasser, s’écria son fils tout enfant. — Des cousines, dirent les dragons, sont-elles jeunes ? sont-elles jolies ? vont-elles venir souper ? -Sûrement, » dit le maître. Une demi-heure après, il leur apprit que ses cousines, fatiguées, s’étaient couchées, et qu’ils les verraient le lendemain ; notre nuit se passa donc très près des dragons. Le matin, tandis qu’ils allèrent panser leurs chevaux, Félicité et une de ses sœurs vinrent nous habiller en bourgeoises ; nous avions l’air tout à fait bizarre, car rien n’était & notre taille ; nous sortîmes vite de la maison, accompagnées par la sœur ; étant plus âgée, elle pouvait courir sans être retenue par ses parents ; nous nous mîmes seules en route avec elle, nous avions un cheval à nous trois. Sur les dix heures du matin, nous étions chez M m * Dumoustiers (i), qui nous reçut à bras ouverts.

C’était une femme de cinquante ans, d’une délicatesse excessive ; elle paraissait n’avoir que le souffle, mais ce corps si débile renfermait l’âme la plus forte ; on peut dire qu’elle était dévorée du désir de rendre service, et d’une aristocratie sans bornes ; elle était pauvre, fermière de la petite terre du Dréneuc, dont le

maître était émigré (a). Le château consistait en trois ou quatre

vilaines chambres (3), mais les promenades étaient magnifiques, il y avait des allées de toute espèce, des bois taillis très fourrés. C’était au bord du grand chemin de Biain à Redon, à deux lieues de cette dernière ville. Dumoustiers, veuve, avait trois fils ;

(0 Marle-OIlvc Hérî, veuve de Henri Dumoustiers. morte à Cltran en Médoc, le ns vendémiaire an VI, i 3 octobre 1797, à l’Age de cinquante-quatre ans.

(s) Cette terre appartenait A messire Le Long, marquis du Dréneuc, qui l’a laissée en héritage au marquis du Dresnay.

(3) Le chAtertU était nouvellement écroulé, Il ne restait que les servitudes,

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Joseph-Marie, Élie et Constant (1) ; l’aîné était âgé de vingt et un ans ; elle avait aussi une fille de quinze ans, Marie-Louise, parfaitement jolie. Depuis la révolution, les membres de cette famille ne cherchaient qu’à se mettre dans les partis qui se levaient en Bretagne : ils avaient été en prison et étaient fort suspects ; M w# Dumoustiers ne s’occupait pas moins à sauver des malheureux ; on ne peut nombrer ceux qui ont reçu d’elle des secours.

A notre arrivée chez elle, il y avait, soit dans la métairie, soit dans le château, trois miliciens, un petit Brigand et un prêtre à demeure. Ses enfants portaient à manger aux Vendéens dans le bois, couraient jour et nuit pour eux, même la belle Marie-Louise qui, avec l’air et le caractère le plus doux, avait un courage et un sang-froid imperturbables. Là nous apprîmes que le curé de Saint-Laud, après avoir échappé miraculeusement aux Bleus, en tournant à quatre pattes autour d’un rocher, dont ils faisaient eux-mêmes le tour, était venu se cacher chez M m * Dumoustiers. Il s’était occupé alors de faire révolter le pays ; elle nous montra un discours de quatre pages, qu’il avait composé dans cette occasion ; je n’ai jamais rien lu de si 1 touchant ni de si énergique. Il était reparti ensuite pour passer la Loire, il y réussit, ainsi que MM. Cady, cachés près du Dréneuc. Elle nous laissa ignorer la mort de mon père ; nous étions sans nouvelles, et, voyant que nous attribuions à la guerre civile seule ce qui se passait près de nous, sans nous douter de la terreur qui couvrait la France, M m0 Dumoustiers ne nous tira pas de notre erreur et nous cacha les gazettes.

Le Dréneuc est dans la paroisse de Fégréac ; il n’y avait d’autres bourgeois que la famille Dumoustiers. La population est de trois mille âmes, sans un seul patriote, et, pour faire connaître l’excel-

(1) Le 4 mare 1797, le Dréneuc fut cerné et envahi par trois cents soldats de la république ; Joseph et Constant furent tués. Élie se sauva, il s’est depuis marié. Marie-Louise a épousé M. Coué, de la Tremblaye, dans le Morbihan.

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Icncc des habitant» et la bravoure de Joseph-Marie, je me bornerai au trait suivant, qui pénétrera d’admiration ceux qui y réfléchiront : M. des Essarts, le père, était caché dans Fégréac, et souvent chez M mé Dumoustiers ; il vint un matin quinze cents Bleus de différents points, pour faire la fouille, avec l’ordre de prendre indistinctement tous les hommes qu’ils trouveraient, et de les enfermer dans l’église. M. des Essarts était entré dans une petite chapelle écartée pour prier Dieu ; les gens qui le cachaient, l’ignorant, ne purent le prévenir ; il fut découvert et avoua sur le-champ qu’il était Vendéen. Il n’y eut de pris, en outre, qu’un M. Dumagny, qui se destinait à être prêtre ; mais on l’emmena comme les autres habitants, ainsi que Joseph-Marie, sans se douter qui il était. Quand tous les hommes furent assemblés, le général fit prendre les registres, appela les municipaux, leur ordonna de les lire et de faire passer chaque habitant devant lui, pensant bien que les Vendéens ou les requis seraient infailliblement découverts. M. Dumagny perd la tête et cherche à sortir malgré la sentinelle ; Dumoustiers recommande à celle-ci la consigne et gronde M. Dumagny, en lui serrant la main. L’appel nominal se fait, et, quand on nomme un habitant absent, comme on répète deux ou trois fois son nom, Joseph-Marie pousse M. Dumagny, en lui disant tout haut : «Es-tu sourd ? N’entends-tu pas qu’on t’appelle ? » Il avance d’un air déconcerté ; le général, voyant son trouble, dit aux municipaux et & Dumoustiers : « Est-ce bien là un tel ? — Oui, général », répondent-ils tous, et le malheureux sort de l’église.

M. des Essarts, qu’on fusilla, mourut avec une sainte résignation ; c’est le seul qui ait péri à Fégréac, quoique habituellement il y eût quatre cents personnes cachées, soit requis, Brigands, prêtres ou religieuses. Le vicaire de la paroisse (i), pendant la plus grande terreur, n’a cessé de dire la messe la


(i) L’abbé Grégoire Orafn.né le *3 mars 17 56 à la Boclal», paroi**# de Fégréac, mort cure de Dcrvaî, le ao décembre 18*9.

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nuit» et souvent il y avait quatre cents assistants ; il allait partout où on le demandait ; son ardeur pour obtenir le martyre l’empêchait de redouter aucun risque ; il n’a pas manqué un instant d’exercer presque publiquement, visitant même les patriotes malades ; on a souvent tiré sur lui, mais H a toujours échappé par une suite de miracles.

M mo Dumoustiers était parfaitement aimable et cherchait tous les moyens de nous distraire ; les quinze premiers jours que nous fûmes chez elle, les Bleus ne cessèrent de venir faire la fouille autour du Dréneuc et aux environs ; cependant ils ne fouillèrent point le château. M m * Dumoustiers et ses enfants avaient soin d’aller au devant d’eux, leur offrir d’entrer pour boire et manger ; une partie acceptait, et tous oubliaient de visiter la maison. Je fus à cette époque un peu malade, mais je guéris sans remède ; maman voulait payer une pension à M mo Dumoustiers, elle refusa de l’accepter. Nous avions repris ic costume de paysanne, on croyait cela plus sûr. M ü “ Carria et Mamet vinrent nous rejoindre, elles avaient couru beaucoup de risques depuis notre départ ; des bavardages avaient fait apprendre mes couches aux patriotes de Savenay, et, comme l’âge de nos femmes de chambre était en rapport avec le nôtre, on pouvait les prendre pour nous ; on nous cherchait sans cesse, elles furent obligées de rester quinze nuits dehors.

A Fégréac, elles étaient chez des paysans voisins du Dréneuc, où elles venaient passer la journée ; le prêtre (i), caché chez M m# Dumoustiers, travaillait presque toujours dans le bois à des paniers ; il se fit une loge mobile, recouverte de toile cirée, où l’on pouvait coucher à deux ; il la portait avec un milicien sur ses épaules, et la déplaçait tous les soirs. Peu de jours avant la mort de Robespierre, un domestique qui arrivait

( :) L’abbé Pierre Marcha mi, natif de Sévérac, recteur de ta Chape ! le> Heu lin, & l’époque de la révolution, devint en 1804 recteur de Fégréac et mourut le ai dé* ccmbre >8i», & Pâgc de cinquante-huit an».

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de Redon, donna par mégarde à maman les gazettes que M me Dumoustiers nous dérobait avec soin ; elles contenaient une liste de soixante-six guillotinés dans le môme jour, dont plusieurs de notre connaissance. Il serait difficile de peindre notre douleur et notre étonnement : nous apprîmes ainsi la triste vérité. Peu après, Robespierre périt, mais la terreur, finie pour toute la France, continua en Bretagne.

L’événement le moins prévu pensa nous coûter la vie : U y avait une jeune religieuse cachée dans la paroisse, elle était du pays (i) ; nous la voyions quelquefois et ne lui avions jamais dit nos noms, que nous taisions à tout le monde. Nous avons su depuis qu’un milicien de Fégréac même, ancien soldat de Bonchamps, revenu se cacher dans sa paroisse, m’avait reconnue et l’avait dit à M“* Dumousticrs, qui lui avait recommandé le secret ; peut-être en parla-t-il à la religieuse, nous ne nous en doutions pas. Un jour nous nous promenions, cette dame, Marie-Louise, sa cousine âgée de neuf ans et moi, dans un petit château nommé le Broussay (a), de la paroisse de Fégréac ; les maîtres étaient exilés, nous allions chercher des prunes, j’avais un panier à la main ; à peine étions-nous entrées qu’un grand jeune homme, vêtu en paysan, sortit d’un bosquet. Il vint trouver ces dames qu’il connaissait ; Marie-Louise me dit tout bas que c’était un bourgeois de Blain(3) ; il s’étais mis en avant dans la révolte tentée parle pays, en mars 1793, et depuis ce temps il était caché ; il resta à causer avec Marie-Louise et la religieuse ; je ne lui dis pas un seul mot et m’en allai avec l’enfant cueillir des prunes.

{<) IVUrie-FrançoitO’Ursulc Le Pelletier, née 4 Paimbœuf le 9 mare 1759, entra aux Ursullnes de Redon en 1779 et fit profession en 178a, sous le nom do Mère Salnt-FrançoisOCavier. Chassée du couvent par la révolution, elle se retira 4 Villeneuve en Fégréac, où elle Instruisait les enfants. Rentrée 4 la communauté en {810, elle y mourut le 3 août 18s8.

(a) Le Broussay appartenait 4 M. de la Chapelle.

(3) M. Barbier du Fonteny : il était de la paroisse de Vay, (Rectifie par l’auteur.)

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Quand nous repartions, M. Barbier me salua, je ne lui rendis pas la révérence, et je m’en allai bien persuadée qu’il m’avait prise pour une servante, Quinze jours après, ce malheureux jeune homme fut saisi dans sa campagne, sous le lit de sa propre mère, massacré sous ses yeux ; on trouva dans sa poche une lettre de sa sœur, qui était en prison à Blain, et avait eu l’imprudence de lui mander : « La jeune femme que tu as vue au chûtcau du Broussay, avec M l, # Dumoustiers et M m Saint-Xavier, et que tu as sûrement prise pour une servante, est M ro ® de Lescure ; elle est blonde, âgée de vingt-deux ans, elle est cachée avec sa mère, » Suivait toute l’histoire de nos malheurs. Nous n’avons jamais pu savoir si c’était la religieuse qui avait écrit cela à M, ,# Barbier, ou si le milicien qui, peu de jours après, avait été blessé, pris et conduit à, Blain, leur avait parlé de moi et avait su l’histoire de notre promenade.

Sitôt la lettre trouvée, le district envoya trois cents hommes avant le jour entourer la maison du Dréneuc et celle du Broussay, où l’on comptait nous surprendre. Nous ignorions totalement que c’était nous qu’on cherchait et bien heureusement, car la peur nous aurait saisies ; nous pensions seulement qu’on fouillait comme à l’ordinaire, sans aucune dénonciation spéciale. Maman et moi étions couchées dans une alcôve ; M m * Dumoustiers et sa fille dans la même chambre, ainsi que sa petite nièce et M M * des Ressources, venue pour nous voir. On avertit M m< Dumoustiers que la maison et le jardin étaient remplis de soldats, d’ouvrir au plus vite ; elle se leva ainsi que sa fille ; maman, vêtue en paysanne, se mit à la peigner ; je m’enfonçai dans l’alcôve, M, le des Ressources vint s’y coucher, placée devant moi. Les Bleus frappèrent, M w * Dumoustiers ouvrit ; ils commencèrent par lui demander le nombre et la qualité des hommes et femmes habitant la maison ; avec une présence d’esprit admirable, elle déclara trois servantes au lieu de deux, y compris maman, deux nièces au lieu d’une, me comptant pour !’aînée ; il en fut de même du

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petit Brigand et de» miliciens. Les Bleus entrèrent d’un air furieux » nous leur souhaitâmes le bonjour ; M u « des Ressources se, plaignit d’être réveillée de si bonne heure : ils lui répondirent grossièrement.

Pendant ce temps-là» Marie-Louise grondait maman avec l’air le plus tranquille : ces gens sortirent ; M l, # des Ressources me tenait la main dans le lit» elle la retira trempée, comme si elle l’eût mise dans l’eau, tant ta peur me faisait transpirer. Les Bleus visitèrent pendant quatre heures le château et les bois, persuadés que nous étions cachées ; ils cherchaient des trappes, des fausses portes, des trous, et répétaient sans cesse qu’il y avait là beaucoup de femmes, mais nous paraissions n’y pas foire attention. Je me levai, on m’habilla en dame, maman ni moi ne revîmes les Bleus ; ayant assez visité cette partie de maison, ils n’y reparurent plus. Une autre troupe de volontaires entoura la demeure du Broussay ; ils fouillèrent partout et finirent par emmener le paysan Jean Thomas (i), qui régissait ce bien et était municipal ; un détachement avait déjà, le matin, arrêté les autres municipaux de la paroisse pour les conduire tous en prison & Blain.

Le lendemain, un jeune homme du district, dont je regrette d’ignorer le nom, envoya un exprès & Dumoustiers pour lui dire que c’était nous qu’on cherchait, qu’il avait été dans des transes mortelles de n’avoir pu l’en avertir plus tôt, qu’il était persuadé que nous étions chez elle, mais, puisqu’on ne nous avait pas trouvées, il était convaincu qu’elle savait du moins le lieu de notre retraite et la priait de nous faire prévenir. Nous étions confondues d’étonnement. Le soir, les municipaux arrivèrent. Le premier qui parut fut le régisseur ; il rencontra maman à la porte et se trouva mal d’étonnement ; quand il fut revenu, il s’écria : « Quoi, vous ici, madame, et c’est vous qu’on cherche !

Ces braves gens avaient ignoré jusque-là nos noms, ils

(s) Jean Thomas, né le 20 août 176», mort le 33 avril j8o3.

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savaient seulement que nous nous cachions, et, sur le vu de nos extraits de baptême de ta Roche-Bernard et nos passeports de Prinquiau, Us nous en avaient donné de nouveaux ; nous avions brûlé tes anciens. Ils nous dirent qu’on les avait interrogés pendant quatre heures, et particulièrement le régisseur du Broussay ; ils nous apprirent l’histoire de la lettre trouvée sur M. Barbier ; Us avaient été tout de suite au fait, quand on les interrogea, mais ni l’adresse ni les menaces n’eurent aucun effet sur eux, quoiqu’ils aient craint, pendant vingt-quatre heures, d’être perdus et nous arrêtées. Ils restèrent tout le temps aux grilles de leur prison, à attendre notre arrivée et à guetter quelqu’un pour nous prévenir. Ils nous prièrent seulement de leur rendre nos passeports ; il est sûr qu’ils auraient tous été guillotinés, si alors on nous eût prises munies de ces papiers ; nous en fûmes donc privées, quoiqu’ils nous fussent bien précieux, et il ne nous resta que les extraits de baptême.

Saisies de la plus grande frayeur, nous allons dans un village nommé la Rochelle, au bord de la Vilaine, à près d’une lieue du Dréneuc, toujours dans la paroisse de Fégréac ; nous y restons environ huit jours. Tout se calmait un peu et nous savions qu’on nous croyait bien loin en fuite ; nous revînmes chez MT* Dumoustiers, mais je n’y couchai plus ; nous étions dénoncées comme la mère et la fille, il était plus prudent de nous séparer. Je ne me rendais guère avant neuf heures au Dréneuc ; car les Bleus, pour leurs fouilles, arrivaient de bon matin ; ainsi j’avais toujours le temps d’être avertie avant de me mettre en marche. J’étais chez une femme fort brave (i). Un jour on vint nous dire que les Bleus étaient près de là : « Que ferons-nous ? » lui demandai-je, effrayée. Elle parut étonnée de ma question et me répondit : « Eh, nous ferons comme à l’ordinaire » ; sa tranquillité me rassura. Quand on ne venait point m’avertir, je parti) Jeanne Gulbo, femme de Jean An noix.

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tais tenant une vache par la corde, j’entrai» au Dréncuc par une fenêtre basse, hors la cour, afin d’éviter toute surprise, s’il y avait des étrangers dans la maison.

Au milieu d’une foule de traits que je pourrais citer, d’autres gens cachés, celui-ci mérite d’être rapporté ; il remonte à deux mois environ avant l’époque où j’en suis de mon histoire. Le vicaire de Bouvron (i) était resté dans sa paroisse chez deux paysannes, lingères, mère et fille ; il fut dénoncé et cent cinquante volontaires arrivèrent pour le chercher à la brune ; il était seul, et heureusement aucun patriote du pays n’était avec eux. Ils entrent en le demandant, il répond tranquillement qu’il va allumer la chandelle pour les aider à fouiller ; il les éclaire pendant une heure, et sitôt qu’ils sont partis, il s’enfuit ; l’instant d’après, les Bleus reviennent sur leurs pas, devinant la vérité, mais il était décampé. Quelque temps après, ce pauvre prêtre fut pris chez ces mêmes femmes et fusillé avec elles. À deux reprises vint chez Dumoustiers un bourgeois de Nantes de sa connaissance, M. de la Bréjoli ère (2) ; il se cachait, étant hors k loi, comme suspect ; c’était un vieillard aimable et tout à fait original. Il courait le pays, habillé en paysan, mais, ne pouvant se figurer les risques auxquels il était exposé, il avait des manchettes, une chemise fine, une montre, et il était parfumé de musc. Il faisait de jolis vers ; un jour entre autres il en répétait à maman, on vint lui dire que les Bleus arrivaient pour la visite habi*

(i> Nicolas Corbiilé, ne le 10 mai 1755» & la Cbopelle-des-Marais, près Saint-Nasairo, vicaire de Bouvron en 1785, s’était cache après l’arrestation de son curé, M. Delamare, Il prêta serment, mais avec de» restrictions. Devenu maire de la commune, U continua à administrer les sacrements en secret dans le village du Bcxon, Dénoncé, U dut se déguiser, tantôt en matelot, tantôt en mendiant, mais il fut pris et enfermé dans le presbytère de Bouvron j cherchant à s’enfuir, il eut les reins traversés d’une balle, fut entraîné et fusillé dans le cimetière, le sa mars 1794,

(a) Paul-Martin Bouhier, sieur de la Bréjoliére, né à Nantes le 7 novembre 1731. Il était depuis trente ans contrôleur des actes et receveur des droits d’enregistrement, lorsqu’il fut brutalement destitué par Fouché, le 3 o mars 1793 et remplacé par le sans-culotte J. J. Goulln. il avait épousé, le ro septembre *776, Madeleine-Anne Sabry de Monpoly, et sa fille Madeleine-Périne épousa, le 7 décembre 8 o 3, Joseph-Alexis, vicomte Walsh, l’auteur des Lettre* vendéennes.

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tuelle ; on eut mille peines à le décider à sortir, parce que son épître n’était pas Ünic ; il la débitait en s’en allant, avec une distraction & faire mourir de rire.

Un milicien du pays, aussi bon que bête, nommé Jacques, caché aussi chez M m0 Dumoustiers, mais ignorant qui j’étais, me fit la cour ; il voyait bien que j’étais au-dessus de lui, mais riche paysan et sachant que je n’avais plus rien, il croyait me décider à l’épouser. Pour ne pas me faire connaître, j’écoutais tranquillement ses déclarations ; il n’y a rien de si comique que la manière dont il me parlait d’amour. Une fois seulement j’oubliai mon rôle t ce pauvre homme ayant voulu m’embrasser, je lui dis, comme je l’aurais pu faire autrefois : « Vous êtes ivre, Jacques I » Il fut si abasourdi de mon ton, qu’il resta deux jours sans oser me regarder ; il me dit, au bout de ce temps, que j’étais bien dure au pauvre monde, que jamais il n’avait vu un air comme cela. Nous nous raccommodâmes, à condition qu’il n’essaierait plus de m’embrasser ; il m’assura bien qu’il n’y avait pas de risque, que je lui avais fait trop peur et que j’étais une méchante hile.

M. Dumoustiers l’aîné, Joseph-Marie, ayant été quelque temps marin, avait évité la réquisition, mais on avait fini par le forcer à servir ; il s’était engagé dans le deuxième régiment de chasseurs, ci-devant dragons de Lescure, dont mon beau-père avait été colonel. Ce régiment était en garnison à Nantes, Machecoul et Blain. Joseph-Marie venait sans cesse voir sa mère : cela attirait journellement des dragons en visite chez elle ; une fois, huit ou dix y dînèrent. Ils étaient fort en dispute à mon sujet, mais tous d’accord que j’étais morte ; l’un disait que j’avais été sabrée au Mans ; un autre, fusillée k Ancenis ; un autre, noyée à Nantes. Dumoustiers fit connaissance avec un M. Toupi-Lavalette (i), dragon, qu’on avait fait marcher de force : ces deux

(i) Léonard Toupi dit Lavalctte mourut te «8 décembre 181 3, à l’Age de cin*

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braves gens s’apprécièrent tout de suite, se jurèrent un inviolable attachement ; M. Toupi venait sans cesse au Dréneuc et nous nous confiâmes à lui.

Chose bien extraordinaire, on établit, dans le mois d’octobre ou novembre, des postes de dragons sur toutes les routes, pour saisir à leur profit les chevaux chargés de grains, que les paysans portaient secrètement à Nantes ; & cette époque, la famine y était extrême, et ceux qui avaient des connaissances à la campagne tâchaient d’en obtenir du blé. Les paysans craignaient bien de passer pour accapareurs, jouissaient par vengeance de la famine des patriotes, étaient d’ailleurs effrayés par les Chouans dont on commençait à parler ; néanmoins ils étaient attirés par l’espoir d’un gain considérable ; mais on ènleva cette ressource aux Nantais. Qui a donné cet ordre aussi cruel que bizarre ? Par quel motif ? Dans quel but chercher & augmenter la famine ? Je l’ignore, mais c’est un fait. Joseph-Marie, placé au Temple, nous* parlait sans cesse des confiscations ordonnées aux dragons ; il ignorait l’auteur de cette inconcevable mesure.

J’ai nommé les Chouans : ils commençaient à s’organiser, mais pas du côté où nous étions. Il y avait, comme on l’a vu, beaucoup de gens cachés ; la vengeance et la crainte leur faisaient tuer quelques dénonciateurs. Souvent, la nuit, les paysans plantaient des croix, abattaient les arbres de la liberté, et tout ce qui arrivait de ce genre était mis au compte des Chouans : on en parlait beaucoup, on n’en voyait guère, les patriotes et les royalistes en grossissaient le nombre à l’envi, et tous les hommes cachés, en état de se battre, commençaient à se dire Chouans. Dans le fait, on voit qu’autour de nous ils n’étaient presque rien encore ; leur nombre était plus grand dans la Basse-Bretagne et du côté d’Ancenis.

M“ e Dumoustiers trouva le moyen de placer M “ 6 Mamet

quante*troit» ans, régiueur du château de Poyannc, canton de Montfort dans les Landes, qui appartenait à la marquise de Montmorency-Laval.

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fille de boutique à Nantes, comme une personne ruinée ; cela fut bien heureux ; elle l’ûtait par là du danger qu’on courait en se cachant, et nous soulageait d’autant, car nous avions peu d’argent sur nous. Quoique M mfl Dumoustiers ne voulut rien recevoir, nous étions obligées de payer mille choses, d’autant plus que nos femmes ne couchaient pas chez clie, souvent n’y mangeaient pas ; en outre, M m# Dumoustiers était pauvre, et nous cherchions à lui procurer bien des ressources, sans qu’elle s’en aperçût ou par le moyen de quelques plaisanteries. Cette bonne dame se ruinait pour rendre service, et ses enfants, loin d’en être fâchés, trouvaient encore qu’elle n’en faisait pas assez.

Maman avait essayé d’écrire à Bordeaux à M m * Lussac, veuve d’un avocat, notre ami et voisin ; elle lui répondit et nous apprit que ma tante de Courcy et son mari étaient à Citron, mais elle les peignit tous les deux si malades, que, croyant sa lettre ù double entente, nous les vîmes au moment de périr. Pleine de douleur et de terreur, elle nous disait de regarder tout comme à peu près perdu ; malgré cela, nous fûmes bien aises de savoir l’existence de nos parents ; une seconde lettre fut plus consolante.

On commença à parler d’une amnistie, mais pour les simples soldats qui rendraient leurs armes. Cependant, de Blain on fit avertir M me Dumoustiers, qu’on venait d’y mettre au cachot, les fers aux pieds et aux mains, un homme qui me demandait avec une lettre ; cela nous fit supposer que mon père existait et nous faisait chercher, ou peut-être mon oncle de Lorgc : celui-ci aurait donc été dans la Vendée, comme on en avait répandu le bruit ; remplies d’agitation, nous eûmes peur d’être encore plus inquiétées. M m « Dumoustiers nous décida, maman et moi, à nous séparer pendant six jours, les plus cruels de notre existence : maman fut conduite près de Redon, dans une métairie d’Avessac, et moi dans un autre village de la même paroisse, mais à deux lieues l’une de l’autre ; on m’y annonça comme religieuse.

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Il n’était bruit que d’amnistie» on ne faisait plus de fouilles, nous retournâmes au Dréneuc. Notre consolation était toujours que personne ne pouvait nous reconnaître, et nous avons su depuis, qu’à cette époque tout le bataillon du Médoc, dont fai* ' saient partie nos ouvriers de Citran, était à Blain. M mo Dumoustiers m’avoua alors, sans en parler à maman, avoir lu depuis longtemps, dans les gazettes, que mon malheureux père avait été guillotiné à Angers ; maman l’ignora encore deux ou trois ans, et le sut seulement quand 11 fallut avoir des preuves de sa mort ; jusque-là elle le cherchait, mais sans espérance ; tout le monde lui disant n’en rien savoir, elle pensait, qu’il avait péri.

W n Carria fut à Nantes, M mo Dumoustiers trouva une personne qui voulut bien lui chercher une place. Quel fut notre étonnement d’apprendre, par son conducteur, que M Ufl Mamet avait rencontré une Vendéenne ; celle-ci lui avait dit qu’Agatbe, Cottet, M Wo de Mondton (i) et quelques Vendéens et Vendéennes de notre connaissance étaient en prison ; on espérait leur prochaine délivrance ; Cottet avait déjà été libre une fois, c’était lui qui m’avait cherchée, et il avait été arrêté à Blain ; on l’avait ramené dans les prisons de Nantes. Mais tout s’apaisait. Elle nous fit dire, peu après, que les prisonniers commençaient à sortir, que bientôt tout le monde serait libre ; l’amnistie générale était proclamée. M. de la Bréjolière, beaucoup de gens suspects, plusieurs Vendéens se rendaient ; elle nous engageait à en faire autant. J’avoue que j’avais la tête montée et je ne voulais pas entendre parier d’accepter l’amnistie, je ne m’y fiais pas d’ailleurs. Ma mère voulait en profiter et me représentait que des femmes ne pouvaient mieux faire ; je pleurais sans cesse décolère

(i) Marie-Madeleine de Mondlon, née h Poitiers le 14 avril 1776, fille de Josoph-Louis-Vincent de Mondion, chevalier seigneur d’Artigny, pria Loudun, lieutenant des maréchaux de France, et de Marie-Henriette Berthre de BournUcuux, était entrée en 1785 à la maison royale de Saint-Cyr. Après la Révolution, elle consacra son existence à visiter tes prisonniers et A secourir les pauvres. Elle mourut & Poitiers, le 10 {envier iftfiy.

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et ne pouvais supporter l’idée d’aller en Gascogne ; j’étais exas* péréc, comme une jeune personne enflammée de rage. J’aurais voulu passer dans la Vendée et ne me soumettre que si les armées se rendaient, et je trouvais que, veuve de M, de Lescure, je ne devais avoir aucune faiblesse : enfin, j’étais exaltée à l’excès.

M mo Dumousticrs fit venir le maire de Redon, un de ses amis ; il pensait bien, il nous donna les détails les plus exacts et les plus satisfaisants, Joseph-Marie et M, Lavalette étaient décidés à déserter, sitôt que le régiment s’éloignerait du pays ou marcherait contre les Vendéens : le premier cas survint, ces messieurs quittèrent leur corps, arrivèrent au Dréneuc, pour chercher les moyens de passer à l’armée de Charette. Précisément, ce générai, profitant de l’inaction et de l’espèce d’abandon où le lais* saient les républicains, dans l’espoir de le gagner par l’amnistie, envoya de l’autre côté de la Loire recruter d’anciens Vendéens et des requis ; ils passèrent soixante*dix, ayant ù leur tète MM. Dumoustiers aîné et Lavalette, qui nous dirent adieu avec attendrissement. Joseph-Marie, après nous avoir cachées, allait donc courir mille dangers et se faire Brigand, dans le moment où nous-mêmes allions devenir républicaines. Ce changement, le dévouement de ce jeune homme et de sa famille nous arrachaient des larmes ; la mère était sans faiblesse, livrée au sentiment du plus ardent royalisme.

On nous avait dit, il y avait environ trois mois, que M. de la Rochejaquelein était mort, mais cette nouvelle avait été si souvent et si faussement mise dans la gazette, que nous espérions qu’elle n’était pas vraie, et qu’il se trouvait commander loin de Nantes. Je donnai donc à ces messieurs des lettres pour lui, M. de Marigny et M, de Beauvollier, dont j’ignorais la mort, M. de Charette reçut à merveille ces messieurs et les mit sur-lechamp à la tête de ceux qu’ils avaient amenés ; on ne se battait plus alors, et les pourparlers de la paix étaient commencés.

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CHAPITRE XXIV

DEPUIS LA FIN DE DECEMBRE 1794

JUSQU’AU JOUR OU NOUS REÇUMES L’AMNISTIE

LE 3 JANVIER 1795

J’étais si animée contre l’idée de me rendre, que je voulus aller & Nantes, pour voir par moi-même ce qu’il en était de l’amnistie. Je partis avec un paysan ; j’avais un dépôt sous le bras, je fis plus de dix lieues à cheval, l’abcès creva en route, je ne fus pansée qu’à minuit. Mon exaltation était telle au physique et au moral, que rien ne pouvait m’arrêter. J’entrai dans Nantes, vêtue en paysanne ; je descendis avant la ville ; je portais sur mon dos un bissac, et à la main des poulets ; j’arrivai chez une personne de la connaissance de M me Dumoustiers, j’y trouvai M u * Carria et Agathe qui venait de sortir de prison ; M m ** de Bonchamps et de Bonnay y étaient encore, j’allai les voir, elles avaient obtenu ce jour même leur liberté, les prisons étaient & peu près vides. Ces dames m’engagèrent à me rendre à l’amnistie, me firent voir M. Haudaudine (1), j’appris que les

(1) Pierre Haudaudine, né À Bayonne le *9 novembre ij tS 6 t mort À Nantes le 6 août 1846.

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pourparlers entre Charcttc et les représentants étaient commencés et même avancés,

Plusieurs officiers vendéens étaient entrés dans Nantes au cri de Vive la paix ! avec leurs armes et leur cocarde blanche ; les uns envoyés par Charette, d’autres venus pour leur plaisir, par bravade, ou pour faire des emplettes. Cependant peu après il fut convenu, entre Charette et les représentants, de ne plus le permettre qu’aux officiers chargés de mission ; plusieurs imprudents avaient fait des provocations déplacées, comme de cracher sur la cocarde nationale. Les représentants craignaient des rixes particulières, ils n’oubliaient rien pour les empêcher et attirer à eux les royalistes. On avait placardé la défense, sous peine de prison, de nous appeler Brigands, il fallait nous nom* mer frères et sœurs égarés.

Je réfléchis que ni moi ni aucune des personnes qui ont écrit sur la Vendée, du moins à ma connaissance, n’avons fait une remarque assez curieuse sur le nom de Vendéens donné aux habitants insurgés de notre pays. Ce n’a été qu’au bout de plusieurs années qu’on nous n désignés ainsi ; en 1793 nous prenions le titre de royalistes du pays insurgé, que le conseil supérieur appelait officiellement pays conquis. Les républicains nous donnaient exclusivement, même dans la rédaction des jugements, le nom de Brigands et Brigandes : cette dénomination nous paraissait tellement ridicule, qu’au lieu de nous fâcher elle nous portait à rire. Comme la première des batailles fut livrée par les habitants du département de la Vendée, au Pont-Charron, et qu’elle avait, paraît-il, beaucoup frappé les républicains, ils nous nommaient souvent Brigands de la Vendée ; de là, peu à peu, au bout de quelques années, est venue la qualification générale de Vendéens. Ce qu’il y a de fort bizarre, c’est que nous-mêmes étions tellement accoutumés à nous entendre appeler Brigands et Brigandes, que nous avions tous oublié, ainsi que les excellents Bretons qui nous cachaient, la véritable signification de ce nom. Ainsi on

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faisait des vœux pour les Brigands, on les aimait, les estimait, les recevait, et tout cela, comme si ce mot n’avait eu d’autre signification que celle de royaliste (i).

L’opinion, le caractère, le sol, tout réunissait les habitants insurgés ; leur crainte était de voir leur pays rattaché par parties à des provinces différentes, dont les séparaient les sentiments des habitants comme la nature du sol. Leurs vœux, s’ils faisaient la contre-révolution, n’étaient point d’être déchargés d’impôts, mais ils espéraient que :

1° Le pays révolté, désigné par hasard sous le nom de Vendée, garderait ce nom et formerait à lui seul une province ;

a 0 Chaque paroisse conserverait sur le haut du clocher le drapeau blanc, comme elle l’avait pendant la guerre ;

3° Le Roi donnerait aux Vendéens la joie de le voir une fois chez eux, pour contenter ses fidèles sujets ;

4 ° Les Vendéens formeraient un des corps de la garde du Roi ; il remplacerait par exemple les gardes françaises, et dans ce corps les officiers comme les soldats seraient tous Vendéens, soit qu’il fussent nés dans le pays, soit qu’ils y eussent fait la guerre.

