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Œuvres d’histoire naturelle de Goethe/Ostéologie comparée

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Martins.
A. Cherbuliez et Cie (p. 114-122).

OSTÉOLOGIE COMPARÉE.

(1824.)

OS APPARTENANT À L’ORGANE DE L’AUDITION.

Division ancienne qui consiste à les considérer comme une partie (partent petrosam) du temporal. — Inconvénients de cette méthode. — Division établie plus tard. — Distinction d’une partie pétreuse de l’os des tempes qu’on a décrit sous le nom d’os petrosum. Cela n’est pas encore assez exact. — La nature nous indique une troisième méthode par laquelle nous pouvons acquérir une idée nette de ces parties compliquées, elle consiste à considérer l’os pétreux comme composé de deux os tout-à-fait différents par leur nature, qu’il faut étudier isolément, savoir : la bulla et l’os petrosum propriè sic dicendum. Nous en séparons complétement le temporal et l’occipital afin d’enchâsser les os appartenant à l’organe de l’audition dans l’espace qui sépare le temporal de l’occipital ; nous distinguons donc :

I. Bulla.
II. Os petrosum.

Ils tiennent ensemble

a. Par la soudure ;
b. Par l’empiétement du processus styloïdien ;
c. Par ces deux causes réunies.

Ils sont réunis à l’os temporal et à l’occipital.

I. Bulla. Elle présente de remarquable :

1. Meatus auditorius externus, collum, orificium bullæ.

a. Collum très long dans le cochon, le bœuf, le cheval, la chèvre et le mouton.
b. Orificium. Ce nom est exact lorsque l’ouverture ressemble à un anneau. Dans le chat, le chien, elle est soudée avec la bulla, mais il existe peut-être une trace de la séparation dans les jeunes chats et les jeunes chiens, et dans le fœtus de l’homme ou l’anneau est séparé. Chez l’homme adulte, il se transforme en une gouttière couverte par le temporal.

On peut donc considérer le conduit auditif externe comme une gouttière dirigée en haut et en arrière, et dans d’autres cas comme un anneau dirigé dans le même sens. La gouttière est fermée dans les animaux dont nous avons parlé, cependant il est facile de voir que le côté antérieur est toujours le plus fort. L’anneau est fermé de même en haut, mais on remarque aussi que le bord antérieur est le plus fort.

Ce conduit auditif se réunit aux parties cartilagineuses et tendineuses de l’oreille externe ainsi que la bulla, et dans ce point il existe toujours un bord (limbum) plus ou moins courbé et à convexité postérieure. C’est à lui que s’attache la membrane du tympan qui ferme l’oreille interne.


2. La bulla proprement dite mérite cette dénomination par son apparence dans les chats, les renards, où elle contient aussi peu de matière osseuse que possible ; elle est ronde, comme soufflée, et aucune des parties externes ne s’oppose à son développement. Il en part un processus peu marqué, pointu, qui donne attache aux tendons voisins. Ex., le chien.

Dans les moutons et les animaux analogues, son apparence est celle d’une poche ; elle est toujours très pauvre en matière osseuse, mince comme du papier, unie en dedans, pressée en dehors par l’apophyse styloïde. Cette poche porte des processus rayonnants qui donnent attache à des tendons.

Dans le cheval, la bulla est encore mince, mais elle est modifiée par l’apophyse styloïde. On remarque dans le fond de sa cavité des cloisons semilunaires qui forment de petites cellules ouvertes par le haut. Je ne sais si elle est séparable de l’os pétreux dans le poulain.

II. Os petrosum.

1. Pars externa. Elle se place entre l’os des tempes et l’os occipital et y est enchâssée d’une manière solide. Quelquefois elle se réduit à peu de chose, comme dans les cochons.

2. Pars interna.

a. Facies cerebrum spectans. Celle-ci reçoit les nerfs qui partent du cerveau ; son bord est uni à la tente du cervelet ossifiée.
Foramina
α. Inferius constans, necessarium, pervium.
ϐ. Superius accidentale cœcum.
b. Facies bullam spectans.
Foramina. Enfoncements et saillies. Dès que ces parties auront été décrites isolément, et comparées entre elles, il faudra déterminer quels sont les résultats de leur réunion et de leur connexion.

L’espace entre la bulla et l’os pétreux ou vestibule.

L’apophyse mastoïde qui provient du temporal et de la partie externe de l’os pétreux, ne saurait être comparée avec la bulla vésiculeuse et mammiforme des animaux et surtout du cochon. Cette apophyse n’existe que dans l’homme. — Sa place, ses caractères. — L’apophyse mastoïde des animaux est placée sous le conduit auditif externe. — La bulla se prolonge derrière le processus styloïdien lorsqu’il existe.

