Élémens de chimie/Partie 1/4

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Imprimerie de Jean-François Picot (p. 52-86).
SECTION QUATRIÈME.


Des substances simples ou élémentaires.


Si nous jettons un coup d’œil sur les systèmes qui ont été successivement formés par les Philosophes, relativement au nombre et à la nature des élémens, nous serons étonnés de la variété prodigieuse qui règne dans leur manière de voir : dans les premiers temps, chacun paroît avoir pris son imagination pour guide, et nous ne trouvons aucun système raisonnable jusqu’au temps où Aristote et Empedocle reconnurent pour élémens l’air, l’eau, la terre et le feu : leur manière de voir a été celle de plusieurs siècles, et il faut convenir que leur opinion étoit bien faite pour captiver tous les esprits ; en effet, on voyoit des masses énormes et des magasins inépuisables de ces quatre principes où la destruction ou décomposition des corps paroissoit rapporter tous les principes que la formation ou la création en avoit tirés ; l’autorité de tous ces grands hommes qui avoient adopté ce système, l’analyse des corps qui ne présentoit que ces quatre principes, étoient des titres bien suffisans pour faire admettre une telle doctrine.

Mais du moment que la chimie s’est crue assez avancée pour connoître les principes des corps, elle a prétendu devoir marquer elle-même le nombre, la nature et le caractère des élémens, et elle a regardé comme principe simple ou élémentaire tout ce qui se refusoit à ses voies de décomposition. En prenant ainsi pour élémens la terme de l’analyse, leur nombre et leur nature doivent varier selon les révolutions et les progrès de la chimie, c’est ce dont on peut s’assurer en consultant tous les Chimistes qui ont écrit sur cette matière depuis Paracelse jusqu’à nous ; et il faut convenir que c’est beaucoup hasarder que de prendre le terme de l’artiste pour celui du créateur, et de s’imaginer que l’état de nos connoissances est un état de perfection.

La dénomination d’élémens devroit donc être effacée d’une nomenclature chimique, ou du moins on ne devroit la considérer que comme faite pour exprimer le dernier degré de nos résultats analytiques ; et c’est sous ce point de vue que nous l’envisagerons.


CHAPITRE PREMIER.

Du Feu.


Le principal agent que la nature emploie pour balancer le pouvoir et l’effet naturel de l’attraction, c’est le feu : par l’effet naturel de l’attraction nous n’aurions que des corps solides et compactes, mais le calorique dispersé inégalement dans les corps tend sans cesse à rompre cette adhésion des molécules, et c’est à lui que nous devons cette variété de consistance sous laquelle se présentent les corps à nos yeux : les diverses substances qui composent cet univers sont donc soumises, d’un côté à une loi générale qui cherche à les rapprocher, de l’autre à un agent puissant qui tend à les éloigner l’une de l’autre ; c’est de l’énergie respective de ces deux forces que dépend la consistance de tous les corps ; lorsque l’affinité prévaut ils sont à l’état solide, ils sont à l’état gazeux lorsque le calorique domine, et l’état liquide paroît être le point d’équilibre entre ces deux puissances.

Il importe donc essentiellement de parler du feu, puisqu’il joue un si beau rôle dans cet univers, et qu’il est impossible de s’occuper d’un corps quelconque sans reconnoître l’influence de cet agent.

Il y a deux choses à considérer dans le feu, la chaleur et la lumière.

Ces deux principes qu’on a très-souvent confondus paroissent très-distincts, puisqu’ils ne sont presque jamais en proportion et que chacun peut exister séparément.

L’acception la plus ordinaire du mot feu comprend chaleur et lumière, et ses principaux phénomènes doivent être connus depuis bien long-temps : la découverte du feu doit être presque aussi ancienne que l’existence de l’espèce humaine sur ce globe ; le choc de deux cailloux, le jeu des météores, l’action des volcans, ont dû en donner la première idée, et il est très-étonnant que les habitans des Isles mariannes ne le connussent point avant l’invasion des Espagnols : ces insulaires qui n’apprirent à connoître ce terrible élément que par ses ravages, le regardoient d’abord comme un être mal-faisant qui s’attachoit à tous les corps et les dévoroit sans les abandonner. V. l’hist, phil. et pol. par M. l’Abbé Raynal.

Les effets du feu sont peut-être ce que la nature nous présente de plus étonnant, et ne soyons pas surpris si tous les anciens l’ont regardé comme un être moyen entre l’esprit et la matière, et ont bâti sur son origine la belle fable de Prométhée.

Nous avons été assez heureux de nos jours pour acquérir des idées saines et étendues sur cet agent, et nous allons les développer dans les deux articles suivans.

ARTICLE PREMIER.

Du calorique & de la Chaleur.

Lorsqu’on chauffe un métal ou un liquide, ces corps se dilatent en tout sens, se réduisent en vapeur, et finissent par disparoître à la vue si on leur applique une plus forte chaleur.

Les corps qui se sont emparés du principe de la chaleur, l’abandonnent avec plus ou moins de facilité : si on observe attentivement un corps qui se refroidit, on verra un léger mouvement d’ondulation dans l’air qui l’entoure, et l’on peut comparer cet effet au phénomène que nous présente le mélange de deux liqueurs de densité et de pesanteur inégales.

Il est difficile de concevoir ce phénomène, sans admettre un fluide particulier qui passe d’abord du corps qui chauffe à celui qui est chauffé, se combine avec le dernier, y produit les effets dont nous venons de parler, et s’échappe ensuite pour s’unir à d’autres corps selon ses affinités et la loi de l’équilibre vers lequel tendent tous les fluides.

