Épîtres (Voltaire)/Épître 119

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 453-454).


ÉPÎTRE CXIX.


À MADAME NECKER.


(1776)


J’étais nonchalamment tapi
Dans le creux de cette statue[1]
Contre laquelle a tant glapi
Des méchants l’énorme cohue ;
Je voulais d’un écrit galant
Cajoler la belle héroïne
Qui me fit un si beau présent
Du haut de la double colline.
Mais on m’apprend que votre époux,
Qui sur la croupe du Parnasse
S’était mis à côté de vous,
A changé tout à coup de place ;
Qu’il va de la cour de Phébus,
Petite cour assez brillante,
À la grosse cour de Plutus,
Plus solide et plus importante.
Je l’aimai lorsque dans Paris
De Colbert il prit la défense,
Et qu’au Louvre il obtint le prix
Que le goût donne à l’éloquence.
À monsieur Turgot j’applaudis,
Quoiqu’il parût d’un autre avis
Sur le commerce et la finance.
Il faut qu’entre les beaux esprits
Il soit un peu de différence ;
Qu’à son gré chaque mortel pense ;
Qu’on soit honnêtement en France

Libre et sans fard dans ses écrits.
On peut tout dire, on peut tout croire :
Plus d’un chemin mène à la gloire,
Et quelquefois au paradis.



  1. Voyez, dans le tome VIII, page 537, les stances à Mme Necker.