Du reste, les paysans ne voulaient demander ni diminution d’impôts, ni privilèges particuliers. On aurait aussi réclamé l’exécution d’anciens projets pour l’ouverture de routes et la navigation des rivières.

Tels étaient les désirs de tous les insurgés. Le premier de tous,

(0 It est incontestable que les Vendéens ne se sont jamais battus que pour Dieu et le Roi, mais ta devise Dieu et le Roi, qu’au jourd’hui on croit cette de la Vendée de tout temps, n’a été prise qu’en 1815. M. de la Rochejaquelein, étant en mer, avant do débarquer dit è ses officiers : « 11 faut que noqs cherchions une devise » ; on en proposa plusieurs, entre autres celle-ci : Dieu et le Roi, qu’offrit M. Qucyriaux, M. de la Rochejaquelcin l’adopta tout de suite, on l’imprima sur de la toile blanche, découpée en forme de petites croix, que lui et ses officiers fixèrent sur leurs habits. À la Restauration les joailliers firent de petites croix émaillées ayant ta même devise ; une foute de personnes qui n’étaient pas de la Vendée en portaient ; cela devint une mode, on l’appelait Croix de la fidélité, ou Croix de la Vendée, (Note de l’auteur.)

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en comblant la Vendée de gloire, aurait fait en môme temps sa richesse, au delà des prévisions de ceux qui en formaient le vœu, et cela sans coûter rien au Roi. En effet, la Vendée étant composée de portions du Poitou, de la Bretagne et de l’Anjou, et le terrain différant beaucoup du reste de ces provinces, les intendants ne s’en sont jamais occupés ; le pays est plein de collines et de rochers, présente des difficultés fort grandes, et les administrations s’intéressaient peu à des régions extrêmes, où elles ne pouvaient commencer un chemin, sans arriver sur-le-champ à la limite de leur dépendance. En formant donc une province de la Vendée, c’est-à-dire de tout le pays de Bocage, comme les habitants le nommaient, tous les soins du gouverneur, de l’intendant sc trouveraient employés à son amélioration ; les grands chemins, les canaux se seraient faits, auraient activé le commerce et augmenté la richesse ; cette contrée, jusqu’alors abandonnée à clleméme et regardée pour ainsi dire comme sauvage, serait devenue une des plus heureuses de la France, car il ne lui manquait que la sollicitude du Gouvernement.

Cela est si vrai que, vers 1750, M. de Rougé (t), seigneur de Cholet, voulant enrichir le pays, profita de son industrie naturelle pour les toiles et les bestiaux, y établit des manufactures, des marchés ; au commencement de la Révolution cette ville qui, vingt ans avant n’était qu’un bourg, comprenait quinze mille âmes : il s’y vendait pour cent mille écus de bœufs gras toutes les semaines ; ses mouchoirs et ses toiles se répandaient partout. Cette impulsion donnée à l’Industrie est même telle, que, malgré les trois guerres de la Vendée et plusieurs incendies presque entiers de Cholet, cette ville est aussi bien rétablie et aussi commerçante que naguère ; cependant il n’y aboutit aucun

(1) Gabriel-François comte de Rougé, né Je 26 mal *729 au château de la Bel-IWro pria Beaupréau ; Il fut lieutenant général et mourut le ao septembre 1786, Il avait épousé, en 1760, Maric-Anne-Christine de Croÿ, princesse du Saint-Empire, nllc du duc d’Havré. EUE reçut de son père, en 1703, le marquisat de Cholet, acheté au comte Colbert de Maulévrier.

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grand chemin, rien n’y peut arriver en bateau, et U n’y a encore, je crois, aucun établissement public d’aucun genre.

Toutes les prisons s’ouvraient, tous les gens hors la loi et les femmes cachées se rendaient, ils étaient reçus à bras ouverts, mais aucun Chouan ne s’était soumis, ni aucun habitant de la Vendée. Enfin je me décidai et retournai au Dréneuc chercher maman ; je fis six lieues, de nuit, par le froid le plus violent ; les ruisseaux étaient gelés, je les passai sur mon cheval sans me douter qu’il fût désanglé, je ne le sus qu’à Quilly, où je couchai. Le lendemain j’arrivai de bonne heure au Dréneuc ; maman ne de* mandait pas mieux que de partir, mais ma fille était un embarras ; il faisait un hiver très rigoureux et une neige affreuse, l’enfant n’avait que huit mois et était fort délicate. L’emmener en Gascogne, c’était risquer de la perdre ; il fallait cependant nous y rendre tout de suite pour sauver Citran qui n’était pas vendu. J’eus beaucoup de peine à suivre le seul parti raisonnable, celui de la laisser à sa nourrice, sous la garde de M U9 Carria ; je ne pouvais la confier à de meilleures mains sous tous les rapports ; elle avait eu à l’armée les plus grands soins de ma hile aînée et nous avait donné des preuves continuelles de dévouement, & l’époque où nous étions cachées. Je lui dois cette justice, à elle et & M !te Mamet, que, loin de nous reprocher leur position, elles jouissaient de souffrir pour la bonne cause.

Maman partit pour Nantes, en voiture avec M m * Dumoustiers, et moi à cheval avec un paysan ; je voulais aller voir ma fille que j’avais quittée depuis sept mois ; je couchai à Quilly et partis avant le jour, malgré un froid excessif. Quand je fus arrivée dans la paroisse de Prinquiau, pour ne pas faire connaître où était ma fille et croyant le chemin facile, je renvoyai mon guide ; mais je n’avais jamais parcouru le pays qu’à pied par des sentiers détournés : soit que je me fusse trompée ou autrement, je trouvai trois barrières à ouvrir ; elles étaient pleines de neige et de glace, j’eus beaucoup de peine à les soulever avec mon

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épaule et ù remonter sur mon cheval ; dans un de ces embarras, je m’arrachai un morceau de chair du pouce ; j’avais si froid que je ne le sentis pas, et cela saigna seulement quand je me fus réchauffée. Je trouvai ma fille bien portante, mais très délicate ; elle était belle, ressemblait à son père et avait l’air sérieux, Il vint dans la maison deux volontaires qui, au lieu de menacer, pleuraient en demandant du pain : ils étaient mourants de faim et de froid.

Je fus voir tous mes amis et me rendis à Nantes, [Il y a toujours eu trois cents prêtres cachés dans cette ville], il n’y avait plus personne en prison. On nous dit que les représentants voudraient nous donner à dîner, nous embrasseraient ; tout cela ne nous convenait pas ; heureusement Ruelle (i) était seul h Nantes dans le moment, et M w#l de Bonnay nous fait faire connaissance avec Màc-Curtain (a), son secrétaire, excellent homme ; nous lui exprimons notre désir de ne faire aucun effet ; nous avions mis des espèces de douillettes par-dessus nos habits de paysanne. Arrivées dans le cabinet de Ruelle, nous causons avec M. Bureau (3), qui allait et venait de l’armée de Charctte à Nantes pour la pacification ; il avait l’air bonhomme, était insinuant, persuasif et fort animé à conclure la paix ; il me dit qu’il en viendrait à bout, que c’était nécessaire pour les royalistes et que cela tournerait bien.

0) Albort Ruelle, juge eu tribunal de Bourgueii, fut député d’Indre-ct-I.oire à ta Convention et vota la mort du Roi. Membre du conseil des Cinq-Cents, il fut nommé en 1800 sous-préfet de Chinon. En 1816 il se retira en Suisse.

(a) Florimond-Bonjamin Mac-Curtain de Kainfis, né la ag juillet 1764, * Savonniers

  • en Anjou, fils de Corneille Mac-Gurtaln, écuyer, sieur du Kainfis. Ancien

employé aux contributions indirectes, U était secrétaire des représentants envoyés auprès des armées de l’Ouest Commissaire des guerres en 17g5, et plus tard en iStaj membre du conseil des Cinq-Cents en 1797, il fut déporté au 18 fructidor, puis alla rejoindre l’armée des Chouans. Sous-intendant militaire en 1830, il fut réformé en i 83 a et retraité en 1834*

(3) Louis Bureau de la Bâtard 1ère, nommé en 1767 gouverneur de Machecoul, présida, au commencement de l’Empire, te conseil général de la Loire-Inférieure et mourut après la session de 1807. (Société des sciences et des arts du département. Procès-verbal de ta séance publique du 5 mai 1808.)

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Ruelle entre en nous disant ; « Mesdames, vous ‘venez jouir de la paix », il s’approche pour m’embrasser, je pense ; je recule au bout de la chambre ; comme nous n’avions pas l’air de bonne humeur, il se tait* Mac-Curtain dit : « Voilà les amnisties », il les signe et son secrétaire nous fait passer dans un bureau ; on nous y inscrit et on nous demande où nous avons été cachées, nous répondons comme bon nous semble* L’acte imprimé portait ; a Liberté, égalité, paix aux bons, guerre aux méchants, justice à tous. Tel jour, les représentants ont admis à l’amnistie une telle qui a déclaré s’être cachée pour sa sûreté personnelle. » Nos pièces étaient signées de quatre députés, apparemment trois revinrent ce jour-lù. Mamet reçut aussi l’amnistie. Le peu de personnes qui me virent à Nantes furent surprises de mon air et de ma tournure ; on croyait que je me battais, et même à coups de sabre ; j’avais fait de prétendues prouesses et on s’attendait à voir en moi une femme forte et grande. Ce conte s’était tellement accrédité, que mille personnes m’en ont fait la question, et même encore dernièrement ; partout où j’ai été depuis, j’ai été obligée de démentir ces hauts faits et d’avouer tout bonnement ma poltronnerie.

J’interromps mon histoire, pour raconter celle de beaucoup de Vendéens, que j’appris alors ou successivement, car jusque-là nous ignorions tout.

M mo de Bonchamps trouva le moyen de se procurer un batelet, pendant la première nuit que nous passâmes à Ancenîs ; elle s’y mit avec quelques soldats et ses deux enfants, un fils de deux ans et une hile de quatre. Mais, soit du rivage de Saint-Florent, soit des barques, les Bleus lui tirèrent des coups de canon, un boulet perça le bateau, qui fut submergé ; on eut le temps de se rapprocher d’Ancenis, M mo de Bonchamps et ses enfants (i) furent

(i) Son fit* Hermenc mourut à Saint-Herblon pré» Anconls ; sa fille Zoé*Anrtc-Agathe, née à la Chapelle-Saint-Florent, le 28 novembre 1789, épousa en 1817 Arthur-Phîllppc-Ouillaumc-Parfalt de Bouille du Chariol d’Authezat, comte de

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sauvés à la nage par des soldats ; elle me raconta cette aventure le lendemain même, à Ancenis, Elle prit alors le parti de se cacher chez des paysans, vêtue comme eux ; sa grande ressource était un vieux creux d’arbre dans lequel elle se réfugiait ; elle eut la petite vérole, ainsi que ses enfants, son fils en mourut ; clic fut un peu marquée, cependant elle resta fort jolie ; elle était très petite, délicate, d’une figure charmante, brune, piquante, fort spirituelle et pleine de courage, Elle fut prise au bout de trois mois, menée à la prison du BoufFay, à Nantes, et sur-le-champ condamnée & mort ; elle devait être exécutée deux heures après, cependant elle resta cirjq mois au cachot, et, ce qu’il y a d’affreux, c’est qu’elle était dans l’endroit où l’on mettait tous les soirs les femmes qui devaient périr le lendemain ; aussi ses nuits se passaient à les exhorter. Enfin Robespierre mourut, elle intéressa beaucoup de monde, on l’ôta de son cachot ; M. Haudaudjne, négociant, fut un de ceux qui se mirent à la tête des personnes désireuses de la sauver.

Cet Haudaudine avait renouvelé le trait de Régulus : c’était un vrai républicain de bonne foi ; pris par M, de Charette dans un combat, au commencement de la guerre, il lui représenta qu’il serait raisonnable de faire l’échange des prisonniers, comme entre nations étrangères ; il offrit d’aller avec un autre habitant prisonnier, en faire la proposition à Nantes, sous parole d’honneur de revenir dans tous les cas ; M. de Charette accepta volon* tiers. Ces messieurs furent très mai reçus, les Jacobins entrèrent en fureur et de plus les délièrent de leur serment vis-à-vis des Brigands ; le camarade de M. Haudaudine resta ; pour lui, fidèle à sa parole, il s’échappa et vint retrouver M. de Charette qui le garda en prison. Dans les grandes déroutes de ce général, Hau-

Boulllé, chevalier de Saint-Louis» et elle mourut à Nantes, le 17 juillet 1877. Les enfants de M— de Bouilli se montrèrent les dignes descendants de Bonchamps : son fils, volontaire malgré son Age dans le corps de Charette, et son petit-fils furent tués au combat de Patay, le % décembre 1870} son petit-gendre y fut blessé et estropié.

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daudine fut amené de notre côté avec d’autres prisonniers ; il sc trouva parmi les cinq mille que nous laissâmes à Saint-Florent ; il y avait aussi plusieurs Nantais. M. Haudaudinc décida ses anciens compagnons de captivité à signer une pétition à la Convention, pour attester que M. de Bonchamps avait sauvé la vie à ces cinq mille hommes, à la sollicitation de sa femme, et celle-ci obtint par là sa mise en liberté. M m0 de Bonchamps m’a dit à Nantes que, si je m’étais trouvée en prison, on m’eût aussi attribué le rôle de libératrice. Comme elle n’avait pas besoin de dissimuler avec moi, qui d’ailleurs savais bien la vérité, elle me confirma ce que j’ai déjà écrit là-dessus, à l’occasion du passage de la Loire. Quand clic se vit sûre de sa grâce, elle fit venir auprès d’elle sa fille ; elle ne l’avait pas avec elle au moment où elle fut prise, elle était restée cachée chez des paysans. Les représentants donnèrent de grands dîners à M we de Bonchamps, et tout le monde chercha à lui témoigner l’intérêt qu’elle inspirait. M m# de Bonnay, femme d’émigré, amie de M me d’El bée, s’était réfugiée à Noirmoutier ; elle fut amenée avec beaucoup d’autres prisonniers, hommes et femmes, au Bouffay ; comme elle était inconnue, elle trouva le moyen d’éviter le jugement ; sa beauté et sa douceur lui firent de nombreux partisans, elle se sauva sans avoir comparu devant le tribunal.

Agathe s’était rendue de Nbrt à Nantes, comme je l’ai dit, ^ avec cent cinquante cavaliers ; quoique vêtue en paysanne, sa figure frappa le général d’artillerie Lambertye (i), fameux scélérat ; sans être ce qu’on appelle jolie, c’était une brune piquante, fort agréable. Il lui dit au dépôt, où tous ces malheureux furent d’abord amenés, après avoir été désarmés ; « Brigande, as-tu peur ? » Elle lui répondit : à Non, général, puisque nous venons

(i) Guillaume Lambertye, né à Pont-Château, près Savon ay, était carrossier. Devenu adjudant général d’artillerie, il fut dénoncé pour ses crimes, arrêté et condamné à mort & Nantes, le *5 germinal an U, 14 avril 1794, h l’Age do trente-huit ans.

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nous rendre à la république. » Il sourit et lui dit : « Cclu pourra t’arriver, et alors tu n’auras qu’à te rappeler Lambertyc. » Ils furent tous menés à l’entrepôt, lieu fameux où, en un mois, il a péri quinze mille personnes, sans jugement, par la noyade et par la peste ; ils étaient entassés les uns sur les autres, mourant de faim et ayant À peine de la paille. L’air était si infect, que la plupart des commissaires et des gardes périrent ; souvent les morts restaient vingt-quatre heures dans les chambres. Presque toutes les nuits on venait prendre des prisonniers, sans leur dire où on les menait, et c’était à la Loire ! Les prêtres, enfermés à Nantes, furent noyés auparavant, dans les fameux bateaux à sou* pape ; mais à cette époque, Vendéens ou autres, on les faisait tous monter sur des bâtiments, on les attachait deux par deux, et on les précipitait dans l’eau à coups de baïonnette. Ce fut le sort de tout l’état-major d’une corvette anglaise, qui avait été mis à l’entrepôt ; il en fut un peu question dans le procès de Carrier (i), mais sans doute, par honte de faire connaître cette infamie, on étouffa ce chef d’accusation, sous prétexte d’ignorer ce quêtaient devenus ces Anglais. Ainsi moururent encore trois cents filles de Nantes ; Carrier prétendit que leurs maladies détruisaient l’armée républicaine, qu’il y avait là une intrigue des aristocrates.

Après les batailles du Mans et de Savenay, on fusillait, on noyait tous les Vendéens, hommes, femmes et enfants, jusqu’à trois ou quatre cents par jour, sans jugement ; mais, au bout de six semaines environ, comme on ne les prenait plus que par des fouilles, des visites domiciliaires, on les menait en prison dans les grandes villes. La guillotine était sur la place, à côté du grand

(x) Jfean-Baptiste Carrier, né à Yolet prés Aurillac en 1756, procureur, puis député à la Convention, fut envoyé en mission dans l’ouest en 1793, se rendit odieusement célébré par les noyades de Nantes qu’il appelait les mariages républicains. U fut décrété d’accusation par la Convention, le 5 frimaire an II, et condamné à mort par le tribunal criminci révolutionnaire, le 26 frimaire, 16 décembre 1794 -

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escalier extérieur de la prison du Bouffay, qui était remplie de Vendéens et de toutes sortes de personnes compromises ; tous les jours il y avait au moins une quinzaine d’exécutions. Quand on jugeait nos paysans, c’était vite fait, on leur disait : « Vous faisiez partie de l’armée des brigands ? » Ils répondaient : « Il ne faut pas mentir. Oui, monsieur. — Vous vous êtes battus ? -Oh ! oui, monsieur.)» C’était fini* on les rentrait à la prison et deux heures après on les exécutait» Ils s’en allaient en priant Dieu et disant aux personnes qu’ils rencontraient : « Adieu, nous allons au paradis, vive le Roi ! » Agathe m’a dit qu’ils avaient l’air aussi tranquilles que s’ils avaient suivi une procession. Ils ne disaient pas un mot pour s’excuser devant le tribunal, ne faisaient aucune plainte pendant les deux heures qui précédaient leur mort, ils priaient avec le plus grand calme, sans pleurer ni murmurer.]

Après être restée dix ou douze jours à l’entrepôt, Agathe, ne doutant plus d’une mort prochaine, pria une sentinelle d’aller chercher Lambertye ; il vint et l’emmena dans le bâtiment à soupape, dont on lui avait fait un digne présent, en récompense de son patriotisme ; il était Seul avec elle et voulut en profiter ; elle se défendit courageusement, lui reprochant sa scélératesse ; elle tenait à la main une image de la Sainte-Vierge et lui fit des voeux qu’elle accomplit depuis. Il finit par lui dire : « Ou cèdemoi, ou je te jette à l’eau. *— Je le préfère », s’écria-t-elle, en courant pour s’y précipiter elle-même $ il la retint par ses jupons en lui disant : « Tu es une brave fille, ce serait dommage de te tuer ; si tu m’avais cédé, comme tant d’autres, je t’aurais noyée. Je veux te sauver et je te donne ma’parole de ne plus rien te demander ; reste cachée dans ce bâtiment, il est à moi, je viendrai t’y voir tous les jours.» Il lui donna, pour manger, les débris d’une orgie qu’il avait faite la veille avec ses amis. Elle y demeura huit jours et huit nuits, entendant les cris des noyades qui se faisaient tout près d’elle ; Lambertye venait la voir avec soin et honnêteté.

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O’Sullivan (i), membre du comité révolutionnaire» qui a été jugé innocent» quoique aussi coupable» avait été pris par les Ven* déens : son frère se trouvait parmi eux et» lui ayant sauvé la vie» il crut h son tour obtenir de lui le même service ; il vint se réfugier chez O 'Sullivan, qui le dénonça et causa sa mort* Le four même de cette atrocité, le traître vint avec Lambertye voir Agathe par curiosité ; il proposa de l’emmener chez lui, Agathe s’y refusa d’abord, mais il l’assura que c’était pour tenir compagnie & sa femme ; effectivement il en avait une, aussi belle que vertueuse ; différant d’opinion avec lui, elle est morte de douleur de ses crimes et surtout de son fratricide, En sauvant une Vendéenne, O’Sullivan espérait adoucir les peines de sa pauvre femme, qui reçut Agathe avec reconnaissance ; elle pleurait sans cesse ; son mari, poursuivi par les remords, croyait toujours voir courir après lui l’ombre de son frère, et continuait malgré cela à commettre des crimes. Au bout de six semaines, par un de ces caprices qui faisaient que les terroristes se détruisaient l’un l’autre, Fouquet (2) et Lambertye furent mis au Bouffay, sous prétexte d’avoir sauvé des femmes condamnées à être noyées, et d’en avoir noyé d’autres qui ne devaient pas l’être. Un jeune furieux, nommé Robin (3), âgé de dix-huit ans, entre chez M m * O’Sullivan, dont le mari était sorti, sans doute à dessein, emmène Agathe, la conduit à fond de cale du vaisseau à soupape, lui déclare qu’il va la tuer pour sauver Lambertye et détruire la preuve d’un de ses délits révolutionnaires. Il tire son sabre, mais

(t) Jean-Baptistc O* Sullivan, né & Angers en 176(1 maître d’armes, nommé par Carrier adjudant de la ptaco de Nantes, le (6 nivôse an H, 5 janvier 1704» F en jugement avec lui et fut acquitté.

(3) Robert-Jacques-Joseph Fouquet, né & Saint-Nicolas do Nantes, était tonnelier-magasinier. Chassé de la garde nationale comme indigne en 1791, U n’en Oit pas moins nommé adjudant général, puis condamné i mort par le tribunal révolutionnaire de Nantes, le a 5 germinal an U, 14 avril 1794, à l’Age de trente-sept ans,

(3) Pierre Robin, 61 s d’une sage-femme de Nantes, alors aide de camp de Lambertye, devint commissaire des guerres à l’armée de Sam bro-et» Meuse. Impliqué dans le procès do Carrier, il fut acquitté à U avait vingt et un ans.

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vaincu par les prières de cette fille, dont il savait déjà l’histoire, il lui dit : * Lambertye m’avait bien averti que je n’aurais jamais le courage de te tuer ; que faire de toi ? » Il avait laissé sur le pont un seul homme, nommé Lavaux (i), patriote honnête ; il lui propose d’emmener Agathe, ce qui est fait.

Ce même Lavaux avait déjà chez lui la vicomtesse de Lespinay (a) : dans une des noyades, elle avait été sauvée par un volontaire qui était dans le bateau ; au milieu de la confusion, des ténèbres et des cris, il lui avait donné sa capote, son chapeau et son fusil et l’avait emmenée comme son camarade. Dès le lendemain de l’entrée d’Agathe chez Lavaux, on vint l’arrêter, la demandant nommément à M m * Lavaux ; celle-ci assura ne pas connaître de Vendéenne et la désigna comme sa sœur ; la garde voulut emmener cette honnête personne en prison ; alors ma femme de chambre se dénonça elle-même et fut mise au Bouffay. M me de Lcspinay, inconnue et réfugiée dans le haut de la maison, se cacha et fut sauvée. Agathe ne dit pas qu’elle était à mon service ; elle fit croire qu’elle n’avait pas suivi l’armée et s’était trouvée malgré elle dans l’insurrection. Son histoire intéressa tout le monde, surtout le concierge et sa femme, ils cherchèrent & la sauver ; elle obtint des délais jusqu’à la mort de Robespierre (3) et fut déclarée prisonnière en attendant la paix

(i) Théodore ta vaux, natif do Melun. U avait été au nombre des prisonniers libérés & Saint-Florent ; aide do camp de tambertyo, à le servait dans ses débauches et ne mérita point la qualification d 'honnête, que l’auteur a cru pouvoir lui donner. Mis en Jugement, il fut acquitté le 4 floréal an II, a 3 avril 1794.

<3) Marîe-Margucrlte-Loulsc-Féllcité du Vigier, néo à Poitlors le 9 juin 177a, mariée en 1788 & Charles-Augustin de Lesplnay, vicomte de Linifcro, pris Saint-Fulgent en bas Poitou, capitaine de cavalerie. Il émigra, sa femme suivit l’armée vendéenne et fut sauvée par Forestier dans la déroute du Mans ; elle se cacha, fut arrêtée et conduite û Nantes. En 1800, elle divorça pour épouser Joseph Guyot, ancien intendant do M. de Lesplnay, qui avait acheté nationale ment tes biens de son mettre.

(3) Maximilien Robespierre, né en 1759 à Arras, avocat, député aux États généraux, accusateur public, membre de la Convention et du comité de Salut public, fut décrété d’accusation le 9 thermidor an II, et décapité le lendemain, a8 juillet Ï794, Sa mort mit fin au régime de la Terreur, qui durait depuis quatorxo mois.

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générale. Par un singulier abus des mots de vertu et d’humanité, dont les Jacobins parlaient au milieu de leurs crimes, après des interrogatoires publies on guillotina Fouquet et Lambertyc, on loua O’Sullivan et Lavaux de leur humanité, pour avoir sauvé une femme par des motifs purs.

Cottet (i) avait inspiré de l’intérêt à un des commissaires de l’entrepôt, moins méchant que les autres ; celui «ci le fit passer dans la salle des petits garçons, il y resta un mois, se cachant dans la paille quand on apportait à manger. Les massacres finis, on vida l’entrepôt et on en fit sortir le peu de gens échappés à la mort* Cottet fut obligé de se montrer, on le questionna, fort étonné de le trouver seul avec ces enfants. Comme il savait que son commissaire avait été enlevé par la peste, il dit qu’il lui avait remis ses papiers et avait été placé lit par lui, en attendant l’examen de son affaire ; il demanda à être mené devant lui, et ajouta avec vérité, qu’il était de la république suisse ; les patriotes, ne sachant que dire et leur première rage étant assouvie, le conduisirent au BouiTay. Agathe et lui eurent habituellement de nos nouvelles, par des paysans qui portaient du pain à leurs parents prisonniers et qui, sans que nous te sachions, étaient au courant de notre situation. Ils finirent cependant par être induits en erreur, lors de notre séjour à Fégréac ; on leur fit croire que maman et mes filles étaient mortes, et moi absolument abandonnée. Cottet, ayant obtenu sa liberté vers la fin d’octobre, se mit en tête de me chercher, pour m’emmener comme sa femme, en Suisse, auprès de M mo de Diesbach, l’amie de ma mère ; il prit une lettre de recommandation d’un paysan prisonnier, des environs de Prinquiau ; il n’eut pas la précaution de la lire ; il y était dit nommément qu’il me cherchait. Cottet fut arrêté à

(i) Pierre-Joseph Cottet, originaire de Suisse, reçut de la Restauration le brevet de chef de bataillon et la croix de la légion d’honneur. Maire de Boismd et régisseur do la terre de Ciisson, il mourut le 19 juillet 18aC, Agé de soixante et omtc

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Blnin et, à la lecture de cette lettre, on le mit au cachot, les fers aux pieds et aux mains. Il y resta trois semaines, de là fut conduit fi Nantes, mais l’amnistie lui rendit la liberté. C’était donc son arrestation à Blain qui nous avait fait fuir du Dréncuc la dernièrc. fois, et. avait donné lieu à toutes nos conjectures.

Je n’oublierai point l’histoire touchante de M“* Félicité de Jourdain : le père était émigré, la mère et ses quatre filles suivaient l’armée ; la plus jeune fut ôtée de l’entrepôt comme enfant, et retirée chez quelqu’un, où clic mourut de la petite vérole. M, n * de Jourdain (i) et ses autres filles furent menées au vaisseau pour être noyées ; un volontaire, touché de la beauté et de la jeunesse de Félicité, qui était la troisième, âgée de seize ans, voulut la sauver, mais elle se précipita dans le ficuve quand elle y vit jeter sa mère et, apparemment tombée sur des cadavres, elle s’écria : « Poussez-moi par les pieds, je n’ai pas assez d’eau. »

On raconte de M, ,< ! de Cuissard (a) le même trait et peut-être encore un plus beau ; elle était avec une vieille parente, sa mère étant morte et son père émigré. Elle avait seize ans, la plus jolie figure qu’on put voir ; un volontaire resta trois heures à ses pieds, au milieu du tumulte, dans le vaisseau, pour la décider h lui permettre de la sauver ; elle y mit toujours pour condition la délivrance de sa vieille parente ; cet homme ne voulait ou ne pouvait pas l’accorder ; elle lui dit que, s’il ne voulait l’emmener que pour sa beauté, elle préférait la mort, et elle s’élança dans l’eau.

(i) Jcannc-Victoiru \a Bœuf, mariée le afi février 1770 à t^îon Jourdain, chevalier, seigneur des Herbiers et des Krmitans, lieutenant des vaisseaux du Roi et chevalier de Saint-Louis. Ses filles étaient Jcannc-Vlctoire, Louise-Félicité et Louise-Olive, Agées de vingt et un, vingt et dix-sept ans. Leur père, rentrant de l’émigration, fut pris après Qulberon, non loin de Cholct, et fusilla.

(a) Céleste de Cuissard, née en 1779, était fille de Marguerltc-Madelcinc-Suzanne-CcJestc Le Normand, mariée par contrat du an janvier 177$ À Louls-Claudc-Rosalic Cuissard, chevalier, seigneur de Mardi et do Bussy-Fontaines, dans le Saumurais, ancien chevau-lcger du Roi, chevalier de Saint-fx>uis, officier à l’armée do Condé. Ayant repoussé les avances de Fouquet, Céleste de Cuissard fut noyée te 8 nivôse an II, a8 décembre 1793. C’était bien sa mère qui avait été arrêtée avec elle, mais elle était morte do tn petite vérole, la veille, À l’entrepôt.

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La mère de Charles d’Autichamp (i) se cacha et vint à bout d’entrer, comme par charltd, pour garder les vaches d’un homme du district, assez honnête ; elle était là, bien en sûreté, personne ne soupçonnait qui elle pouvait être, car elle menait la vie la plus dure, pour une femme aussi délicate et riche, qu’elle. Elle resta ainsi près d’un an ; elle entendit, par hasard, parler de l’amnistie et n’en fu$ certaine qu’à la fin ; elle n’osait faire aucune question, personne ne sachant son secret. Quand elle crut pou* voir se rendre  peu près avec sûreté, elle demanda à son maître de l’instruire de ce qui regardait l’amnistie ; « Ehl qu’est-ce que cela vous fait, ma bonne femme ? lui dlt-Ü. — C’est que j’ai connu des Brigands ; dites-moi, monsieur, comment les reçoit-on ? — A bras ouverts. — Et si c’étaient des personnes considérables, des femmes de généraux ? — Encore mieux ; plus les personnes sont marquantes, mieux on les traite. » Alors elle se nomma. Cet homme, saisi d’étonnement et de douleur, se jeta à ses pieds, fondant en larmes, et lui reprochant un si long mystère.

Une jeune dame de la Roche-Saint-André (a) et sa sœur, M, ,# de Lavoyrie (3), étaient dans le rang à Blain, pour être fusillées ; on décida un fermier très patriote des environs, dont la femme était du Poitou, à aller les réclamer comme ses nièces ; il les obtint, mais cet homme dur les obligea toute l’année, non seulement à lui payer cent sols par jour, mais à faire les travaux

(0 Adèle-Jacqueline Greffin de Bcllevuc, mariée à Ange» le 17 juin 17G5 à Antoine-Joseph-Eulalie de Beaumont, comte d’Autichamp, nfi le 10 décembre 1744, maréchal de camp en 1783, lieutenant général en 1817, gouverneur de Salnt-Ger» main-en-Layc, mort au Louvre le ist avril 1823,

(a) Marie-Annc-Bénigne de Lavoyrie, mariée le ao décembre 1788 h Louis-Alexandre, comte de ta Roche-Sain t-André, lieutenant de vaisseau en 1786, émigré, officier & l’armée des Princes. Elle mourut au château de la Grasslère, paroisse do la Chspelle-Achard, les 3 octobre 18ri, ù l’âge de quarante-trois ans.

(3) Julie-Rose, fille de Charles-André de. Lavoyrie, seigneur delà Grossière, ncc Je i 3 septembre 1775, épousa, en 1798, Constant-Hubert Morisson de la Bassetlére, colonel soua la Restauration, grand prévôt de la Vendée, chevalier de Saint-Louis. Elle mourut au château de la Bassetièrc, près la Mothe-Achard, le ao août 1834,

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les plus pénibles* au point que M M * de Lavoyrie se coupa une main* et s’estropia avec une faucille.

Une autre dame de la Roche-Saint-André (t) eut son mari guillotiné et* comme plie était près d’accoucher* on la condamna ' à mourir après le sevrage de son enfant* car, par une loi bizarre* on laissait à une mère le temps de l’allaitement ; elle perdit son enfant au bout de quinze jours et fut guillotinée le lendemain. Du reste* il ne faut pas croire qu’on épargna toutes les femmes grosses ou nourrices : combien furent éventrées* fusillées* noyées ! Cette espèce de répit n’était donné qu’à celles qu’on prenait le temps de juger. On massacrait aussi les enfants de tout âge ; les soldats portaient les membres en triomphe, au bout des baïonnettes* à moins que le hasard fît échapper les victimes au premier momenr.

M. et M ms Moricct (s), de Cholet* ont eu plusieurs aventures des plus intéressantes et des plus terribles ; je n’en citerai qu’une, que j’ai apprise dernièrement de M ma Moricet ; elle est trop admirable pour être passée sous silence. Ils se tinrent tous deux cachés dans un arbre, du côté d’Ancenis* pendant cinq semaines ; ils ne pouvaient s’asseoir que l’un après l’autre ; elle était grosse. Un jour qu’une vieille métayère* veuve* l’avait envoyée chercher pour se chauffer* les Bleus entrèrent ; ils sommèrent cette femme de déclarer le nom et l’état de tous ceux qui étaient dans sa maison, et la prévinrent que* si elle avouait qu’il y eût quelqu’un de suspect* elle ne serait pas punie* mais* si on en découvrait sans qu’elle l’eût déclaré, sa maison serait brûlée et tout le monde passé au fil de l’épée. Elle pâlit* entra dans une autre chambre* puis revint dire

(t) Marie-Madeleine Binet do Jasson, condamnée A mort, k l’Age do vingt-cinq « us, par le tribunal révolutionnaire do Nantes, le 19 floréal an II, 39 avril 1794. Kilo avait épousé en 1788, Louis-Henri de la Roche-Saint-André, né à fa Salle, paroisse de Freanay dans le paya do Retz, lieutenant de vaitaeau en 1781, chevalier de Saint-Louis en 1786. Pris & Coudry prés la Garnache, U fut exécuté le 39 ventôse an U, 19 mars 1794, À l’Age de quarante ans.

(3) Armand-Louis Moricet, né le 14 mars 1768, décédé le 17 décembre i 8 o 3, marié le ao juillet 1790 À Marie-Denise Béranger, née AMllly, pràsGennes en Saumurais, le 8 décembre 1770, morte À Boauprcau le 7 mai 1840.

