Éléments de la philosophie de Newton/Édition Garnier/Partie 3/Chapitre 12

La bibliothèque libre.


CHAPITRE XII.[1]

Théorie de la lune et du reste des planètes. — Pourquoi la lune tourne plus vite autour de la terre que la terre autour du soleil. Elle ne nous montre jamais que le même côté. Pourquoi l’année de la lune n’est que de 354 jours. Ses divers mouvements. Mouvements des apsides en 9 ans. Celui des nœuds en 19 ans. La lune va plus vite qu’elle n’allait autrefois. Elle pèse sur le soleil quarante fois moins que la terre. Pesanteur des corps à la superficie de la lune. Grosseur et masse de Jupiter. Pesanteur et chute des corps sur Jupiter. Plan élevé à l’équateur, aplati aux pôles. Ses satellites. Comment de Saturne on voit le soleil. Sa densité. Remarque sur la densité des planètes. Pesanteur des corps sur Saturne et de ce globe sur le soleil. Dérangement entre les orbites de Saturne et de Jupiter assez sensible et causé par l’attraction.

La lune, qui est le satellite de la terre, n’en est éloignée que d’environ quatre-vingt-dix mille lieues, dans sa moyenne distance.

Elle gravite vers la terre comme la terre vers elle ; elles ont donc l’une et l’autre un centre de gravité commun. Ce centre de gravité commun se trouve près de la surface de la terre ; c’est ce centre de gravité commun qui emporte la terre et la lune autour du soleil, foyer universel de toutes les planètes et de tous les satellites.

La lune, étant beaucoup plus près de la terre que la terre ne l’est du soleil, doit, suivant les lois de l’attraction, tourner bien plus vite autour de la terre que la terre ne tourne dans son grand orbe autour du soleil. Aussi la lune achève son cours autour de notre globe en 27 jours et demi à peu près, au lieu que la terre en met 365 à parcourir son orbite autour du soleil.

La lune tourne sur elle-même sur son axe, précisément dans le même temps qu’elle fait sa révolution de 27 jours et demi autour de nous ; ainsi la terre voit toujours le même côté de la lune, à quelque petite différence près. Si la lune ne tournait sur elle-même que dans la moitié du temps qu’elle parcourt sur son orbite d’un mois, nous verrions successivement toute sa surface. Si, dans le cas où elle est, elle tournait précisément dans un cercle autour de la terre, nous verrions toujours précisément la même moitié de cette surface ; mais elle parcourt une ellipse dont la terre occupe un foyer : ainsi elle va tantôt plus lentement, tantôt plus vite, et elle nous montre, tantôt un peu plus, tantôt un peu moins de cette moitié tournée vers nous.

La terre étant emportée autour du soleil en une année par sa gravitation, emporte aussi la lune, qui doit la suivre dans son grand orbe.

Mais cette révolution annuelle de la lune ne peut être la même que celle de la terre. Car, en faisant son mois qu’on appelle périodique de 27 jours et demi, elle fait son mois synodique, sa lunaison en 29 jours et demi, c’est-à-dire qu’il lui faut 29 jours et demi pour aller d’une conjonction avec le soleil. Or douze fois 29 et demi font 354. Ainsi l’année commune de la lune ne peut être que d’environ trois cent cinquante-quatre jours, tandis que celle de la terre est d’environ trois cent soixante-cinq.

Elle a une révolution qui s’achève en neuf années : c’est la révolution de ses apsides. Les apsides sont les points de plus grande distance d’une planète au centre de sa révolution : c’est dans la lune l’apogée et le périgée. L’apogée est le point le plus éloigné de la terre, le périgée est le plus près. La ligne qui traverse ces points est la ligne des apsides de la lune, qui a un mouvement de près de neuf années d’occident en orient, de sorte qu’au bout de neuf années L’éloignement de la lune à la terre est le même.

Sa plus grande révolution est un autre mouvement de dix-neuf années. Cette période de dix-neuf années est ce qu’on nomme le cycle lunaire. Il se fait d’orient en occident sur les pôles de la lune, de sorte que les nœuds de la lune changent sans cesse, et se retrouvent les mêmes au bout de dix-neuf années[2]. Ces nœuds de la lune sont les points auxquels l’orbe qu’elle décrit autour de la terre coupent l’écliptique de la terre ; ce mouvement des nœuds de ces orbes se fait d’orient en occident, de même que la précession des équinoxes.

Nous pouvons donc considérer cinq révolutions dans la lune : 1° celle de ses nœuds en dix-neuf ans ; 2° celle des apsides en neuf ans ; 3° celle de son année autour du soleil en 354 jours ; 4° celle de son mouvement autour de la terre en 27 jours et demi, mouvement qui doit être regardé comme le même avec celui du mois synodique en 29 jours et demi, puisque l’un ne diffère de l’autre que par le temps ; 5° la rotation sur son axe, qui s’accomplit dans le même temps qu’elle tourne autour de la terre.

La lune a accéléré insensiblement son mouvement moyen autour de la terre, si l’on en croit le philosophe Halley, qui, ayant comparé les plus anciennes observations que nous ayons des éclipses de lune avec les dernières, a trouvé que la lune, depuis le temps de ces premières observations, a augmenté la rapidité de son cours.