Ce fluide de la chaleur que nous appellons calorique est contenu en plus ou moins grande quantité dans les corps, selon les divers degrés d’affinité qu’il a avec eux.

On peut employer divers moyens pour déplacer ou chasser le calorique : le premier, c’est par la voie des affinités ; par exemple, l’eau versée sur l’acide sulfurique chasse la chaleur et prend sa place, et tant qu’il y a dégagement de chaleur le volume du mélange ne s’accroît pas en proportion des substances mélangées, ce qui annonce pénétration, et on ne peut la concevoir qu’en admettant que les parties intégrantes de l’eau prennent la place du calorique à mesure qu’il se dissipe. Le second moyen de précipiter le calorique est le frottement et la compression ; dans ce cas on l’exprime comme on exprime l’eau d’une éponge ; à la vérité toute la chaleur qui peut être produire par le frottement n’est pas fournie par le corps lui-même, parce qu’à mesure que la chaleur intérieure se développe, l’air extérieur agit sur le corps, le calcine, l’enflamme et donne lui-même de la chaleur en se fixant. La fermentation, et en général toute opération chimique qui change la nature des corps peut en dégager le calorique, parce que le nouveau composé peut en demander et en recevoir une plus ou moins grande quantité, ce qui fait que les opérations produisent tantôt du froid tantôt du chaud.

Examinons à présent sous quelle forme se présente le calorique.

Ce fluide se dégage dans un état de liberté ou dans un état de combinaison.

Dans le premier cas le calorique cherche toujours à se mettre en équilibre, non qu’il se distribue également dans tous les corps, mais il s’y répartit d’après ses degrés d’affinité avec eux ; d’où il suit que les corps embians en prennent et retiennent une quantité plus ou moins considérable : les métaux se pénètrent aisément de ce fluide et le transmettent de même, les bois et les parties animales reçoivent jusqu’au degré de la combustion, les liquides jusqu’à ce qu’ils soient réduits en vapeurs ; la glace seule absorbe toute la chaleur qu’on lui fournit sans en communiquer jusqu’à ce qu’elle soit fondue.

On ne peut apprécier le degré de chaleur que par ses effets : et les instrumens qui ont été successivement inventés pour les calculer, et qui sont connus sous les noms de thermomètres, pyromètres, etc. ont été appliqués à déterminer rigoureusement les divers phénomènes que nous présente l’absorption du calorique dans les divers corps.

La dilatation des liqueurs ou des métaux fluides par les divers degrés de chaleur a été long-temps mesurée par les seuls thermomètres de verre ; mais cette substance très-fusible ne pouvoit évaluer que les degrés de chaleur inférieurs au degré de fusion du verre lui-même.

On a proposé successivement divers moyens pour calculer les plus hauts degrés de chaleur. M. Leidenfrost a prouvé que plus un métal étoit chaud plus les gouttes d’eau qu’on y verse dessus s’évaporent lentement ; il a proposé ce principe pour construire des pyromètres : une goutte d’eau versée dans une cuiller de fer chauffée au degré de l’eau bouillante s’évapore en une seconde, une pareille goutte versée sur du plomb fondu se dissipe en 6 à 7, et sur du fer rouge en 30. M. Ziegler, specimen de digestore papini, a trouvé qu’il falloit 89 secondes à une goutte d’eau pour s’évaporer au 520 deg. de Fahreneit et qu’une seconde suffit au 300 degré. Ce phénomène, plus intéressant pour la chimie que pour la pyrométrie à qui il donnera toujours des résultats peu susceptibles d’être calculés rigoureusement, m’a paru dépendre de l’adhésion et de la décomposition de l’eau sur le métal.

Le pyromètre le plus rigoureux dont nous ayons connoissance est celui qui a été présenté à la Société royale de Londres par M. Wedgwood. Il est construit sur le principe que l’argile la plus pure prend au feu un retrait proportionné à la chaleur qu’on lui applique : ce pyromètre consiste en deux parties, l’une qu’on appelle jauge et qui sert à mesurer les degrés de diminution ou de retrait, l’autre comprend de petites pièces d’argile pure qu’on appelle pièces à thermomètre.

La jauge est formée par une plaque de terre cuite sur laquelle sont appliquées deux règles de même matière : ces règles parfaitement droites et unies offrent un écartement d’un demi-pouce à un des bouts et de trois dixièmes de pouce à l’autre ; pour plus grande commodité on a coupé la jauge par le milieu, et on ajuste les deux pièces quand on veut s’en servir : on a divisé la longueur de cette règle en 240 parties égales dont chacune représente un dixième de pouce.

Pour former les pièces à thermomètre, on tamise la terre avec la plus grande attention, on la mêle ensuite avec de l’eau, et on fait passer cette pâte à travers un tuyau de fer, ce qui lui donne la forme de bâtons longs que l’on découpe après en pièces de la grandeur convenable ; quand les pièces sont sèches on les présente à la jauge et il faut qu’elles s’adaptent au 0 de l’échelle : si par l’inadvertence de l’ouvrier quelque pièce pénètre à un ou deux degrés plus loin, ce degré est marqué sur son fond et doit se déduire lorsqu’on se sert de cette pièce pour mesurer la chaleur ; les pièces ainsi ajustées sont cuites dans un four à une chaleur rouge pour leur donner la consistance nécessaire au transport ; la chaleur employée dans ce travail est communément de 6 degrés ou environ, les pièces en sont diminuées plus ou moins, mais peu importe dès qu’on doit les soumettre à un degré de chaleur supérieur à celui qu’elles ont éprouvé ; et si par événement on veut mesurer un degré de chaleur inférieur, on emploie des pièces non cuites qu’on conserve dans des gazettes ou étuis pour éviter le flottement.