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aux Bleua, avec le plus grand sang-froid, le nom de chacun, et ajouta que M m * Moricct était une de ses filles, Quand les Bleus furent partis, cette dame lui dit : « J’ai eu très peur ; en vous voyant si troublée, je me suis crue perdue, et j’ai bien été surprise du courage que vous avez montré après, — C’est vrai, mon enfant, répondit la bonne femme ; j’ai ouvert la bouche pour vous dénoncer, mais j’ai couru me jeter à genoux, j’ai prié Dieu, et ma peur s’est passée, »

M MÛ de Beau voilier se retrouva & l’amnistie encore dans la prison d’Angers, M W0 Jagault dans celle d’Alençon, M me et M, ,> de la Marsonnière (r), M, u * de Mondion dans celle de Nantes. Le hasard a sauvé ainsi la vie h plusieurs personnes.

Il est à remarquer que tous ceux qui périssaient, hommes, femmes et enfants, criaient Vive le Roi ! jusqu’au dernier moment. Beaucoup de paysans, menés au Bouffay après les noyades, auraient pu se sauver, en niant devant le tribunal qu’ils eussent pris part ù l’insurrection ; mais ils ne voulaient pas mentir.

de Concize (3) fut tirée de l’entrepôt avec M“* des Mes* liers (3), par un commissaire (4) qui la fit passer pour être plus jeune qu’elle ne l’était ; elle en profita par ordre de sa mère ;

(i)Agnthe-A !métt du Chilicau, Aile de Gabriel, baron du Chlllcau, seigneur do In Tmir-Savary, et de Périnc-Féllcité de la Jaille, mariée le 10 janvier h Charles-Joseph Uvicil de la Marsonnière. Sa tille, Félicité-Agathe-Périnc, née en

  • 778» entra en i 8 oa à la Grand’Maison À Poitiers, dans l’ordre de Picpus, et mourut

en décembre j8oy, supérieure de la communauté h Scex.

(a) Cnmillo-Cccilc-Éléonorc, flllcde Rolnnd-Charlcs-Augustin G relier de Concize et de Suzanne-Éléonore de Chavagnac, était née à Rochefort le a 3 décembre 1775. Elle épousa au Petit-Bourg des Herbiers, le »y brumaire an IX, 10 novembre 1800, Louis Rivet de la Thibaudière, de Niort.

(3) Clotildu-Thércse-Eugénie des Mesiiers, baptisée le y mai 1777 à Saint-Jacques de Montfitucon, près Cholct, tille de Charles-Sébastien des Mcslier» et d* Anne-Angélique Gcffroy, épousa en 1797 Jacques-Rcnc Barbier du Doré, d’Anjou, officier dans l’armée vendéenne, depuis chevalier de Saint-Louis. Elle mourut & Nantes en jHSi. — Sa sœur aînée, Angélique-Marguerite, née !o fi décembre 1775, avait été épargnée & la déroute du Mans. Marceau la prit sous sa protection, mais, en l’absence de ce général, elle fut saisie et guillotinée à Uval le 3 pluviôse an H, aa janvier 1794, Leur mère fut noyée À Nantes.

(4) U médecin Rocher.

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celle-ci la chargea die présenter des pétitions pour elle* soit qu’elle crût que cela pouvait réussir* soit qu’elle fût bien aise de le faire espérer ù sa fille, M m * de Gonclze fut noyée ; le commissaire mourut* et sa fille se cacha chez, une couturière avec M u * des Mcsliers ; elles y travaillèrent jusqu’à l’amnistie. Le bas peuple, à Nantes* pensait bien en général et a sauvé beaucoup de monde ; le haut commerce pensait bien aussi* ou du moins n’était que fédéraliste ; aussi emmena-t-on les cent quinze principaux négociants de Nantes à Paris, pour être guillotinés : beaucoup moururent en prison, le reste ne dut la vie qu’à la mort de Robespierre. Le bas peuple, qui venait de la campagne* partageait les sentiments des paysans ; mais ce qui était patriote forcené sc trouvait dans la classe moyenne des artisans et marchands, M l, *de Concize* abandonnée, suivit ma mère à Bordeaux ; elle retourna, trois mois après* dans sa famitle* à Niort.

Le pauvre M. d’Auzon* accablé d’infirmités* resta à Blain dans une maison* avec son fidèle domestique* qui ne voulait pas le quitter ; ils furent découverts tout de suite. Malgré ses instances* non seulement il ne put obtenir la vie de ce pauvre homme* mais il le vit.fusiller avant lui. M. d’EIbée avait laissé en Anjou son fils unique en nourrice ; on l’a retrouvé, il existe encore (i). Nous revîmes à Nantes M. Pierre J agault ; il avait été caché successivement dans plusieurs maisons. Comme la paix n’était pas encore faite* il n’y avait rien de statué pour les prêtres ; tous restèrent donc cachés jusqu’au traité définitif.

Je rencontrai aussi M“* de Charctte, sœur du général ; je ne me rappelle pas si elle avait été prisonnière* elle ne s’était pas trouvée dans la guerre, et revenait de porter les premières propositions de paix à son frère ; comme elle pouvait le rejoindre

(i) Forcé par Bonaparte d’entrer aux gardes d’honneur, lia péri en Allemagne. (Note de l’auteur).

t.ouU’Joseph-Maurtcc d’Eibéc, fait prisonnier & ta bataille de Leipsick, le 15 octobre 1813, mourut de ses blessures à l’hôpital de Postdam.

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sans risque, elle avait été envoyée près de lui par les représentants, avec M. Bureau,

J’appris que M 118 Gérard avait été cachée à Nantes, s’était approprié tous mes effets, avait vendu mes dentelles, dont on me rapporta deux aunes, et avait retiré mes bougettes des mains de Paynot ; on n’a jamais su le sort de ce dernier. Réclamée, par ses parents de Saint*Jean*d’Angely, très patriotes, n’étant d’ailleurs point connue comme Vendéenne, elle avait obtenu un passe-port pour son pays. Je l’avais toujours crue honnête ; comme elle s’était réfugiée chez des républicains, elle prétendit, dans ses lettres, leur avoir confié mes effets et ne les avoir pas vendus ; elle m’engageait à les poursuivre au criminel ; je ne le voulus pas, pour mille raisons, cependant je cherchai à gagner ou effrayer les prétendus receleurs. Je mis ma procuration en mauvaises mains ; le renouvellement de la guerre civile, les embarras que j’eus moi-même, la difficulté d’une telle affaire m’ont empêchée de la suivre comme il aurait fallu. Dix ans après, passant à Saint-Jean-d’Angely, j’envoyai chercher M, , c Gérard par Agathe ; son embarras et son refus formel de venir me voir, prétextant une trop grande sensibilité, m’ont prouvé qu’elle était la vraie voleuse ; mais comment poursuivre aussi tard î J’y ai renoncé.

Avant la guerre, j’avais fait cacher mon argenterie, qui était très considérable, par un vieux et fidèle domestique nommé Lefèvre ; j’avais pris toutes mes précautions pour faire croire que je l’avais vendue, et n’avais point d’inquiétude à cet égard. Lors de la première guerre, je lui confiai mes diamants, mais comme il y avait chez moi des domestiques patriotes qui le savaient et ne manqueraient pas de dire que je ne pouvais les avoir remis qu’à Lefèvre, connaissant mon entière confiance en lui, je le priai, en cas d’arrestation et d’interrogation sur cet article, de les livrer et de conserver sa vie pour ses six enfants. Il me répondit d’une manière si précise, que jamais il ne ferait une pareille lâcheté, que je les repris, et c’est ainsi qu’ils furent perdus.

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Quand noua étions & la Boulayc, Lefèvre cacha les couverts et tout ce qui était resté à Cllsson. Il fut pris dans le mois de novembre et ne voulut rien avouer ; mais, le jour de l’inccndic du château, j’eus l’imprudence d’envoyer un commissionnaire, que ' je croyais sûr, pour savoir si ma grande cache d’argenterie avait été prise, de manière que je la lui Indiquai. Depuis, lors des noyades de Nantes, étant au nombre des victimes, il dit savoir où était un trésor ; on le retira des bateaux, et, dans une incursion, les Bleus le menèrent chez moi ; il prirent l’argenterie (i) et le reconduisirent au Bouffay, où il aurait péri également sans l’amnistie. Je lui aurais pardonné sa faiblesse, mais depuis, soit crainte, soit changement, il s’est jeté dans le parti révolutionnaire. Quant à mes couverts, comme ils avaient été cachés à la hâte dans un autre endroit, deux jeunes paysans les trouvèrent, les mirent dans un trou profond et me les rendirent depuis.

Pendant que Lefèvre était en prison, les Bleus vinrent & plusieurs reprises à Clisson ; une fois entre autres, on les attendait si peu, que sa femme, ses six enfants, le plus âgé ayant onze ans, sa belle-sœur et un vieux domestique y étaient retournés ; ils furent tous massacrés à coups de sabre, excepté les deux garçons, dont l’un blessé, qui s’échappèrent ; une petite de six mois fut trouvée saine sous les cadavres et les trois filles, quoique très blessées aussi, se guérirent. J’ai depuis retrouvé ce fidèle et vertueux Lefèvre ; it est rentré à mon service, et maintenant je pleure sa mort qui m’est bien douloureuse.

(t) « Saumur, îo 3 pluviôse, l’an a*. — Nous vous drossons, citoyens collègues, par la diligence, quatre cents marcs d’argenterie (12,645 livre» ou 13,448 francs). Ils ont etc trouvés dans les ruines du fameux château de Lcscure, Ils composaient le vaisselle plate de ce chef de la ci-devant armée catholique ; passée et purifiée au creuset national, elle sera au moins utile h ta république.» (Convention nationale. Lettre de Bourbotto et Turreau.)

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CHAPITRE XXV

DEPUIS LE JOUR QUE JE PRIS L’AMNISTIE (i) J

JUSQU’À MON ARRIVÉE À BORDEAUX LES PREMIERS JOURS DE FÉVRIER 1795

1

J’ai fait l’histoire d’une partie des personnes qui ne se battaient pas, que je retrouvai & Nantes, ou dont j’appris le sort depuis. J’en viens au récit de ce que j’ai su des officiers de notre grande armée ; je renvoie pour plusieurs, et surtout pour la suite des guerres, à l’histoire qui vient de paraître de M. Alphonse de Beauchamp (3) ; ce n’est pas qu’il n’y ait des fautes et beaucoup d’erreurs, mais en général l’ouvage est excellent et, d’ailleurs, la bonne foi de l’auteur et son impartialité font croire qu’il corrigera les éditions suivantes.

Ne sachant pas d’une manière particulière les événements de la guerre depuis Savenay, je n’en parlerai plus, si ce n’est de quelques faits dont j’ai eu. la certitude.

J’appris, trois mois après l’amnistie, les circonstances de la mort de mon père, qu’on nous laissait ignorer. Il s’était retiré avec le chevalier des Essarts, MM. de Mondion, de Beauvollier, de Tinguy et quelques autres dans la forêt du Gavrc ; là ils

(1) 3 janvier.

(a) Histoire de la guerre delà Vendée et dee Chouans, 1806.

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rencontrèrent M. Cancllc, négociant de Nantes, qui se cachait, étant hors la loi ; ce dernier, depuis, m’a raconté tout ceci à Bordeaux. Il donna ù mon père des lettres pour des amis du côté de Guérande où il pourrait se réfugier ; mais au lieu de cela, livré au désespoir, il voulut tenter un coup de main et retourner faire la guerre dans la Vendée ; il rassembla environ deux cents hommes, et, trois semaines après la déroute de Savenay, ils réussirent à surprendre de nuit Ancenis. Les Bleus, clfrayés quoique nombreux, se jetèrent dans des bateaux, tandis que mon père faisait rassembler & la hâte le peu de barques qui restaient ; les patriotes de la ville, s’apercevant du petit nombre d’ennemis, rappelèrent les volontaires et tombèrent en foule sur cette poignée de braves. Mon père, ses trois officiers et dix ou douze cavaliers, après des efforts étonnants, se firent encore jour au milieu d’eux, à coups de sabre et sortirent de la ville ; mais poursuivis, la plupart blessés, leurs chevaux harassés, ils furent tous pris à deux lieues de la ville, menés à Angers et guillotinés. On annonça dans les gazettes la mon de mon père, comme général de dix mille hommes dans la Vendée ; son nom s’éteignit avec lui.

Le nom de Lescurc est éteint aussi ; plusieurs personnes le ponent, quelques-unes ont cherché autrefois à se faire reconnaître ; MM. de Lescure étant depuis longtemps fils uniques à chaque génération ont beaucoup désiré trouver une famille de même origine ; les preuves n’ont jamais été suffisantes. Le vrai nom des Lescure était de Salgues ; ils portaient celui de Lescure depuis l’an 150o, par suite d’un mariage avec l’héritière du nom.

M 11 * des Essarts, lors de la surprise d’Ancenis, avait pris le parti de suivre son frère ; elle périt à Angers, au moment du passage de la Loire.

MM. d’Elbée, de Boisy, Duhoux d’Hauterivc, M m ® d’Elbée et d’autres dames étaient arrivés à Noirmoutier au moment où

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Charette venait de surprendre Plie ; ils y restèrent comme dons une place de sûreté. Charette y laissa garnison et s’en retourna dans son pays. Au bout de trois mois, Noirmoutier fut reprise par une lâche trahison ; les Bleus y avaient des intelligences et la garnison s’était mal défendue, Ony fusilla Aï. d’Elbéc (r), qu’on porta au supplice sur un brancard, ses blessures reçues à Beaupréau le tenaient encore entre la vie et la mon ; il périt avec le courage et la piété qui le distinguaient (s). M me d’Elbéo eût pu se sauver, si elle eût voulu se cacher, dans le moment que les républicains attaquèrent Noirmoutier, On le lui proposa et son mari l’en pressa beaucoup, mais clic ne voulut jamais le quitter. Quand les Bleus entrèrent dans la chambre de M. d’El bée, ils dirent i « Voilà donc d’Elbée ! — Oui, répondit-il, voilà votre plus grand ennemi ; si j’avais été en état de me battre, vous n’auriez pas pris Noirmoutier, où il vous eût coûté bien cher. » Ils le gardèrent deux jours dans sa chambre, ne cessant de lui parler : il répondait toujours avec la plus grande fermeté ; il fut porté au supplice sur un brancard. M mo d’Elbée, conduite au tribunal dans le moment où son mari traversait la place pour être exécuté, eut une attaque de nerfs et tomba évanouie dans les bras d’un officier républicain (3), qui la soutint en pleurant. Les représentants lui crièrent : « Quoi, tu plains cette Brigande 1 Laisse-la, tu vas périr aussi. » Tel était l’excès de leur barbarie, qu’ils punissaient de mort la pitié 1 Cette femme vertueuse fut exécutée avec une autre, ainsi que MM. Duhoux d’Hauterive, de Boisy,

(i) L’interrogatoire de d’Elbée porte ta date du ao nivôse. Nous ne nous expliquons pas que la Convention nationale ait reçu des représentants Turreau et Bourbotte une lettre du ig, qui dit en pariant du général vendéen et des officiers fusillés avec lui : « Tous ces nobles chevaliers ont été frappes du glaive exterminateur », paraissant faire remonter la condamnation au «lendemain de la victoim », c’est-à-dire au *5 nivôse, 4 janvier. {Moniteur des sa et 34 nivôse an II.)

(a) Mon cousin de Givrât, qui fut le tuteur du jeune d’Elbée, a fait élever à Beaupréau un petit monument en mémoire du général et de M*» d’Elbée. (Note de l’auteur.)

(3) François Piet, capitaine aide de camp du général Dutruy. U a publié un volume intitulé Recherche* tur Noirmoutier.

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de Tinguy <i), tous les militaires et les deux petits Le Maignan de TÉcorce (a), avec leur gouverneur M, Biré.

J’ai dit qu’Henri de la Rochejaquelcin avait passé la Loire, lui dix-ncuvièmc, avec MM. Stofflct, de Baugé et de Langeric ; [ plusieurs centaines de soldats entreprirent de les rejoindre sur des bateaux, des barriques et tout ce qui pouvait servir ; mais tes républicains, dont les troupes parcouraient la rive gauche de la Loire, depuis notre arrivée à Ancenis, amenèrent des barques armées de canons ; bien peu des nôtres purent regagner leur pays. Ceux qui échappèrent à tant de dangers ne retrouvèrent Henri que longtemps après.) Lui et ses compagnons cherchèrent inutilement les traces de la colonne de Brigands, dont on leur avait parlé à Ancenis ; ils tâchèrent de débarrasser quatre grandes gabarès chargées de foin ; tandis qu’ils y travaillaient, les Bleus vinrent de Saint-Florent, pour les disperser ; Henri resta seul avec M. de Baugé ; poursuivis, ils essayèrent de retrouver dans l’intérieur du pays cette troupe royaliste vue deux jours avant à Ancenis, près de la Loire, pour l’amener à notre secours. Elle était commandée par le frère du général Cathelineau, revenu de Noirmoutier, et non par M. d’Hauterive ; mais elle n’avait fait qu’une incursion, tout le pays étant brûlé et inhabité. Henri et M. de Baugé ne rencontrèrent personne et ne virent aucun être vivant pour leur donner des nouvelles, ni même pour confirmer

(i) Rond-Henri de Tinguy, fils aine de Jean-Abraham de Ttnguy, chevalier, seigneur de la Sauvagerc, et de Pcrirus Bruncau de la Ra batelière, naquit À Saint-Fulgent en 1750, Il avait épousé Thdrésc-Ursule du Plessis de Grcnédan. Sous» commissaire de marinai Noirmoutier, li fut nommé par Charetle gouverneur de i’tlc. Les républicains lui arrachèrent la langue avant de le fusilier, te to Janvier.

(s) Benjamin-Charles et Jean-Pierre, nés à Ciisson prés Nantes, le 4 novembre > 777 » his jumeaux do Louis-Gabriel Le Maignan, seigneur de t'&orce, et do Marie-An nc-Augustine de Rorthais de ta Poupeliniéro. Chérin, généalogiste et historiographe des ordres du Roi, avait délivré, le 1 a avril 178S, des certificats constatant qu’ils avaient < la noblesse requise pour être reçu sous-lieutenant dans les troupes de Sa Majesté. » A seize ans ils combattaient avec intrépidité dans l’armée vendéenne. Leur petit frère, Augustin-Char ics-Alexis, âgé de treize ans, fut pris en même temps les urmes a in main, mais ne fut pas fusillé ; il a continué cette vaillante famille. Leur mère fut guillotinée à Nantes sur la place du Bouffay.

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l’existence de cette troupe. Iis ne purent se rapprocher du rivage ; enfin ils renoncèrent à le gagner, quand ils jugèrent que nous avions quitté Ancenis. Ils vécurent quatre ou cinq jours de pain pris à des volontaires qu’ils tuaient ; la Vendée était déserte dans cette partie, c’est-à-dire les habitants tellement cachés, qu’il était difficile de les trouver. Iis arrivèrent à la nuit dans une maison, excédés de fatigue, se couchèrent sur la paille ; le fermier vint les avertir de l’approche des Bleus ; leur lassitude était telle, qu’ils préférèrent rester là au risque de tout ; les Bleus se couchèrent aussi sur la paille. Avant le jour, M. de Baugé réveilla Henri ; ils partirent (c’est M. de Baugé qui m’a raconté lui-même cette curieuse aventure) et arrivèrent enfin à Maulévrier, où ils trouvèrent M. de Charette avec sa troupe, venu pour tenter un recrutement ; ils furent le voir, et, quoique son dîner fût servi, il ne leur en offrit pas ; ils allèrent manger chez un paysan, puis retournèrent auprès de Charette qui les badina d’une manière piquante sur la campagne d’outre* Loire ; il finit par dire à Henri î <t Si vous voulez me suivre, je vous ferai donner un cheval. » L’autre répondit ? « Je suis accoutumé non à suivre, mais à être suivi », et le quitta. Ainsi finit cette conférence.

Il fut très malheureux pour la Vendée que Charette ait si mal reçu Henri, au lieu de concerter avec lui des plans de défense. [ Il y avait alors cinq ou six cents Angevins et Poitevins arrivés pour rejoindre M. de Charette ; sitôt qu’ils reconnurent M. de ta Rochejaquelcin, ils se rangèrent d’eux-mêmes sous ses ordres ;] les paysans apprirent son retour et accoururent en foule autour de lui ; Charette, voyant bien que de ce côté il ne recruterait plus personne, regagna la partie du Bocage où il avait toujours commandé (z).

Henri alla se montrer à ses anciens Poitevins, errants dans les bois, sans chef ; il eut bientôt quelques troupes, livra succes-

(i) Voir à l’appendice, note V.

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Hivernent neuf petits conibuts où il remporte presque toujours l’avantage, [Un jour on lui annonce que les Bleus sont au château de la Durbeliêrc et y mettent le feu une nouvelle fois ; il y court aussitôt, Il y avait encore d’anciens régiments de ligne qui avaient conservé leur uniforme blanc. À peine Henri est-il entré dans la cour, un lieutenant-colonel s’avance d’un air solennel et lui dit ï « J’espère, Monsieur, que vous ne me confondez pas avec tous ces misérables, je suis gentilhomme. — Raison de plus, » s’écrie Henri en lui brûlant la cervelle. On tua, dans les cours et les jardins, tous ceux qui s’y trouvaient ; c’est à peine s’il s’en sauva.) À cette époque tous les points du pays étaient occupés par les patriotes ; Henri traversait leurs postes et allait surprendre le plus éloigné. Le lendemain d’une de ces attaques qui avait réussi, ayant couché dans un bois à Trémentincs avec quarante cavaliers, il sortit au point du jour pour avoir des notions positives sur un poste républicain ; il vit deux Bleus écartés dans un chemin (i) et courut sur eux ; ses officiers lui criaient : a Général, n’alicz pas seul en avant. » Mais étant mieux monté qu’eux, il les eut bientôt dépassés ; il fut aux deux soldats, leur criant : « Rendez-vous, je vous fais grâce », et dans le fait, il ne voulait que les prendre ; ces deux hommes se jetèrent à genoux et, soit qu’ils le reconnussent, soit qu’ils l’eussent entendu appeler général, l’un d’eux lui présenta son fusil par le canon, en demandant grâce ; Henri étendit la main pour prendre l’arme, au même instant le coup partit ; la balle le frappa au front, la cervelle sauta et il tomba raide mort. Ses gens arrivèrent et hachèrent en pièces les deux Bleus ; ils pleurèrent amèrement leur général, [ celui des chefs de la Vendée dont la carrière a été la plus brillante ; il était l’idole de son armée.) Il fut tué le mardi gras, 4 mars 1794 (s).

(1} Entre Cholct et Nuaillé, pré* U ferme «Je te Haie en Bureau.

(a) Cette date a depuis été reconnue inexacte, (Voir ict notes de l’autour u l’appendice, VI.) Un rapport du U du 3 o pluviôse an 11, 18 février 1794, adressé au gë-

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M. de Marigny arriva peu do temps après dans la Vendée, H alla du côté où avalent commandé M. de Lcscurc et Henri, en Poitou ; tout le monde l’y adorait, 11 fut sur le champ reconnu général ; alors la Vendée se trouva naturellement divisée entré Charotte, ayant sous ses ordres le bas Poitou ; StofÏÏct, l’Anjou ; Bernard de Marigny, le reste* Les Bleus, établis à Chiché et à Bressuire, faisaient des dégâts énormes ; les habitants dispersés dans les bols ne pouvaient s’y opposer ; Marigny les rassemble, sa vue tes ranime ; à ta première sortie des Bleus, il les attaque dans les allées de mon château de Clisson et leur tue douze cents hommes ; ils abandonnent Bressuire et jamais, depuis, le camp de Chiché n’a osé avancer dans le pays. Des hussards ont essayé quelques courses, mais les troupes sont restées cantonnées et sans faire de mouvements de ce côté. Cette affaire eut lieu le 18 avril 1794. Marigny fut, de là, prendre Mortagne avec un égal succès (1) ; ces deux victoires lui donnèrent la confiance générale.

Charette et Stofüct, furieux de voir leur émule si estimé, ré* solurent sa perte ; lui, loyal, généreux, sans jalousie, ne se défiait pas des trahisons ; elles étaient si loin de son cœur, qu’il n’en croyait nul autre capable. Ces messieurs lui proposèrent une con* férence & J’allais, il s’y rendit ; on chercha les moyens les plus propres à délivrer le pays des postes républicains qui le dévas* taient ; on résolut d’attaquer d’abord ceux qui bordaient la Loire ; les généraux s’engagèrent solennellement à unir leurs forces dans ce but et à ne faire aucune autre entreprise. Ces postes étaient dans la partie de Stofflet, Au jour indiqué, les trois armées

ndral en chef Turrenu par Poche-Durocher*, commandant la place de Cholet, donne pour certaine ta date du 9 pluviôse, *8 janvier. (Savary, Guerre des Ven* déent et des Chouans par un officier supérieur.)

(t) U battit les républicains, mais ne put prendre Mortagne. (Note de l’auteur.)

  • Julien Poché-Durocher, né À Laval te atj Juillet 1755, ancien militaire, était alors chargé du

commandement de la garde nationale et de In place de Cholet, pour les républicain». U mourut le >3 janvier 1S1 1,

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  • — 4^7

et leurs chefs gagnent le rendez-vous, Marigny arrive le dernier après une longue marche ; on venait de distribuer des vivres aux troupes des deux autres, il en demande pour la sienne, on répond qu’il n’y en a pas ; ses soldats murmurent, il court au corn seii, fait des plaintes véhémentes, Pendant cette dispute, on l’avertit que ses hommes s’en retournent ; il monte à cheval, s’élance après, trouve ses soldats furieux ; il ne peut les ramener et, partageant leur colère, il les suit ; d’ailleurs sa présence individuelle ne pouvait être utile, ,

StoiHct et Charetre essaient l’attaque et sont battus ; alors ils assemblent un conseil au château de la Boulayc, accusent Marigny d’avoir causé leur défaite en manquant à ses engagements et le déclarent traître ; Charcttc, le premier, le condamne à mort, les autres y accèdent. Ce général fit, dit-on, avertir secrètement Marigny de venir se réfugier dans la partie qu’il commandait, ne voulant sans doute que le déplacer ; d’un autre côté, les officiers et soldats de Marigny l’engagent à rester à leur tête, dussent-ils combattre Stoffiet ; mais [il avait trop de grandeur d’âme et de mépris de la vie pour prendre aucune précaution, ] il était trop dévoué à son parti pour risquer d’y allumer une guerre civile ; d’ailleurs, malade des fatigues qu’il avait éprouvées à l’armée, il refusa de se cacher, soutint qu’il n’avait rien à craindre et se retira seul, avec ses domestiques, au château abandonné de M. de Serin (r). On avait fait un rassemblement de Poitevins à Ccrizay ; Stoffiet s’y rend avec des troupes angevines ; on avertit de nouveau Marigny, rien ne l’ébranle ; Stoffiet, en passant, détache des hussards allemands déserteurs, qui le fusillent (2). U lui avait fait dire plusieurs fois, et encore récemment, qu’il ne voulait lui faire aucun mai ; il fut poussé, à ce qu’il paraît, par MM, de Rostaing et Berrard. On assure que l’abbé Bernier,

(r) \a Gîrardlère, paroisse de Combrand, à M. Serin de la Cordiniàre.

(a) M. de Marigny n’émit pas marié, ni ton frira, émigré, qui a péri noyé. Une de «ex sœurs a épouaé M. de Mont de Bcnque, ft Toulouse. (Note de l’auteur.)

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qui arrivait dan» ce moment de la Bretagne, avait vu secrètement Stofflet à la Morosière (i) ; il était l’âme de son conseil et le dirigeait, on l’accuse généralement d’avoir décidé ce meurtre ; (cependant le lendemain, comme on lui parlait avec douleur et horreur de cet événement, il dit ; « Je n’en sais rien, j’arrive. ») On mit beaucoup d’inhumanité dons la mort de M. de Marlgny ; on lui refusa un confesseur ; il demanda & parler à Stofflet ; voyant que sa perte était décidée, il s’écria : « Vous voulez ma mort, en bien, mettez-vous en ligne, joue, feu ! » Stofflet entra ù l’état-major d’un air sombre et dit : « M. dcMarigny était condamné à mort, il vient d’être exécuté, » Le silence et la consternation furent la seule réponse. On amena garrottés les domestiques de Marigny, mais cela fit une espèce d’émeute et on les relâcha.

La nouvelle de l’assassinat de Marigny se répandit duns le rassemblement poitevin ; chaque soldat s’en fut, en déplorant la mort de son chef. Aucun ne voulut servir sous Stofflet qui avait espéré les commander ; dispersés dans les bois, [ils se cachaient comme ils pouvaient, avec leurs femmes et leurs enfants ; ces paroisses devinrent comme sauvages et ne firent plus ce qu’on appelle la guerre ; ] Ils se contentaient de tirer des coups de fusil aux Bleus qui faisaient des incursions, Tant que Stofflet a vécu, cette haine s’est conservée, et encore à présent, le nom de Marigny est l’objet des regrets et de la rage des soldats ; ils en voulurent moins à Charette qui ne fut pas l’exécuteur. Les officiers restèrent, les uns avec Stofflet, les autres avec Charette ; la plupart, surtout ceux qui furent avec le premier, ne se battaient plus que par honneur et nécessité, De ce nombre était M, de Baugé ; il déclara ne vouloir plus servir que comme soldat ; ami de M. de Marigny, il devint très suspect, et, peu de jours après,

< *) ï-c ch liteau de la Morosière, paroisse de Ncuvy près Chemilté, appartenait il Charlotte de Raoul, mariée en 1781 à Loula>Amhroi«e-lsnac de Violaine, chevalier, seigneur de la Cour, capitaine des carabiniers.

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- 4’3p ~

Stofflct le fit arrêter bous prétexte d’un propos tenu contre lui ; M, de Beaurepaire eut ta générosité d’aller se dénoncer lui-même. Le lendemain Stofflct fut attaqué ; les quatre soldats chargés de garder M. de Bougé, le laissèrent ; il reprit ses armes. Stofflct le trouva ù l’action et lui dit ; à Quoi 1 voua ici ? » tl répondit : « On m’a laissé libre, je me bats, puisque je le puis, » Il retourna ù sa prison après la lutte, mais les soldats refusèrent de le retenir. Il continua de suivre l’armée comme simple soldat, Stofflet ne lui disant pas un mot et lui ne se mêlant de rien, que les jours de bataille, où bien des paysans lui demandaient ses ordres. Mais sitôt que la paix fut acceptée par Charette, non seulement M. de Baugé se rendit, mais il accompagna les colonnes républicaines qui venaient pacifier le pays ; on ne doit pas le confondre avec les traîtres qui en firent autant pour de l’argent ; pour lui, il ne chercha plus qu’à faire poser les armes aux paysans, quand il vit que l’amnistie était réelle et que M. de Charette s’était rendu, car Stofflet s’y refusa plus longtemps que celui-ci. Je ne rappellerai pas les rivalités de ces deux chefs ; l’histoire, de la mort de M. de Marigny donne assez la mesure de leur caractère, d’autant qu’ils n’avaient aucune autorité sur lui, ils étaient tous trois généraux. Après sa mort, ils élurent Sapinaud, fort bon homme, mais homme de paille ; il eut à commander le Poitou, surtout du côté de l’armée de Royrand.

C’est dans l’histoire qui ! faut chercher tout ce qui concerne les événements de la guerre de ta Vendée, et particulièrement ce qui regarde le talent et le génie du célèbre Charette, dont je ne puis rapporter aucun fait détaillé. [Il avait un mélange de qualités et de défauts qui le rendaient éminemment propre à la situation, et en faisaient un vrai chef de guerre civile. Il n’avait peut-être pas une de ces âmes pures et chevaleresques dont la mémoire pénètre à la fols d’attendrissement et d’admiration ; mais l’imagination est subjuguée en songeant à ces caractères,

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tout composés de force, sur lesquels uucun sentiment ne peut avoir de prise, qui vont à leur but sans que rien les arrête*, qu’une sorte d’insouciance soldatesque rend inaccessibles à l’abattement, aussi insensibles à leurs propres souffrances qu’à celles d’autrui. M. de Charette était d’une fermeté d’âme inaltérable. Au plus fort de la détresse, quand tout semblait perdu sans ressource, on le voyait, le sourire sur les lèvres, relever le courage de ceux qui l’entouraient, les mener au combat, les pousser sur l’ennemi et les maintenir devant lui jusqu’à la dernière extrémité. Tout le monde sait avec quel courage inébran* labié MM. de Charette et Stofflet (i) ont subi leur supplice. Une personne qui a vufusillerCharcttc, maisde trop loin pour l’entendre parler, m’a raconté qu’il était resté debout, sans avoir les yeux bandés. Il reçut deux décharges de sept coups : à la première, il parut, du moins par son calme, n’être pas touché ; à la seconde, on le vît pâlir, chanceler ; il fut un moment encore debout, puis tomba. J’ai entendu dire que les républicains gravèrent sur sa tombe cette épitaphe, mauvaise comme versification, mais bien flatteuse comme hommage :

De Charette, passant, respecte le repos,

H vécut en brigand et mourut en héros. Stofflet avait montré de vrais talents militaires ; il savait à peine lire et écrire, il n’est pas étonnant que le curé de Saint-Laud, avec son esprit supérieur, se soit emparé de lui, ]

Je n’aurai plus rien à dire de la guerre, si ce n’est quelques faits détachés. Je vais achever de faire connaître le sort de nos braves combattants.

Le prince de Talmond fut de Blain se réfugier dans les bois de Lava ! ; j’ai entendu dire qu’il y avait été pris, et avait subi la mort avec un courage héroïque. Je crois que les détails de sa fin,

(i) Stofflet n’étolt pu» marié. (Note de l’auteur.)

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rapportés par M. Alphonse de Beauchamp, sont vrai» ; ils sont dignes de sa bravoure. Je sais la mort, sans en savoir la manière, du brave Piron, du jeune de Beauvollier, deMM, delà Marsonniére, du Rivault, de Perrault, de Lyrot, d’Esigny, des Nouhes, de Marsanges, Roger-Moulinier, Villeneuve du Cazeau, Lamothe, Montfort, Carrière, etc, Les deux jeunes et vaillants Duchaffault furent tués par les soldats de Charette, au moment où ils repassaient secrètement la Ivoire,

Le chevalier Duhoux avait été tué au Mans ; Beauvolller l’aîné reparut & l’amnistie ; le petit Duchesnc se sauva en se présentant pour s’engager dans les volontaires, qui l’enrôlèrent sans rien soupçonner. J’ai raconté la manière dont échappa M. d’Autichamp. MM. Dupérat, Foresticr, du Chesnier, Jarry, Bellevue(i), de Cacqueray, de Remets (a), gagnèrent l’intérieur de la Bretagne, ils se battirent avec les Chouans ; Forestier fut assez longtemps sous M. de Puisaye. Il m’a dit depuis, que ce général se tenait caché, faisait beaucoup de plans, de projets, et presque jamais d’actions. Dégoûté de ce genre de conduite, il alla rejoindre le vicomte de Scépeaux qui, devenu chef des Chouans du côté de Candé et d’Ancenis, ensuite général, acquit de la réputation ; il n’était connu jusqu’alors que par sa bravoure. Depuis, Fores* tier (3) et Dupérat allèrent trouver Stoffiet et devinrent, à juste titre, ses principaux officiers ; M, de Cacqueray fut tué dans les

(t) Jean-Louis Beaud-BeUevue, lié à Bourg-Safnt-Andéol dans le Vlvarais, le aO août 1771, fut aide de camp de La Fayette en 1789 et lieutenant de gendarmerie en 1790. li se battit dans tes rangs des Vendéens et des Chouans, puis servit sous l’Empire. Chevalier de Saint-Louis en 1814, breveté lieutenant-colonel d’infanterie en 1816, il mourut le a décembre 1843.