L’apophyse mastoïde ne tient à l’os pétreux qu’antérieurement et par les côtés. — Point à examiner avec soin.


RADIUS ET CUBITUS.

Si l’on considère la conformation générale de ces deux os, on verra que la plus grosse extrémité du cubitus est en haut où l’olécrâne l’unit à l’humérus, la plus forte du radius en bas où il s’articule avec le carpe.

Lorsque ces deux os sont en supination chez l’homme, le cubitus est en dedans, le radius en dehors. Dans les animaux, ils restent tous deux en pronation ; le cubitus est placé en bas et en arrière, le radius en avant et en haut ; ils sont séparés, équilibrés, pour ainsi dire, entre eux et plus ou moins mobiles (8).

Ils sont longs et minces chez le singe ; c’est le caractère des os de cet animal qui paraissent tous proportionnellement trop longs et trop grêles.

Dans les carnivores, ils sont gracieux, proportionnés et mobiles ; si l’on établissait une série graduelle, le genre chat serait à la tête. Le lion et le tigre ont des formes très belles, très élancées ; l’ours est plus lourd et plus épais. Le chien et la loutre sont remarquable en ce qu’ils ont tous les deux la pronation et la supination plus ou moins parfaites.

Le radius et le cubitus sont encore séparés dans différents animaux, dans le cochon, le castor, la fouine ; mais ils sont très rapprochés, et paraissent quelquefois réunis par des dentelures, de façon qu’on doit les considérer comme immobiles.

Dans les animaux organisés pour rester debout, marcher ou courir, le radius l’emporte ; il est la colonne de sustentation ; le cubitus ne sert qu’à former l’articulation du coude, son corps devient faible, mince, et n’est en contact qu’en arrière et en dehors avec le radius. On pourrait l’appeler avec raison fibula. C’est l’organisation qu’on trouve dans le chamois, les antilopes et le bœuf. Quelquefois ils se soudent, comme je l’ai observé sur un vieux bouc.

Dans ces animaux, le radius s’articule déjà avec l’humérus par deux faces analogues à celles du tibia.

Les deux os sont soudés dans le cheval, cependant on remarque au-dessous de l’olécrâne une séparation ou un interstice entre eux.

Enfin, lorsque le poids du corps de l’animal devient considérable, de façon qu’il a beaucoup à porter et qu’il est destiné néanmoins à se tenir debout, à marcher ou même à courir, alors les deux os se soudent complétement, comme dans le chameau. On voit que le radius gagne toujours en prépondérance ; le cubitus n’est plus qu’un processus anconeus du radius, et son corps mince et étroit se soude avec lui en vertu de la loi que nous connaissons. Si nous faisons en sens inverse la récapitulation de ce que nous avons dit, nous trouverons que : les deux os sont simples et soudés, lourds et forts, quand l’animal succombant, pour ainsi dire, sous son propre poids, ne fait que marcher ou se tenir debout ; l’animal, au contraire, est-il agile ? peut-il courir et sauter ? alors les deux os sont séparés, mais le cubitus est faible, et ils ne se meuvent pas l’un sur l’autre. Si l’animal saisit et agit avec les membres antérieurs, ils s’écartent, deviennent mobiles, et enfin chez l’homme une pronation et une supination parfaites permettent les mouvements les plus gracieux et les plus compliqués.


TIBIA ET PÉRONÉ.

Ils ont à peu près le même rapport entre eux que le radius et le cubitus, cependant il faut observer ce qui suit.

Chez les animaux, comme les phoques, où les membres postérieurs ont des fonctions variées, ils sont moins inégaux pour la masse que dans les autres. Le tibia est toujours plus gros, mais le péroné l’égale presqu’en volume ; tous les deux s’articulent avec une épiphyse, et celle-ci avec le fémur.

Dans le castor, qui, sous tous les points de vue, est un être à part, le tibia et le péroné s’écartent au milieu, forment une ouverture ovalaire et se soudent inférieurement. Les carnivores pourvus de cinq orteils, et qui bondissent avec force, ont un péroné très grêle. Il est fort élégant chez le lion. Les animaux sauteurs ou marcheurs en sont tout-à-fait dépourvus. Dans le cheval, ses extrémités supérieures et inférieures sont osseuses, le reste est tendineux.

Chez le singe, ces deux os, ainsi que tous les autres, sont mal caractérisés, sans force comme sans physionomie.

J’ajouterai quelques observations pour éclaircir ce qui vient d’être dit. Après avoir construit à ma manière, en 1795, le type ostéologique, j’eus le désir de décrire, d’après ces indications, les os des mammifères isolés. Je me trouvai bien d’avoir séparé l’intermaxillaire de la mâchoire supérieure ; je sentis également l’avantage qu’il y avait à considérer l’inextricable sphénoïde comme formé de deux os, l’un antérieur, l’autre postérieur. Cette méthode devait me conduire aussi à séparer en plusieurs parties distinctes l’os temporal qui jusqu’ici n’avait été ni compris ni figuré comme il est dans la nature.