Lorsqu’on veut se servir de ce pyromètre on expose une des pièces dans le foyer dont on veut prendre la chaleur, et lorsqu’on juge qu’elle en a éprouvé toute l’intensité, on la retire et on la laisse refroidir, ou bien on la plonge dans l’eau pour faciliter le refroidissement, on la présente à la jauge et on détermine aisément le retrait qu’elle a éprouvé. M. Wedgwood nous a donné le résultat de quelques expériences faites avec son pyromètre et a mis à côté les degrés correspondans de Farheneit.

Pyromètre de Wedgwood. Thermomètre de Farheneit.
La chaleur rouge visible au jour 
0 1077
Le cuivre jaune se fond à 
21 1857
Le cuivre suédois se fond à 
27 4587
L’argent pur se fond à 
28 4717
L’or pur se fond à 
32 5237
La chaleur des barres de fer chauffées au point de pouvoir s’incorporer
plus petite. 90 12777
plus grande. 95 13427
La chaleur la plus grande que nous ayons pu produire dans la forge d’un Maréchal-ferrant.
125 17327
La fonte entre en fusion à 
130 17977
La plus grande chaleur que j’aie produit dans un fourneau à vent de 8 pouces quarrés.
160 21877

Ces divers thermomètres n’étoient point applicables à tous les cas : nous ne pouvions pas par exemple calculer rigoureusement la chaleur qui s’échappe des corps vivans, et prendre d’une manière précise la température d’un corps quelconque : mais MM. de Laplace et Lavoisier, Acad. des Sciences 1780, nous ont fait connoître un appareil qui paroit ne plus rien laisser à désirer : il est construit sur le principe que la glace absorbe toute la chaleur sans la communiquer jusqu’à ce qu’elle soit fondue : ainsi d’après cela, on peut calculer les degrés de chaleur communiqués par la quantité de glace fondue ; il s’agissoit, pour avoir des résultats rigoureux, de trouver le moyen de faire absorber par la glace toute la chaleur qui se dégage des corps, de soustraire la glace à l’action de toute autre substance qui pourroit en faciliter la fonte, de ramasser à la rigueur l’eau provenant de cette même fonte.

L’appareil qu’ont fait construire à cet effet nos deux célèbres Académiciens consiste dans trois corps circulaires presque inscrits les uns dans les autres, de sorte qu’il en résulte trois capacités : la capacité intérieure est formée par un grillage de fil de fer soutenu par quelques montans du même métal, c’est dans cette capacité que l’on place les corps soumis à l’expérience, la partie supérieure se ferme au moyen d’un couvercle : la capacité moyenne est destinée à contenir la glace qui environne la capacité intérieure, cette glace est supportée et retenue par une grille sous laquelle est un tamis ; à mesure que la glace fond, l’eau coule à travers la grille et le tamis et se rassemble dans un vase posé dessous : la capacité extérieure contient la glace qui doit arrêter l’effet de la chaleur extérieure.

Pour mettre cette belle machine en expérience, on remplit de glace pilée la capacité moyenne et le couvercle de la sphère intérieure, on en fait autant à la capacité extérieure, de même qu’au couvercle général de toute la machine ; on laisse égouter la glace intérieure, et lorsqu’elle ne donne plus d’eau on ouvre le couvercle de la capacité intérieure pour y introduire le corps qu’on veut mettre en expérience et on referme sur le champ ; on attend que le corps soit porté au degré de chaleur 0, température ordinaire de la capacité intérieure, et on pesé la quantité d’eau qui est produite ; ce poids mesure exactement la chaleur dégagée de ce corps, puisque la fonte de la glace n’est que l’effet de cette chaleur ; les expériences de ce genre durent 15, 18, 20 heures.

Il est essentiel que dans cette machine il n’y ait aucune communication entre la capacité moyenne et la capacité externe.

Il est encore nécessaire que la chaleur de l’air ne soit pas sous 0, puisqu’alors la glace intérieure recevroit un froid sous 0.

La chaleur spécifique n’est que le rapport de quantité de chaleur nécessaire pour élever d’un même nombre de degrés la température des corps qu’on compare à égalité de masse : ainsi, si l’on veut avoir la chaleur spécifique d’un corps solide, on élèvera sa température d’un nombre quelconque de degrés, on le placera promptement dans la sphère intérieure et on l’y laissera jusqu’à ce que sa température soit réduite 0, on recueillira l’eau, et cette quantité divisée par le produit de la masse du corps et du nombre de degrés dont sa température primitive étoit au-dessus de 0 sera proportionnelle à sa chaleur spécifique.

Quant aux fluides, on les enfermera dans des vases dont on aura déterminé la chaleur, et l’opération sera la même que pour les solides, à cela près qu’il faudra soustraire de la quantité d’eau fondue la quantité que la chaleur du vase a fait fondre.

Si on veut connoître la chaleur qui se dégage dans la combinaison de plusieurs substances, on les réduit toutes, ainsi que les vases qui doivent les renfermer, à 0 ; on met le mélange dans la sphère intérieure, et la quantité d’eau recueillie est la mesure de la chaleur qui a été dégagée.