(a) Étienne-Alexandre de Bcrnete, né le 3 o avril 1770, & Fossé prés Vcmcuil, on Normandie, premier page du Roi, se retira ft Rouen après io 10 août 179a, puis passa en Vendée. Il mourut h Dreux, le**a juillet J 853, chevalier de Saint-Louis.

(3) M. Forestier est mort en Angleterre, à trente-trois ans ; on a dit qu’il fut empoisonné. Il était couvert do blessures ; en 1799, U en avait reçu une sous le cœur, elle lui traversait le corps : s’il n’avait pas respiré au moment où ta balle passait, il était mort ; on sentait son cœur battre sous sa blessure. (Note de l’auteur.

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Chouans* MM. Bellevue, de Bcrnetz, Jarry, du Cbcsnicr retour* nèrent successivement dans la Vendée ; il en fut de môme d’autres officiers, restés aux environs de la Loire : de ce nombre étaient le % chevalier de Fleuriot, les deux Béjarry (i)i dont l’un, grièvement blessé, s’était caché à Blain, les trois frères Soyer et les deux Cady (ces familles méritent une célébrité et des éloges particuliers) ; MM. Richard, de la Salmonière, le modeste, brave et habile Grelier, les trois beaux-frères, MM. Paliernc (2), Chctou (3), Barbot (4), de Rostaing, y retournèrent aussi ; le chevalier de Beaurepaire, qui avait passé la Loire avec M. de la Rochejaquelein, continua de soutenir sa réputation.

Quelque temps après la mort de MM, de Charette et Stofflet, M. Dupérat fut pris et condamné à rester prisonnier jusqu’à la paix générale, au Bouffay, à Nantes. Il imagina un moyen bien singulier de se sauver : il était avec quatorze galériens, il leur persuade facilement de s’échapper avant d’être conduits au

(0 Auguste de Béjarry, né en 17Û7, fit toute la campagne de la grande armée, passa ensuite en Bretagne et ne déposa les armea qu’en 179*3. Chevalier de Saint* « Louis sous la Restauration, il mourut en 1834, — Amédéede Béjnrry, né II Luçon le a& janvier 1770, fut d’abord aide de camp de Royrand. ensuite officier supérieur. Plusieurs fois blessé, U soutint la lutte jusqu’en (796, fut arrêté, puis relâché. Nommé chevalier de Saint-Louis, U fut député en 1 8 r6, sous-préfet de Beaupréau, et mourut en mal 1844.

(3) René-Victor-Joseph Palierne. delà Haudussais, né à Mésanger près Ancenis, le (9 mars 1765, fut retraité sous ta Restauration comme colonel, chevalier de Saint-Louis et mourut & Ancenis, le 8 janvier 1838.

(K) Pierre-Jean-Louls Chctou, né & Chantoceaux prés Cholct, le 5 décembre vjSy, fut nommé, en 179(3 par le comte d’Artois, colonel et chevalier de Saint* {.nuis. Sa femme, Anne-Marie-Claudine Massonneau, ayant été massacrée en messidor an III, ju)n*juiUet <795, U devint alors seulement le benu-frère de Palierne, dont it épousa la sœur, Marie-Élisabeth,

(4) L’article de la Biographie des hommes vivants, relatif à M. Barbot, Jean-Jacques, est tout A fait controuvé. J’ai pris k cet égard les informations les plus exactes, et je certifie que ce brave officier n’a jamais varié dans sa conduite, qui est sans tache. U jouit de l’estime la mieux méritée sous tous les rapports ; U est aujourd’hui chevalier de Saint-touis et percepteur À Chantoceaux, Maine-et-Loire. (Note de l’auteur, 5 * édit., 1833.)

J. J. Barbot, né A Couffé près Ancenis, le 14 avril 175a, fut retraité comme lieutenant-colonel et mourut À Chantoceaux prés Cholet, le 9 juillet (84S. U avait épousé Marie-Rose Patieme,

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bagne* Il fait venir de l’cau-dc’vic et de* liqueurs dont il les régale, puis un jour il leur fait prendre deux bouteilles dans leur poche et une à chaque main ; en tenant une pleine, il s’approche de la sentinelle qui était dans le corridor et lui offre ù boire ; comme le soldat portait la bouteille à sa bouche, M. Dupérat le saisit aux cheveux, lui renverse la tête et lui remplit la gorge au point qu’il ne pouvait plus appeler au secours* En même temps les galériens tombent il coups de bouteille sur le corps de garde surpris, et tous sortent sains et saufs. On pense bien que M. Dupérat, une fois libre, se cacha avec autant de soin de ses compagnons galériens que des républicains (i)].

M. Allard avait traversé la Loire par un grand hasard et avec mille risques, le lendemain du passage de M. de la Rochejaquelein. Il erra plusieurs jours dans la Vendée, sans retrouver aucun royaliste ; il fut pris par les républicains, mené & la Roche-sur-Yon ; malgré l’adresse avec laquelle il répondit aux interrogatoires et quoiqu’il se dît, ce qui était vrai, de la Rochelle, et volontaire, il fut condamné & être fusillé. Comme on allait l’exécuter, on cria : Aux armes t cela lui donna du répit ; son air de jeunesse (ear U ne paraissait pas avoir son fige), l’extrême douceur qui frappait dans sa physionomie et qui est l’emblème de son caractère, [surtout les prières d’un républicain qui disait lui devoir la vie ainsi que beaucoup d’autres, ] touchèrent quelques personnes, on

(0 On doit louer et honorer le mémoire de M. Soyer* personne n’a jamais proféré un mot contre lui. il joignait à tes grande* qualité* une modestie «tn borne* ; j’en ai une preuve particulière : je ne le connaissais pa* de vue, mai* pénétrée d’estime pour lui, je lui envoyai è lire te manuscrit de me* Mémoires, sachant qu’il avait fait plusieurs traits admirables, je le priai d’ajouter ce qui pouvait entrer dans mon cadre, il n’a pas mis un seul mot à sa louange. (Note de l’auteur.)

M. Soyer était un bourgeois du pays ; Louis XVIII l’a fiait maréchal de camp ; son mérite lui avait valu d’épouser la sœur du marquis de Grignon de Pouzauges, Les Soyer étaient quatre frère* ! l’un est évôque de Luçon, le* autres se sont très bien battus. Le générai est mort de ses affreuse* blessures, après avoir langui plusieurs années ; il a laissé un fils qui est prêtre et deux filles religieuses. (Note de l’auteur, 1838.)

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consentit à l’enrôler. On l’envoya en garnison à l’île de Noirmouticr ; là il retrouva un soldat de Charette, engagé aussi de force, ils se reconnurent, ils prirent ensemble les moyens de déserter. On les ramena aux Sables, cet homme était des environs ; M. Allard et lui se sauvèrent la nuit en traversant, sans savoir nager et au péril de leur vie, l’anse du port. Ils furent joindre Charette, Allard resta avec lui, ayant appris la mort de M. de la Rochejaquelein ; son nouveau général le reçut d’abord assez mal, mais bientôt des traits de prudence et de courage lui acquirent son entière confiance ; il le fit chef d’une des divisions de son armée, celle de la Mothc-Achard.

Allard y était campé avec quelques troupes ; pendant la paix, des officiers républicains venaient souvent lui faire visite. Un jour, ayant dîné avec lui, ils l’engagèrent à les reconduire h cheval, comme partie de promenade ; tout d’un coup, ils se jettent sur lui et i’emmènent prisonnier : ce fut pour M. de Charette un prétexte fort juste de reprendre la guerre dès le lendemain.) Allard, conduit dans les prisons de Saumur, s’échappa, fût repris et absous. On l’accusait d’avoir fait massacrer secrètement des volontaires, pendant la paix, & la Mothc-Achard ; ce fait ne put être prouvé ; plusieurs personnes, au contraire, attestèrent l’humanité et la douceur qui l’ont toujours fait aimer. Aussi, en lui apprenant son jugement, le président commença par ces paroles : « Prisonnier, votre courage joint à vos vertus sociales a intéressé tous vos concitoyens » M. de Lacroix fut pris et mis à

l’entrepôt, au milieu des autres. On proclama grâce et même récompense à ceux qui dénonceraient des officiers ; un nommé Calabre et trois autres mauvais sujets, déserteurs, firent connaître M. de Lacroix, il fut guillotiné. Ces quatre coquins demandèrent leur récompense à Carrier, il la leur promit, en leur disant que cela regardait un de ses collègues à Angers, qu’il allait lui écrire en leur faveur ; ils partirent munis de cette lettre, qui portait de les fusiller sur-le-champ, ce qui fut exécuté.

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M. O’Daly était couché avec son cousin M. Brunet, officier d’artillerie, quand, dans la prison du Bouffay, on vint appeler O’Daly et son cousin, pour tore jugés, par conséquent guillotinés. Ils n’avouèrent pas leur parenté, M. Brunet fit comme si cela ne le regardait pas ; il finit par tore oublié en prison, et, grâce à un heureux hasard, en sortant, il rencontra sur la place même sa femme qui s’était cachée et venait recevoir l’amnistie : on juge de leur surprise et de leur joie.

M. de Sanglier était mort en route, à cheval, entre ses deux petites-filles, qui avaient la petite vérole ; l’une s’est retrouvée (i), M. de Beaucorps (a), criblé de blessures, mis au Bouffay sans être connu, contrefit le fou, évita ainsi le jugement et sortit à l’amnistie. M. de Laugrenièrc, condamné à mort, ne demanda que le temps de dîner, ce qu’il fit avec excès, prétendant qu’il n’avait pas d’indigestion à craindre. Les trois Catheüneau, frères du général, et ses quatre beaux-frères, périrent successivement dans les combats ; son frère Pierre, celui qui sauva M. d’Elbée, s’était très distingué ; [une de ses filles épousa Lunel (3), paysan si fameux par sa bravoure.] Jamais la veuve du général, chargée de cinq enfants, dont un seul fils (4), réduite & une profonde

(t) Bile « épousé M. de Gréaulmo. (Note de l’auteur.)

{») Auguste-François de Beaucorps de la Bastlère, né à Paronçayen Salntonge, en 177 (1, reçu chevalier de Malte de minorité, fut blessé de dix-huit coups de sabre et, après la guerre, resta en détention pendant huit mois. U fut décoré en 1831, retraité comme capitaine et mourut en i 8 afi,

(3) Pierre Lunel, né le 6 novembre 1779 au Pas-GérauU, paroisse du Soi, en Bretagne, épousa Jeanne Cathel ineau ; après s’être vaillamment battu, il s’était retiré À la Jubaudière près Beaupréau, où il reprit son état de maçon, tailleur de pierre. Il reçut, en i 8 s 3, la croix de la Légion d’honneur, et mourut au May près Cholct, le a !> juillet i 8 a 5.

(4) Le fils du général, digne en tous points de son père, par ses mérites et son courageux dévouement, a péri en Vendée dans les troubles de i 83 s. (Note de l’auteur, fi* édit.)

Jacques Cathci ineau, né le 37 mars 1787, anobli et pensionné par la Restauration, devint sergent dans les gardes à pied, avec le grade de capitaine, et fut nommé percepteur À Cholct. Il prit part au soulèvement de x 83 » et fut tué le 37 mai, A ta Chaperonnière près JailaSs. U laissa trois fils, dont l’ainé, Henri, s’est illustré comme générai dans la campagne de France 1870-71.

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misèrc, n’a pu obtenir aucun secours de Stoffict (i), ni du curd de Saint-Laud, malgré leur» belles proclamations qui promettaient des pensions aux veuves ; le curd de Saint-Laud était très fort en paroles. Il a depuis joué un grand rôle où son ambition s’est déployée ; on aurait cependant tort de le croire ce qui s’appelle traître à son parti : tâcher de s’emparer de la confiance» vouloir tout gouverner» c’était là son genre ; trahir» non ; du moins telle est mon opinion (2)..

Le seul Brigand que je vis à Nantes» venant de l’armée» fut Montignac» ce jeune volontaire auquel j’avais sauvé la vie à Dol ; il s’était caché» avait eu le bras coupé deux fois» sans proférer une plainte ; après mille aventures» il retourna dans la Vendée, . J

où» malgré sa bravoure, on le fusilla un an uprès, pour cause de r

pillage dans une église. s

Je ne pouvais me fier entièrement à l’amnistie, et. je n’entêtai ù voyager sous différents noms. Je me fis donner pat ; Mac-Curtain un ordre des représentants, portant : « La municipalité de 1

Nantes délivrera des passe-ports à Victoire Salgucs et à Marie *

Citran, amnistiées. » Munie de ce papier, je fus d la mairie avec 3

un médecin ; maman était incommodée, elle resta ce jour-là au <

lit. À cette époque, les municipaux votaient encore chaque demande par assis et. levé, comme dans la Terreur ; la séance était publique, il y avait beaucoup de monde. J’étais inconnue

(1) Ccd est faux. J’ai su depuis que Stofflct n’a cessé, tant qu’il a vécu, de su* courir la veuve de Cathcüneau ; quoi qu’il fit peu, c’était beaucoup pour sa posi- 1

tion. Le générai Cathelincnu avait dix-huit cousins germains ; seize ont été tués, f

les deux autres sont estropiés de tours blessures. (Note de l’auteur.) 1

(a) Je n’ai point parlé de M.Trotouin*, d’Angers. Il n’était que commissaire aux ]

vivres, ne s’est jamais battu, et je ne sais comment il est venu à bout do fit i ru croire qu’il avait joué un rôle dans la Vendée et d’en jouer un en pays étranger, y

sous le nom de marquis de Saint-Félix, donnant des plans militaires, etc. (Note *

de l’auteur.) [

' Pierre-Joachim Trotottln.fiU d’un potier de Saumur, était procureur-syndic h Tbottar*. Fai* K

« ant partie de I* garde nationale qui se battit le 24 août 179a, Il déserta et rentra clics lui ; on L

pana de le fusiller, pals on l’obligea de faire amende honorable sur la place Saint-Médard, devant l’arbre de la liberté. Ensuite il passa dans l’armée vendéenne et devint major-général de (

Ktofljet ; mais il ne parut pas s’être concilié l’estime de* autres chef». Poursuivi sou» le Consuls'

  • il se retint en Allemagne et fut bientôt oublié, f

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de figure et de nom ; j’étais vêtue en puysaftnc ou servante nantaise, cela me rassurait un peu ; il passa avant : moi plusieurs personnes et des volontaires ; on les traitait très mal, ’on les tutoyait, et tout le bureau semblait de fort mauvaise humeur* Paraissent quatre religieuses : les figures de ces messieurs deviennent douces et riantes, on leur accorde leur demande avec politesse ; cela me donne de l’assurance, et je dis & mon conducteur ; « Il me paraît que l’ordre du jour est en faveur des gens suspects*» Viennent ensuite des patriotes : nouvelle humeur des municipaux.

À la fin, on appelle Victoire Salgucs. Je monte à la barre et présente mon papier, on le Ht tout haut. Au mot d’amnistie, tous se lèvent, et assurent Madame de leur empressement pour tout ce qui pourra lui plaire, trop heureux de lui faire oublier de longs chagrins. On me demande où est M me Marie Citran, et comme je réponds qu’elle n’a pu venir à cause de la fièvre, on m’offre de lui porter le registre à signer dans sa chambre. Enfin, après toutes sortes de compliments, je me retire au milieu de cent révérences : c’est ainsi qu’on reçut la pauvre servante Victoire. Plusieurs personnes de Nantes nous prêtèrent une provision d’assignats ; maman acheta une berline, et un négociant mit à notre disposition une voiture-coupé, je ne sais trop pourquoi, car nous ne partions que six, et notre berline aurait pu suffire. Comme on faisait des difficultés pour donner des chevaux de poste, à cause des Chouans qui ne s’étaient pas rendus et arrêtaient journellement des voitures, M me de Bonchamps me dit qu’elle connaissait celui qui commandait du côté d’Anccnis : c’était Vannier, ancien domestique de M. d’Autichamp. Cet homme, d’un courage héroïque, devenu bon officier, fut tué trois ans après ; il avait reçu douze balles aux différents combats.

Nous louons des chevaux de remise pour nous conduire à Ancenis, nous n’y arrivons que très tard ; nos postillons mouraient de peur, nous nous arrêtons à un quart de lieue et je vais

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ù pied trouver René Trimorcau et sa femme, chez qui j’avais caché ma fille ; je voulais leur parler moi-même. J’eus l’imprudence de leur renouveler ma promesse de douze cents francs de pension et de leur offrir trois mille francs sur-le-champ, si je revoyais ma fille, et quand même ils l’auraient mise aux enfants trouvés, pourvu qu’ils pussent me donner des renseignements ; ces braves gens, au lieu de chercher à me tromper, me confirmèrent tous les détails rapportés par Laurent Cochard ; eux et leurs enfants se mirent à pleurer en disant qu’ils voyaient avoir manqué leur fortune ; ils voulurent même me rendre les quinze louis que je leur avais laissés, je n’acceptai point. Ils me vendirent du pain, car on n’en trouvait pas en route, la disette étant générale.

Je fus reprendre ma voiture ; une fois arrivées à Ancenis, nous fîmes viser nos passe-ports ; un soldat dit en nous voyant : « Ces gens-là ne crèveront donc jamais ? » C’est le seul désagrément que nous ayons éprouvé. M Uo de Concize s’imagina de voler les plumes qu’elle put attraper au district et les mit dans son manchon ; toute la route elle ne manqua pas d’accaparer ainsi plumes, décrets, papiers, prétendant que, comme Rrigande, elle devait voler la nation ; son étourderie me faisait trembler. Les troupes de la ville revenaient d’une incursion contre les Chouans. Le district nous déclare que la poste ne peut fournir des chevaux sans escorte, nous n’osons pas dire que nous n’avons nulle peur des insurgés ; nous offrons donc d’en payer une, on nous répond qu’il faut attendre le passage d’un aide de camp du générai Canclaux (i). Enfin, au bout de deux jours, il arrive avec deux voitures, des dames, seize hussards, et, sachant sûrement qui nous sommes, il oblige nos postillons à marcher en tête ; nous ne sommes pas

(i) Jean-BaptUtc-CamlJic Canclaux, né k Paria, le a août 1740, major aux dragons Contl, chevalier de Saint-Louis, devint générai de la République, puis ministre plénipotentiaire, sénateur et comte de l’Empire, inspecteur général de cavalerie, et mourut le 3 o décembre *817, pair de France, commandeur de Saint-Louis,

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dupes de sa politesse et pensons bien qu’il aime mieux, en cas d’attaque, avoir nos voitures par devant. Aussi n’étions-nous guère rassurées, et nous aurions bien préféré n’avoir nulle escorte ; nous craignions que les Chouans n’eussent connaissance du voyage de cet officier.

Nous voilà donc en marche, défendues par les Bleus contre les Brigands : quelle bizarre position I Tous les quarts de lieue, nous trouvions un poste de volontaires à demi morts de froid ; ils avaient tant de peur des Chouans, qu’ils ne nous laissaient passer qu’après nous avoir reconnues. À Varades, les chevaux manquent à la poste, on ne peut atteler que notre coupé ; nous y montons toutes trois, maman, M 110 de Concize et moi ; enfin nous arrivons à Angers et on nous laisse repartir le lendemain, sans escorte ; nous couchons au delà de Saumur et ensuite à Tours.

Notre petite voiture était si mauvaise qu’on était obligé, à chaque relais, de corder les roues ; les postillons ne cessaient d’être étonnés de voir aller trois femmes de Nantes à Bordeaux, sans paquets : nous n’avions, entre nous six, que deux petits paniers ; sans être pleins, ils renfermaient tous nos bagages, et pouvaient bien peser deux livres ; nous achetions en route des mouchoirs. Notre berline nous rejoint à Tours ; nous y laissons notre mauvais coupé et nous nous mettons six dans la grande voiture. Nous souffrons beaucoup du froid jusqu’à Saint-André de Cubzac, où nous sommes obligées de rester onze jours, les rivières étant glacées ; la disette y était d’autant plus grande, que tout était encombré de voyageurs arrêtés comme nous, représentants, troupes, diligences, etc* Les derniers arrivés couchaient dans les écuries.

Enfin nous parvenons & Bordeaux vers le 8 février (1) ; nous y trouvons mon oncle de Courcy, qui nous attendait ; H relevait

(0 *7<j5.

  • 9

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d’une maladie qui avait duré un an et l’avait empêché d’être mi» en prison, sans quoi il eût péri. Citran n’était pas vendu, pas même les meubles. Notre arrivée réjouissait et effrayait ceux qui s’intéressaient à nous ; l’amnistie était à peine connue à Bordeaux ; chacun s’empressait de venir nous voir, comme la chose la plus extraordinaire. Ün nous mena, vêtues en paysannes, au département et au district pour enregistrer nos papiers ; on avait prévenu tes administrateurs, qui nous reçurent très simplement, sans politesses comme sans reproches. Le commissaire du département (je ne sais trop comment il se nommait alors) dit, dans son petit discours, qu’il était d’autant plus d’avis de reconnaître nos amnisties, qu’on pouvait compter sur notre repentir ; ce mot me fit rougir ; je le fixai d’une manière qui fit peur à ceux qui nous conduisaient, mais peut-être il ne le remarqua pas, personne ne me dit rien. Nous fûmes déclarées amnistiées, rentrées dans le sein de la patrie. Il ne fut alors question ni de nos biens ni de mon père.

Je perdis ma dernière fille au moment où l’on venait de la sevrer, & seize mois, lorsque j’espérais la revoir (i). ]

(i) Louise de Lcscurc, morte à U Hennetals, paroisse de Prinquiau, le u août 1795, chez Marianne Blily, qui venait d’épouser Jacques Macé.

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SUPPLÉMENT

Lorsque la crise du m 18 fructidor (i) arriva* on s’aperçut que j’étais sur la liste des émigrés ; il me fallut sortir de France* sous peine de mort* comme les autres émigrés non rayés ; il était ce* pendant bien clair que je n’avais jamais quitté la France. Je m’en allai en Espagne avec mon oncle de Courcy* inscrit aussi sur la liste* où ma mère ne se trouvait pas. Je restai sur la frontière d’Espagne ; je rencontrai dans les habitants de ce pays des sentiments nobles et élevés, qui m’y attachèrent sincèrement.

Au bout de huit mois* ma mère obtint qu’on appliquât la loi de la pacification, en envoyant au département de la Gironde la lettre circulaire adressée aux départements de l’Ouest le 18 fructidor. On décida enfin que je n’aurais pas dû partir* on me rappela. Mon fidèle et vieux Lefèvre vint me chercher ; je me mis en route pour Bayonne où nous reprîmes le cabriolet qui m’avait amenée avec mon oncle de Courcy. Celui-ci, ancien officier du régiment de mon père, avait épousé la sœur de son colonel ; déjà âgée* elle était toujours restée à Citran et continua d’y vivre

(i) 4 septembre (797.

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avec son excellent mari ; il administrait la terre (j), Ils y demeurèrent pendant les séquestres, nous les retrouvâmes à l’amnistie, et Ils y sont restés jusqu’à leur mort. Ce qui leur sauva la vie pendant la Terreur, c’est que mofi oncle fut tout le temps très malade d’étisie ; sa guérison a été une espèce de miracle. Par une bizarrerie inconcevable, mais dont il y eut mille exemples, on l’avait porté comme émigré, quoiqu’il eût toujours séjourné dans le même lieu ; je dus le laisser en Espagne, bien affligée de ce qu’on n’avait encore rien pu obtenir pour lui.

En r 799 le département de la Gironde me raya enfin de la liste : il fallait que cette décision fût confirmée à Paris, il paraissait qu’elle le serait sans difficulté ; mais des ennemis inconnus ou de trop zélés républicains dérobèrent dans les bureaux la moitié des pièces, et je fus maintenue, Aussitôt je reçus un nouvel ordre de sortir de France dans le délai de vingt jours, tous mes biens furent mis en vente. Je retournai chez les bons Espagnols qui m’avaient déjà donné asile, j’y passai dix mois, et c’est là que j’ai commencé à écrire ces Mémoires.

Ma mère avait eu la permission de m’accompagner dans mon second exil et de passer quelque temps avec moi. Nous vîmes à Oyarzun le fameux Richer-Scrisy (a), directeur de Y Accusateur public, qui, s’étant sauvé des prisons de Rochefort, était caché à deux lieues des frontières, dans le pays basque. La maison où il était avait une cour commune avec celle d’un patriote, qui le dénonça ; une vingtaine de gendarmes arrivent à l’aube du jour, Richer-Serisy se sauve en chemise, et, quoique persuadé que c’est le voisin qui l’a trahi, il va frapper à sa porte et lui dit avec ce ton doux et persuasif qui le caractérisait : « Monsieur, je sais que nos opinions diffèrent, mais je vous crois trop honnête

(0 Citran était une terre de plue de deux mille hectares dans le Médoc ; le chà* têtu, construit en usa, n’était jamais sorti de la famille de Donnissan.

(s) Richer, né h Serisy, près Caen, homme de lettres et journaliste royaliste» mourut & Londres au mois de novembre »803, à l’Age de trente-neuf ans.

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homme pour ne pas désirer sauver un de vos semblables, qui remet sa vie entre vos mains. » Cet homme confondu le fait entrer et le cache dans son propre Ut, s’habille et va se mêler aux gens qui faisaient la fouille.

Pendant ce temps, des gendarmes couraient après M. de Borda(z), émigré ; celui-ci était grand comme Richer-Serisy, il était caché dans la môme maison ou à côté, mais on l’ignorait ; comme la fouille se faisait, à cause de Richer-Serisy, partout excepté chez son dénonciateur, M. de Borda fut obligé de se sauver ; il prend un fusil à deux coups et s’élance dans le jardin, les gendarmes le poursuivent. Quand il est sur le mur, il les couche en joue : ils s’arrêtent, étonnés de tant d’audace ; quatre cependant franchissent le mur après lui. Il se retourne, deux s’en vont, ayant peut-être de la répugnance à tuer un homme si brave ; il force les deux autres & se coucher dans des blés ; mais, comme il commence à faire un peu jour, il craint qu’ils ne regardent de quel côté il va. Il s’approche d’eux et leur ordonne avec menace de ne pas se relever ; il prend un chemin au hasard, voit un petit cordonnier qui ouvrait sa boutique pour savoir d’où venait le bruit, le saisit au collet, l’entraîne plus mort que vif dans un bois voisin et lui dit : « Je ne veux te faire aucun mal ; j’ignore les routes, je suis un émigré, on me poursuit ; conduis-moi en Espagne. * C’est ainsi qu’il se sauva. On a toujours cru que c’était Richer-Serisy qui, en se battant, s’était échappé au milieu des gendarmes.

. MM. de Borda et Serisy arrivèrent à Oyarzun deux jours après, et nous racontèrent cette aventure, qui fait assurément grand honneur à l’un et & l’autre. Nous n’avions jamais vu Richer-Serisy : c’était un grand homme pâle, avec des dents superbes ; sa figure noble et mélancolique s’embellissait et s’animait

(i) François de Borda, soigneur de Josse, né à Dax le *7 mars 1763, officier de carabiniers en 178a, chef d’escadrons sous la Restauration, chevalier de Saint-Louis, mort à Dax le as septembre 1841.

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en parlant, d’une manière extraordinaire, Après plusieurs conférences avec ma mère, il partit pour Madrid avec le comte Alexandre de Saluces (i), c’était au moment de la loi des otages, La supériorité de son esprit et le charme de son éloquence séduisirent le prince de la Paix (a) ; mais les conseillers de ce ministre vinrent & bout de changer ses projets, et Richer-Scrisy partit pour l’Angleterre, où il est mort de la poitrine, honoré des pleurs de Louis XVIII et de Monsieur,

Je restai plus de six mois à Pampelune, voyant sans cesse un capitaine du régiment d’Angoulême, M. Durant (3) : c’était un excellent homme et très loyal. Voici ce qu’il m’a dit sur le fameux la Tour d’Auvergne, son ancien camarade ; il l’aimait beaucoup, quoiqu’il fût, disait-il, assez original. Le régiment d’Angoulême était en garnison à Bayonne, lors de l’émigration générale ; un soir les officiers tinrent conseil ; sachant par les gazettes que leurs camarades des autres régiments émigraient en foule, ils prirent la résolution de partir tous pour l’Espagne, M. de la Tour d’Auvergne fut seul d’un avis différent, et soutint avec beaucoup de vivacité que le régiment d’Angoulême étant excellent et n’ayant jamais, comme presque tous les autres, manqué à la discipline ni tenu de mauvais propos, les officiers devaient rester pour le décider à émigrer avec eux, chose facile par la proximité de l’Espagne ; mais il fallait attendre une occasion pour

(i) Louis-Alexandre de Lur.néà Paris en 1774, vicomte d’Uza, dans le» Undc», puis comte de Saluces, servit pendant l’émigration à l’armée des Princes, ensuite en Espagne. Breveté en 1814 colonel de cavalerie et chevalier de Saint-Louis, il futéiu député en i 8 t 5 et 1820, et mourut en 1843.

(*) Manuel Godoy, né & Badajoz en Espagne en 1767, favori du roi Charles IV ; duc d’Alcudia, grand d’Espagne, généralissime des armées de terre, grand amiral d’Espagne et des Indes, secrétaire d’État, premier ministre en 179a. Il épousa l’infante Marie-Thérèse de Bourbon, cousine du roi, fut créé en 1795 prince de I* Paix, chevalier de la Toison d’or. Après la mort de Charles IV, U se retira à Paris, où U mourut en i 85 i.

(3) Guy-Franço i»-An net- Lou Is-de-Gonzaguc Durant, né & Clermont-Ferrand, le 10 janvier 1763, cadet gentilhomme au régiment d’Angoumois en 1779, lieutenant en 1790, démissionnaire le ta juillet 179a.

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décider les soldats, et y travailler en attendant. Personne n’était de son avis, mais il le soutenait avec beaucoup de feu. Il finit par dire ï « Eh bien, parte» tous, moi je reste et je tâcherai d’enlever le régiment à moi tout seul. » Six mois après étant, je crois, à Toulouse, Ü pria un de ses amis qui allait en Espagne, de dire aux officiers d’Angoulême qu’il se trouverait rencontrer, que la Tour d’Auvergne reconnaissait avoir eu très grand tort de ne pas émigrer avec eux, qu’il en était fort.affligé, mais qu’il était trop tard ; qu’il leur demandait de lui conserver leur estime et amitié, leur promettant deux choses : de se conduire avec une telle valeur, qu’il acquerrait une grande réputation, et de n’accepter jamais aucun grade, ne voulant avoir d’autre brevet que celui de capitaine donné par son Roi Louis XVI, Et certes, il a bien tenu parole ; il a constamment refusé tout grade, même lorsque ses talents et sa bravoure lui valurent le commandement d’une colonne de dix mille hommes. On a cru que c’était par sentiment républicain, au contraire, c’était par fidélité au Roi (t).

Je revins en France au mois de mai 1800 ; toutes choses avaient changé de face depuis le 18 brumaire.

Je retrouvai, contre toute attente, les biens que j’avais laissés en partant. Beaucoup avaient été vendus pendant la guerre de la Vendée, mais ce qui me restait ne le fut pas pendant mon exil. En Poitou, la mémoire de M. de Lescure m’avait protégée ; des personnes que je ne connaissais pas, qui n’avaient pas les mêmes opinions que moi, mirent, par reconnaissance pour lui, à mon insu, une chaleur et un dévouement extrêmes pour me conserver les biens qu’il était ordonné de vendre. En Gascogne,

(t } Thcophile-Malo Corrot, issu d’un bâtard de t’illustre maison de la Tour d’Auvergne, né en 174 ? & Carhalx, pré* Chéteaulln, en Bretagne, qualifié de premier grenadier de France, refusa tout avancement dans l’armée et un siège au Corps législatif où il avait été élu. fl fut tué à Oberhaus en pris Ncu bourg, le 37 juin 1800,

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je dus tout à MM. Duchfttcl (i), Deynaut (*), Magnan et Descressonièrc (3)*

Ma mère me pressait de me remarier. J’avais toujours pensé que je ne devais vivre que pour regretter ceux que j’avais perdus, et qu’après tant de malheurs, c’était là mon devoir ; j’avais souvent projeté de fonder quelque hospice et de consacrer ma fortune et mes soins à secourir les pauvres blessés vendéens qui avaient combattu près de moi et dont j’avais partagé la misère. Mais le monde réduit de tels desseins à n’être que des rêves de l’imagination : dans notre siècle, on les traite de folie et d’exaltation ; je finis par écouter les conseils de ma mère. Cependant je regrettais de perdre un nom qui m’était si cher et si glorieux ; je ne voulais pas renoncer à tous les souvenirs de la Vendée, pour recommencer une nouvelle existence. Il y a des circonstances auxquelles la vie entière doit se rattacher. Je ne pus songer à obéir à ma mère qu’après avoir rencontré en Poitou M. Louis de la Rochejaquelein, frère d’Henri. Il me sembla que l’épouser, c’était m’attacher encore plus à la Vendée, unir deux

noms qui ne devaient point être séparés. Je me mariai le i" mars 1802.

Louis du Vergier de la Rochejaquelein était né au château de la Durbchére, le 29 novembre 1777. [Il avait une figure charmante, très brune, à la fois délicate et militaire, . mais il n’avait pas le front aussi élevé que ses deux frères.] Son père, le marquis de la Rochejaquelein (4), qui avait été colonel du régiment de

—, î Char ^Jacquw-Nlcola* Duchàto], né 4 Tinchebmy en Normandie, Icag mal

J ? ! ’lïm de j ?„ G, ronde o ttU de» Cinq-Cents, directeur des domaine* en

d E ?IT,8 ?° J comtc de Empires députe en 18*7, pair de France

IÏÏmZSZ bé » septembre,844.

(a) Louis-Barnabe Deynaut, né en 1745, 4 Cour* en Guyenne, d’abord secrétaire

C ? m à C d * ArtûU * fut Jn«Pteur de l’enregistrement 4 Bordeaux sou* l’Empire et la Restauration, et mourut à U Réole, le 30 mal >838.

Bordcau^”** 0 ” 4rC dWlt ’, t>r * de la Révolut, on * inspecteur de l’enregistrement 4

lîîiwTil^ i c1 ü8, i l, t î. dU Vcr 8 ic Vm«rquis de U Rochejaquelein, baptisé te îu, let *749. 4 Saint-Aubin de Baubigné, premier lieutenant des gendarmes de

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n

Louis de La Rochejaquelein

MàR& :HAL DK CAMP

GlÎNMUL UK* AKKKE8 G’ATHOMQUES Kl' RÜ YACKS »K LA VKNüéK

rué aux Mater* ly 4 juin à St 5

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Royal-Pologne, et fait maréchal de camp en 1788, avait la réputation d’un excellent officier de cavalerie, Il émigra avec sa femme et cinq jeune» enfants (1), laissant Henri qui était à Paris, comme je l’ai dit ; sa fille aînée (3) avait émigré avec son mari. Après être resté quelque j^mps k Tournay, et être même venu en France momentanément, M. de la Rochejaquelein se rendit k l’armée des Princes, où il fut fait maréchal des logis général de la cavalerie. Sa femme et ses enfants, demeurés jusqu’alors k 4 Tournay, partirent en même temps pour l’Angleterre ; mais Louis, son second fils, qui était sans cesse avec les officiers du régiment de la Tour-et-Taxis, qui l’avaient pris en amitié, s’échappa en route, et vint à pied les retrouver ; il fit la campagne avec eux, quoique ûgé seulement de quatorze ans.

