Épîtres (Voltaire)/Épître 120

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 454-455).


ÉPÎTRE CXX.


À MONSIEUR LE MARQUIS DE VILLETTE[1].


(1777)


Mon Dieu ! que vos rimes en ine
M’ont fait passer de doux moments !
Je reconnais les agréments
Et la légèreté badine
De tous ces contes amusants
Qui faisaient les doux passe-temps
De ma nièce et de ma voisine.
Je suis sorcier, car je devine
Ce que seront les jeunes gens ;
Et je prévis bien dès ce temps[2]
Que votre muse libertine
Serait philosophe à trente ans :
Alcibiade en son printemps
Était Socrate à la sourdine.
Plus je relis et j’examine
Vos vers sensés et très-plaisants,
Plus j’y trouve un fond de doctrine[3]
Tout propre à messieurs les savants,
Non pas à messieurs les pédants

De qui la science chagrine
Est l’éteignoir des sentiments.
Adieu, réunissez longtemps
La gaîté, la grâce si fine
De vos folâtres enjouements,
Avec ces grands traits de bon sens
Dont la clarté nous illumine.
Je ne crains point qu’une coquine
Vous fasse oublier les absents :
C’est pourquoi je me détermine
À vous ennuyer de mes ents,
Entrelacés avec des ine.



  1. Voltaire ayant envoyé au marquis de Villette une montre à répétition, à quantième, à secondes, et garnie de son portrait, Villette l’en avait remercié par une épître dont la première moitié est sur les rimes ine et ents. (B.)
  2. Variante :
    Je m’aperçus bien dès ce temps.
  3. Variante :
    Plus j’y vois un fond de doctrine.