Pour déterminer la chaleur de la combustion et de la respiration, comme le renouvellement de l’air est indispensable dans ces deux opérations, il est nécessaire d’établir une communication entre l’intérieur de la sphère et l’atmosphère qui l’environne ; et pour que l’introduction d’un nouvel air ne cause aucune erreur sensible, il faut faire les expériences à une température peu différente de 0, ou du moins réduire à cette température l’air que l’on introduit.

Pour déterminer la chaleur d’un gaz, il faut établir un courant par l’intérieur de la sphère, et placer deux thermomètres, l’un à l’entrée et l’autre à la sortie ; par les degrés comparés de ces deux instrumens on juge du froid qu’ils prennent, et on évalue la glace fondue.

On peut consulter dans l’excellent Mémoire de MM. de Laplace et Lavoisier les résultats des expériences qu’ils ont faites : ce que je viens de dire n’est qu’un extrait de leur superbe travail.

Les divers procédés usités pour mesurer la chaleur sont établis sur le principe général que les corps absorbent la chaleur en plus ou moins grande quantité : si ce fait n’étoit pas une vérité généralement convenue, nous pourrions l’étayer sur les trois faits suivans : M. Franklin, ayant exposé des morceaux d’étoffe de même tissu mais de diverse couleur sur de la neige, apperçut, quelques heures après, que le rouge étoit enfoncé dans la neige tandis que le blanc n’avoit souffert aucune dépression. M. de Saussure observe que les paysans des montagnes de la Suisse s’empressent de répandre de la terre noire sur les terres couvertes de neige lorsqu’ils veulent la fondre pour les ensemencer. Les enfans brûlent un chapeau noir au foyer d’une loupe qui chauffe à peine un chapeau blanc.

Tels sont à-peu-près les phénomènes que nous présente le calorique lorsqu’il se dégage dans un état de liberté : voyons ceux qu’il nous offre lorsqu’il s’échappe dans un état de combinaison.

La chaleur se dégage quelquefois dans un état de simple mélange, et c’est ce qui constitue les vapeurs, les sublimations, etc. Si on applique la chaleur à de l’eau, ces deux fluides s’uniront et le mélange se dissipera dans l’atmosphère ; mais ce seroit abuser des mots que d’appeler combinaison une union aussi foible, car dès que la chaleur trouve à se combiner avec d’autres corps elle abandonne l’eau qui repasse à l’état liquide ; ce corps vaporisé entraîne sans cesse une portion de chaleur, et de là peut-être l’avantage de la transpiration, de la sueur, etc.

Mais très-souvent le calorique contracte une union vraiment chimique avec les corps qu’elle volatilise ; cette combinaison est même si parfaite que la chaleur n’y est pas sensible, elle est neutralisée par le corps avec qui elle s’est combinée, et on l’appelle alors chaleur latente, calor latens.

Nous pouvons réduire aux deux principes suivans les divers cas dans lesquels la chaleur se combine et passe à l’état de chaleur latente.

Premier principe. Tout corps qui passe de l’état solide à l’état liquide absorbe une portion de chaleur qui n’est plus sensible au thermomètre et se trouve dans un véritable état de combinaison.

Les Académiciens de Florence remplirent un vase de glace pilée et y plongèrent un thermomètre qui descendit à 0 ; on mit le vase dans l’eau bouillante, le thermomètre ne bougea point pendant le temps que fondit la glace : donc la fonte de la glace absorbe de la chaleur.

M. Wilke a versé une livre d’eau chaude au soixantième degré sur une livre de glace, le mélange fondu a marqué 0 : il s’est donc combiné soixante degrés de chaleur.

M. le Chevalier Landriani a prouvé que la fusion des métaux, du soufre, du phosphore, de l’alun, du nitre, etc. absorboit de la chaleur.

Il se produit du froid dans la dissolution de tous les sels : Réaumur a fait une suite d’expériences très-intéressantes à ce sujet ; elles confirment celles de Boyle. Farheneit a fait descendre le thermomètre à 40 en fondant la glace par l’acide nitrique très-concentré ; mais les expériences les plus étonnantes sont celles qui ont été faites par MM. Thomas Beddoes Médecin, et Walker Apothicaire à Oxfort, et publiées dans les Transactions philosophiques pour l’année 1787 ; les mélanges qui leur ont produit les plus hauts degrés de froid sont, 1°. onze parties muriate d’ammoniaque, dix nitrate de potasse, seize sulfate de soude, trente-deux pesant d’eau : les deux premiers sels doivent être secs et en poudre ; 2°. l’acide nitrique, le muriate d’ammoniaque, le sulfate de soude mêlés ensemble font baisser le thermomètre à 8 sous 0. M. Walker a gelé le mercure sans glace ni neige.

C’est donc un principe incontestable que tout corps qui passe de l’état solide à l’état liquide, absorbe de la chaleur et la retient dans une combinaison si exacte qu’elle ne donne aucun signe de sa présence ; c’est donc de la chaleur fixée, neutralisée, latente.

Second principe. Tout corps en passant de l’état solide ou fluide à l’état aériforme, absorbe de la chaleur qui devient chaleur latente, et ce corps n’est mis et soutenu à cet état que par cette chaleur.