Après la campagne des Princes, M. de la Rochejaquelein fut à Londres, où il plaça ses plus jeunes enfants dans des pensions ; Louis le rejoignit, et ils partirent pour Saint-Domingue avec la

Moniteur en 1780, chevalier de Saint-Louî» on 178a, colonel de Royal-Pologne en 1784, maréchal de camp en 1788 ; U mourut le 6 septembre 180a, dans son habitation du Baconnois, prêt l’Ansc-à-Vcau, À Saint-Domingue. U avait épousé par contrat du 16 octobre 1769, au château du Petit-Mitteau, paroisse de ta Jaudonnicre, en bas Poitou, Constance-Lucie-Bonne do Caumont-Dade, baptisée le 3 février 1749, mono te 4 décembre 1798.

(1) Anne-Louise, née le 3 o octobre 1774, mariée en 1804 À Henri-Charics-Marle, comte de Beaucorps, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem et chevalier de Saint-Louis, décédée au château de Parençsy, dans ta Charente-Inférieure, le a 3 mai »8Sa. — Louis, maréchal de camp en {8(4 et capitaine-lieutenant commandant ta compagnie des grenadiers de la maison du Roi, chevalier de Saint-Louis, général des armées catholiques et royales en iBs 5, tué le 4 juin au combat des Mathes, près Challans on Vendée. — Louise-Joséphine, née le 19 janvier 1780, décédée A Maulévrier le 5 février 1847. — Auguste, né au Petit-Mitteau, le 17 avril 1784, colonel en 181 5 du premier régiment des grenadiers à cheval de ts garde royale, maréchal de camp en 1818, marié en 1819 à Ciaire-Maelovie-Féiidté-LouUe de Durfort, 811 e du dernier duc de Duras, et veuve du prince Léopold de La Trémoîlle, prince de Talmond. Lecomte de La Rochejaquelein mourut À Paris, le ai novembre 1868. — Lucie, née te 8 avril 1788, mariée en 18aa à François-Charles-Cyprien, comte de Ricux-Songy, décédée au Frcsnc-Chabot, prés Châtil Ion-su r-Sèvre, le 27 novembre 1862.

(2) Constance-Henriette- Louise, née te 2 novembre 1770, mariée en 1790 i Jacques-Louis-Marie Guerry de Beau regard, chevalier de Saint-Louis, décédée À la Boursière, près Bourbon-Vendée, le 17 février 1827.

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marquise de la Rochejaquelein, qui possédait une habitation à TAnse-ù-Veau, Les nègres, dans cette partie de Tîlc, étaient res* tés très Üdèlcs ; cependant, peu de jours après leur arrivée, les autorités les obligèrent & aller chercher un refuge à la Jamaïque,

Le Gouvernement anglais voulant prendre Saint-Domingue, où tous les blancs qui n’avaient pu fuir venaient d’être massacrés, avait donné l’ordre d’organiser des légions de nègres fidèles, dont les propriétaires de l’ÏIe seraient les officiers. Le marquis de la Rochejaquelein fut nommé commandant d’une de ces légions, où „ Louis entra comme officier, et peu après devint capitaine de gre* nadiers ; ils firent la guerre pendant près de cinq ans, jusqu’au moment où les Anglais furent forcés d’évacuer Saint-Domingue.

Le général Maitland (i) licencia les légions coloniales, les nègres se dispersèrent ; le général anglais embarqua ses troupes, mais refusa obstinément de prendre à bord les officiers colons au nombre de trois cents, dont plusieurs, entre autres M.. de la Rochejaquelein, avaient leur femme avec eux. Il assurait que ces messieurs ne courraient aucun risque, qu’il avait traité avec le général Rigaud (2), et qu’étant tous propriétaires, ils ne seraient pas inquiétés. Malgré le désespoir et les prières des co* Ions, Maitland fut inflexible et partit.

Cependant le général Rigaud avançait avec son armée ; il n’était plus qu’à quatre lieues, lorsque les officiers résolurent d’envoyer l’un d’eux vers lui ; Louis s’offrit pour cette périlleuse ambassade ; il se présenta devant Rigaud, lui répéta tout ce qu’avait dit le général Maitland. À ce récit, Rigaud s’écria : « On m’accuse de cruauté, mais je serais incapable d’une trahison pareille ;

U) Sir Thomas Maitland, lieutenant général anglais, fut lord-commissaire des Iles Ioniennes.

(9) André Rigaud, né aux Cayesde Saint-Domingue, le 17 janvier 1761, fils légitime du Provençal Rigaud, huissier à la sénéchaussée de Saint-Louis, et de la négresse Arada, Rose Bossy. Il fut signalé par le général Hédouvilte, comme ennemi de l’autorité nationale ; le général Leclerc le fit déporter en France en 180a ; U s’évada en 18ti, et mourut le 18 septembre en arrivant aux Cayes.

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non, monsieur, Ü n’y a point d’accord fait avec te général Maitland, à l’égard des colons ; tout ce que je puis concéder, c’est de retarder de vingt-quatre heures la marche de mes troupes, Tachez de vous embarquer pendant ce temps-là, car il me serait ' impossible d’empêcher une boucherie générale de vous tous, et surtout d’arrêter les mulâtres qui vont arriver. »

Au retour de Louis, chacun sacrifia des sommes considérables pour se procurer de mauvaises barques et s’éloigner du rivage, au risque de se noyer ; les blancs ne pouvaient se retirer dans les terres, les nègres révoltés étant maîtres de tout le pays, ils s’embarquèrent pour la Jamaïque avant l’arrivée de Rigaud,

Le marquis de la Rochejaquelein tenta de faire le commerce ; dans un de ses voyages, avec une lettre de marque, le vaisseau fut attaqué et pris à l’abordage par un corsaire espagnol. Dans, ce combat, M. de la Rochejaquelein eut un bras emporté, et reçut plusieurs coups de sabre à la figure ; son bras tenait encore par un lambeau de chair, il acheva de le couper avec son sabre et le jeta lui-même à la mer. Conduit à Santiago-de-Cuba, il fut recueilli par MM. Mounier et Casamajor, qui lui prodiguèrent leurs soins» Le générai Leclerc (i) était dans ce moment maître de Saint-Domingue. Le marquis de la Rochejaquelein se fit conduire à son ancienne habitation ; on ne voulut pas la lui rendre, il s’en fit fermier, et au bout de quelques mois, dans le cours de 180s, il succomba à ses blessures, malgré les soins de ses deux filles, Annette et Louise, et entouré de ses nègres toujours fidèles. Sa femme n’existait plus ; quant à Louis, ayant obtenu, en revenant de Saint-Domingue, une sous-lieutenance dans un régiment de ligne anglais, il était parti pour l’Angleterre.

(») Charles-Emmanuel Leclerc, né à Pontoise en 177a, suivit en Italie et en Égypte lo général Bonaparte, dont U épousa la «sur Pauline, commanda en ifloa l’expédition de Saint-Domingue et mourut dans l’Ile de la Tortue, le a novembre

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En 1799 il était question de faire un débarquement d’émigrés dans la Vendée. Louis était en garnison à soixante lieues de Londres, il obtint avec peine un congé pour se rendre dans cette ville. Le but de son voyage était de supplier les Princes de l’envoyer ou de l’emmener en Vendée ; Us le reçurent très bien, dès qu’il se fut nommé, et le lui promirent. Il fit observer que, n’ayant qu’un congé de trois jours, U était obligé de repartir à l’instant même, n’ayant que sa place pour subsister, mais qu’il donnerait sa démission sitôt qu’il recevrait des ordres pour l’embarquement.

Il y avait foule dans le salon des Princes, tous les émigrés venaient demander de faire partie de l’expédition. Louis, en sortant, fut suivi d’un homme qui lui frappa sur l’épaule et lui dit avec émotion : « Jeune homme, je suis charmé de vous voir ; j’ai servi sous votre brave frère, que j’aimais tant ; votre ardeur me plaît beaucoup, mais elle sera inutile. Retournez à votre régiment, et n’espérez pas recevoir des ordres ; les Princes ne comprennent pas, et vous ne savez pas vous-même l’effet de votre nom dans la Vendée ; mais il ne manque pas ici de gens qui le savent, et qui trouveront bien moyen d’empêcher qu’on ne vous y envoie. Allez, allez, bon jeune homme, vous verrez la vérité de ce que je vous dis, Je suis le général Georges

  • Cadoudal » (1). Aussitôt il le quitta, et Louis en effet ne reçut

aucun ordre : à la vérité il n’y eut pas de débarquement ; ses espérances et ses projets s’évanouirent. M. de la Rochejaquelein n’a jamais vu que cette fois-là le fameux Georges Cadoudal.

Quand Bonaparte rouvrit aux émigrés les portes de la France, Louis vint habiter chez sa tante, M Me de la Rochejaquelein, qui demeurait à Saint-Aubin de Baubigné, et il

<i) Georges Cadoudal, né le i*» janvier 1771, & Kerléano en Breeh, prés Au ray, reçut do Louis XVIII, en 1800, le brevet de lieu tenant-général, Je grand-cordon de Saint-Louis et le commandement en chef de la Bretagne. Arrêté par ta police du premier Consul, U fut exécuté à Paris le a 5 juin 1804.

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y resta jusqu’à notre mariage. M " 8 de la Rochejaquelein n’avait jamais quitté le pays, elle s’y était tenue cachée ; elle vivait entourée de blessés, de veuves, d’orphelins ; sa maison avait été brûlée. C’est là que Louis apprit, dans le plus grand dé* tail, l’histoire de nos guerres, dont il n’avait eu jusqu’alors que de vagues notions ; son âme fut pénétrée d’enthousiasme et d’admiration pour le courage et les vertus chrétiennes des armées vendéennes, qui lui inspirèrent cette piété solide qu’il a toujours pratiquée depuis.

Lorsque récrivais la fin de ces Mémoires qui étaient des* tinés à vous seuls, mes chers enfants, nous vivions à la campagne, évitant avec soin l’éclat et le bruit, ne venant jamais à Paris, conservant nos opinions, nos sentiments, et surtout l’espérance que Dieu nous rendrait un jour notre légitime souverain. M. de la Rochejaquelein se livrait.à l’agriculture et à la chasse ; cette vie paisible et obscure ne pouvait nous dérober à l’action inquiète d’un Gouvernement qui ne se contentait pas de notre soumission, et semblait s’irriter de ne pas avoir nos hommages et nos services.

Nous étions en butte à une tyrannie qui ne nous laissait ni calme ni bonheur : tantôt on plaçait un espion parmi nos domestiques, ou l’on exilait loin de leur demeure quelques*uns de nos parents, en leur reprochant une charité qui leur attirait trop l’affection de leurs voisins ; tantôt mon mari était obligé d’aller rendre compte de sa conduite à Paris, et une partie de chasse était représentée comme réunion de Vendéens ; quelquefois on nous blâmait d’aller en Poitou, parce qu’on trouvait que notre influence y était trop dangereuse ; d’autres fois on nous reprochait de ne pas y habiter, et de ne pas employer cette influence au profit de la conscription. Les gens en place croyaient se faire un mérite en nous inquiétant de mille manières ; on voulait, soit par promesse, soit par menace, attacher par quelque emploi notre famille au Gouvernement. Le fameux abbé de

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Pradt (i), alors évêque de Poitiers* faisant une visite pastorale dans notre pays* nous fit dire qu’il viendrait coucher à CUsson ; malgré ses opinions bien connues* nous le reçûmes avec tout le respect dû à sa dignité. Le lendemain matin, avant de partir* il prit M. de la Rochejaquelein en tête-à-tête* et peut-être sans en être chargé* il lui dit qu’il fallait qu’il s’attachât au Gouvernement et qu’il acceptât une, place quelconque. Comme mon mari s’en défendait* M. de Pradt reprit ; à Choisissez la place qui vous conviendra ; mettez-vous à prix s monsieur. » Voyant que M. de la Rochejaquelein prétextait ses affaires* sa santé : « Mais vous ne ferez pas la place* lui dit-il ; seulement il faut votre nom. » Ses prières restant sans effet* il ajouta en élevant la voix au point que nous l’entendîmes : à Vous voulez résister & l’empereur* monsieur 1 Tombez à ses pieds, comme toute l’Europe ; vos princes ne sont que de la vile matière ! » Les menaces ne réussirent pas mieux que les prières, et M. de la Rochejaquelein resta inébranlable. La considération attachée à dos opinions fidèles et pures et à une position indépendante fatiguait le Gouvernement : aussi notre existence était sans cesse troublée.

Cependant une circonstance nous avait donné quelque tranquillité ; quand on sut que Bonaparte viendrait à Bordeaux, M. de la Rochejaquelein partit sur le champ pour le Poitou ; ma mère et moi restâmes en Médoc, bien décidées à ne point aller à Bordeaux faire notre cour, mais craignant pour cela même des persécutions. Le comte de Monbadon (a), cousin-

(i) Dominique Dufour, abbé de Pfadt, né & Alianche on Auvergne, le a 3 avril 17X9, député aux États généraux, ensuite émigre, fut, soua l’Empire, évêque de Poitiers, aumônier de l’empereur, baron, archevêque de Matines. Devenu en* nemi acharné de Napoléon, il fût néanmoins obligé de quitter son siège lors de la Restauration. Élu député en 1838, il mourut à Paris le 30 mars 1837.

(3) Laurent de Lafaurie, comte de Monbadon, né k Bordeaux le 3 août 1767, colonel du régiment d’Auvorgne en 17815 maire de Bordeaux en i 8 o 5, sénateur en 1809, pair de France et maréchal de camp en 1814, chevalier de Saim-Louisj il mourut & Bordeaux le 39 décembre >841. Il avait épousé Rose-Michelle Chaperon de Terrefort.

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germain et surtout ami de ma mère, était alors maire de la ville ; c’était un homme excellent, rempli de sagesse et de bonté ; il n’avait pas émigré et était resté tranquille, ne se mêlant de rien. Il avait épousé, vers 1800, mademoiselle de Terrefort, qui se trouvait très proche parente de l’impératrice Joséphine, qu’elle ne connaissait pas ; l’impératrice, apprenant qu’elle avait & Bordeaux un parent riche et très estimé, le fit nommer maire et sénateur. Accompagnant l’empereur dans une promenade sur l’eau, Bonaparte lui dit : à Vous avez la famille de la Rochejaquelcin dans ce pays-ci ? » M. de Monbadon répondit t « M mo de Donnissan est ma très proche parente ; sa fille, veuve de M, de Lescure, est avec elle en Médoc ; elle a beaucoup de petits enfants, et est près d’accoucher ; son mari est en Poitou. » L’empereur reprit : « C’est un jeune homme sage ; j’aimais beaucoup Lescure, c’était un brave homme. » Duroc (1) ajouta : « Sa veuve ne pouvait épouser qu’un ta Rochejaquelein. »

M. de Monbadon envoya tout de suite un exprès à tria mère pour lui faire connaître cette conversation et pour la rassurer.

Ce fut dans ce temps, à peu près, que nous fîmes connaissance avec M. de Barante (a), alors sous-préfet de Bressuire, Comme je l’ai dit, les souvenirs de la guerre de la Vendée lui avaient inspiré une grande admiration ; il s’était fort attaché au caractère simple et loyal des habitants de ce pays ; il montra franchement de l’estime pour notre constance dans nos sentiments t une confiance parfaite s’établit entre lut et nous. Autant qu’it fut en lui, il tâcha de rendre notre situation moins pénible ; il disait hautement qu’il était hors de la justice et de la dignité d’exi*

(1) Gérard-Christophc-Michel Ou roc, né en 177a & Pont-à-Mousson, en Lorraine, grand-maréchal du palais, duc de Frioul, tué à Wurschea en Saxe, le ai mai i 8 « 3.

(a) Amable-GuiUaume-Prosper Brugière, né à Riom le to juin 178a, baron de Barante et préfet de l’Empire, conseiller d’État sous la Restauration, directeur général des contributions indirectes, député, pair de France, membre de l’Académie française, ambassadeur en Russie, mort à Barante dans te Puy-de-Dôme, te ai novembre >866.

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ger do nous autre chose que l’obéissance aux lois établies. Il savait que M. de la Rochejaquelein avait trop d’honneur et de raison pour exciter des troubles et faire répandre du sang inutilement, et qu’il n’entreprendrait rien, à moins que ce ne fût avec Tes* pérance de sauver son pays.

En 1809, M. de Barante était passé à la préfecture de la Vendée ; la persécution devint plus avouée et plus directe ; on voulut forcer M, de la Rochejaquelein à entrer dans l’armée comme adjudant-commandant avec le grade de colonel. On savait qu’il avait fait, comme capitaine de grenadiers, cinq campagnes contre les nègres de Saint-Domingue. La lettre du ministre était aussi pressante que polie ; il disait à M. de la Rochejaquelein que, son frire s’étant illustré dans les armes, il devait désirer suivre la même carrière. Il refusa : sa santé, cinq enfants que nous avions déjà, étaient des motifs à alléguer, mais qu’on n’eût peut-être pas admis sans le zèle et les bons offices de M. de Monbadon.

Mon beau-frère, Auguste de la Rochejaquelein, fut aussi invité à prendre du service, en même temps que MM. de Talmond (1), de Castries (s) et d’autres jeunes gens marquants ; il alla à Paris et refusa. Dès qu’on vit qu’il faisait des objections, au lieu de les écouter, on le fit arrêter ; il ne céda pas encore, demanda de quoi il était coupable, et ne voulut point comprendre pourquoi on le mettait en prison ; de sorte qu’après plus de deux mois, il força du moins le ministre à s’expliquer

(1) Charlcs-Léopold-Hcnri de La T rémol lie, prince de Talmond, 61 s du général vendéen, né le a novembre 1786, fit la campagne de Russie comme sous-Ueutenant au J” carabiniers. Marié le 3 o septembre 1822, à Clairc-Maclovie-Féticité-LouUo de Durfort do Duras, il fut nommé, en 1814, colonel des dragons, puis premier sous lieutenant aux gendarmes de ta maison du Roi, et en i 8 t 5 colonel du 5 * hussards. U mourut le 7 novembre i 8 i 5.

(2) Edmond-Eug&ne-Phllippe-Hercule de ta Croix, né à Paris le to octobre 1787, marquis puis duc de Castries, pair de France, chevalier de Saint-Louis ; colonel du 4* chasseurs en 181 5, maréchal de camp, commandeur de la Légion d’honneur ; il épousa, le 29 octobre tfttfi, Claire-Cléracncc-Henriette-CIaudine de Maillé, et il mourut le t* août 1866.

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sans détour, et à lui signifier qu’il serait prisonnier tant qu’il ne serait pas sous-lieutenant. On le plaça dans un régiment de carabiniers, il y passa trois ans. À la bataille de laMoskowa(i) il fut couvert de blessures, felt prisonnier et conduit h Saratow il y fut bien traité, et son sort fut tout à fait adouci, à là recommandation de Louis XVIII, qui eut la bonté de faire écrire en sa faveur.

(0 7 septembre 18u.

3 o

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APPENDICE


Le 3 mai le général Quétincau était rentré à Thouars, Le 4, il passa une revue sur la place, mais 11 n’indiqua point aux troupes les postos quelles devaient occuper en cas d’attaque, et il no prit aucune précaution. Le soir, il reçut l’avis certain qua, le lendemain, il devait être attaqué ; en effet, dès cinq heures du matin on entendit des coups de fusil sur les hauteurs de Ligron, opposées à celles do Vrine. Les républicains coururent aux armes, chacun fut se placer sans aucun ordre ; on ne battit la générale qu’après le départ de l’armée. Ils bataillons de la Nièvre et du Var, Ica volontaires du département de la Vendée gagnèrent les hauteurs de Vrine et occupèrent la tête du pont qui était retranchée ot dont la position est presque imprenable, dominant do tous côtés on amphithéâtre. On y avait établi plusieurs pièces do canon, ainsi quo sur la place du château. Les volontaires d’Airvault gardaient le gué aux Riches ; d’autres troupes, le passage de la rivière du côté de Saint-Jacques, d’autres encore défendaient le pont Neuf. La garde nationale do Thouars fut placée devant le pont de Praillon, pour empêcher qu’une colonne ennemie no vînt couper la retraite sur Poitiers.

Après une canonnade et un feu de mousqueterie qui durèrent depuis le matin jusqu’à onse heures, quelques chefs vendéens forcèrent le pont de Vrine ; M. de Lescure, arrivé au retranchement, appuya son fusil sur le parapet et tirait à bout portant M. de Bonchamps, qui était en face du gué aux Riches, le passa et tomba avec vivacité sur les volontaires d’Airvault ; ceux-ci se défendirent avec Intrépidité. Les pères de famille furent victimes dans cette occasion : comme Us n’avaient point connaissance que le pont de Vrine fût pria, ils ne songèrent qu’à se maintenir au poste qui leur était confié. Les républicains se replièrent sur Thouars, une trentaine d’officiers et de cavaliers vendéens les poursuivirent jusqu’aux glacis de la place, puis revinrent vert le moulin de Vrine. Le chevalier de Villeneuve du Caseau y resta, pendant que les autres officiers retournaient au pont pour faire passer l’armée ; à son tour U se replia, quand l’armée se fut développée et fut prête à marcher. Les républicains prenant sa retraite pour une fuite font entendre des cris de victoire, le poursuivent avec vivacité ; U arrive à Vrine, ses hommes s’appuient l’armée, laissent approcher l’ennemi ; quand 11 est & portée de fusil, ils font

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I

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une décharge d’artlJlorio et do mousquetorlo, qui suffit pour mettre de nouveau on fuite la garnison do la ville | elle rentre ft Thouars dans une concision affreuse une partie môme do la cavalerie prend la route do Poitiers, Us Vendéen» arrivent presque aussitôt au pied des murailles, Us attaquent vigoureusement Tîherete tou» le moyen, possible do faire brèche. M. do la

ôpnulos de Texler (de Couriay), un de plus brave soldats de Plnsurrectlon : ainsi placé, H fait un fou continuel, plusieurs personne ne sont occupée qu’à lui charger des fusils t puis avec se mains il toute d’arracher les pierre de murs. Au te do cinq à six heures, la brèche était faite à coups de pique, nos soldats pénètrent dans la v île. Pour sauver les propriétés, l’ennemi arbore lo drapeau blanc ot epltulo, sur la promesse qu’il n’y aura point do pillage.

Dans le rapport sur la prise do Thouars, on cm avancer que le Marseillais s’é. tnient mis on bataille sur la place de Lavau, qu’ils s’étalent tous fait tuor plutôt que do so rendre. Pas un seul ne fut ttté : c’étaient do bons assassins, mais do fort mauvais soldats ; malgré leur atroce conduite & Bresuire, on leur conserva la vio On fit quatre millo six cents prisonnière, sans comprendre le autorités constituée ! parm lesquelles était le procureur de la commune. Au moment où l’on avait prévenu la municipalité qu’il fallait céder, ce patriote s’écria t « Il est bien malheureux

dû n d ° brigand * ! #l un pistolet, ]e me brûlerais la cervelle.

T cit °y ? n » lui dit Quétlneu, en portant la main à m ceinture, en voilé un en bon état. » Cette offre apaisa son désespoir. Il était signalé à l’armée royale comme lo plus forcené dos Thouarsals, on voulait le fusiller s une personne, qu’il a foltpérir depuis, lui sauva la vie. n p

M. Vincent Bodin (i), homme de beaucoup d’esprit, aimable mais fior, avait suivi la révolution, sédu it par le brillant système de l’égalité, et était un dos meneurs. Comme M. Boussi (a), Il disait que jamais les Vendéens ne mettraient la main sur lui, qu U avait un pistolet pour leur échapper t it fut pris comme les autres et ne se tUn, f 0 ! nt * d ° Lo#curc l’eni pécha d’être fusille ; aussi, dans la suite, M. Bodin a-t-il cherché à être utile à sa veuve ; 11 adressa plusieurs réclamations on sa faveur dans un temps où, parmi les membres do la députation des Deux-Sèvres, il ne s’on trouva pas un autre qui osût prononcer le nom de Lcscure. L’humanité que ce général montra h Thouars, à Bressulre, dans tous los lieux où il a passé, n’a point ôté oubliée par tous ; un grand nombre de patriotes ont cherché & témoigner à M"*de Lcscure leur reconnaissance. (Note du manuscrit.)

Mü" n i 10 ♦ de ' CCfnbro *758 à Thouars, avocat du duché-psirie, ftit 5“ élrectoiw du département en 1790, président du tribunal du district en 170a,

  • onwü C nq-Unt» en 1799, Juge au tribunal d’appoi 4 Poiriers en n’ea,

président de la cour de Justice criminelle des Deux-Sèvres en 1809. En 18 ti il était doyen des présidents de chambre À la cour de Poitiers, et Ait retraité comme président honoraire en i 83 t.

(s) François Boussi, né dans le duché de Thouars, était en 178g procureur près le tribunal ; il fut ensuite svocat et mourut le 7 mars 1839, À Pftge de 74 ont.

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I

II*

Adresse ; aux Français,

DK LA PART DK TOUS «8 CHEFS DSS ARMÔES CATHOLIQUES ET ROYALES,

au nom DS Sa Majbsté Très Chrétienne Louis XVII,

Rot db Francs et de Navarre.

Le Ciel se déclare pour la plus sainte et la plus juste des causos. Le signe sacré de la croix do Jésus-Christ et l’étendard royal l’emport ont de toutes ports sur les drapeaux sanglants do. l’anarchie. Maîtres des coeurs et des opinions, plus encore que des villes et des hameaux qui nous donnent les doux noms de père et de libérateur, c’est maintenant que nous croyons devoir proclamer hautement nos projets et le but do nos communs efforts. Nous connaissons le vœu de la Franco, U est le nôtre : c’est de conserver à jamais notre sainte religion catholique, apostolique et romaine} c’est d’avoir un Roi qui nous serve de pire au dedans et de protecteur au dehors ; et c’est nous qu’on appelle des brigands sanguinaires 1 Nous qui, fidèles à nos principes de religion et d’humanité, avons toujours aimé & rendre lo bien pour le mal, & épargner le sang de ceux qui versaient à grands flots celui de nos frères, de nos parents et do nos amisl Que la conduite de ceux qui se disent patriotes soit mise en parallèle avec la nôtre : Us égorgeaient nos prisonniers au nom de la loi, et nous avons sauvé les leurs au nom de la religion et de l’humanité.

À Bressuire, Us ont coupé par lambeaux des hommes qu’ils avaient pris sans arme pour la plupart, tandis que nous traitions comme des frères ceux que nous avions pris les armes à la main ; tandis qu’eux-mêmes pillaient ou incendiaient nos maisons, nous faisions respecter de tout notre pouvoir leurs personnes et leurs biens ; et si, malgré tous nos efforts, quelques dégâts ont été commis dans les villes que nous avions conquises pour notre bon Roi, Sa Majesté Très Chrétienne Louis XVII, nous en avons pleuré amèrement ; nous avons puni avec la plus éclatante sévérité les désordres que nous n’avions pu prévenir. C’est un engagement formel que nous avons contracté en prenant les armes, et que nous remplirons au périt de notre vie. Ainsi la France va être désabusée sur les mensonges aussi impudents que perfides et absurdes de nos ennemis… Elle l’est depuis longtemps. Notre conduite à Thousrs est connue. Cette ville prise d’assaut, comme presque toutes celles où nous sommes entrés jusqu’à ce jour, puisque deux mille soldats de t’arméo catholique avalent pénétré par la brèche lorsque L’ennemi capitula, est un exemple frappant de notre douceur et de notre modération. Patriotes, nos ennemis, que nous opposerez-vous encore ? Vous nous accusez do bouleverser notre patrie par la rébellion, et c’est vous qui, sapant à la fois tous les principes religieux et politiques, avez les premiers proclamé que l’insurrection est le plut saint de tous les devoirs ; et d’après ce principe, qui nous justifierait à vos yeux si la plus juste cause avait besoin d’être justifiée, vous avez introduit, à la place de la religion, l’athéisme ; à la place des lois, l’anarchie ; à la place d’un roi qui fut notre père, des hommes qui sont nos tyrans. Vous nous reprochez le fanatisme de la religion, vous que le fanatisme d’une prétendue liberté a conduits au dernier des forfaits ; vous que ce mémo fanatisme porte chaque jour à faire couler des

  • Psgs t$5.

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flow do «ong dans notre commune patrie, Ahl le temps est enfin arrivé, où les prèsjF ? ! / Un ^ aux P fttr ot * me Vont disparaître ; le bandeau de l’erreur est A moitié déchire,

O nos concitoyens I jugez-nous et juges nos persécuteurs I Qu’ont-Ils fcltî Qu ont feu vos représentants oux-mômoi pour votre bonheur ou pour le bien général de la France, ' Qu’arracher de vos cœurs les principes de votre foi ; que s’amasser dimmonses trésors au prix de vos larmes ot de votre sang ; que porter ta désolation dans le Min do vos famines, en traînant do force au milieu des camps ot dos combats vos enfants, vos frères et vous-mêmes, qu’ils n’ont pas craint d’exposer a roi le morts pour assouvir leur rage contre lo trône ot l’autel ; ot, pour s’assurer do l’Impunité do (ours forfaits, Us ont enlevé À la charrue de paisibles cultivateurs, dont les bras assuraient à la patrie sa subsistance et sa vie. Ouvre* donc enfin les yeux, <3 Français I Rondox-vous H nous, rendez-vous À vous-mêmes, Ah I ne seriez-vous donc pins ce peuple si doux.il généreux, fidèle À sa religion, IdoiAtre de ses rois r U peuple de Clovis, de Charlemagne, de saint Louis, do Louis XII, do Henri IV et de Louis XVI enfin, dont le fils, ce jeune ot tondre rejeton do la famille auguste des Bourbons, prêt A observer les dernières volontés d’un père qui mourut en pardonnant A ses bourreaux, vous ouvre son Ame ot brûle du désir d’être heureux de votre bonheur I Seric*-vous insensibles À ce langage ï Seriez-vous sourds À la voix de la religion qui, depuis trop longtems la proie des loups ravisseurs, demande aujourd’hui ses véritables et légitimes pasteurs ? Non sans doute ; vous êtes nos amis, nos frères : nous ne sommes qu’un peuple, disons mieux, qu’une mémo famille. Nos misères, nos jouissances nous sont communes ; réunissons donc nos efforts sous l’égide du Tout-Puissant, sous la protection d’un père commun. Epargnons, épargnons le sang des hommes, et surtout celui des Français.

Il n’est plus aujourd’hui de place dans l’État pour cos être» froids et égoïstes qui, languissant dans une honteuse oisiveté, affectant une coupable indifférence pour l’intérêt général, se tiennent À l’écart, prêts à s’engraisser des débris de ta fortune pubtique et des fortunes privées. Deux étendards flottent sur le sol des Français, celui de l’honneur et celui de l’anarchie. Le moment est vonu de se ranger tous l’un de ces drapeaux : qui balance est un traître également redoutable aux deux partis. Marchons tous d’un commun accord ; chassons ces représentants infidèles qui, abusant de notre confiance, n’ont employé jusqu’ici qu’à dos disputes stériles, A des rixes indécentes, A des luttes déshonorantes pour te nom français, un tompê qu’ils devaient employer tout entier A notre bonheur ; chassons ces représentants parjures qui, envoyés pour le maintien de la monarchie qullsavaient solennellement jurée, l’ont anéantie et renversé le monarque Innocent sur les marches sanglantes d’un trône où ils régnent en despotes ; chassons enfin «ta mandataires perfides et audacieux qui, s’élevant au-dessus de tous les pouvoirs connus sur la terre, ont détruit la religion que vous vouliez conserver, créé des lois que vous n’avez jamais sanctionnées, disons mieux, que vous eussiez rejetées avec horreur si votre vœu eût été libre, et qui ont fait du ptus riche et du plus florissant des royaumes un cadavre de république, objet de pitié pour ceux qui l’habitent et d’horreur pour les peuples étrangers. Que ces arbres dépouillés de verdure, tristes images du trône dépouillé de sa splendeur, que ces vains emblèmes de la licence tombent dans la poussière, et que le drapeau blanc, signe de bonheur et d’allégresse pour les Français, flotte sur les remparts de nos cités et sur les ciochers de nos fidélos campagnes I

C’est alors que, oubliant nos pertes mutuelles, nous déposerons nos armes dans lo temple de l’Eternel ; c’est alors que, terminant une guerre dont les défaites et les triomphes réciproques ne sont que de vraies calsmité* pour notre mère pa>

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trio, noua proclamerons, avec la pal* do ta Franco, la repos de l’univers jc’ost alora que, confondant dan» l’amour du Won public tou no» ressentiments personnes ot jutqu’A no» moindro sujet» do mécontentement réciproque, do quoique parti, do quoique opinion que nous nou* aoyon» montrés, pourvu quo no cœur ot no» mains n’nlent pas trempé dan» le crime, nous nous réconcilierons, nous nous unirons tous au soin de la pal* pour opérer la bien général ot donner À la France, avec son Roi ot son culte catholique, lo bonhour qu’elle attondit on vain do ses représentants infidèles. Tels sont, nous osons lo répéter et lo proclamer hautomont, tels sont nos vœux, tels sont tes vœux do tous les Français, Qu’ils osont los manifester, et la France est sauvée 1

Fait au quartier général, À Fontenay-le-Comtc, ce »7 mal, l’an premier du régne de Louis XVÏI,

Do Bernard de Marigny, Desos sa rts. Do la Rochejaqueloln, Loscuro. âtolBet. Duhoux-d’Hautorive. Donnissan. Cathollneau.

