Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 047

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 52-53).

FABLE XLVII.

LE VIEUX MÉNAGE.


Vous souvient-il, mon cher, que je fus très-jolie ?
— Vous étiez assez bien ; trop de minauderie,
L’air de prétention vous déparoit un peu.
— J’avois dans tous les traits de la gaîté, du jeu,
Et dans l’esprit agréable saillie.
— Vous étiez fort aimable en bonne compagnie ;

Mais, près de moi, Dieu sait quelle étoit votre humeur !
— Convenez, mon mari, que vous étiez grondeur ?
Chaque jour vous aviez bizarre fantaisie.
Tantôt sage et tantôt galant,
Le bien, le mal vous rendoient inconstant,
Et pour vos seuls plaisirs vous répandiez l’argent :
Puis il falloit souffrir de votre jalousie.
— Mais si je fus jaloux, vous savez bien pourquoi…
Votre légèreté, votre coquetterie…
Laissons cela ma femme, croyez-moi :
J’eus mes défauts, et vous eûtes les vôtres ;
Ah ! gardons-nous d’en prendre d’autres !
Reproche sait par fois ramener un amant,
Jamais l’époux, il aigrit vainement.
Oui, perdre la mémoire est bonheur à notre âge ;
Car il est peu de vieux ménages
Où le passé ne gâte le présent.