C’est sur ce principe qu’est fondé le procédé usité dans la Chine, l’Inde, la Perse et l’Égypte pour rafraîchir les liqueurs employées à la boisson : on met l’eau qu’on veut boire dans des vaisseaux très-poreux et on les expose au soleil ou au courant d’un vent chaud pour rafraîchir la liqueur qu’ils contiennent : c’est par des moyens semblables qu’on se procure des boissons fraîches dans les longues caravanes. On peut voir des détails intéressans à ce sujet dans les écrits de Chardin, tome III de ses voyages, édit. 1723 ; de Tavernier, tome premier de ses voyages, édit. 1738 ; de Paul Lucas, tome II de ses voyages, édit. 1724 ; du P. Kircher mundus subterr., lib. VI, sect. II, cap. II.

Nous pouvons conclure des expériences de M. Richmann faites en 1747, et consignées dans le tome premier Académie impériale de Pétersbourg, 1°. qu’un thermomètre qu’on retire de l’eau et qu’on expose à l’air descend toujours, lors même que sa température est égale ou supérieure à celle de l’eau ; 2°. qu’il remonte ensuite jusqu’à ce qu’il soit parvenu au degré de la température de l’atmosphère ; 3°. que le temps qu’il emploie à descendre est moins long que celui qu’il met à remonter ; 4°. que, lorsque le thermomètre retiré de l’eau est parvenu au degré de la température ordinaire, la boule est sèche, et qu’elle est humide tant qu’elle est au-dessous de ce degré.

À ces conséquences nous ajouterons celles que le célèbre Cullen a déduites de plusieurs expériences très-curieuses, 1°. un thermomètre suspendu dans la machine pneumatique descend de deux à trois degrés à mesure qu’on pompe l’air et remonte ensuite à la température du vide ; 2°. un thermomètre plongé sous la machine pneumatique dans l’alkool descend toujours, d’autant plus que les bulles qui sortent de l’alkool sont plus fortes ; si on le retire de cette liqueur et qu’on le suspende tout mouillé dans la cloche, il descend de huit à dix degrés à mesure qu’on pompe l’air.

On sait que si on enveloppe la boule d’un thermomètre d’un linge fin, qu’on l’arrose d’éther et qu’on en facilite l’évaporation par l’agitation dans l’air, le thermomètre descend à 0.

L’immortel Franklin a éprouvé sur lui-même que lorsque le corps sue il est moins chaud que les corps embiants et que la sueur détermine toujours quelque degré de froid. Voyez sa lettre au Docteur Lining.

Le grand nombre de Travailleurs ne supporte les chaleurs brûlantes de nos climats qu’en suant beaucoup, et ils fournissent matière à cette sueur par une boisson copieuse : les Ouvriers employée dans les verreries, les fonderies, etc. vivent souvent dans un milieu plus chaud que leur corps qui est entretenu à une chaleur égale et modérée par la sueur.

Si on augmente l’évaporation par l’agitation de l’air on rafraîchit davantage : de là l’usage des éventails, des ventilateurs, etc. qui, quoique destinés à imprimer du mouvement à un air chaud, lui donnent la vertu de rafraîchir en facilitant et favorisant l’évaporation.

L’air chaud et sec est le plus propre à former un courant d’air rafraîchissant, parce qu’il est le plus propre à dissoudre et à absorber l’humidité ; l’air humide est le moins convenable, parce qu’il est déjà saturé.

De là la nécessité de renouveler souvent l’air pour conserver la fraîcheur de nos appartemens.

Ces principes ont plus de rapport à la médecine qu’on ne pense : on voit presque toutes les fièvres se terminer par les sueurs qui, outre l’avantage de pousser au dehors la matière morbifique, ont encore celui de charrier la matière de la chaleur et de ramener le corps à sa température ordinaire : le Médecin qui cherche à modérer l’excès de chaleur dans un corps malade, doit ménager dans l’air la disposition la plus favorable pour remplir ses vues.

L’usage de l’alkali volatil est généralement reconnu pour être avantageux dans la brûlure, la douleur aux dents, etc. ne peut-on pas attribuer ces effets à la volatilité de cette substance qui se combinant promptement avec le calorique s’exhale avec elle et laisse une impression de froid ? L’éther est souverain pour calmer les douleurs de colique, pourquoi cette vertu ne tiendroit-elle pas aux mêmes principes ?

On peut obtenir la chaleur qui s’est combinée avec les corps qu’on a fait passer de l’état solide à l’état liquide ou de ce dernier à l’état aériforme, en faisant repasser ces dernières substances à l’état liquide ou à l’état concret ; en un mot, tout corps qui passe de l’état liquide à l’état solide laisse échapper la chaleur latente, qui devient en ce moment chaleur libre ou thermométrique.

En 1724 le célèbre Farheneit ayant laissé de l’eau exposée à un froid plus fort que celui de la glace, l’eau resta fluide ; mais en l’agitant elle se gela, et le thermomètre qui marquoit quelques degrés sous la glace monta à la glace. M. Treiwald consigna un fait semblable dans les transactions philosophiques, et M. de Ratte a fait la même observation à Montpellier.

M. Baumé a prouvé, dans ses recherches et expériences sur plusieurs phénomènes singuliers que l’eau présente au moment de la congélation, qu’il se développe toujours quelques degrés de chaleur au moment de la congélation.