La lune est environ cinquante fois moins grosse que notre terre, et cinquante millions moins que le soleil ; la matière de la lune est environ un cinquième plus dense, plus compacte que celle de la terre[3], et environ cinq fois plus que celle du soleil ; et ainsi le soleil, qui la surpasse 50 millions de fois en grosseur, ne la surpasse que 10 millions de fois en quantité de matière.

La terre pèse sur le soleil plus que la lune, et cela en raison directe de la masse de la terre et de la masse de la lune. Or la grosseur de la terre étant à celle de la lune comme 50 à 1, et la masse, la quantité de matière n’étant que comme 40, le poids de la terre est quarante fois plus grand que le poids de la lune, c’est-à-dire que la gravitation, faisant tendre la terre et la lune en raisons directes de leurs masses vers le soleil, agit sur la terre comme 40, et sur la lune comme 1.

Elle attire vers son centre les corps qui sont à la surface environ 30 fois moins que ne fait la terre, et non pas 40 fois moins : car si son attraction est 40 fois moins grande à raison de la quantité de matière, cette attraction est d’un autre côté 10 fois plus grande que sur la terre, à raison de la petitesse de son diamètre : ôtez 10 de 40, reste 30.

Ainsi, par exemple, les mêmes corps qui pèsent 400 livres sur le soleil, pèsent près de 15 livres sur la terre, et près d’une demi-livre sur le globe de la lune.

MARS.

Mars est à plus de 50 millions de nos lieues du soleil, dans la moyenne distance ; il embrasse dans son grand orbe la terre, la lune, Vénus, Mercure ; il tourne dans son ellipse en près de deux ans, et sur lui-même en vingt-quatre heures trois quarts. Il est cinq fois plus petit que notre globe. Nous remarquerons ici que, comme nous tournons ainsi que lui dans une ellipse autour du même centre, il arrive que tantôt nous sommes beaucoup plus près, tantôt beaucoup plus éloignés l’un de l’autre. Dans notre plus grande proximité nous en sommes à 12 millions de lieues, et dans notre plus grand éloignement nous en sommes à 60 millions ; nous sommes donc éloignés alors cinq fois davantage à peu près en cette manière (figure 71).

La quantité de l’illumination est, comme nous l’avons dit, en raison inverse du carré des distances : 25 est le carré de 5 ; ainsi, par cette règle, nous devrions voir Mars tantôt 25 fois plus gros, tantôt 25 fois plus petit ; mais, comme il reçoit aussi moins d’illumination du soleil quand il en est plus éloigné, cette perte de lumière qu’il éprouve empêche qu’il ne nous paraisse 25 fois plus grand ; et de même, quand il est plus éloigné de la terre, il ne paraît pas pour cela 25 fois plus petit, attendu qu’il est alors plus fortement éclairé : ce qu’il perd par son éloignement de notre globe, il le regagne un peu par son illumination ; et au contraire, il faut en dire autant des autres planètes.

On ne peut rien statuer sur les effets de la gravitation dans les planètes de Mars.

JUPITER.

À peu près à 150 millions de lieues est Jupiter, dans la moyenne distance du soleil. On voit ici une grande disproportion : car, depuis Mercure jusqu’à Mars, il y a des planètes d’environ 10 millions en 10 ou 11 millions de lieues, ou approchant. Mercure, Vénus, la terre, Mars, sont à des distances peu disproportionnées ; mais ici on trouve de Mars à Jupiter un vide de plus de 100 millions de lieues, sans qu’on puisse apercevoir la moindre raison de cette inégalité. On pourrait dire qu’il y a eu peut-être autrefois des planètes dans cet espace ; mais quel fond faire sur un peut-être ?

Tous les autres astres dont nous venons de parler sont chacun plus petits que la terre ; mais Jupiter est 1,170 fois plus gros qu’elle.

Il tourne autour du soleil dans son ellipse en près de douze ans, à raison de sa distance, suivant la règle de Kepler ; et cependant il tourne sur lui-même en 9 heures 56 minutes : preuve évidente que la rotation des planètes sur leur axe est le résultat d’une loi dont nous n’avons aucune connaissance.

Jupiter voit le soleil 25 fois plus petit que nous ne le voyons, et en reçoit 25 fois moins de lumière, puisqu’il en est 5 fois plus éloigné que notre globe : il fait donc, dans le temps le plus chaud de Jupiter, 25 fois plus froid que dans notre été, toutes choses égales d’ailleurs ; mais aussi sa matière est plus de 5 fois moins solide, et ainsi elle s’échauffe environ 5 fois plus aisément.

Quoiqu’il soit 1,170 fois plus gros que la terre, il n’a pourtant que 220 fois plus de matière.

Jupiter, vu sa distance et son temps périodique, pèse sur le soleil 30 fois moins que la terre, malgré son énorme grosseur.

Les corps qui pèsent ici une livre ne pèsent à peu près que deux livres sur la surface de Jupiter ; les corps qui tombent sur la terre de 15 pieds à la première seconde, tombent de 30 pieds sur Jupiter.

