Épîtres (Voltaire)/Épître 42

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 289-290).


ÉPÎTRE XLII.


À MADEMOISELLE DE GUISE[1],
SUR SON MARIAGE AVEC LE DUC DE RICHELIEU.


Avril 1734.


Un prêtre, un oui, trois mots latins,
À jamais fixent vos destins ;
Et le célébrant d’un village,
Dans la chapelle de Montjeu,
Très-chrétiennement vous engage
À coucher avec Richelieu,
Avec Richelieu, ce volage,
Qui va jurer par ce saint nœud
D’être toujours fidèle et sage.
Nous nous en défions un peu ;
Et vos grands yeux noirs, pleins de feu,
Nous rassurent bien davantage
Que les serments qu’il fait à Dieu.
Mais vous, madame la duchesse,
Quand vous reviendrez à Paris,
Songez-vous combien de maris
Viendront se plaindre à Votre Altesse ?
Ces nombreux cocus qu’il a faits
Ont mis en vous leur espérance ;
Ils diront, voyant vos attraits :
« Dieux ! quel plaisir que la vengeance ! »
Vous sentez bien qu’ils ont raison,
Et qu’il faut punir le coupable :
L’heureuse loi du talion
Est des lois la plus équitable.
Quoi ! votre cœur n’est point rendu ?
Votre sévérité me gronde !
Ah ! quelle espèce de vertu
Qui fait enrager tout le monde !

Faut-il donc que de vos appas
Richelieu soit l’unique maître ?
Est-il dit qu’il ne sera pas
Ce qu’il a tant mérité d’être ?
Soyez donc sage, s’il le faut ;
Que ce soit là votre chimère :
Avec tous les talents de plaire,
Il faut bien avoir un défaut.
Dans cet emploi noble et pénible
De garder ce qu’on nomme honneur,
Je vous souhaite un vrai bonheur :
Mais voilà la chose impossible.



  1. Voltaire s’était employé pour ce mariage, qui eut lieu dans la nuit du 6 au 7 avril 1734. Voyez la Correspondance à cette époque.