Les substances gazeuses ne sont tenues à l’état aériforme que par la chaleur qui leur est combinée, et lorsqu’on présente à ces substances ainsi dissoutes dans le calorique un corps avec lequel leur affinité est très-marquée, elles abandonnent la chaleur pour s’unir à lui, et le calorique ainsi chassé ou dégagé paroît sous forme de chaleur libre ou thermométrique ; ce dégagement de chaleur par la concrétion ou fixation des substances gazeuses a été observé par le célèbre Schéele, comme on peut le voir dans les belles expériences qui font la base de son traité chimique sur l’air et le feu ; depuis ce grand homme, on a calculé rigoureusement la quantité de chaleur latente qui se trouve dans chacun de ces gaz, et nous devons à ce sujet de superbes recherches à MM. Black, Crawfort, Wilke, de Laplace, Lavoisier, etc.

ARTICLE SECOND.

De la Lumière.

Il paroît que la lumière est transmise à nos yeux par un fluide particulier qui remplit l’intervalle qui est entre nous et les corps apparens.

Ce fluide parvient-il directement du soleil et nous vient-il par des émissions et irradiations successives ? Ou bien est-ce un fluide particulier répandu dans l’espace et mis en jeu par le mouvement de rotation du soleil ou par toute autre cause ? Je n’entrerai dans aucune discussion à ce sujet, je me bornerai à en indiquer les phénomènes.

A. Le mouvement de la lumière est si rapide qu’il parcourt à-peu-près quatre-vingt mille lieues par seconde.

B. L’élasticité des rayons de lumière est telle que l’angle de réflexion égale l’angle d’incidence.

C. Le fluide de la lumière est pesant, puisque si on reçoit un rayon par un trou pratiqué au volet d’une fenêtre et qu’on lui présente la lame d’un couteau, le rayon se détourne de la ligne droite et s’infléchit vers le corps, ce qui annonce qu’il obéit à la loi d’attraction, et suffit pour le faire classer parmi les autres corps de la nature.

D. Le grand Newton est parvenu à décomposer la lumière solaire en sept rayons primitifs qui se présentent dans l’ordre suivant : le rouge, l’orangé, le jaune, le vert, le bleu, le pourpre, le violet. Les teintures ne nous présentent que trois couleurs primitives, qui sont le rouge, le bleu et le jaune ; la combinaison et les proportions de ces trois principes forment toutes les nuances de couleur dont les arts se sont enrichis. Des Physiciens ont soutenu que parmi les sept rayons solaires il n’y avoit que trois couleurs primitives. Voyez les recherches de M. Marat.

On peut considérer tous les corps de la nature comme des prismes qui décomposent ou plutôt divisent la lumière : les uns renvoient les rayons sans y produire aucun changement, c’est ce qui forme le blanc ; d’autres les absorbent tous, ce qui fait le noir absolu : l’affinité plus ou moins marquée de tel ou tel rayon avec tel ou tel corps, peut-être même la diverse disposition des pores, fait sans-doute que lorsqu’un faisceau de lumière tombe sur un corps, tel rayon se combine, tandis que les autres sont réfléchis ; c’est ce qui donne cette diversité de couleurs et la prodigieuse variété de nuances dont se peignent à nos yeux les divers corps de la nature.

On ne doit pas se borner aujourd’hui à regarder la lumière comme un être purement physique : le Chimiste s’est apperçu de son influence dans la plupart de ses opérations, il doit aujourd’hui tenir compte de l’action de ce fluide qui modifie ses résultats, et son empire n’est pas moins établi dans les divers phénomènes de la nature que dans ceux de nos laboratoires.

Nous voyons qu’il n’y a pas de végétation sans lumière : les plantes privées de ce fluide s’étiolent ; et, lorsque dans les serres la lumière ne leur parvient que par un seul endroit, les végétaux s’inclinent vers cette ouverture, comme pour témoigner le besoin qu’ils ont de ce fluide bienfaisant.

Sans l’influence de la lumière les végétaux ne nous présentent qu’une seule et triste couleur ; ils se dépouillent même de leurs riches nuances dès qu’on les met à l’abri de ce fluide lumineux ; c’est ainsi qu’on blanchit le scelery, l’endive et autres plantes.

Non-seulement les végétaux doivent leur couleur à la lumière ; mais l’odeur, le goût, la combustibilité, la maturité et le principe résineux sont tout autant de propriétés qui en dépendent : de là vient sans-doute que les aromates, les résines, les huiles volatiles sont l’apanage des climats du midi où la lumière est plus pure, plus constante et plus vive.

On voit même que l’influence de la lumière est marquée sur les autres êtres : car, comme l’a observé M. Dorthes, les vers et les chenilles qui vivent dans la terre ou dans les bois sont blanchâtres, les oiseaux et les papillons de nuit se distinguent de ceux de jour par leurs couleurs peu brillantes ; la différence est également marquée entre ceux du nord et ceux du midi.

Une propriété bien étonnante de la lumière sur le végétal, c’est qu’exposé au grand jour ou au soleil, il transpire de l’air vital : nous reviendrons sur tous ces phénomènes lorsqu’il sera question de l’analyse des végétaux.

Les belles expériences de MM. Schéele et Berthollet nous ont appris que l’absence ou la présence de la lumière modiffoit d’une manière étonnante les résultats des opérations chimiques : la lumière dégage l’air vital de quelques liqueurs, telles que l’acide nitrique, l’acide muriatique oxigéné, etc. elle réduit les oxides d’or, d’argent, etc. elle dénature les muriates oxigénés, selon les observations de M. Berthollet. La lumière détermine encore les phénomènes de végétation que nous présentent les dissolutions salines, comme je l’ai fait voir ; de sorte que nous devons calculer l’action de cet agent dans presque toutes nos opérations.