III*

Après cetto affaire, on délibéra au conseil sur l’attaque do Saumur ; M. do la Rochejaqueleln dit qu’il fallait d’abord envoyer de» piquets do cavalerie pour inquiéter les avant-postes et forcer les patriotes A se tenir sur pied toute la nuit} il se mit lui-même & leur tête. Ce projet arrêta, on l’annonça aux paysans qui marchèrent d’eux-mêmes sur Saumur, et s’avancèrent bien au delà de ce qu’on désirait ; alors on prit le parti d’attaquer de suite. M. de Lescure, à la gauche, fut chargé d’aborder le pont Fouchard en tournant les redoutes de Bournan ; U y arriva par lu chemin de Saint-Florent. M. do la Rochejaquolcln passa avec sa division du côté des prairies de Varrains, en prenant par le pont de Saint-Just, MM. Stofflot et des Essarta marchèrent avec l’armée de Bonchamps par les hauteurs, avec l’apparence de vouloir attaquer le château, pour i’empêcher de diriger son feu sur ics troupes qui occupaient les bords de la rivière ; toutes ces divisions ouvrirent le feu À peu près en mémo temps. M. de Lescure avait A résister À un corps considérable, envoyé de eo côté, comme étant una des principales entrées de la ville » il y fut blessé, sa division se replia par le chemin de Saint-Florent. Heureusement, deux caissons furent renversés sur le pont et fermèrent lo passage aux cuirassiers. M. de Lescure, qui avait seutomont fait mettre un mouchoir autour de son bras pour arrêter Je sang, engagea ses paysans A retourner ; ils tirèrent par-dessus les caissons, visèrent aux yeux et aux chovaux et parvinrent A abattre une partie de ces formidables cuirassiers ; M. de ta Rochejaqueleln assaillit le camp de Varrains pendant que M, de Baugé, resté au pont de Saint-Just, faisait un mouvement tournant. L’attaque avait été mal concertée, toutes les divisions de l’armée vendéenne se trouvaient coupées les unes des autres. On parvient A rallier un corps do six cents hommes ; avec ce petit détachement M. de Baugé passe le fossé qui te. sépare du camp des républicains, il abat un mur qui en défend l’entrée et ainsi détermine leur déroute. Cela se passa si vivement que les soldats de M. de la Rochejaqueloin font feu sur ceux de M. de Baugé ; tous deux se dirigent aussitôt vers la

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porto du Bourg, près do Nanitlly, s’avancent dans les rues ot arrivent A colle qui monte au châtoau ; Us aperçoivent un bataillon qui on descend. Voyant lot Vendéens, Im Bleue lot croient mattrot de ta ville ot, craignant de ne pouvoir échapper, Un jettent leur» fusil et retournent vivement au château. Cet deux mostlour» passent sur les fusils que leurs chevaux font partir et t’avancent vert 1 a place do la BUangoj lit voient toute l’armée républicaine on déroute, s’écartent du côté do (a promenade qui est derrière la salle de spectacle, ot de lâ tirent aur les fuyards, Quand ceux-ci ont tous défilé, ils se mettent à leur poursuite jusque do l’autro côté de in Loire. Mais pensant que les autres divisions pouvaient être battues et leur retraite coupée, Us retournent dans In ville ot font enlever une partie du pont do bois pour empêcher toute surprise de ce côté. Ils apprennent que les redoutes do Bournan tiennent encore, M. de la Rochojaqueloin s’avance et traverse entre les doux ; le reste du jour se passe en observation, et ta nuit les républicains se retirent. U lendemain t’armée entière entre dans Saumur ; on convient d’une capitulation, les patriotes qui étaient dans le château se rendent au nombre do quatorze cents hommes. (Note du manuscrit.)

IV*

Il a paru dans YÊcho de la Jeune France du 5 mal 1834, d’après une publication Intitulée le Miroir dee Salons, une prétendue lettro du général de Bonchamps & Henri de la Rochejaqueleln, dans laquelle on lui fait écrire : <… L’espion m’a dit qu’ils (les républicains) comptaient sur la mésintelligence qu’ils supposaient exister entre nous doux… Dans une circonstance aussi impérieuse (ta bataille qui devait se livrer lo lendemain entre Beaupréau et Cholet), je crois que nous devons cesser de donner aux républicains ce spectacle do nos différends, dont ils ne manqueraient pas de chercher à profiter, etc… > Cette lettre était datée de Savenay, le… septembre 1793.

J’écrivis au journal la Jeune France, le 5 août 1834, pour protester contre cette lettre, la déclarant fausse, car la plus sincère union n’a cessé de régner entre ces doux messieurs, et môme, Henri professait la plus entière déférence & l’égard de M. de Bonchamps, qui la méritait bien. D’ailleurs, la date seule de la lettre en prouvait la fausseté : la bataille a ou lieu le 17 octobre, M. de Bonchamps y a été blessé ù mort, ot l’armée catholique n’a été à Savenay que le as décembre.

M. de Montmerqué fit paraître le 5 septembre, dans le même journal, une réclamation par laquelle U so déclarait possesseur de 1 s lettre. Il en reconnut bien les dates fausses et d’une écriture différente ; pourtant il persistait à la croire véritable. Je ne voulus pas continuer cette polémique imprimée ; le bruit et la publicité des journaux ne conviennent pas à mon caractère. J’engageai seulement M. de Montmerqué â voir M 1 ** la marquise do Bonchamps. Il m’écrivit que ta marquise lui avait dit, comme moi, que l’Union la plus parfaite avait toujours existé entre son mari et M. de 1 s Rochejaqueleln, et de plus, qu'& l’époque do la bataille de Beaupréau la blessure do M. de Bonchamps au bras droit le mettait encore dans l’impossibilité d’écrire. M. de Montmerqué ajoutait que nous l’avions persuadé de !«

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fausseté de cotte lottro ; et vendant, quelque temps après/ sa collection d’autographes dont le catalogue fut imprimé, il n’y comprit pas ta prétendue lettre de M.de Bonchnmp». (Note de l’auteur, 6» édition, 1848,)

V*

M. do ta Rnchejnquetein et les officiers qui étaient avec lui, désirant rassembler les Poitevins, s’on furent du côté de Chàtllion. lis traversèrent la ville à quatre patte* pour n’étro pas reconnu*} cependant comme l*un d’eux était fort enrhumé, il fit quoique bruit ; une sentinelle cria ; Qui vive ? Do suite ils se tapirent par terre et restèrent quoique temps sans mouvement. La sentinelle, croyant quo c’était un chien, se tint tranquille. Cos messieurs arrivèrent chez M"» dota Rochejaquoloin et passèrent trois Jours avec elle. Alors M. Henri prit la résolution do railler les débris de ces malheureux pays. Sa tante, en le quittant, lui dit ^ « Peutêtre noua ne nous reverrons plus ; mais si tu péris dans cetia entreprise, tu emporteras tous mes regrets et mon estime, » lis retournèrent dans l’Anjou, et opérèrent tour premier rassemblement dans la paroisse de Neuvy. Dans la nuit, ils firent huit tieues et tombèrent à l’ImprovUtc sur le premier poste républicain, qu’ils détruisirent entièrement. De là ils se portèrent immédiatement sur un autre très éloigné, Us l’enlevèrent aussi. Dans quatre nuits, Us en détruisirent cinq, & do grandes distances les uns des autres, et firent croire que plusieurs partis de Vendéens s’étalent levés à la fois ; on envoya beaucoup de forces pour les poursuivre* M. Henri s’établit dans la forêt do Vérins ; U avait plusieurs postes embusqués à peu de distance de la grande route de Saumur à Cholet. U interceptait les convois, s’emparait des petits détachements qui passaient. Un Jour on enleva un adjudant générât ; on le conduisit à M. de la RocheJaqueJcin qui était dans sa cahute, le bras enveloppé & cause de sa blessure, un gros bonnet de laine sur la tête. Le générai fut très surpris de voir un chef dans un pareil accoutrement. M. de ta Rochejaquelein l’interrogea ; après qu’il eut répondu à ses questions, il lui dit : « Le conseil de l’armée royale voua condamne à mort », et on le fusilla. On trouva sur lui des ordres pour offrir sécurité à tous les paysans qui voudraient déposer les armes ; mais il était prescrit de les exécuter, dès qu’on en aurait un certain nombre. U y avait même une liste de cent cinquante personnes destinées & ta mort. M. de la Rochejaquetein fit connaître cette liste dans toutes les campagnes, et cela contribua beaucoup à arrêter une foulo de malheureux prêts à se livrer. Ses rassemblements devinrent plus nombreux, et, dans peu de temps, U put enlever tou* les postes que los républicains avalent dans te pays, excepté ceux de Cholet, Mortagne et Chàtillon, les plus considérables ; le dernier qu’il surprit fut celui de Nuail !é, où il périt. (Note du manuscrit.)

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VI*

Noria sur i, a date mî u mort ntt Henri de La Rochbmqurlxin,

J’ai donné pour date to mardi gras, paire que plusieurs Vendéen# qui étalent & ce combat m’ont d’abord Indiqué ce jour. Do puis, beaucoup d’outro# m’ont assuré qu’Honri Avait été tué ver# la fin do février, sans pouvoir rien assigner do précis. Enfin, il y a peu do temps, on a trouvé dans les papiers do M”* de la Rochojaqtieloin une dota qui Indique la date du 6 février ; je crois cotlo-cl trop en avance. Cotte incertitude est une prouve bion frappante de ta séparation absolue qui existait entre les Vendéens et le.reste des hommes. (Note de l’auteur, Sédition, tâss.j Toile est la note qui se trouve & la dernière Impression do moa Mémoires. Depuis, M. le comto de la Bouère **, un dos chefs d’Anjou, qui était à la mort d’Honri, m’a fixée entièrement sur la dato de cotte mort, avec une suite et des détails qui ne iaissont aucun doute. Henri fut tué le aêou le arf janvier J 7 94. 1 jo récit que j’ai Imprimé m’avait été fourni par feu M. de la Vilie-Baugé ; il est conforme, à très pou de chose près, à celui do M. do ta Bouère, qui a rassemblé beaucoup do notes sur la guerre des Vendéens. Voici on abrégé co que dit ce dernier 1

M. do la Bouère et son frère étaient avec Henri, Stoffict et d’autres dans ta forêt do Vcsins j io jour où ils en sortirent, lia furent instruits que des soldats républicains ravageaient et pilleront la campagne entre Nuaillé et Trémentlnes. M. de la Rochejaquelein, Piquet et autres se détachèrent pour aiior contro eux. Aprèa qu’ils en eurent sabré plusieurs. Piquet*** en joignit un qui l’ajustait, appuyé lo long d’un arbre. Henri arriva monté sur un cheval très bien équipé, qu’il avait pris peu de jours auparavant ; U était vêtu d’une redingote bleue et coiffé d’un chapeau à haute formo. Ce costume le fit reconnaître pour un chef. Lo soldat quitta Piquet attira sur M. de la Rochejaqueloin. La balle t’atteignit au milieu du front et lo tua raide. Piquot sabra le soldat. Comme l’approche des Bleus ne laissait pas le temps d’enterrer les morts, on êta la cocarde du casque du soldat et on la mit au chapeau d’Henri, dans l’espoir que les républicains, le prenant pour l’un des leurs, respecteraient son corps.

M. le comte de la Bouère, pour mieux fixer la dato, ajoute :

« Nous continuâmes notre route, nous enlevâmes en passant lo poste de Saint-Mucaire ; le lendemain nous couchions à Gesté. Ce malheur arriva donc la surveille de la bataille do Gesté, ou plutôt des quatre batailles qui s’y donnèrent lo même jour, le ou le a février. Une preuve sans réplique, ajoute-t-il, qu’Honri était mort, c’est qu’il ne nous commandait pas. >

Après le passage dos Bleus, les paysans retrouvèrent tes deux corps et les en-

  • Page 435.

Armand-Modeste Gaseaa, chevalier, seigneur de la Reaère, né te #3 jain *765 eu château de Martigny, ea Touraine, fbt page du duc ^Orléans, pale officier de cavalerie. Le Roi lui envoya, eu mole de juin 1794, le brevetée lieutenant général de l’armée d’Anjou et du haut Poitou. Chevalier de Salot-Louls, Il fat nommé en 18*6 colonel, et mourut le 4 mars 1847 au château de Valette, près Châtellersult. Il avait époneé, te t* lévrier 1789, Antoinette-Charlotte, 811 e de Claude-Marie Le Doc, maréchal do camp,

piquet avait servi d’abord dans les troupes de la république, pais avait passé sax Vendéens. Il était devenu officier dans la cavalerie de Stofflet, qui le fit thriller pour Inconduite te i 3 février 1794, h Argenton-Château.

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terreront ensemble. On a depuis reconnu colul d’Henri ft en blessure. (Noto de l’autour, 6* édition, 184#.)

j’el eu l’occasion de questionner plusieurs personnes qui étaient a la mort d’Honrl i toutes m’ont dit quo Stofflct pleura beaucoup} it ordonna de le déshabiller vite, de couvrir de terre son visage ot do tâcher do cacher sa mort. Il parait donc sûr que le propos rapporté par un tdmoini le seul que j’eusse vu d’abord * Ce n’était pas te Pérou, votre monsieur fleurit s’il a été dit, l’aura été pour calmer le désespoir des soldats et les rassurer. Mais tous les témoins, excepté ce seul, m’ont affirmé que Stofflet témoignait un grand chagrin, et ils n’ont pas entondu le pro> pos, (Noto de l’auteur, iSad.)

Combat de la Haie-Bureau. Victoire.

Le mardi »5 janvier (te mardi était bien le a fl) l’armée sortit de la forêt (de Vérins) et rencontra sur la grando route, près do la Haie-Bureau, un détachement de républicains que l’on attaqua et k qui l’on donna la déroute. M. Henri, pouiv suivant un grenadier, lui cris do se rendre ? le grenadeur « retourna vers le général et le tua d’une ballo qu’il reçut au front} le grenadier perdit ta vie au même instant, par des cavaliers qui suivaient leur général de près. Ces cavaliers étaient : Baud (do la Jubaudière), meunier, Gaudin (de Saint-Martin de Beaupréau)et Bolsslère (aussi de Beaupréau). Ces cavaliers, ne voulant pas que leur générai fût reconnu par les républicains, lui mirent sur la tête le chapeau du grenadier qui l’avait tué, lui barbouillèrent la figure de terre et le déshabillèrent. Pour lors, M. Stofflct fit enlever lo corps du général } dans la nuit auivanto, U le fit enterrer un peu plus bas, en disant au quartier général que les scélérats ne pourraient le trouver. (Mémoire s inédite de M. Pauvert, de la Jubaudière, sur la guerre de la Vendée.)

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ÉLOGE FUNÈBRE

PB

M mô la Marquise de La Rochejaquelein

PRONONCÉ

À LA CÉRÉMONIE DE SES OBSÈQUES

DANS l/ÉOUSB PR *AINT-AUtlJN DK SAUMONÉ

Le Samedi 38 Février 1857

PAR

MONSEIGNEUR PIE, ÉVÊQUE DE POITIERS

Manum tmrn mMt ad fbrtia, et âifttt «jut appréhenderont /u$um.

Silo n mit m main & de grande* «ntropriw*, et net doigta ont tait ! le ftitoeu,

(Au !.. dw Prov„ e. xxxt, v. 19.)

Mes TRÈS CHERS Frères,

Les anciens patriarches, avant de mourir, luisaient promettre solcn* nullement à leurs Bis qu’ils rapporteraient leurs dépouilles dans le sépulcre des ancêtres, et qu’ils réuniraient leurs ossements aux ossements de leur famille. « Voici, disait Jacob, que je vais rejoindre mon peuple ; cnscvelisscz-moi avec mes pères dans la grotte d’Éphron, auprès de Mambré, là où fut enseveli Abraham ainsi que Sarah son épouse, là où repose Isaac avec sa femme Rebccca, là où est enterrée aussi Lia <t). » Les enfants de Jacob s’engagèrent à remplir les volontés de leur père : Joseph même s’y obligea par serment. Et le vieillard, tranquillisé par le serment de son fils, adora le Seigneur (a) ; puis il rendit le dernier soupir. Et les enfants firent comme leur père leur avait commandé. Plusieurs des anciens et des hommes illustres de la contrée se joignirent à eux ; il y eut dans le cortège des

(1) Oen. xux, ag- 3 i.

<a) Oen. xx. v«, 3 t,

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chars et des cavaliers, ot U se Ht une foule considérable. Ils vinrent à une première station, où Ils célébrèrent les obsèques avec beaucoup de larmes et do deuil ; puis ils portèrent le corps à Mombré, et l’ensevelirent dans le sépulcre où reposaient tous sos proches (i),

Ces grands souvenirs de la Genèse, mes frères, ne nous offrent-ils pas un récit exact de ce qui s’accomplit sous nos yeux ? N’est-ce pas l’une de ces anciennes scènes patriarcales qui se renouvelle ? Nous aussi, depuis plusieurs jours, nous accompagnons un cercueil. Celle dont il contient les restes n’eut dans ses dernières années qu’un désir, qu’une ambition : clic voulait être ramenée au milieu du peuple qu’elle a aimé, être réunie avec les siens dans une même tombe et sous un même monument dont l’érection occupait toutes ses pensées. Ses enfants ont exécuté Hdélement toutes ses recommandations, observé toutes les stations funéraires. Et si le noble chef de la famille, lui en qui le respect et l’amour filial furent toujours si profonds, lui, pour qui sa mère fut toujours l’objet d’un véritable culte, est condamné à n’avoir pour témoin de ses larmes que la couche où le retient une cruelle souffrance, du moins son affection, plus forte que la douleur, a pu s’employer b procurer l’accomplissement ponctuel de tous les désirs et de tous les vœux de celle qui lui est ravie.

Mais, dira*t-on, pourquoi ce deuil privé d’une famille prend*- ! ! aujourd’hui les proportions d’un deuil public ? Pourquoi cette marche funèbre ainsi transformée en une marche triomphale ? Pourquoi cette affluence inusitée ? Pourquoi ce mouvement de toute une pro* vince ?

Est-U besoin de vous le dire, mes frères ? Cette femme illustre, à qui nous rendons les derniers devoirs de la sépulture chrétienne, elle a été deux fois i’épousc et deux fois la veuve, elle a été la Hile, elle a été la sœur, elle a été la mère des soldats et des victimes, des héros et des martyrs de la lutte la plus sainte et la plus glorieuse qui fut jamais En sa personne se résume une des plus grandes pages de l’histoire humaine. Quelle partie du monde habitable n’a pas oui les exploits héroïques de cette province occidentale de la Fronce, et la merveille plus étonnante des vertus qui ont inspiré cet héroïsme ? Loin de moi la pensée de venir raconter ici ce que toute la terre a connu à Mais évêque de cette religieuse contrée, je serais un mauvais économe de l’héritage qui

(i) Gcn. u 7-13.

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m’est échu, un administrateur négligent du dépôt qui m’a été confié, si je demeurais muet, à l’instant où la tombe va se refermer sur le plus auguste débris d’une époque à jamais mémorable dans les fastes de mon Église. Tout docteur instruit des choses du royaume des deux, dit l’Évangile, sait tirer de son trésor les richesses nouvelles comme les richesses anciennes (j). Eh bien ! cette terre du Poitou, quia vu périr l’arianisme sous les coups de Clovis, qui a broyé l’islamisme sous la main de fer de Charles-Martel, qui a renversé plusieurs autres ennemis du nom chrétien, je dois proclamer que son plus beau titre devant les âges A venir, ce sera d’ôtre demeurée intrépide dans sa foi aux jours de la grande tribulation et de la défaillance presque universelle. Ma conscience m’n donc dit que j’avais ici une dette & acquitter, un devoir à remplir, et que ma voix devait animer tout ce lugubre appareil, en s’efforçant de vous montrer comment, à l’exemple de la femn\e forte de nos livres saints, celle-ci a mis durant plusieurs années sa main aux grandes entreprises, et s’est appliquée ensuite à toutes les industries de la charité : Manum suam mlsit ad fortia, et digiti ejus appréhenderont fusum.

Que toutes les pensées de la politique humaine soient écartées 1 Que toutes les susceptibilités et les ombrages s’évanouissent 1 Je n’ai A m’occuper ici que de la religion, et je ne veux parler que d’elle, en payant mon humble tribut d’hommages À la mémoire de TRÈS NOBLE ET TRÈS ILLUSTRE DAME VICTOIRE DE HONNISSANT, successivement MARQUISE DE LESCURE et MARQUISE DE LA

ROCHEJAQUELEIN.

C’est bien ici, mes frères, qu’il serait facile de vous montrer dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines (2), et de faire voir au monde le néant de ses pompes et de ses grandeurs. Victoire, ou, pour parler comme la reine Marie-Antoinette, Victorine de Donnissan était née au château de Versailles. Madame Victoire, tante du roi, et Monsieur, depuis Louis XVIII, l’avaient tenue sur les fonts sacrés ; elle avait été élevée au milieu du luxe et des grandeurs, parmi toutes les magnificences et toutes les fêtes de la cour, entourée de tous les grands noms de la monarchie auxquels elle touchait par de nombreuses alliances ; la société des hommes les plus illustres, la familia-

(j) Matth., xui, 5». „. „, „.

(») Bossuet, Oraiton funèbre de Madame Henriette de France.

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rité môme de» princes, étaient des chose» qui ne lui paraissaient ni remarquables ni extraordinaires, parce qu’elles entraient dans les habitudes journalières du monde au milieu duquel elle vivait (r). Ses qualités personnelles, sa douceur, sa piété, son instruction, ouvraient devant elle le plus brillant avenir. Ainsi s’étalent écoulées les seize premières années de la fillo du marquis de Donnlssan. Or, fi vingt-trois ans, elle passait une année presque entière sous une pauvre chaumière de la Bretagne, fuyant d’un lieu ù un autre, occupée tout le jour fi garder les brebis, et trouvant fi peine quelques lambeaux de linge pour couvrir la nudité de ses enfants, qui ne tardèrent pas fi mourir de langueur et de misère. Que s’était-11 donc passé durant ce court intervalle qui puisse expliquer un si grand renversement do fortune ? Jo vais m’efforcer de vous le dire en peu de mots.

Prophète de Pathmos, qui aviez plongé dans l’avenir lointain des âges, et vous, royal enfant de Jcssé, qui aviez démêlé les secrets replis du cœur des rois et des peuples, prôtez-moi vos oracles inspirés !

Et je vis la raison de l’homme, brillante étoile qui avait longtemps pris place parmi les astres des cicux, se détacher tout fi coup du firmament et tomber sur la terre. Un funeste présent lut avait été fait, une clef mystérieuse lui avait été remise. Elle ouvrît le puits de l’abîme, et il s’en éleva une fumée épaisse qui obscurcit le soleil et les airs (3) : fumée de l’hérésie, fumée de la philosophie, les noms changeaient, mais la fumée s’épaississait tous les jours davantage. Pour compliquer le mal, une étincelle d’ambition jalouse avait jailli jusque sur les trônes ; les rois et les puissants de la terre prenaient ombrage du règne de Dieu et de son Église. Depuis longtemps on entendait un secret frémissement des nations, une sourde fermentation des peuples. Enfin le cri de guerre a retenti ; l’impiété a rassemblé sous ses étendards mille soldats divers qui ont oublié leurs préjugés de naissance, d’opinion, de rang, pour se coaliser contre l’ennemi commun. Désunis sur mille autres points, Ils n’ont ici qu’une pensée unanime : Cogitaverunt unanitaiter, shnul adversum te tes tamentum disposeront (3). Et quel est-il cet ennemi contre lequel je vols marcher ces bataillons si serrés ? Ah J que d’autres s’arrêtent à discuter les passions secondaires, & déplorer l’ébranlement des

(1) Mémoires de la Marquise de La Rochejaquelein, p. 19,

(») Apoc., «, 1, *.

(3) P». Lxxxn, 6.

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contre-coup» et Ica occident» de Jo mêlée. Pour moi, m’élevant au-dessus de ces calamité» communes pour n’envisager que la tendance principale» je dirai avec un grand roi, grand homme d’État, que dan» son fond ot dans son essence, la conspiration a été ourdie contre Dieu et contre son Christ : Convemrunt in mm advenus Domlnum et adversus Christum ejus(i), C’est Dieu, c’est son Christ, dont on veut briser les chaînes» dont on veut secouer le joug : Dirumpamus vlncula eorum, et projiciamus a nobisjugum ipsorum (a).< Ils ont dit à Dieu et surtout à son Christ : Retire-toi, nous no voulons pas de la science de tes voles (B). Et il fut fait comme U fut dit.

U existait un pacte ancien, une longue alliance entre la religion et la société, entre le christianisme et la France ; le pacte fût déchiré, l’alliance fut rompue : Et avertenmt se, et non servavermt pac tum (4). Dieu était dans les lois, dan» les institution», dans les usages ; il en fut chassé, le divorce fût prononcé entre la Constitution et l’Évangile, la loi fut sécularisée, et 11 fut statué que l’esprit do la nation moderne n’aurait rien à démêler avec Dieu, duquel elle s’isolait entièrement : Et in lege ejus nalucrmt ambulare… et nàn est créditas cum Deo spirltus ejus (5). Dieu avait sur la terre des temples majestueux que surmontait Je signe du Rédempteur des hommes ; les temples sont abattu» ou fermés, on n’y entend, au lieu des chants sacrés, que le bruit de la hache ou le cri de la scie ; la croix du Sauveur est renversée et remplacée par des signes vulgaires : Poseront signa sua, signa… in securi et ascia dejecerunt eamj incendieront igni sancluarium tuum (6). Dieu avait sur la terre des jours qui lui appartenaient, des jours qu’il s’était réservés et que tous les siècles et tous les peuples avalent respectés unanimement ; et toute la famille des impies s’est écriée : Faisons disparaître de la terre les jours consacrés à Dieu ; Dixermt in corde suo cognatio eorum simul î Quiescere faclamus omnes dits festos Dei a terra (7). Dieu avait sur la terre des représentants, des ministres, qui pariaient de lui et le rappelaient aux peuples ; les prisons, l’exil, l’échafaud, la

( !) P B. Il, 3.

(3) P*. 11, 3.

(3) Job, xxi, 14.

(4) P*, txxvn, 57.

(5) P». Lxxvii, io, 6.

(6) Ps. Lxxm, 4, 6, 7.

(7) Ps. lxxuj, 8.

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mer et los fleuves ont tout dévoré. Enfin, disent-ils, il n’y a plus de prophète, et Dieu ne trouvera plus de bouche pour se faire entendre : Jam non est propheta, et nos non cognoscet ampUus (i), O vous tous qui portiez sur votre front Ponction sainte qui fait les pontifes et les prêtres, les rois et les prophètes, de quelque prétexte que l’on s’arme contre vous, rassurez-vous ; c’est à cause du nom de Jésus-Christ que vous êtes un qb}et de haine ; et le Seigneur, qui soit discerner entre les cupidités accessoires et la passion dominante, vous dit, comme à Samuel : Ce n’est pas vous qu’ils ont rejeté, mais c’est moi, de peur que je ne règne sur eux : Non entm te aijecerunt, sed me, ne rognent super eos (2), C’en est fait : tous les droits de Dieu sont anéantis, il ne resto debout que les droits de l’homme : ou plutôt l’homme est Dieu, sa raison est le Christ, et la nation est l’Église.

Voilà, mes frères, ce qui s’était accompli parmi des flots de sang et de larmes, depuis que cette jeune femme, que nous retrouvons sous des haillons, avait quitté les pompes de Versailles. Jamais, en aussi peu de temps, le mal n’avait eu autant de puissance sur la terre. Ce mal s’était-Ü opéré sans résistance ? C’est ce que nous allons voir.

Quand Dieu, dans sa miséricorde plus encore que dans sa justice, a résolu de jeter une nation dans le creuset de la tribulation pour la purifier de ses fautes et lui rendre son amour, ce qu’il Importe avant tout, c’est que cette nation puisse offrir au Seigneur des victimes dignes de lui. Qu’un agneau sans tache se rencontre à ce moment sur le trône : pour le salut de son peuple, il y vaudra mieux qu’un lion. Ne vous plaignez point qu’il ne sache pas verser d’autre sang que le sien : Dieu lui a donné la conscience secrète de son rôle, qui est le rôle du martyr. Silence, silence, ô jugements des hommes, jugement» indiscrets et précipités ! C’est l’heure de l’holocauste, ce n’est pas encore l’heure du combat. Sans cela, ne serait-ce pas une énigme qu’en ce pays de France, qui est un pays de courage, tant de têtes innocentes fussent venues docilement se courber sous le fer homicide d’une poignée de scélérats ? Mais tout s’explique pour le chrétien : c’est le grand mystère de la rédemption qui se continue ; laissons passer la justice de Dieu. Toutefois, si le Seigneur veut être apaisé par les sacri-

(1) P». Lxxnt, y,

(a ? I R«g. vin, 7,

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— 4§i r*

fices, il ri’o pas cessé pourtant do s’appeler le Soigneur Dieu des armées ; et, en mémo temps que la Franco a montré qu’ello savait souf* frlr pour son Dieu, elle doit prouver. À la terre qu’elle sait aussi combattre pour lui. * '

Ici vient se placer, mes frères, la lutte gigantesque de Votre pays* Qu’on ne rappelle point une guerre civile, une guerre politique, une guerre sociale : elle doit être qualifiée d’après le motif principal et déterminant qui lui adonné naissance. Je m’on rapporte aux généraux ennemis qui, dans leurs dépêches et leurs correspondances officielles, nomment eux-métnes cette guerre ht guerre sainte, cette armée, l’armée chrétienne, Famée catholique. Ce peuple, sans doute, aimait sa patrie, aimait ses institutions, aimait son roi, et je né sache pas que personne songe à lui en faire un crime, Napoléon I« r disait qu’il fallait envoyer les peuples modernes à l’école de la Vendée pour y apprendre leurs devoirs envers les Gouvernements. Non, cette contrée ne professait pas le dogme et nè pratiquait pas la morale de l’indifférence par rapport aux questions les plus élevées de la société : humaine. La patrie n’ost pas un être abstrait ; jamais elle ne justifie mieux ce beau nom, que quand elle possède au sommet de la hiérarchie nationale un père. Arrière lè patriotisme qui faisait rouler la tète du père sur l’échafaud 1

Cependant, la foi robuste de ce pays réserva toujours la première place pour la première majesté. On a pu même le dire avec vérité : si la religion avait été placée hoirs d’atteinte, si la doctrine et le culte étaient demeurés intacts, les circonstances étaient telles que la Vendée, quoique saisie d’horreur, n’eût guère donné à sa patrie que des larmes et des regrets. £ien plus, si la royauté elle-même eût entrepris d’altérer la foi et dé changer la religion, la Vendée, chrétienne et, catholique avant tout, n’eût pas imité la* docilité aveugle d’une nation voisine, ni encouru comme elle le juste reproche de s’être montrée trop soumise à ses princes, en mettant sous le joug sa foi mêtne et* sa conscience (t). Elle aurait défendu sa foi contre ses rois ; et sa conscience, telle que le grand Hilaire la lui avait formée depuis plus de quatorze siècles, lui aurait dit qu’il valait mieux obéir k Dieu qu’aux hommes : Obedire oportet Déo magie quant ho minibus (s).

(i) Bossuet, Oraîton funèbre de Madame Henriette de France,

(s) Afit. v, SQ.

3 1

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Mais» grâce au ciel cette hypothèse est vaine» et la persécution ne se leva pas de ce côté. Ce fut la révolution qui vint atteindre ce peuple dans ce qu’il avait de pluB cher et do plus sacré» dans ce qui touchait à sa foi» À toutes ses affections» à tous ses respects. Elle s’attaqua aux temples» elle s’attaqua aux prêtres, elle s’attaqua à l’orthodoxie. Dès lors, la résistance commença. On espéra conjurer la résistance en envoyant À ce peuple des prêtres intrus qui lui diraient la messe. Ce peuple avait une religion ferme et éclairée, et une messe par un prêtre tel quel ne lui suffisait pas ; autant il était docile et respectueux pour les prêtres dignes de leurs saintes fonctions ; autant II était énergique à repousser les apostats ou les schismatiques qU’on voulait lui imposer de vive force. Ce fut l’occasion du premier sang versé. Un malheureux homme du bas Poitou se battit longtemps contre les gendarmes : il avait reçu vingt-deux coups de sabre. On lui criait : « Rends-toi I » Il répondait ; « Rcndcz-moi mon Dieu) » et 11 expira ainsi (i). -Mes frères, dans ce trait unique vous avez toute l’histoire du duel acharné qui se continuera. La révolution brandissant son sabre sur la Vendée et lui criant : à Rends-toi 1 » La religieuse Vendée se défendant avec énergie et, jusqu’au dernier soupir, répondant : « Rcndczmoi mon Dieu ! » Ce dialogue est le résumé le plus pathétique de sept ans de guerre, de deux cents prises et reprises de villes, de sept cents combats particuliers, de dix*sept grandes batailles rangées» enfin de tous ces exploits éclatants qui égalent les plus hauts faits d’armes de l’antiquité, « Rends-toi t » Rcndcz-moi mon Dieu) » Voilà ce qui explique ce qu’un célèbre conventionnel appelait l’inexplicable Vendée.

Mais ce n’est pas assez d’avoir expliqué la Vendée ; aux yeux de quelques-uns, il la faudrait justifier. La justification, mes frères, demandera aux païens eux-mêmes. Quand ils se liguaient pour la défense de leur pays contre l’invasion des barbares, leur devise n’était-elle pas celle-ci t Pro arts et focis, pour les autels et pour tes foyers f Pour tes autels d’abord, parce que les intérêts divins sont les plus élevés de tous ; pour tes autels d’abord, parce que, si un peuple peut quelquefois sacrifier ses foyers, ü ne peut jamais sacrifier ses autels ; pour lès autels d’abord, parce que les foyers ne sont en sûreté que derrière te rempart des autels. Et je veux le bien dire ici à

(«) Mémoires, p. 90.

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ceux qui croient n’avoir à faire que de protdgor des intérêts vulgaires : Si, une fois encore, vous avez le malheur d’abandonner b ciel aux outrage» do l’impiété, espérant acheter * ce prix la tranquille possession de la terre, vous serez déçus dansvotro espérance coupable. Si vous persistez dans une conduite qu’on pourrait exprimer par cos mots ; Contro les autels et pour les foyers j contra aras et pro focisf si vous ouvrez la porte du temple à deux battants, si vous üvroz le sanctuaire à la merci des impies et des sacrilèges, courbez la tûte devant le sort qui vous attend ; car, après que vous aurez laissé les barbares envahit le temple et les autels, soyez sûrs qu’ils ne s’arrêteront pas devant la sainteté do votre seuil domestique, et qu’ils viendront s’asseoir à votre foyer. Ne vous en étonnez pas ; l’homme n’a pas droit ù être mieux traité que Dieu.

