À tire-d’aile (Jacques Normand)/19

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Calmann Lévy, éditeur (p. 83-84).

XVIII

PRÈS DU MALHEUR.


Vous pour qui l’existence est une route aisée,
Vous qui ne connaissez ni les pleurs, ni l’affront,
Oh ! comme vous devez, près d’une âme brisée,
Sentir pleurer vos yeux et rougir votre front !

Comme le bonheur doit vous sembler égoïste
Comme il doit être lourd au contact du malheur !
Et comme, près d’un cœur éternellement triste,
L’éternelle gaîté doit vous peser au cœur !


Souvent, par charité, rougissants et timides,
Sous le voile discret des mots affectueux,
Vous voulez dérober à ces êtres morbides
Le trop-plein de santé qui rayonne autour d’eux :

Hélas ! plus vous voulez épargner leur tristesse,
Plus, par votre douceur, leur cœur est attristé :
Le pauvre est ainsi fait, qu’auprès de la richesse,
Il prend pour du mépris ce qui n’est que bonté.

Comme la pauvreté, toute douleur extrême
Se détourne toujours du regard des heureux,
Et lorsque ce regard vient la trouver quand même
Loin d’être consolant, il lui semble odieux.

Vous pour qui l’existence est une route aisée,
Vous qui ne connaissez ni les pleurs, ni l’affront,
Oh ! comme vous devez, près d’une âme brisée,
Sentir pleurer vos yeux et rougir votre front !