« L’organisation, le sentiment, le mouvement spontané, la vie, n’existent qu’à la surface de la terre et dans les lieux exposés à la lumière : on diroit que la flamme du flambeau de Promethée étoit l’expression d’une vérité philosophique qui n’avoit point échappé aux anciens. Sans la lumière la nature étoit sans vie, elle étoit morte et inanimée : un Dieu bienfaisant, en apportant la lumière, a répandu sur la surface de la terre l’organisation, le sentiment et la pensée. » Traité élémentaire de Chimie par M. Lavoisier, pag. 202.

Il ne faut pas confondre la lumière solaire avec celle que nous produisent nos foyers : celle-ci a des effets marqués sur quelques-uns de ces phénomènes, comme je m’en suis convaincu ; mais ces effets sont lents et peu en rapport avec ceux de la lumière du soleil.

Quoique la chaleur accompagne souvent la lumière, les phénomènes dont nous venons de parler ne sauroient lui être attribués ; elle peut les modifier quand elle existe, mais non les produire, comme on s’en est assuré.


CHAPITRE SECOND.

Du Soufre.


Nous sommes forcés de placer le soufre parmi les élémens, tandis que nos prédécesseurs prétendoient en avoir déterminé les principes constituans : cette marche paroîtroit rétrograde, si on n’étoit persuadé que c’est réellement avancer que de rectifier ses idées.

Les anciens désignoient par le mot soufre toute substance combustible et inflammable : on trouve dans tous leurs écrits l’expression de soufre des métaux, des animaux, soufre des végétaux, etc.

Stalh assigna une valeur déterminée à la dénomination de soufre, et, depuis ce célèbre Chimiste, nous connoissons sous ce nom un corps d’un jaune citron, sec, fragile, susceptible de brûler avec une flamme bleue et d’exhaler une odeur piquante lors de la combustion ; quand on le frotte il devient électrique, et si on lui fait subir une douce pression dans la main il craque et se réduit en poudre.

Il paroît que le soufre se forme par la décomposition des végétaux et des animaux : on en a trouvé sur les murs des fosses d’aisance ; et, lorsqu’on a creusé les boulevards de la porte St. Antoine à Paris, on en a ramassé beaucoup qui étoit mêlé avec les restes des débris des substances végétales et animales qui avoient comblé les anciens fossés, et s’y étoient pourries.

M. Deyeux a même prouvé que le soufre existoit naturellement dans quelques plantes telles que la patience, le cochlearia, etc. ; les procédés qu’il indique pour l’extraire se réduisent 1°. à réduire en pulpe assez fine par le moyen d’une râpe la racine lavée, à délayer cette pulpe dans l’eau froide et à la passer à travers un linge peu serré ; la liqueur passe trouble et laisse précipiter un dépôt qui desséché prouve l’existence du soufre ; 2°. à faire bouillir la pulpe et à dessécher l’écume qui se forme par l’ébullition ; cette écume contient le soufre. Plusieurs espèces de rumex confondus sous le nom de patience ne contiennent point de soufre ; j’en ai retiré du rumex patientia L. qui croît sur les montagnes des Cevènes et qui est le même dont on s’est servi à Paris. M. le Veillard a obtenu du soufre en faisant pourrir des substances végétales dans l’eau des puits. Le soufre est contenu en abondance dans les mines de charbon ; il est combiné avec certains métaux ; il se présente presque par-tout où il y a décomposition végétale ; il fait la majeure partie de ces schistes pyriteux et bitumineux qui forment le foyer des volcans ; il se sublime dans les endroits où les pyrites se décomposent ; il est rejetté par les feux souterrains, et on le trouve plus ou moins abondant dans le voisinage des endroits volcaniques. On a beaucoup parié des pluyes de soufre, mais l’on sait aujourd’hui que c’est sur-tout la poussière des étamines du pin qui emportée au loin par le vent a accrédité cette erreur ; Henckel en a vu la surface d’un marais toute couverte.

Les procédés connus pour extraire le soufre en grand et l’appliquer aux usages du commerce, se réduisent à le dégager des pyrites ou sulfures de cuivre ou de fer par des moyens plus ou moins simples et économiques : on peut consulter à ce sujet la pyritologie d’Henckel, le dictionnaire de chimie de Macquer, art. travaux des mines, les voyages métallurgiques de M. Jars. etc.

En Saxe et en Bohème on distille les mines de soufre dans des tuyaux de terre disposés sur une galère, le soufre que le feu dégage se rend dans des récipiens placés au dehors et dans lesquels on a soin d’entretenir de l’eau.

À Rammelsberg, à St. Bel, etc. on forme des tas de pyrites qu’on décompose par une chaleur douce imprimée d’abord à la masse par une couche de combustible sur laquelle on l’a posée ; la chaleur s’entretient ensuite par le jeu des pyrites elles-mêmes, le soufre qui s’exhale ne peut point s’échapper par les parois latérales qu’on a eu soin de revêtir d’une couche de terre, il monte jusqu’au sommet de la pyramide tronquée et se ramasse dans de petites cavités qu’on a pratiqué sur le sommet, la chaleur suffit pour l’y entretenir liquide, et de temps en temps on retire ce soufre avec des cuillers.

Presque tout le soufre employé dans le Royaume vient de la Solfatara : ce pays tourmenté par les volcans présente par-tout les effets de ces feux souterrains ; les masses énormes de pyrites qui se décomposent dans les entrailles de la terre produisent de la chaleur qui sublime une partie du soufre par les soupiraux que le feu et l’effort des vapeurs ont entrouvert de toutes parts ; on distille les terres et les pierres qui contiennent le soufre, et c’est le résultat de cette distillation qu’on appelle soufre brut.