Pendant des années, j’avais inutilement suivi la route battue, dans l’espoir de trouver enfin un sentier nouveau qui me conduirait au but. Je concevais que l’ostéologie humaine devait entrer dans les détails les plus minutieux sur la forme des os, et les considérer sous une infinité de points de vue différents. Le chirurgien est forcé de voir avec les yeux de l’esprit, et souvent sans avoir recours au toucher, l’os lésé ; et la connaissance approfondie des détails doit lui donner une sagacité pour ainsi dire infaillible.

Après de vains efforts souvent répétés, je compris qu’il était impossible de procéder ainsi en anatomie comparée. L’essai descriptif qui se trouve p. 81 nous démontre l’impossibilité d’appliquer un thème général à tout le règne animal ; car la mémoire et l’écriture ne sauraient retenir tous ces détails, et l’imagination tenterait en vain de les reproduire.

On essaya de décrire et de noter les parties au moyen de chiffres et de mesures, mais l’exposition n’y gagna rien en lucidité. La sécheresse des chiffres et des mesures ne rend pas la forme, et bannit toute conception intelligente et animée. J’essayai donc un autre mode de description pour les os isolés considérés toujours dans leurs rapports architecturaux. Mon essai sur l’os pétreux et la bulla, que j’isole du temporal, est un exemple de ce mode de procéder.

Le second essai sur le radius et le cubitus, le tibia et le péroné, peut donner une idée de la manière rapide, il est vrai, dont je voulais établir le parallèle des os. Ici le squelette s’anime, parce qu’il est la base de toute forme vivante, et la destination, les rapports des différentes parties doivent être exactement appréciés. Je n’ai fait qu’indiquer ces comparaisons afin de m’orienter d’abord et d’avoir un catalogue raisonné d’après lequel j’aurais pu, dans des circonstances favorables, rapprocher les membres que j’aurais voulu comparer. Il en serait résulté naturellement que chaque série eût nécessité un autre terme de comparaison.

L’esquisse qui précède donne une idée de ma manière de procéder quand il s’agit des organes appendiculaires. Je prenais pour point de départ des membres rigides, immobiles, ne servant qu’à une seule fin, pour arriver à ceux qui exécutent les mouvements les plus variés et les plus rapides. Cette gradation suivie dans un grand nombre d’animaux, aurait fini par donner les résultats les plus satisfaisants.

En traitant du cou, on partirait de celui qui est le plus court pour arriver au plus long, on irait de la baleine à la girafe. Nous quittons avec regret ce sujet ; mais qui ne voit quelle richesse d’aperçus résulterait de cette manière d’étudier, et comment, à propos d’un organe, on serait amené à étudier tous les autres ?

Revenons en idée aux appendices dont nous avons parlé plus haut avec détail, et nous verrons que par eux la taupe est faite pour fouiller un terrain meuble, le phoque pour l’eau, la chauve-souris pour l’air ; le squelette nous l’apprend aussi bien que l’animal couvert de parties molles, et nous permet d’embrasser avec une nouvelle ardeur et une intelligence plus élevée l’ensemble du règne organisé.

Ce qui précède paraîtra sans doute moins saillant aux naturalistes de nos jours, que je ne le croyais il y a trente ans, parce que plusieurs d’entre eux et surtout Dalton ont poussé cette branche de l’anatomie comparée jusqu’à ses dernières limites. Aussi est-ce spécialement aux psychologistes que je consacre cet article. Un homme comme M. Ernest Stiedenroth devrait utiliser sa haute expérience des fonctions du corps spirituel et de l’esprit corporel de l’homme, pour écrire l’histoire d’une science quelconque qui servirait alors de modèle à toutes les autres.

Cette histoire prend un aspect très respectable lorsqu’on la considère du point où la science est parvenue. On estime à la vérité ses prédécesseurs, on leur sait gré de la peine qu’ils se sont donnée pour nous ; mais on mesure toujours, en haussant les épaules, les limites dans lesquelles ils se sont agités sans avancer et souvent en reculant. Personne ne voit en eux des martyrs qu’une ardeur irrésistible a jetés au milieu d’obstacles qu’ils ne pouvaient vaincre, et ne réfléchit qu’il y avait plus de vouloir sérieux dans ces pères de la science, auteurs de tout ce qui existe, que dans leurs successeurs qui jouissent de leurs travaux et en dissipent le fruit.

Mais laissons ces considérations chagrines, pour nous occuper des travaux où la science et l’art, l’intelligence et l’imitation des formes, se donnent la main pour accomplir une noble tâche.