La justification de la Vendée, elle est donc dans le premier mot de cette devise de tous les peuples armés pour leur défense la plus légitime ! Pro aris et focis. Mais elle se trouve aussi & toutes les pages des livres sacrés. Écoutez saint Jean Chrysostomc x « Que sont-ils, ces Machabées ? Qu’ont-ils souffert et qu’ont-ils fait ? Il est nécessaire do le dire pour l’intelligence de la chose. L’Impie Antiochus ayant envahi la Judée, ayant porté la dévastation partout, ayant entraîné une partie du peuple de Dieu dans la défection, Mathadas et les siens résistèrent à tous les assauts livrés à leur constance. Il est vrai que, quand ils voyaient que l’ennemi les eût écrasés par sa force brutale, et que toute résistance efficace était impossible, ils s’effaçaient pour un temps et ne se jetaient pas aveuglément au milieu des dangers ; ils savaient fuir et se cacher à propos. Mais, dès qu’ils avaient un peu respiré, tout à coup, comme de généreux lionceaux, ils sortaient de leurs retraites, s’élançaient de leurs caverjnçs ; ils parcouraient toute la contrée, enrôlant sous leur bannière tous ceux qui étaient demeurés fidèles, et ramenant dans la droite ligne plusieurs de ceux qui s’en étaient écartés. De la sorte, ils eurent bientôt une armée d’élite, toute composée de braves. Or, Us ne se battaient point pour leurs femmes, pour leurs enfants, pour leurs maisons, ni pour éviter l’incendie ou la captivité î au contraire, en se battant, Us sacrifiaient tous leurs avantages matériels, leur bien-être, leur tranquillité domestique, et ils s’exposaient sciemment à plus de mal que l’ennemi n’eût jamais songé à leur en faire. Mais ils combattaient pour la religion et la loi de leurs pères ; et le chef de la guerre, c’était Dieu lui-même : Dux autem

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- 4 * 4 -

eorum erat Deus, Quand Us livraient la bataille» quand Ils exposaient leur vie» Us ne mettaient leur espoir ni dons la supériorité du nombre, ni dans excellence des armes, mais ils pensaient que le motif sacré de la guerre leur tiendrait lieu d’armure : Loco omnis armaturœ, pugnæ causam suffixera ducentes. En marchant vers l’ennemi, ils ne s’étourdissaient point au bruit dos trompettes et des fanfares ; ils n’a* valent pas besoin de s’anlmor par des procédés factices, comme on a coutume de faire dans les autres camps ; mais ils invoquaient le secours d’en haut, ils priaient le Seigneur de les assister, de leur porter secours, de leur tendre, la main, lui pour lequel ils faisaient la guerre, lui pour la gloire de qui ils combattaient : Propter quetn bellum gerebant, pro cujus gloria decertabant < t)

Chrétiens qui m’entendez, si c’est U l’histoire des braves Mâchabées, n’est-ce pas celle de votre pays ? Or, ce que l’Esprit-Saint a loué dans les guerriers de l’ancienne loi cesserait-il d’âtre digne d’éloge dans les guerriers de la loi nouvelle ? Et la bravoure militaire ne mériterait-elle plus l’admiration, lorsqu’elle est au service de la cause divine et des intérêts les plus élevés de nos âmes ? ûisons-le plutôt : autant la religion est au-dessus des choses terrestres, autant cette guerre fut au-dessus des guerres ordinaires.

Nos pires, les habitants de l’ancienne Germanie, ne craignaient dit-on, qu’une chose, c’était que le ciel ne tombât sur leurs têtes (a). Mes frères, il est un ciel plus haut et plus désirable que le firmament visible qui enveloppe ce monde : c’est le ciel que Jésus-Christ nous a conquis par sa mort ; c’est le ciel dont l’avant-goût et les prémices se trouvent ici-bas dans la foi, dans la piété chrétienne ; c’est le ciel dont le sacerdoce catholique tient la clef et ouvre la porte ; c’est le ciel de la gloire, dont la racine et le germe se nourrissent du sang de l’adorable sacrifice et de la grâce des sacrements. Or, c’est ce ciel qui allait en quelque sorte tomber et se fondre sous les coups de l’impiété révolutionnaire. Les chrétiens de la Vendée frirent surtout émus de cela, et cela seul put les rendre guerriers. « Si le ciel venait à tomber, disaient encore les vieux Gaulois, nous le soutiendrions de nos lances.» Et la Vendée prit la lance, ou plutôt, tout devint arme dans sa main pour soutenir le ciel. Elle y réussit, car le jour où elle quitta les

(i) Chrysoét, Exposit. in psalm, xi.ni, u* i. (a) Quinte*Curce.

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armoB, la liberté do demeurer catholique lui fut garantie ; et, plus tard, lô ; premier consul nous dira de quel poids fut là Vendée dans son esprit, quand H se résolut au Concordat. U ne voulait pas voir «commencer contre lu ! la guerre dés géants, ' ' ' '

Mais quelle place occupa dans cette grande lutte la noble femme que nous pleurons ? Lés deux noms qu’elle porta- le dlseht aster : l^scure et La Rochejaquelein. Lescure, homme d’une modestie égale à sa profonde instruction ; homme de courage et de conseil, d’énergie et de modération, de bravoure et d’humanité ; Lescuro, qui, dans Une guerre oü les généraux étaient soldats et combattaient souvent corps à corps, eut cette gloire, commune avec Jeanne d’Arc, de n’avoir jamais donné de sa propre main la mort à personne (i) ; Lcscure, que l’on surnomma justement le saint du Poitou : c’est À cet humble et fier chrétien que fut unie d’abord la fille du marquis de Donhissan. Et.quand Lescure, après une longue agonie, mourut des suites d’une cruelle blessure, Henri de La Rochejaquelein, son parent et son meilleur ami en ce monde ; Henri, l’Achille de la Vendée, le preux par excellence et le brave des braves ; Henri, les yeux mouillés de pleurs, serra la main de là jeune veuve en lui disant avec un accent de douleur qu’elle n’oublia jamais : « Ma vie peut-elle vous le fendre ? prcnez-la (a). » Sa vie, hélas I elle ne lui appartenait plus & lui-même ; comme Lescure, 12 allait bientôt la donner À son Dieu et À son roi* Seulement, comme la mort des deux amis devait être diverse ainsi que leurs caractères, il était dans la destinée d’Henri d’être emporté par un coup soudain. Mais un autre de ses frères, réservé lui-même à un futur holocauste, en épousant la veuve d’un si grand homme, devait la rendre encore plus chère à la Vendée et réunir deux noms que la postérité ne séparera plus-Lescure et La Rochejaquelein ; et, latssez*moi le dire aussi, La Rochejaquelein et Talmond (3) : on aime À voir ainsi les héros de nos guerres saintes se serrer encore la main après leur mort, et l’on bénit les nobles femmes en qui viennent se rencontrer de si grands noms et de si grandes gloires !

Ces noms d’ailleurs et ces gloires, les femmes Se montrèrent dignes

de les partager. Non pas en maniant un fer meurtrier : la rigide dîsci-

(1) Mémoires, G* édit. 1848, p. ibt.

(s) Mémoires, p. 304.

(3) Le général comte Auguste de La Roche)squelcin, dernier frire d’Henri, épousa la veuve du princo Léopold de Talmond, fils du général vendéen.

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plino do l’armép catholique ne le permettait pas è leur sexe, et U.y, eut tout au plus quelques exceptions justifiées par la nécessité des circonstances ou par une vocation manifeste. Mais qui pourra lire sans attendrissement et sans admiration le récit des périls de tout genre que les femmes affrontèrent durant ces longues pérégrinations militaires, et la constance Infatigable avec laquelle clics s’associèrent au sort do leurs invincibles maris ? Anges de la prière et du dévouement, elles sont à genoux durant le combat ; clics ont préparé les scapulaires et les Images du Cœur sacré de Jésus, qui sont l’unique cuirasse des guerriers. Comme les filles de la Charité, elles ont uno adresse merveilleuse pour panser les blessures, elles connaissent la vertu des plantas pour les guérir. Instruments do pardon et de miséricorde, elles obtiennent la grâce des transfuges et souvent la vie des prisonniers.

La jeune et noble marquise, naturellement timide, savait 6 peine se tenir sur un cheval dont un serviteur tenait la bride ; mais à la nouvelle que son mari vient d’ôtre blessé, clic saute sur une mauvaise monture sans laisser le temps d’en arranger les étriers inégaux, et fait trois lieues en trois quarts d’heure par les plus mauvais chemins. La première fois qu’on vient la haranguer è Châtillon, comme l’officier agitait son sabre par forme de mouvement oratoire, clic se met à trembler de tous ses membres et à pousser des cris comme un enfant ; quelques jours plus tard, clic partait à bride abattue pour Treize-Vents et Mallièvre, faisait sonner le tocsin, remettait la réquisition au conseil de la paroisse et haranguait les paysans. Dans la déroute de Dol, un jeune volontaire qu’elle avait arraché au dernier supplice, s’a* perçoit du danger qu’elle court ; il se jette 61a bride de son cheval en lui disant : à Vous êtes ma libératrice, je ne vous quitte pas, nous péri** rons ensemble. » — « Ce n’est pas ici que vous devez être, lui répond-elle ; si vous n’Gtes pas un traître, allez vous battre. » Le jeune homme ramasse un fusil et court au combat, où il se conduit bravement. Ce fut ainsi que, plus d’une fois, les femmes ranimèrent les esprits, relevèrent les courages, et rappelèrent dans leur camp la fortune qui allait les trahir.

Je n’ai donc rien avancé de téméraire, mes frères, en vous disant que cette femme forte a mis la main aux grandes entreprises. Elle a été actrice dans toutes les périodes de cette lutte colossale, elle en a senti toutes les émotions, goûté tons les succès, partagé tous les revers, subi tous les désastres. Son incomparable mari, son vaillant et généreux

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père, sa tante octogénaire, l’abbesse de Saint-Ausone d’Angoulfime, ses trois enfants en bas âge 'lui ont échappé Je long do cês voyages et de ces campements, qu’on peut comparer à ceux des Israélites dans le désert. Il ne lu ! reste que son admirable mère, ange tutélaire qu’une providence attentive daigne lui conserver. Partout sa grande âme, sa religion, sa résignation, sa foi ont été à la hauteur de ses infortunes. Et si l’on veut personnifier dans une seule existence historique cette grande épopée de la croisade vendéenne, aucune vio, aucun nom, aucune figure ne se présente avec un cortège plus complet de grandes actions, do grandes vertus, de grands malheurs et de grands caractères : Manurn suam misit ad fortia, U me reste 6 développer brièvement la seconde partie de mon texte à Et digiti ejus appréhenderont fusum, et ses doigts ont saisi le fuseau.

L’homme, mes frères, ne donne pas sa mesure exacte durant cos courts instants de la vie ob il est élevé en quelque sorte au-dessus de sa taille naturelle par un élan extérieur et communiqué. C’est lorsqu’il est rendu à lui-mômc et à ses proportions personnelles, qu’on peut apprécier plus sûrement sa valeur morale. « Ce sont, disait le grand Bossuet, ce sont ces choses simples : gouverner sa famille, édifier ses domestiques, faire justice et miséricorde, accomplir le bien que Dieu veut et souffrir les maux qu’il envoie : ce sont ces communes pratiques de la vie chrétienne que Jésus-Christ louera au dernier jour devant ses saints anges et devant son Père céleste. Les histoires seront abolies avec les empires, et U ne se parlera plus de tous ces faits éclatants dont elles sont pleines (1) » ; je veux di» de ceux qui n’auront servi qu’à établir une gloire mondaine ; car les exploits religieux auront leur retentissement jusque dans l’éternité. La femme illustre dont nous célébrons la mémoire, en quittant le théâtre des actions publiques ne perdit rien de sa grandeur, et son noble caractère ne nous apparaît pas moins durant plus d’un demi-siècle de vie privée, que dans les trois ou quatre années de sa vie militante. Elle a saisi l’aiguille et le fuseau, si j’ose ainsi le dire, à la façon chevaleresque dont tous les siens avaient pris le glaive ou le fusil, et les expéditions de sa charité ont rivalisé avec celles de leur valeur : Et digiti ejus appréhenderont fusurn. Mais, avant d’aborder ce sujet, laissez-moi dire un instant comment elle a manié la plume.

O) Bossuet, Oraison /Untbre du ptHnee de Condd,

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Écrire dos mémoires, c’est un écueil dangereux contre. teqqel vient échouer et périr la modestie et souvent la sincérité dos ^OR ynjgpires ti Qui do nous n’a éprouvé quoique impatience à la. lecture do cos sorte ? d’écrits ? Do nos jours surtout, U n’est si petit astre qui ne se pose en soleil, qui no s’installe au centre do tout le système, et qui /ne fasse graviter le niondè entier aytour de soi, Là, vous voyez l’orgueil déni** grer toutes les supériorités qui l’offusquent, grandir les médiocrités qui le mettent en relief, présenter sous un jour complaisant ses propres actions, dissimuler ses fautes dans une habile réticence, enfler les événements auxquels il a été mêlé, déprécier ceux qui n’ont pas eu besoin de sa participation, coudoyer, froisser, irriter tous les amours propres, provoquer mille protestations, mille rectifications, enfin livrer à la postérité des documents qui ne sont bons qu’à faire mentir l’histoire, si l’histoire, comme il arrive souvent, n’en sait pas discerner le vice.

Les Mémoires dé l’illustre veuve sont b l’abri de tous ces reproches. Elle a pu le dire avec vérité : elle n’a point voulu, faire un livre, et n’a jamais songé à être un auteur. C’est à cause de ses, enfants qu’elle a eu le courage d’achever ces Mémoires telle s’est fait un triste plaisir de leur raconter les détails glorieux de la vie et de la mort de leurs parents, parce qu’elle a cru que ce simple récit, écrit par leur mère, leur inspirerait un sentiment plus tendre et plus filial pour leur honorable mémoire. Mais elle a regardé aussi comme un devoir de rendre hommage à leurs braves compagnons d’armes*.« Je n’a ! pu, dit-elle, et je n’ai voulu écrire que ce dont je me souvenais parfaitement ; et c’est seulement par ignorance que je passe souvent sous silence ou ne fais qu’indiquer des actions ou des personnes qui mériteraient à tous égards les éloges* Mon cœur ne sera satisfait que si d’autres, mieux Instruits, leur rendent la justice qui leur est due (i). » Dans ces lignes, comme dans le livre tout entier, respirent la probité historique, l’amour de. la vérité et le noble désintéressement des belles âmes. Qu’on Use le portrait de Catheltneau, l’héroïque paysan de l’Anjou, et qu’on dise s’il a été tracé avec moins d’amour et d’enthousiasme que celui même de. Lescurc. Il y a dans cette rédaction rapide des coups de pinceau qu’envieraient les grands maîtres dans l’art d’écrire. Le caractère de notre Bocage, la trempe d’esprit des Vendéens, ce mélange de respect

(t) Mémoires, p. 8.

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ot légalité, d’dbéieaanco et do franc-parler, d’égorda hiérarchiques et do confiance familière* ce» soldats aveuglément soumis au moment du combat, et, hors de lit) se regardant comme tout à /ait libres : tout cela est, pour ainsi dire) la nature prise sur le fait ; et quiconque a voulu parler exactement des mœurs do ce peuple o emprunté ses principales descriptions au livre de la marquise de La Rochefaquelcln.

Le personnage qu’elle a représenté le plus au naturel) c’est Incontestablement Henri. Elle était k Cllsson près de lui, et son visage subitement transfiguré vint en quelque sorte se peindre sous sa plume, le four où le jeune héros, irrévocablement fixé dans la résolution de se battre, « prit tout à coup cet air fier ot martial, ce regard d’algie, que depuis il ne quitta plus(r).»Et quand survint la mort de cet ange des combats, voici comment elle la raconte : « Ainsi finit, & vingt et un ans, celui des chefs de la Vendée dont la carrière a été la plus brillante. Il était l’idole de son armée t encore k. présent, quand les anciens Vendéens se rappellent l’ardeur et l’éclat de son courage, sa modestie, sa facilité, et ce caractère de héros et de bon enfant, ils parlent de lui avec 'fierté et avec amour : il n’est pas un paysan dont on ne voie le regard s’animer quand U raconte comment il a servi sous Monsieur Henri (a). » Hérodote ou Plutarque, Tite-Lîve ou Quintc-Curce n’auraient pas mieux dit. Mais laissons l’art de bien dire et ne considérons plus que celui de bien faire.

11 n’est peut-être aucune province de la France, vous le savez, mes frères, où les conditions diverses, de la société, mais particulièrement le gentilhomme et le paysan, aient toujours eu plus de points de rapprochement et de contact, que dans cette contrée de la Gàtine et du Bocage. La noblesse, en ce pays, avait assez fol en elle-même pour ne pas rechercher cette grandeur factice qui a besoin de se rehausser par la fierté, et elle avait surtout une foi religieuse assez vive et assez pratique pour comprendre que de chrétien k chrétien et de Français à. Français, ce qui veut dire d’homme libre à homme libre, la distance du rang ne doit se laisser apercevoir que par la supériorité de l’éducation et des bienfaits. Le peuple, de son côté, savait par expérience que ses maîtres ne cherchaient jamais à l’humilier par un : faste arrogant, ni k l’asservir même par leurs bienfaits ;.et U sentait

(i) Mémoire*, G* édit, p. 1 13.

(a) Mémoire/, 6 * édit., p. 465.

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pour eux, doits son cœur, un respect si vrai et un amour si sincère, (ju’il notait jamais exposé à sortir des bornes do la réserve en les approchant avec liberté. Do là, ce phénomène inconnu presque partout ailleurs : une noblesse affablo et honorée, s’appuyant sur un peuple fier et soumis. C’est de cet échangé de procédés entre les grands et les petits, de ce respect mutuel des droits, de cot accomplissement réciproque des devoirs, ou plutôt de co soin que l’on prenait dos deux côtés d’accorder plus que le droit et d’observer plus que le dovoir, c’est do là, dis-je, qu’est sortie la guerre magnanime dos provinces de l’Ouest, guerre impossible partout où la défiance et la séparation des castes empêchèrent le peuple de se donner des chefs, les soigneurs de trouver des soldats. La religion avait créé ces bienheureux rapports, la guerre les fortifia. Parce que cette guerre jaillissait des entrailles du peuple, la noblesse voulut que le peuple en eût la principale gloire ; par un sentiment de juste délicatesse, elle fat unanime ô se soumettre tout d’abord & un généralissime sorti des rangs du peuple, au brave et pieux Cathelincau.

Durant tout le cours de la guerre, disent les Mémoires de l’Illustré marquise, « les gentilshommes avaient toujours grand soin de traiter d’égal à égal chaque officier paysan. Ceux-ci pourtant ne l’exigeaient pas ; parfois ils quittaient la table de l’état-major, disant qu’ils n’étalent pas faits pour dîner avec nous, et Us ne cédaient qu’à nos Instances. L’égalité, ajoutc-t-cUe, régnait bien plus dans l’armée vendéenne que dans celle de la république, au point que j’ignore encore, ou n’ai appris que depuis, si la plupart de nos officiers étaient nobles ou bourgeois ; on ne s’en informait jamais, on ne regardait qu’au mérite : ce sentiment était juste et naturel, 11 partait du cœur et, sans être inspiré par la politique, U y était trop conforme pour n’être pas général (t). »

Mais, si la condition des armes avait établi l’égalité durant la guerre, après la guerre terminée, l’inégalité des fortunes reparut. A part quelques talents supérieurs qui conquirent un rang plus élevé, la foule de ces vaillants soldats, de ces braves officiers retourna vers les champs, vers la métairie, vers le village. La Vendée s’était battue par conscience et par devoir, elle rie demandait pas de récompense humaine. Des centaines de Cîncinnatus, après avoir déposé le glaive,

(i) Mémoire », 6* édit., p. aoo,

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reprirent modestement la charrue» Mal», hélas I lia retrouvèrent Je métairie ruinée, la maison pillée, le village incendié» La misère, la détresse furent partout. De ce jour, la vie de lo vouve de. Loscure, devenue marquise de La Rochejaquelcin, ne fut qu’un long héroïsme de charité» Elle n’a plus qu’une pensée s’adoucir le sort de ses chers Vendéens, soulager ces vénérables familles qui, après avoir si bien mérité de la religion et de la patrie, sont retombées dans la gène et dans les souffrances» Tant que le trône lui parut accessible, elle se condamna au rôle ingrat do solliciteuse. Autant elle se résignait à être oubliée elle-mÔmc, autant elle était ardente à plaider la cause de ces intéressantes victimes de la üdélité, qu’elle était d’ailleurs la première à secourir.

Çe n’était pas assez pour elle d’envoyer à des multitudes de métayers indigents tout l’argent dont elle pouvait disposer après avoir satisfait aux besoins de sa nombreuse famille ; non, l’argent, il n’y a qu’un mérite vulgaire & le donner quand on l’a. Elle fera plus, elle se condamnera clic-même au travail, à un travail incessant. Je l’ai dit et je veux le répéter telle s’est armée de l’aiguille et du fuseau ovec une énergie que j’appellerai martiale : Et digiti ejus appréhenderont fusum. Depuis la première aube du matin jusqu’à l’heure la plus avancée du soir, durant plus de cinquante ans, on l’a vue occupée à préparer de ses mains des habits de laine, des vêtements de toutes les tailles, pour les vieillards, les femmes, les nouveau-nés ; elle connaissait par cœur toutes les familles, elle savait l’histoire des nouvelles générations, le nom et l’âge des enfants. Chacun de ses ouvrages avait donc sa destination marquée, qui le rendait encore plus précieux pour celui auquel U parvenait et dont il excitait toujours l’attendrissement. Elle s’encourageait elle-même dans son labeur par la pensée du bonheur qu’il procurerait à celui qu’elle avait en vue. Elle y mettait une sorte d’enthousiasme et comme une ardeur guerrière. Aussi, malgré la cruelle cécité dont elle ne tarda pas à être frappée, rien no pouvait k détourner de son œuvre.

Tandis qu’elle dictait ces longues et charmantes lettres dont sa chère Vendée était presque toujours l’objet, ses doigts travaillaient encore. Durant ces délicieux récits qui tenaient autour d’elle la famille attentive, qui suspendaient toute l’assistance à ses lèvres, elle n’abandonnait point son tissu de laine ; tout au plus, dans le feu de la narration, quittait-elle un instant l’aiguille qu’elle enfonçait alors

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dans la blanche ethbondamü chovelurequi couvrait ton vénérable front ; mais, un moment après, elle reprenait ton cher instrument et poursuivait sa trame avec son discours. Noble mercenaire» le matin elle «‘était Imposé m tache, et elle n’était pas satisfaite d’clle-mêmô quènd, & là fin du jour, elle ne l’avait pas achevée. L’Esprit-Saint dit que la femme forte a travaillé la laine et le fin ovoc des mains pleines de résolution t Linum et tenant opérât* est consltio manuum suarum : de sorte qu’ello est par sa prévoyance comme levalssoau d’un armateur» qui envoie le fruit de ses travaux chez les étrangers et qui apporte de loin son pain : Facta est quasi ttavis institaris, 4e longe potians panent suum <r). Ces paroles s’appliquent d’elles-mômes à notre charitable héroïne. Et je n’cxagôro rien on disant que les chariots de guerre qui suivaient la grandé armée vendéenne ne suffiraient pas a contenir toutes les provisions que l’infatigable industrie de cotte sainte, femme expédia dans ces contrées durant un demi-siècle.

C’est ainsi que par l’empire de sa charité elle se gagna tous les coeurs, et que le beau nom de La Rochejaqueleln, tant Illustré -déjà par le courage, acquit un nouveau lustre et de nouveaux droits- à l’admiration et à l’amour de cette contrée.

Un souvenir desAétfes des Apôtres s’est présenté à mon esprit, Une pieuse femme, nommée Dorcas» mûrie pour le de ! par ses bonnes œuvres et ses aumônes, venait de mourir à Joppé. Pierre, le. prince du collège apostolique, fiit prié de s’y rendre ; et quand il fut arrivé auprès du corps de la défunte, les veuves l’entourèrent en pleurant et en lui montrant les robes et les habits que leur faisait Dorcas (à). Pour moi, mes frères^ je ne saurais dire ce que j’ai trouvé ici de plus tou* chant depuis trois jours i ou bien cette foule d’hommes distingués, et ces vieux capitaines de paroisse, et tous ces braves paysans venant rendre hommage sur ce cercueil à la mémoire des anciens généraux qui les ont menés ou qui ont mené leurs pères au combat ; ou bien ces multitudes d’hommes, de femmes et d’enfants fondant en pleurs et nous montrant les tuniques, les robes et les vêtements que cette illustre Dorcas leur faisait : Et circumsteterunt ilium fientes et ostendentes el tunlcas et vestes quas/aclebat ilUs Dorcas.

Aussi, mes frères, comment douter des miséricordes de Notre*

(*) Prov. xxxi, 13, 14.

(s) Aet, ix, 36 et soq.

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Seigneur Jésus-Christ envers «a servante quW vient d’appeler A lui ?

« jbe royaume des deux souffre violence, et ]e», yîqfont 9 Jo revis* sent (*). » Orf le rôle du Courage, vousavoz vu comment cette iâirçme l’a rempli ; et le Seigneur qui couronne le courage, couronne aussi la charité r« J’ai eu faim, dira-t-il, et vous m’avez donné, à manger ? j’ai été nu, et vous m’avez vêtu (a), » Or, le rôle de la charité, je viens do vous dire èt>vous savez mieux que moi combien elle y a excellé, Certes, elle n’a pas connu cot égoïsme qui mange son.pain dans l’olsl ? voté : Et panent otimnon cmédit.{ 3). Elle a partagé son pain avec les indigents et couvert leur nudité avec ses vêtements (4), Et quelle autre des vertus chrétiennes n’a-t-on pas admirée on elle ?. Elle avait la. fol des temps antiques, la candide simplicité des premiers. âges, . un esprit do prière et des habitudes de piété qui se montrèrent jusque dans -ses dernières paroles et dans ses derniers mouvements. Son eccur, ouvert & tous par la charité, était pour ses enfants et pour tous les siens un trésor inépuisable de tendresse et de dévouement. Son âme était affectueuse autant que pure, et tous ceux qui l’approchaient ont pu connaître que la chaleur et la. vivacité de ses sentiments égalaient l’exquise délicatesse de sa conscience.

Lescure mourant avait adressé à sa. bien-aimée compagne ces dernières paroles, qui sont les paroles d’un prédestiné ; « Chère amie, . je vais te quitter : ta douleur seule me fait regretter la vie ; pour moi, je meurs tranquille. Assurément j’ai péché, mais cependant je n ?ai rien fait qui puisse me donner des remords et troubler ma conscience ; j’ai toujours servi Dieu avec piété, j’ai combattu et je meurs pour lui, j’espère en sa miséricorde. J’ai vu souvent la mort de près et je ne la crains pas, .. Console-tol en songeant que je serai au ciel ï Dieu m’inspire cette confiance (5), » Noble famille qui fondez en larmes, vous qui avez entouré cette belle vieillesse de tant de soins et de tant d’amour, votre mère, aurait eu le droit de vous répéter mot pour mot, à son lit de mort, ces mêmes paroles. Mais puisque le coup dont elle a été frappée ne le lui a pas permis, c’est moi qui vous dirai avec l’autorité de mon ministère t « Consolez-vous en songeant qu’elle est au ciel :

(i) Matth. xi, m.

(a) Matth. xxv, 35.

(3) Prov. xxxi, * 7.

(4) Tob. t, 30.

(5) Mémoires, p. 398. — 0» édit., p. 3»4*

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— 494 —

« os vertus ot la ferveur de tant de prières me domtont cette confiance. » Elle y priera pour vous, elle y priera pour tout ce peuple, et le Seigneur se montrera facile & l’exaucer. Car l’Écriture me dit que quand Dieu regarde du haut do sa demeure sainte, ses yeux s’abaissent avec une complaisance particulière sur les enfants de ceux qui ont étd enchaînés ou massacrés pour sa cause, et quand U déploie toute la longueur de son bras, c’est pour bénir et protéger les fils de ceux qui ont été tués Dominus prospect de exceiso sancto suc i, ut audiret gemitus compeditorum, ut sotveret flios intermpto* rum (t).

Seigneur mon Dieu, Us sont accourus ici en grand nombre et Ils se trouvent dans tous les rangs de cette assistance, les rejetons de vos soldats et de vos martyrs. Mon cœur a besoin de vous faire cette prière du Psalmlste : Étendes, Seigneur, votre bras puissant, allongea votre main paternelle, et prenez possession pour toujours des descendants de ceux qui ont donné leur vie pour vous ! Secundum magni tudinem brachii tui> posslde filios mortificatorum (a). Que cette génération demeure à jamais une génération de vrais chrétiens et de vrais Français l Que les mœurs antiques se conservent toujours dans cette province privilégiée, et qu’elle garde son énergie avec sa simplicité ! Que cette terre du dévouement et de l’honneur reste invariablement fidèle & toutes les pratiques comme à toutes les croyances de la religion qu’elle a défendue au prix do tant de courage et de tant de sacrifices, de cette religion qui enfante les vertus chrétiennes, et qui est le principe de tous les biens pour le temps et pour l’éternité, Ainsi soit-il,

(i) Psslm. et, ao, ai.

(a) P«lm. utxviu, it.

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i i,

TABLE

DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX CITÉS DANS L’OUVRAGE

Louis XV, 17, 38, 46.

Mesdames, filles de Louis XV, 17 à 19, sa, 3 a, 33, 35, 38, 3 g, 5 i h 53, 56 à 58, 6a«

Louis XVI, 18 à ao, 3 g, 43 h 47, Si, 54, 56, 57, 60, 66, 73, 81, 455, Marie-Antoinette, 18, 45, 46, 56, 66 à 68, 3 oo, 3 oi.

Lus ENFANTS OS FRANCE, 43 & 46, 67,

Monsieur, comte de Provence (Louis XVIII), 18, 3 i, 49, 61, 7a, t 3 g, ai 3, 454, 460, 465,

Le cours d’Artois (Charles X), 61, 7a, ai 5, 454, 460.

Lss ducs d’Anooulémk bt os Bbrri, 34, 43.

Le Duc d’Orléans, 4a, 5 o.

Lss princes d’Orléans, ao, ai*

. Ls PRINCE DS CONDÉ, l 3 g, 140.

Ls DUC DS PsNTHtÈVRE, 71, 7a.

La princesse db Lamballs, 43, 66 k 73, 80, 93.

Ls pape Pis VI, 6a, 63, 314.

L’impératrice Élisabeth de Russie, 3 /.

L’impératrice reine de Honoris, 70.

Le roi de Suède, Gustave III, 19,

Napoléon Bonaparte, 460, 46a, 463.

Appât (M** d*) f 33.

Agathe, 79, 374, 379, a8a, a 83, 397, $01, 3 oa, 3 ai> 3 aa, 356, 407, 409, 417, 419 A 43a, 438.

Aimiult, 137, ao 5, 336, 334.

Alençon, 349, 4 *6.

Allaw, i* 3, 114, lai, i» 5, 136.

Allard, aaa, a 3 a, 304, 3 * 3, 3 aa, 3 a 8, 333, 349, 36 i, 443, 444.

Amailtoux, 190, tgi, 196, ao3, 356, 36a.

Ancenis, 370, 374, 375, 3 * 5, 35 g i 363, 3 r», 1041 4°5, 4 * 5 » 4*6, 4*5, 43 *, 433, 434, 44*, 447, 448.

Angers, *37, 186, 187, 3*3, 336, a 3 o, « 33, 340, 53, 378, 393, 3 * 6, 3 19, 335, 337, 33 g, 34* à 346, 348, 357, 55 g, 407, 436, 4ÎI, 444 » 449 * AngotUéme, 93, 136.

Antrain f 3 * 3, 334, 3 s 5, 33 o, 33 a, 333, 335, 336.

A rgenton-Chateau, 134, *ag, * 3 i, 171.

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496

ArmailmI (d*), 365.

AeTORO (tf), 41.

Auàiers (les), 114 k ttô, nB à fit,

., 171,953. -

Aotichaw* (»’), 61, fia, >81, aofi, #«9,

  1. 65, #68, #70, #74, # 75, 3 « 8, 33 o,

355, 4 # 4 » 44 1,

Auxerre, $4,

Auxok (A #6, 66, 04, tu, ita, i ?o, 146, 195, uoo, # 5 a, 3 o 4, 4*7,

A vestac, 406,

Awanches, 3 o 5, 3 ia, 3) 3, 3 i 6 h 3 t 8, 346,

Avril, #44.

Aykn {duc d’), 5 o, 53.

Baillrhachr (chevalier de), 334.

Bd/e, 34.

Barantk (de), 463, 464.

Barbikr 00 Fontrny, 400, 40a.

Barrot, 44#,

Barrubl (abW), #6.

Batv, 104, io 5.

Baudrv, 180.

Baudot d’Assok, 91, aat.

B AU DRY os Butràvault, #o 6.

Baugé, 344.

Bayonne, 4$i, 454.

Brauchanp (de), 430, 44 t.

Bsaocorm (de), 445.

Becwgvncy, 84.

Beaulieu, ni,

Beaupréau, 80, # 36, 187, 18a, #55 à

  • 57, #59, #6t à #64, a 66, #68, 36 o,

43a.

Bsaursoard, 96.

BxAtmtvAttiR (chevalier de), 14a, 160, 191, 36 o, 489, 44a.

Béarn te, # 63.

Bsauta» (de), 309, 36 t.

Bsauvolubr (de), i 3 t, t 3 a, t 5 t & t 53, 169, 170, 180, 191, aoo, ato, aSt,

  1. 4Î, #48, 354, 360, a6i, #66, #79,

28#, #94, 3 ot h 304, 3 o 7, |o8, 3 t a, 317 & 3 tg, 3 at, 3 »a, 34a, 346, 356, 365, 408, 436, 4$o, 441.

BdtARiï (de), #06, ai t, 44a.

Bxllrvuk, 44a,

Bcllevue (château 4e), 3a, 57, 58,

Bdo» (M«.de), 3a.

Bsrnard, 145, '

8brnrt2 (de), 44a.

BsRNtnt (abbd), 15Û, 166, 167, 841, #56,

  1. 77, 3)4, 315, 3*7, 36), 3 q 6, 437,

440» 44

Bsrnis (vicomtesse de), 80.

BfRRARD, 309, 437.

BSRYIN, 3 lt.

Besné, 381, 385.

Bsvrrbr (général), 189, #40, #43,

Birard, t 55,) 56, .

Bittv, 371, 37#, 38a, 387, 588.

Biné, 43a.

Birrt, 36 o,

Biron (général), 190.

BMgnac (chdteau de), 58.

Btaln, 364, 395, 399 A 401, 404, 406, 407, 433, 434, 437, 440, 442.

Blaye, 61, ..

Blouw, 14$.

Boot, 167.

Boom, 467.

Boit-Dlvet (le), 385, %, 38 g.

BoiftOAUTHIRR, 375.

Boit*Grolleau (le), 119.

Boitmé, 9a.

BotsunUu (de), 173, 186, #55, 337 * ^41.

Boi*v(de), 14), 159, 179,227, #55, 375, 43 t, 43 a.

Bonckarm (de), tôt, u 5, 119, 187, 149, 141, 148, tS 3, t 5 g, 161, 167, 174, 175, 18t, 188, too, #07 h #09, #14, a#6, #27, aao, # 3 o, # 33, #37, 24a* -

  1. 44, #49, # 5 t, # 5 a, # 55, à St, # 6t,
  2. 63, # 65, #70, 37a, #75, 3 o 5, 3 o 8,

3 10, 417.

Boncrasm (M-* de), #71, 310, 33 o, 354, 409, 415, 417, 4#

Bonin, 143.

Bonnat (M«* de), 409, 417.

Bonnetière (la), 385.

Bonrol (de), 4t.

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Bontsmw, 360, a6i, 282, 397, 35 », 3 go,

Borda (de), 453.

Bordeaux, 61, 73, aoS, 406, 437, 431, 449, 450, 463.

Bororrrau (Ronéo), 337.

Boum db Marion ? (général), 341.

Boulqye (château de ta), 65, i 3 o, 146, 149, * 58, 171, 179, 181, 184, 191, 194, *98, aoo, 304, ao 5, 310, 311, 314, a 3 i, « 35, 047, 350, 351, 354, 439, 437.

Bouras«rav, 144, 34a, 397.

BoURAMBAU DR LA RKNOLLlitRRi *(>7.

Bourrottr, a 3 o.

Boutai, 467.

Boutsllirr un Homrllb», 167.

