Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/009

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Lecoffre (Œuvres complètes volume 11, 1873p. 42-44).

IX
A M.CHARLES OZANAM
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Nogent-sur-Marne, 25 juin 1843.

Il y a longtemps, mon bon frère, que je ne t’ai écrit.. Tant, que vous êtes ensemble, Alphonse et toi, l’autorité de l’Église et les droits de l’âge exigent bien qu’il ait honneurs de l’adresse. Cependant aujourd’hui j’ai affaire à toi seul, pour te prier de remettre la lettre ci-incluse pour les intérêts de la société de Saint-Vincent de Paul. Je demande des renseignements sur les conférences de Lyon, afin d’en parler dans le rapport général que nous imprimerons le 19 juillet. Cette publication est devenue nécessaire au maintien de l’unité dans notre association que Dieu bénit et qui compte aujourd’hui près de quatre-vingts conférences en France, deux à Rome, plusieurs en Belgique et plus de cinq mille membres.

La société de Saint-Vincent de Paul te prépare ces jouissances de pieuse fraternité que j’y ai trouvées si nombreuses et si douces. Tu verras que le cœur gagne a s’élargir, que les affections anciennes se réchauffent au contact des nouvelles. Il me semble, je ne sais pourquoi, que je suis tout heureux et tout fier de t’y voir entré. C’est un lien de plus entre nous. Cela nous rapproche, en te mettant pour ainsi dire plus à ma portée..Tu dois porter un joyeux dévouement à des œuvres placées sous le patronage d’un si bon saint et qui ont reçu de la Providence de si incroyables bénédictions.. Remercions la divine Providence, mon cher ami, de nous avoir fait entrer tous deux dans cette jeune et croissante famille, qui est peut-être destinée. à régénérer la France, en préparant à toutes les professions libérales, aux sciences, aux arts, à l’État, une recrue de chrétiens. Quoi qu’on en dise, le retour des esprits.à la foi s’accomplit ; il se fait lentement comme les choses durables, il ira jusqu’au bout, si nous ne le compromettons point par notre faiblesse ou notre imprudence. A mesure que tu entres plus sérieusement dans tes études, tu dois sentir mieux cette lumière supérieure que la religion donne et que rien ne remplace.

Pour moi, je suis près d’achever la première année de mon cours sur l’histoire littéraire d’Italie elle m’a conduit, de l’ère chrétienne jusqu’au temps de Charlemagne. Ce travail a été pour moi, comme pour mes auditeurs, une étude plus profonde et plus vive de la papauté, par qui s’est fait ce difficile passage de l’antiquité aux temps modernes. Eh bien, j’ai éprouvé tout ce qu’on gagne à voir le-christianisme.de plus près. : ses bienfaits, que je n’ignorais pas, je les ai trouvés plus grands encore que je les avais jamais crus ; plus que jamais, je sens combien on devrait aimer l’Église, qui a tant fait pour nous conserver, pour nous préparer, pour rendre possible, tout ce que nous avons de savoir, d’intelligence, de liberté et de civilisation. J’enverrai à ton adresse, et tu te communiqueras à Alphonse, un exemplaire du dernier numéro du Correspondant[1]. Vous y trouverez l’analyse d’une de mes leçons sur les moines c’était une réponse aux attaques de MM. les professeurs du Collége de France.

Je te remercie des bonnes lignes que tu m’as écrites. Si je n’ai point répondu à plusieurs de vos questions, attribuez-le à mes sollicitudes qui ont été infinies. C’est une triste chose que d’avoir à converser ainsi de cent lieues de distance ; toutes les correspondances du monde ne valent pas une demi heure d’entretien. J’appelle de tous les désirs de mon âme le moment qui finira ces éternelles séparations. Nous aimons trop la vie de famille pour que Dieu ne nous la rende pas tôt ou tard. Adieu, mon bon frère, je t’embrasse tendrement, et Alphonse avec toi.

  1. Le Correspondant. De l’Établissement du Christianisme en Allemagne , t. III, p. 193.