Les astronomes ont reconnu que l’axe de l’équateur de Jupiter est plus grand sensiblement que l’axe des pôles, c’est-à-dire que la figure de Jupiter est un sphéroïde aplati vers les pôles, comme est la terre, et comme sont probablement toutes les autres planètes.

De quatre lunes qui tournent autour de Jupiter, la première n’est éloignée de lui que d’environ 35,000 de nos lieues.

Notre lune est près de trois fois plus éloignée de notre terre que le premier des satellites de Jupiter n’est éloigné de sa planète, et le dernier de ses satellites en est à 360,000 lieues, et il lui donne peu de secours.

SATURNE.

Saturne, dans la moyenne distance, est à 286 millions de lieues du soleil. Il fait sa révolution autour de cet astre en près de trente années, embrassant dans un orbe de presque 1,800 millions de lieues toutes les planètes que nous venons de voir. Sa révolution sur son axe est ignorée ; mais on croit probable qu’il tourne en dix heures comme Jupiter, parce que la distance de ses lunes est à peu près la même. Il est gros comme 980 de nos terres, et par conséquent bien plus petit que Jupiter, quoique bien plus éloigné du soleil.

Comme il est environ dix fois plus loin du soleil que nous, il en est cent fois moins éclairé, et, toutes choses égales, moins échauffé ; et il ne voit pas le soleil aussi gros que nous voyons Vénus.

La matière dont il est composé est probablement moins dense que la nôtre dans la proportion de 15 à 100, c’est-à-dire que la matière de la terre est 6 fois et 2 tiers plus massive que celle de Saturne.

Ainsi on voit que plus une planète est éloignée du soleil, moins sa matière est compacte et dure ; par conséquent elle s’échauffe plus aisément : la matière dont Mercure est composé est d’autant plus compacte que Mercure est plus proche de ce feu auquel il doit résister ; et la matière de Saturne d’autant plus rare et lâche qu’elle est plus loin de ce feu qui doit l’animer. Les corps pèsent sur sa surface un peu plus que sur celle de la terre : ce qui pèse 4 livres sur la terre pèse environ 5 livres sur Saturne.

Saturne pèse lui-même près de cent fois moins que la terre sur le soleil ; le même corps qui dans la première seconde tombe ici de 15 pieds, tombera de 12 sur Saturne.

Il a autour de lui cinq lunes ; la plus prochaine en est éloignée de trente mille lieues, et la cinquième d’environ cent soixante mille, à peu près comme le premier et le dernier des satellites de Jupiter sont distants de Jupiter. Nous n’entrons ici dans aucun détail sur son anneau, pour lequel il faudrait un volume à part.

Il y a entre Jupiter et Saturne une attraction sensible qui n’est point marquée entre les autres planètes principales : quand, par exemple, Vénus, la terre et Mars s’approchent, sont en conjonction, leur gravitation ne dérange que très-peu leur mouvement dans leurs orbes, parce que leurs orbes sont assez proches du soleil ; et la masse de cet astre surpasse tellement la masse réunie de ces planètes que leurs forces centripètes ne sont pas capables d’opérer une résistance bien sensible contre la force centripète résultante de la masse du soleil qui les attire.

Il n’en est pas de même de Jupiter et de Saturne. Ces deux globes, énormes par rapport au nôtre, sont à une distance immense du centre qui les attire.

Jupiter est moins attiré que nous vingt-cinq fois, et Saturne est moins attiré que nous près de cent fois, à raison du carré des distances ; quand ces deux astres sont en conjonction, ils sont bien plus près l’un de l’autre que Jupiter ne l’est du soleil : ainsi ils gravitent davantage l’un vers l’autre, et ils s’éloignent sensiblement de leur orbite ordinaire. Leur cours est dérangé ; c’est ici le plus beau triomphe de l’attraction : ces deux globes, qui se trouvent si rarement en conjonction, s’y trouvèrent du temps de Newton ; il calcula, par les lois de l’attraction, de combien leur cours devait être altéré. L’illustre Halley observa ces astres, et ses observations démontrèrent ce que Newton avait deviné, comme les mesures prises au pôle ont confirmé depuis ce que Newton avait dit de la figure de la terre.

Ainsi donc ce qui se passe sur la terre et ce qui se passe à cent cinquante, à près de trois cents millions de lieues de la terre, prouve également cette admirable propriété de la matière que Newton a découverte.


  1. En lisant ce chapitre et les deux suivants, on ne doit point oublier que Voltaire les supprima en 1756 (voyez l’Avertissement de Beuchot, page 397), à cause des fautes qu’ils contiennent, et que l’on n’a pas toutes indiquées.
  2. Voltaire confondait ici le cycle qui ramène les phases de la lune aux mêmes jours de l’année avec le mouvement rétrograde des nœuds de son orbite, qui en est tout à fait distinct. (B.)
  3. Des calculs faits avant 1756 ont établi, au contraire, que la densité de la lune était inférieure à celle de la terre à peu près dans la proportion de 7 à 10. (B.)