Bouvron, 403.

Braucourt (de), 143.

Bréoiard, 170.

Bressuire, 85, 86, 89, 90, 93, 103, *o 3, io 5 à 107, Ii 3 à it$, 117, 119, 139,

  • 33 à i 3 a, *34 k * 3 6, *39, 140, 143,

146, 150, 157, 197, 334, 349 k a 53, 357, 364, 376, 436.

Brienbç, 34, 35.

Brilloirr (chevalier du), aSy. Brimborion (château de), 3 a, 33.

Brin (abbé), i 58, 159, 167,356. Brissac, 87, 337, 340.

Brivazac (M-do), 34.

Broutsay (château du), 399 à 402.

Bruc (M** do), a 38.

BruNTT DS LA CltARtR, 319, 44 ** Burkau DS LA BÂtardiArr, 414, 428. Cacqusray (de), 441.

Cadet, 191, 36 a.

Cadoudal, 460.

Cadt, 144, 396, 442.

Caen, 3 i 6.

Caoliostro, 34, 35.

Caillaud (abbé), 93.

Calas*», 444.

Cala» (de), 91.

Calvimont (de), 41, 5 o, St, 69.

Camp bon, 388, $90 k 394.

Camclaux (général), 448.

Candd, 379, 38$, 384, 386, 441. Canrllr, 43t.

Carria (M«»), 373, 373, 887, 398, 407, 409, 41 3.

Carrirr, 418, 444.

Carriers, * 63, 166, 441.

Casamajor, 459.

CAftTRIM (do), 464.

Cathrlwbau, 101, i 38, 14a, i 58, 174, 175 » «79» 18 °» *89, 190, 307, 27$, 36 o, 433, 445.

Ccri\ay % ao 5, a 5 i, 437.

Crsbron d’Aroonns, a 65, 371.

ChaUant, 89, 99.

Chantaceaux, vjb.

Chantonnay, 100, ao 5 h 307, 32a, sa 3, 336, 340, 347, a 5 i.

Ciiantrsau (do), 219.

Chanteaux, 100.

Chapelle-Launay (la), 37a.

Charktts, 99, 129, i 3 y, 149, 184, i 85,

188, t 80, 2Ô7 4 210, 219, 330, 232,

226, a 33, a 38, 240, 342 k 344, 247,

  • 4 $ 3 ?6, * 7 ®. * 79. *90.

3 o 8, 376, 383, 408, 410, 414, 416, 4 * 7, 43 ». 4 Î 4. 436 k 440, 443, 444. Cnarlxs, 376.

Ckaotsllux (comtesœ de), 18, 19, 3a, 56, 63.

Châtaigneraie (la), tiy, i 53, 154, i 56, 5 g, 187, 192, 240, 247 à 249, a 5 r, 25 a, 257, 264, 284,

Château’Qontier, 386, 387, 291 k ag 3,

Châteaunettf, 309.

Châtillon, 89, 90, 93, 108, 114, it 5, 126 à 128, t 3 o, tfô, i 38, 146, 1 58, 167, 169, 170, 180, 194 k 196, 198 k 202, 204, 2ô 5, 221, 324, a 3 i, 245 A 247, a 5 o, 253, a 55 & a 58.

Chaudron, t 3 o, 264, a 65.

Chemilté, tôt, 11 5, 119, x 36, 363, 263, 280,

Crkonisr (du), 164, 186, 363, 443. Custou, 443.

Chiché, 436.

3 s

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Çhittoft, 183, 196.

Cltolet, 69» 101, à 5, 119, 1 3 (5, 137, 145,

r ?», /M, a©/, «9, 337, Ml, 844,

3S1 & 893, a 55, 357, 399 & 363, 3C4 A 366, 4/3.

Ctioupm (do) ; 340.

Cltrati (château de), 5 g, 73, 406,407, 4 t 3, 450, 431,

Ci vrac (due do), <7, 3 a, 33, 93.

Ci vrac (duchesse de), 17, 19 h 33, 9 o & 33, 37, 38.

Civrac (abbesse do), g 3, 07, 107, tao, 146, 300, a 5 t, 359, 303, 369. 360, 37$, 378, 383, 384, 340 k 343, 35 g.

Civrac (marquis do), 19, 34, 3 g, 58,

Clos, 388.

CLRft&JUMALU, 131, 133,

CUsson, 333, 343, 343, 348, a 5 1.

Ctisson (château de), 64, 85, 87, 93, 94 5 g 6, 103, /o 5, 109, 111, n 3, it 5, 133, 13$, 137, 139, t 3 o, i 3 a, i 33, 191, 199. 194, 196, 380, 439, 436. Cobientf, 69, 73.

Cocharo (Laurent), 373, 377, 385, 386, 448.

Collet, 49.

Conçus (do), 195, aoo, 306, 335, 436, 4*7» 448» 440*

Concise (château de), aoo.

Concourson, 173. Cor»ill£ (abbé), 40$. CORNATItt, 356.

Coron, (36, 339, a 3 i.

Cottbt, 407, 433.

Coocy (Mgr de), ga.

Coodratr, 167.

Coustu» (de), 143.

Coürct (de), 73, 85, 304, 406, 449, 45t. Courtay, 181, 194, 331, a 36.

CotnuwAU db Upmay, 169.

Coutt, 355.

Craon, sg 3, 35 g.

Cmmay (de), . 56.

Crossac, 3y3.

Cuissard (M«* de), 3 i 8, 433.

CtmoNT (de), 306, 308,

Cypribk, 385.

Dallais (abbé), 3 oi, 3 o 3, 3 o 5.

Dampierre (château de), 43. ÜANYAIID-DUR&UT, 186, so 3, 363, 441 à 443.

Darornt, 38 a, 383.

Drlouciik, 91.

Dbschamm. lat.

Dt 8 CRM 80 NlàRR, 4$6.

Dus Orkbaux, 398, 3 oi, 3 oa.

DrspriU, 384,

Dsvnaut, 456.

Diwbac» (do), 39, 84, 70, 73, 433. Dirusib (do), 143.

Dijon, 34.

Dinan, 3 at, 334, 339, 33 1, 335.

Dot, 313, 3 (5, 3 ai, 334, 33 1 ù 333, 335 h 337, 356, 446.

DONMAIONé (de), 140, 141, 160, 175, 176, 183.

Donges, 373, $79, 385.

Donkiman (marquis de), 18, 33, 34, 49, 5 o, 54, 58, $9, 63, 70. 7a, 76, 79, 8a, 1 13, 139, i 33, i 35, 189, 148, i 53, 0 » * 73 * > 79 * 90 *°° *®8 337, 348, a 5 o à a 53, 373, 376 à 378,

S ? % 3 ?L 4 ï£ «ï Isi* !&

937, 330, 940, 943, 353, 394» 00*»

366, 377, 3 go, 396, 406, 407, 480, 43 l.

Donnissan (marquise de), 18 & 30, a 3, 36, 3 a, 33, 35, 36, 38 à 41, 44, 47, 5 o, 53, 54 à 63, 70, 73, 7$, 76, 78 à 80,83, 93, 93, 06, 97, 106, 107, m, 1 > 3, 137, ia8, i 3 o, 146, 194, 300, 333, a 5 o, 301, 355, a6a, 373, 378, 380, 381, 3 o 3, 334, 337, 3 ag, 339, 540, 343, 343, 35 4, 355, 359, 36 a, 365 k 367, 36g, 3 m, 377. 378, 38 i, 383 k 388, 390 à 394, 3 g 8 à 401, 408, 406, 407, 413, 433, 437, 446 à 449, 481, 453, 456, 463.

Douâ, 187, 171 à 178, 177, 349, 337, DouastN (abbé), a 3 g, 33 1, 33 a, .

Dréneuc (château du), 3 g 5, 3 96, 3 g 8, 400, 403, 403, 405, 407, 408, 413, 433.

Dre&nav (marquis du), 3 u, 3 g 5. Duchaffault, 359, 383, 441. Duchastil, 9t.

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-499

DuchAtkl, 4M,

DuaurtHK DK Ornant, 3»8, 3ag, 350, 441. Du Qvuecuu,)94«

Duftoux (chevalier), 143, <59, a65, 387, 807, 348, 335. 441.

Duuoux d’Haut roi vn, 141, t ?o* »Ba,

337. 350, . 375, 36c, 43 1 A 433.

Ovnaonv, 397.

DUNOU8TI«R», 391, 395 & 409, 413. Dundas (lord), ai 1.

Durand, 18t.

Durant, 454.

DuvMiàrt (château de ta), 93, ao 1, 435, 456,

Ûuroc, 463.

Dvry dx Bsauvais, a 66.

Dutsu, (père), 34, 35,

Ectmbroignes (tes), 8 g, 11 6, 343, 397.

Ebxitt (d*), roi, u5, 119, 137, 189 A 141, 148, 154, 1 58, >73, 179, 307 A

300, 3(4, 330, 331, 336, 337, 3AO,

349, 344, 34S, aï» A 353, 355, 356, 365, 375, 417, 437, 431, 433, 445.

Entrâmes, 393.

Son (chevalier d*>, 37, 38.

Ermenonville {château <t), r 5 A 39. Entée, 3 or, 3oa, 337.

Escurayt {château de V), 367.

Ejmont (d'), (37, 188, 3io, 315, 354, 308, 441.

Ewivsnt ex u VildcourvraV, 367.

Ewartb (de»), 94, 95,97, 1(3, (33, (aû, 137, (33, (35, (44, 146, (65, 166,

  • » 377, 304, 308,

333, $40, 340, 364, 3 97* 430, 43t.

Essarte (tes), 10*.

Estouuuxl (marquise d’), £4.

Pat (de), 3(7.

Fat (M** de), 3 (8.

Fégréae, 3gi, 3g6 & 399, 403, 433. FxRRi, 367 à. 369, 376, 384, 388, 893. Fxu(de), 91.

Fixf (M«** du), 338.

Flaviont (de), 3(0.

Flèche (ta), (86, 337, 345 h 349.

Fmsuriot (de), (41, 18», 190, 308, 3 o 8, 364, 443.

Flkvhy, 8 t.

Fontenay, 87, (87, 154, (55, (58, 150, (63, (66, '170, 179, (8(, (83, so 5, 3(3, 333, 337,

Foerst, (oo, roi, (41, (48, (6r, 163, (83, a 3 (, 344, 383, 384,

Forestier, toi, (3g, (30,141, (83, (88, » 3 o, Sog, 3 (3, 3 a 5, §40, 341, 348, 349, 36 a, 441.

Forêt (château de ta), n 3, 114, (33, 136, (37,

Fougères, 388, 3 oo, 3 oa, 3 o 3, 3 o 5, Sog A 3 (3, 3 x 4, 334, SS ?.

Fouquxt, 430, 433,

Franciixt, 357.

Frbsloh (de), 3 (i.

Gaston, 99, aie.

Ouvre (forêt du), 378, 430.

Gmat, 143.

Genlis (M m de), 30 A 33.

Gérard (M<i*), 381, 384, 438.

Girard dx Braurxpairx, (43, (9», iy 3, 357..

Oirardière (château de ta), 437.

Girardih (marquis de), a 5.

GoDILLON, 344,

Goujon, 193.

Gotmxr (Julien), 385, 386, 388, 389.

Granville, agg, 3 oo, 3 (0, 3 ie, 3 (3, 3 (5, 3 (6, 334, 339, 348.

Grée (la), 368, 369, 371, 373.

G relier dx Conçue, 306, 443.

Grékion, 73, 76.

Quenrouët, 390, Sgi, 394

Quérande, 3 66, 368, 373, 43 1.

Guxrent (de), 37.

Guignard, 144, a 3 o.

Guillot dx Follevills, (56 A i 5 o, 166, (87, 311, 3(4, 345, 356, 3(4 A 3 (6.

Guy de Salnte-Flaive (château du), 1 03,

Harcourt (d*), 4S.

Harguns (de), 187, 393, 307, 309, 335, 336, 348.

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500

Haüdaudwjc, 409, 416, 417.

Hennetais (la), 37a.

HmsAutT, 3*9, aao, a 3 o, » 55.

Herbiers (les), 100, 10a, io 3, aoo, 204, 306, aaa, sa 3, aaC, 04 j, 248.

Hkblokio, 38 o.

Ingrande, 279, 381 * 38a, 364 Jacquks, 404,

Jaoault, > 36, 167, 307, 264, 380, 3 oi, 3 o 5 » 3 19, 348, 35 1, 355, 366, 36 ;, 369, 87a, 375, 376, 426, 427.

Jaou, 393.

Jatlais, a 14, 436.

Jarry, 363, 44a.

Jar\i, S45.

Jersey (lie 4 e), ai», ,3* 5, 3 io, 3 t 1, 3 » 4.

9 * 7, 3 * 8.

Joly, 240.

Jouannet, 354.

Joubirt (abbé), 9a.

JovBtMtn (M m de), aoo, 433.

JouMXLt* (do), 14a.

Kauhitz (do), 6a.

Krllkr (de), a 17, » 3 o, 334.

La &tooT*fc»« (de), 18a, *99, 357.

La Boutas (comte de), 473.

La Bii&OLifoB (de), 403, 407.

La Cassaiomk (chevalier de), 95, io 3 & to 5, *07, no, m, f* 3, tt 5, taa, 245.

La Cathrlimèri (de), 100.

La Chbvallkrib (M m de), 33 o.

Lacroix (de), a*8, 3 og, 444,

La Fayot-s (de), 47, 5 o à 53.

La Googuttac (de), ato.

La Guàsmtoc (de), *8a, a88.

La Haye wcb Homwc» (de), aa8.

La Lozsrms (de), 49.

La MAMO«tnfc»(de), * 5 i, * 5 a, *54, 161, 334, 436, 44t.

Lamwbityr, 4*7 A 42a.

Lamothk, 441.

LandebaudUre (château de), 214. Lakokri* (de), *53, 433.

Lanoloia, 346.

La PatoogR (de), 14a.

La Rodrir (de), 167, a*o, 347.

La Rocksbrochard (de), 39, a 18.

La RookB’Couroom (de), a 65, 357.

La Rochuoocauld (de), *66.

La Rochwaquklwh (marquis de), 94, aoi, 456 à 459.

La Rockbjaquklsin (M 11 * do), 93, io 3, 108/1*5,180,460,461.

La RocmuAQURMUtt (Henri de), 8*, 8a,

Î 3, 94, 96, *o 3, *04, *06 k ni, 11 3 »(6, 1*9, *ai, taa, ta8 à* 3 t, 134,

  • 38, i$9, *47, *48, *54, * 56, 160, *7*, .

174 à 178, * 83, *85 & *88, *95, *96, « 99 * »o8, an, aao A aaa, aao, aag, a*o, a 3 a, 24*, 34a, 347, a 5 a, a 53, a 5 ?, a 6*, 369, 376 A 378, 387, 388, 39» A 395, 304, 3 o 7, 309, 3 * 4, 3 i 6, 3*7, 3*9 h 3 aa, 33 o, 33 a, 333, 335, 336, J 4 «. 3 ai, 346, 347, 349, 35 o, 353, 356, 35 g A 36 *, 408, 433 A 436, 443, 443, 4®7>

La RoaoyAQüBLWff (Louis de), 456 A 464.

La RocEteJAQUKLStx (Augusto de), 464.

La Rocttft-SAINT’AttMtrt (de), 336, 434, 425.

La SALXomiftg (de), 3 *o, 443,

Las*Gasss (marquise de), 43.

La SoRtnttas (de), 340, a 5 a, 353, s 55. La Tour d’Auvbroxb (de), 464, 455.

La Tréboïli.* (duc de), *87.

La TadsonrH* (do), 304.

LAUORsmtas (de), * 85, 445.

Laval, 379, a88 A 390, 39a, ao 3, au 5 & 3 oo, 3*7, 337. 349, 35 * à 354, 356 à 359, 440.

Lavatsr, 34.

Lavaux, 431, 433.

La V*Ils-Bauoü (de), « 5 e, 160, <76, tôt, *o 3, 348, 379, 304, 3 o 8, 3 * 5, 36 o, 433, 434, 438, 439.

Lavoyrib (M<«* de), 434, 425.

Lawostms (M** de), a*.

Lacune (général), 469.

Lacoxra (général), sa 3.

Ltptaas, 438, 439, 45*.

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L*OMV, 344, 347.

Lb Maiowan, 1C7, 168, «G, 314, 355,

4$»,

Le Nom, 167.

LRSCUR* (comtesse do), 36, 37, flt, 63,

64, 64* ÿ* 1

Uscurk (marquis do), 18, 34 à 30, 44,

404,

Lksuurk (Louis de), 18, 34 h 33, 5 g à 8a, 86, 93, 95 & 98, 104 h tu, n 3, T 3 « h isS, i» 5 'à (Si, J 33 » « 34, < 38, >39, 146 ft i 5 o, i 53, 154, t 5 g & 163, 171, 173, 174, 175, 178 & 18t, 184, t 85, >88, 191 h <99, 303 à 306,308, au, aie à saa, 334 & ait, aS* &a$7, 341 & a 55, 35 ?, s 5 g 4 363, 304^366, 360, 371 à 387, 389, 3 Qo, a 94 '* 3 oG, 3 o§, 337, 35 a, 4 ! 1, 436, 455, 463.

Lkscurk (les petites de), 96, 107, 134, 181, 35 1, 353, 355, 363, 363,373, 374, 378, 38 a, 317, 340, 347, 35 t, 35 a, 354, 359, 377, 387 * Wg, 4 * 3 * 4 * 4. 433, 450.

Lbsmmay (vicomtesse de), 4 *t.

livis (duc de), 4°>

Libourne, 58.

L’Inpkrnat (de), 355.

Lion-d' Angers (le), 393, 393.

Lirxin, 83.

LotSKAU# 176, 344, a 58.

Londres, 46e.

Loues (de), 18, 19, 33, 34, 3g, 4’i, 58, 59, 61, 66, 68, 69, 406.

Lorient, si 3.

Loudun, t 3 t, t 5 t, 174, 180.

Louvoie (château de), 33.

Luçon, 87, 187, uo 5 à 308, 318, 319,

333, 333, 337, 340, 347.

Lux ta, 445.

LusrGKAN-LuztoNKx (de), 53.

Lussac (M**), 406.

Luxembourg (duc do), 40, 43.

Loym&s (duc de), 40, 43.

Ltrot (de), <37, 167, 188, 189, 315, 354, »7*t 3 °®/ 44 *'

MaoCurtain, 414, 41 5, 446. Madiecoul, 89, too, 149, 184, 404. Madrid, 4$4-

Magna n, < 86.

Maonan, 456.

Maitlanb (gdnéral), 458, 459.

MaUièvre, < 3 o, < 56, <98, 300 à aoa, 337.

Mamrt (M»<*), 366, 367, 373, 373, 385, 387, 388, 398, 405, 407, 413,41$.

Mme (te), 349, 3 oo, 345, 348 & 35 o, 353, 355 k % 404» 4 * 8 » 44

Marchand (abbd), 398.

Marion y (do), 64, 65, 69, 74, 75, 86, 96, 107, tu, 137 k.izg, < 33, < 35, 140, 148, 1 53, 154, t$9, 160, 174 & 177, 183, 303, 309, at8, 330, 331, 337, aa8, 348, 38b, 387, 5 o 8, 309, 339, 33 o, 36 a, 365, 378 h 38 o, 38 a, 408, 436 k 439.

Marsanors (chevalier do), 153,3a$, a3o, 44t.

Martigné-Brtant, 337, aa8.

Martin, 144, 29a.

Maufdvrier, i 36, t 38, 434.

Maul£v*ib* (comte de), $09.

Maurktas (comte de), 38.

May (le), 344, aSg.

Mayenne, 3 oo.

Mélinais (la), 38 o, 38 a, 383.

Mbrcy>A»ocmtrau (comte de), 61, 63.

Mesuras (M 11 * des), 436, 437.

Mbsnard (M“* de), 37a, 373.

Mbstam» (l’étrique), 93, aoa.

Meudon, 47.

MtensUH, 167.

Monbauon (comW de), 46a à 464*

Moncoutant, t< 3.

Monoion (de), i 5 t à t 53, 334, 34$, 379, 3 ot, 407, 436, 430.

Monnaand (de), 358.

Montaigu, 89, too, 104, ttS, 137,343.

MoNrssGUiou (comte de), 3 t.

Montfoat, 441.

Montiohac, 3 ai, 3 aa, 3 a 8, 356, 446.

Montjean, a 63, 366.

Moktkorin (de), aa, a 3, 33, 35, 36, 5 a, 53, 73, 75, 93.

Montoir, 87a.

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5oa

Montreuil-Bellay, 17 ?, 174, 338. MontSalnt-Michel (te), 3ia.

Morand, 388.

Moricbt, 495, 496.

Momnais, 169, 991.

Morotlèr e (château de la), 438.

Mortagne, 88, 89, 130, 1 36, 189, 917, 993, 997, 945, 948, 9$0, 955, 950, 438 «

Mortkmart (M 11 ** do), 43,

Motkmva (la), 465.

Mothe-Achard (ta), 444.

Motor, 96, 103, 107, 134.

Moulin, 364.

Moulin*aux-Cltèvres (te), 199, *53. Movniik, 459.

Nancy, 34.

Nantes, 88, 11 5, 137, 185, 188 & 190, 198, 900, 905, 990, 933, 940, 949, 948, 954, a5q, 978, 979, 308, 363, 378, 377, 379, 380, 404 à 410, 413 4 418, 493, 498 à 431, 449,448,449.

N AH&OMM8-FftlTXtAR (dtt), 46. Na»bonn*-Lara (de), 5i, 56.

Nncmm, 41, 48, 49.

Nssdb (de), 169.

Nsvsm (duc do), 17.

Mort, 87, 91, 94, 97, 199, 193, 170, 19*. *94» 4*7*

Nivkrnoi», 904.

Noirmmtier (fie de), *99, 913, 959, 975, 979, 990, 360, 391, 417, 43 1 4 433, 444>

JVort, 189, 36a, 364, 417.

Nodhu (de»), 149, 441.

Nuell, tt6, a53.

OeïtmittM (d*), 999, 3 oo, 307, 3 ia. O’Daly, 144, 445.

Orain (abbé), 397,

Orléans, 84.

O’Svvuvxn, 490, 499.

Oyarfun, 45a, 453.

Pacarxau (révoque), 6 a.

Paillou, 196, 167, 334.

Paimbceuf, 87, 214.

Paix (le prince de la), 454.

pALimmt, 449.

PAUéLA, 99.

Pampetm r, 464,

p * rlt 'J4’a5 j 4®r4f* 47.48, &o, Si, 54, 56, 57, 80, 05 4 69, 71, 79, 83, 84, 90, 93, 06, 97, 1 Sa, 179,974,975, 497, 45a, 464.

Parthenar, 87, 9a, 97, ia5 à 197, f 33, 184, 197, 1 53, 191 4 196, 994, 995, 957.

Pavhot, 980, 981, 984, 498.

Péftisa, 39.

Prrrault (de), 318, 997, 348,961,369, 308, 3)4, 3s8, 44°

PliT (Prançot»), 43a.

Pilais (ta), 388, 3g3.

Pin (le), 194, 345.

Pltren-Mauges (le), toi, 138.

Piquet, 473.

PsfcON (de),)8t, a3o, 308, 346, 441.

Pissotte, 159.

PûCHé’DUAOCHRft, 436.

Poitiers, 60, 95, la», 157, 15g, aoS, aig.

Pommeraiesur-S&pre (la), 181.

Pont merayc-sur-Loi re (ta), 130.

Pontartier, 34.

Pont-Charron (te), 100, 410.

Pont-Château, 371, 379, 380.

Pontonon, 319, 3)7, 319 4 5sx, 394, 325, ,33a 4 336.

Ponts de Cé (tes), a3o, 987.

Pradt («bbé de), 463.

Prinquiau, 367, 379, 3 ?5, 376, 379 4 38a, 385, 386, 388, 3 90 4 392, 413, 433.

PuitAYX (comte de), 396, 363, 441. PtnroD, 305, 334.

Puyguyon (château de), a5i. QuétlNRAU, 131, 194, 149 4 i 5 t, 178.

  • 79 -

Qusyiuaux (abbé), 6».

Quiberon, ai 5.

QutUy, 4» 3.

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Quinault (M“«), 17.

Rambouillet, $4,

RicciitottRVOiem (M”* de), 378 à 38 s, Redon, 364, 3.95, 399, 406, 408. Rmaud Lanoü, 369, 39a.

Rennes, 876, 396, 399, Soo, 3 10, 334, 338, 383,

Rknou, eût,

Rewowwiw (M 1 ** de»), 390, 3 g t, 393 à 395,400,401.

Riallot, 380 & 38a, 384, 385, 388, 393. Richard, ao3, 304, 341, 35.3, 353,443. Richrusu (cardinal de), <35.

R ICI ! RR*SRRI ! Y, 45s & 454.

RiCHCTEAU (do), 91, 190.

Rioaud (gdntfral), 458, 459.

Rixcit», 345, 340, 341,

Rivawlt (du), 318, 354, a$ 5, a 5 g, 384, 373, 383,397 à 399, 3 oi, 317,336,441,

Rom*»», 398, 399, 416, 431, 437. Robin (Jeanne), a 36.

Robin (Pierre), 430.

Roche-Bernard (la), 384, 403. Roche-d’Rrigné (la), a 3 a, a 33. Roehe/M, 65, 31 3, 318, 453.

Rochelle (ta), 31 3, 347, 443.

Rochelle en Figréac (la), 403. Roche-sur » Yon (la), 443. Rookr-Mouunier, 318, 314, 441.

Roots» oc RoratMomr, 170.

Rohan (cardinal de), 19, 30, 3 g.

Rome, 63.

Ratifiais, 353.

Roa (baron de), 57.

Rostaino (de), 3 o 8 t 437, 443.

Rouchrr, 345,

Rotiod (comte de), 413.

Royrand (de), 100, 137, 167, iga.. tgà, ao 5 à 308, 331, 336, 337, 3 08, 314, 344,439.

Ruelle, 414, 4/ 5.

Sablé, 337.

Sables-cTOIonne (tes), 65, 87, 103, 187, 170, 314, 340, 444.

Saint-A ndré-de-CutyaC, 449, Saint-Aubln-de-Baubigné, g 3, 116,460. Saint-Domingue, 467, 469, 464. Sainte-Christine, s66, a8o.

Saint-Florent, 100, 101, aG 3, a 65, 3G6, 368 A 370, 373, 378, 36 o, 36 i, 415. 417, 433.

Saint-Fulgent, 343, 344, 347, 348, Saint-Gilles, at 3.

Saint-Herman t, 333.

Saint-Hilairs (chevalier do), 314, 335. Saint-JeatMl’Angeiy, 438.

Saini-Laurent-tur-Sèpre, 145, r 5 g, 167, 304, a 3 9l *«.

Saint-loup, 336, 334,

Saint-Malxent, 191 à tg 3, 336.

Saint-MicheUMont-Malchus, 33 r. Saint-Malo, 309, 314, ai b, 3 x 3, 3 14. Saint-Mars, 359,

Saint-Sauveur, la 3, 334, 336,3^4,350. Saint-Xavier (mire), 899, 400.

Salins, 34.

Salucks (comte de), 454.

Sanglier (de), i 5 i, i 5 a, 353, 445.. Santrrrs (gdndral), 339, a 3 o, 340. Santiago de Cuba, 45g.

Samnaud oc la Rairib (de), 306, a 50, 439.

Sa finaud ne la Vd*r* (de), too, a 06. Saratow, 46$.

Sauxon (de), 143,

Saulx-Tavannss (duc de), 53.

Saumur, 86, 187, 170 à 175, 177 4 180, 183, 184, i 83, 191, 19 5, 196, 337, 338, 345, 444 » 449 *

. Savtnay, 3 4 5, 304, 365, 3 b], 308, 371, 378 a 38 o, 391, 3 ga, 418, 430, 431.

Savin, 340.

Savonniers* (do), 41, 49, 57,

ScdrsAUX (do), 349, 354, 44*

Segri, 379, 383.

SURENT (de), 19, 34, 43. 44, 66.

Sèvres, 57.

SoübtAC (de), 354.

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Somuiac (do), 19a, 356, 363. SOMMjfeVBB (M 11 * do), 97.

i, t 58, 171,

Sortie, 94,

Soumkr (abbé du), a 3 g.

Soyer, 143, 44 a.

St à Kl (M"* do), 5 i.

Stokflet, 101, à 5, i 3 H, .,

174, i 85, 309, 337, 33a, 348, o 53, 3S4, 377, 393, 394, 3 oo, 307, 309, 3 « 7, 3/9, 339, 33 o, SS», 36 o, 4«, 430 & 44 °* 44 ®» 44 ^i 474 *

Strasbourg, 34.

Suffit km (bailli do), — 140,

Supiot (père), 304, a 3 g.

Talaru (comte do), 5 y.

Talmomd (princo do), 187 à 190,300,337,

. 348, 349, 353, 355, a 65, 368, 37a, 377, 393 k ag 5, 307, 3 : o, 3»7 a 3 ao, 3 o 8, 33 s k 334, 355, 364, 440, 4G4.

Tarante (princo de), 188, oq 3. Tkxier, 148, 148, xâi, 336, Thiamoks (do), 53.

Thomas, 167. Thomas (Jean), 401.

Thomassim, 34, 35, 80 à 86, g 3, loi, to 3, io 5 k 107, 114, >36.

Tmorô (M**), 35 o, 35 t.

Tltouars, 87, to 5, 107, 134, ts 5, i 3 t, > 33, «37, 147, 149, i 5 o, » 53, 157, 169, 173 à 174, 196, 333, 334, s 36, 340.

Tiffa uge», i> 5, 340, 343, 360.

Tinouy (de), 480, 433.

Timtékiac (chevalier de), 309 k 3 16, 3 1 5. TocquA, 358.

Tonnelet, 144, 3 og.

Torfou, 343, ' 343.

Touches (dos), 376.

Toulouse, 455.

Toufi-Lavalette, 404, 405, 40H.

Tourna/, Ci, 467.

Tours, 39, 85, 86, 93, 177, >79, 346, 449*

Touresl {M** de), 67, 73.

Tout -le- Monde, a 5a.

Tranquille, 143.

Treize-Vents, 198, s3i, 33a. Tremblaye (< château de la), 360, 361, 366. Trémentines, 176, a5y, 36a, a8o, 435. Trimoreau, 377, 448.

Trotouim, 170, 445,

Twncq (générai), 330, 333.

Valence (M"* do), ai, 33.

Vandanoron, 143.

Vannes, 189.

Vannier, 339, 446.

Varades, 365, 366, 368, 369, 371 6 375, ®79» ®80, 384, 399, 305, 314, 449.

Varennes, 60.

Verdun, 90.

Versailles, 17, 37, 40 k 45, 47, 48, 50. 55, 57.

Vkrteuil (do), 100, ao5, 306.

Ve fins, 339, 35g.

Vichy, aa.

Vienne, 17.

Vierjçon, ira.

Vihiers, 87, 137, 17t. 173, 309, a3», 340, 338.

Villedieu, 3 16.

Villeneuve du Cazeau, 141, 1 5g, a3o, 308, 314, 441.

ViomKnil (de), 71, 73.

Vitré, 399, 3 00.

Westermann (générât), 196, 197, 199, 301 ft 304, 335, 349 à a5i, a55, 357.

Wimpïten (général), 399.

Yfernay, 11 6.

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TABLE DES MATIÈRES

Préface

t

Dédicace 7

Avant-propos. 9

Chapitre I. — Jusqu’aux États généraux 17

Chapitre II. — Depuis le commencement des États généraux jusqu’à

l’affaire des 5 et 6 octobre 40

Chapitre III. — Depuis le 6 octobre 1789 jusqu’au 10 août 1791 58

Chapitre IV. — Depuis l’affaire du 10 août jusqu’à mon arrivée à Tours 74

Chapitre V. — Depuis mon séjour à Tours jusqu’au i 3 mars 1793, commencement de la guerre de Vendée, .

Chapitre VI. — > Depuis le <3 mars 1793» commencement de la guerre de Vendée, jusqu’au 9 avril, jour de mon arrestation

Chapitre VII. — Depuis le 9 avril 1793» jour de mon arrestation, jusqu’au s mai 1793, jour de la prise de Bressuire…

Chapitre VIII. — Depuis le a mal, jour de la prise de Bressuire, jusqu’au combat de Thouar», le 5 du môme mois

Chapitre IX. — Depuis le 5 mai 1793, jour do la prise de Thouars, jusqu’à la prise de Fontenay-lc*Pcuple, ci-devant le Comte, cheflieu du département de la Vendée.

Chapitre X. — Depuis la prise de Fontenay, en mai 1793, jusqu’à la prise de Saumur.

Chapitre XI. — Depuis la prise de Saumur, vers les premiers jours de juin, jusqu’à îa déroute de Cbâtillon-sun-Sévre

86

99

114

3 t

  • 47

166

184

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506 —

Chapitre XII, — Dupuis la ddrouto du Chûtülon, lus promiera jours do juillet 1793, jusqu’à la seconde bataillo donnée prés de Luçon, le 14 août, . »., … soi

Chapitre XIII. — Depuis le 14 août 1793 jusqu’au second combat de Thouars, vers la fin do septembre 1793. 317

Chapitre XIV. — Depuis te second combut de Thouars, vers lu fin do septembre 1793, jusqu’il la seconde affaire de ChûtUlon, les pre* miers jours d’octobre. s 35

Chapitre XV. — Depuis la bataille de Châtillon, les premiers jours d’octobre, jusqu’au 18 dudit mois, jour du passago dota Loire… sSi

Chapitre XVI. — Depuis le 18 octobre, jour du passage de la Loire, jusqu’au s 3 du même mois, è Laval 368

Chapitre XVII. — Depuis la prise de Laval, le s 3 octobre, jusqu’il la mort de M. de Lcscurc, le 4 novembre.. 389

Chapitrb XVIII. — Depuis la mort de M. de Lcscurc, le 4 novembre, jusqu’il notre retour à Dol.« 307

Chapitre XIX. — Depuis notre retour À Dol jusqu’il la levée du siège d’Angers 334

Chapitre XX. — Depuis la levée du siège d’Angers, vers le I er dé» cembrc, jusqu’il notre troisième entrée à Laval 344

Chapitre XXI. — Depuis notre troisième entrée b I-aval jusque vors le l w janvier 1794. 358

Chapitre XXII. — Depuis le i w janvier 1794 jusqu’au 30 mal suivant. 374

Chapitre XXUI. — Depuis le 30 mai 1794 jusqu’à la fin de décembre suivant 390

Chapitre XXIV. — Depuis la fin de décembre 1794 jusqu’au jour où nous reçûmes l’amnistie, le 3 janvier 1795. 409

Chapitre XXV. — Depuis le jour où je pris l’amnistie jusqu’à mon arrivée à Bordeaux, les premiers jours de février 1795 460

Supplément 45 1

Appendice 466

Cartes.

Oraison funèbre de la Marquise de La Rochejaquelcin… / 4%, … Table alphabétique des noms de personnes et de lieux dedans l’ou -^ 1

vrage.

1

— 1

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PAH1H

IMimtMEHIUS HÈUNIE8, C. — MOTTliROJÎ

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