Le soufre brut transporté dans notre Royaume par la voie de Marseille, reçoit dans cette Ville les préparations nécessaires pour le disposer et l’approprier à ses divers usages : 1°. on le réduit en canons, en le faisant fondre et le coulant dans des moules ; 2°. on fait les fleurs de soufre, en le sublimant par une chaleur douce et recueillant cette vapeur sulfureuse dans une chambre assez vaste et bien close : ce soufre très-pur et très-divisé est connu sous le nom de soufre sublimé, fleurs de soufre.

Le soufre entre en fusion à une chaleur assez douce ; et si on saisit le moment où la surface se fige pour faire couler le soufre liquide contenu dans la cavité, on obtient par ce moyen le soufre en longues aiguilles qui représentent des octaèdres alongés ; ce procédé indiqué par le fameux Rouelle a été appliqué à la crystallisation de presque tous les métaux.

On trouve du soufre naturellement crystallisé en Italie, à Conilla près de Cadix, etc., la forme ordinaire est l’octaèdre ; j’ai vu néanmoins des crystaux de soufre en rhombes parfaits.

Stalh avoir cru prouver par analyse et par synthèse que le soufre étoit formé par la combinaison de son phlogistique avec l’acide sulfurique : la belle suite de preuves qu’il a laissées pour établir cette opinion a paru si complète, que depuis ce grand homme on n’a cessé de regarder cette doctrine comme démontrée ; on donnoit même cet exemple pour prouver jusqu’à quel degré d’évidence pouvoir conduire l’analyse chimique ; mais nos découvertes sur les substances gazeuses nous ont appris que les anciens avoient été nécessairement induits en erreur pour n’en avoir pas eu connoissance, nos superbes travaux sur la composition des acides nous ont fait voir que ces substances se décomposoient dans beaucoup d’opérations, et cette révolution dans nos connoissances a dû en entraîner une dans notre manière de concevoir les phénomènes : il nous suffira d’analyser la principale expérience sur laquelle repose essentiellement la doctrine de Stalh, pour prouver ce que nous venons d’avancer.

Si on prend un tiers de charbon et deux tiers de sulfate de potasse, et qu’on fonde ce mélange dans un creuset, il en résulte du foie de soufre (sulfure de potasse) : si on dissout ce sulfure dans l’eau, et qu’on s’empare de la potasse par quelques gouttes d’acide sulfurique, il se forme un précipité qui est du véritable soufre : donc, a dit Stalh, le soufre est une combinaison du phlogistique ou principe inflammable du charbon avec de l’acide sulfurique. L’expérience est vraie, mais la conséquence est absurde, puisqu’il s’ensuivroit que l’acide sulfurique qu’on ajoute auroit la faculté de déplacer l’acide sulflirique uni à l’alkali.

Si Stalh avoir analysé plus rigoureusement le résultat ou le produit de l’opération, il se seroit convaincu qu’il n’y avoir plus un atome d’acide sulfurique.

S’il avoir pu opérer dans des vaisseaux clos et recueillir les substances gazeuses qui se dégagent, il auroit retiré beaucoup d’acide carbonique qui résulte de la combinaison de l’oxigène de l’acide sulfurique avec le charbon.

S’il eût exposé son foie de soufre à l’air dans des vaisseaux clos, il auroit vu que l’air vital est absorbé, que le sulfure est décomposé et qu’il s’y forme du sulfate de potasse, ce qui annonce que l’acide sulfurique se recompose.

Si on humecte du charbon avec l’acide sulfurique, et qu’on distille, on obtient de l’acide carbonique, du soufre et beaucoup d’acide sulfureux.

Les expériences de Stalh nous présentent toutes la démonstration la plus complète de la décomposition de l’acide sulfurique en soufre et oxigène, et il ne nous est nécessaire pour les expliquer, ni de supposer l’existence d’un être imaginaire, ni de reconnoître le soufre comme un corps composé.


CHAPITRE TROISIÈME.

Du Carbone.


On appelle carbone dans la nouvelle nomenclature le charbon pur ; cette substance est placée parmi les substances simples, parce que jusqu’ici aucune expérience ne nous a fait connoître la possibilité de la décomposer.

Le carbone existe tout formé dans les végétaux : on peut le débarrasser de tous les principes huileux et volatils par la distillation ; on peut extraire ensuite par des lotions convenables dans l’eau pure tous les sels qui se trouvent mêlés et confondus avec lui.

Lorsqu’on veut se procurer le carbone bien pur, il faut le dessécher par un coup de feu violent dans des vaisseaux clos ; cette précaution est nécessaire, car les dernières portions d’eau y adhèrent avec une telle avidité, qu’elles s’y décomposent et fournissent du gaz hydrogène et de l’acide carbonique.

Le carbone existe aussi dans le règne animal : on peut l’en extraire par un procédé semblable à celui que nous venons de décrire, mais il est peu abondant ; la masse qu’il présente est légère et spongieuse, il se consume difficilement à l’air, et il est mêlé d’une grande quantité de phosphates et même de soude.

On a trouvé également le carbone dans le plombagine dont il forme un des principes.

Nous présenterons plus de détails sur cette substance dans l’analyse des végétaux ; mais ces idées succinctes suffiront pour que nous puissions nous occuper de ses combinaisons, et c’est là le seul but que je me propose en ce moment.